Boule de cristal

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Diane trainait dans l’appartement. Depuis le retour, quelques jours auparavant, elle avait du vague à l’âme. Ses amis lui proposèrent rapidement de sortir. Elle accepta avec plaisir, avide de se changer les idées.

Le gris s’installait pour plusieurs mois dans la capitale. Le ciel, obstrué de nuages, ne montrerait pas une pointe de bleu avant le printemps. Pourtant, la capitale embellissait aux yeux de Diane. Venait l’époque des guirlandes lumineuses et bientôt, des décorations de noël. Le moment le plus féérique de l’année à Paris. Elle aimait découvrir les vitrines des grands magasins, l’immense sapin des Galeries Lafayette, profiter de l’atmosphère de fête qui se répandait lentement.

Les toiles d’araignée et autres squelettes en plastique reprenaient leur place dans les cartons et les remises de magasin, fini l’ambiance d’Halloween. La Toussaint juste passée, novembre était une période transitoire que Diane n’appréciait pas vraiment. Un coup de blues annuel qui suivait la fuite du beau temps et l’arrivée des premiers froids.

Avec toutes les images en stock, un tournage ne se profilait pas avant un moment. Les vidéos se montaient tranquillement. Adam passait beaucoup de temps chez Malory. Elle ne lui en voulait pas, appréciant le garçon et leur besoin d’intimité. Diane se languissait d’avoir des nouvelles de son frère. Une forte période d’activité le forçait à mettre entre parenthèses son enquête. Manifestations et blocages routiers se multipliaient. Les dernières informations qu’ils lui avaient transmises concernaient son tête-à-tête avec la secrétaire médicale, Danika Grinberg. Fait intéressant, à ce nom, dans le fichier, Mathias trouva la plainte d’une certaine Delphine Bourgouin, chiromancienne[1] accusant Danika de harcèlement téléphonique. Une femme mystérieuse, bien trop versée dans les pratiques divinatoires. Diane restait persuadée qu’ils tenaient là une piste.

Se lassant de tourner en rond, elle se décida à sortir faire des courses. Flâner dans les rayons à la recherche de son déjeuner, tentant d’éveiller l’intérêt de ses papilles, représenterait sa seule sortie du jour. Elle ouvrit les fenêtres en grand afin d’aérer l’appartement pendant qu’elle s’absentait. Les dix degrés du dehors la surprirent. Sonnait le moment de troquer les vestes pour les manteaux. Elle décrocha sa veste fétiche du porte-manteau. Un vêtement noir imitation daim avec une fermeture et un col en fausse fourrure. Diane retira quelques peluches accrochées au tissu. La veste méritait un bon lavage avant de retrouver sa place dans le placard. Elle lut attentivement l’étiquette pour ne pas risquer d’abîmer la pièce. L’air de l’extérieur s’insinuait à l’intérieur. Frissonnante, elle vida les poches, un billet se noyait vite dans la machine à laver.

Diane tira du renfoncement de tissu une carte de visite cornée. Perplexe, elle se demanda d’où elle la tenait.

Surement quelqu’un qui me l’a tendu à la sortie d’un bar.

Elle jeta le papier à la poubelle, ainsi qu’un mouchoir usagé. La veste prenant son bain annuel, elle enfila ses bottes pour sortir. Diane se décida pour une écharpe à motif pied-de-poule et attrapa sur un cintre son manteau de mi-saison. Son esprit fit alors la connexion, lui envoyant l’image du cimetière de Nantiat tandis qu’elle glissait un bras dans une manche. Stoppée dans son geste par sa réflexion, elle jeta le manteau sur le dossier du canapé et se rua vers la poubelle.

Le rectangle coloré présentait un fond rose sur lequel dansaient des signes du zodiaque. Une typographie noire indiquait :

Le Miroir de la pythie

Voyance, horoscope, tirage des cartes, lecture des astres.

Nos médiums et vos voyants à votre service 24h/24

Diane tourna la carte pour découvrir le numéro de téléphone et les tarifs du service. Ce papier, trouvé devant la tombe de Nicole Girard, pouvait-il appartenir à la mystérieuse femme du cimetière ? Bien sûr, il n’était pas interdit de venir visiter un mort. Mais dans le cas précis, Mathias lui avait raconté que la pauvre Nicole n’existait plus aux yeux de la communauté. Une jeune femme qui faute avec un homme plus âgé, tout le monde préférait l’oublier. Sa propre mère venait en cachette sur sa tombe. Savoir que Danika Grinberg ne pouvait plus appeler sa chiromancienne favorite, poussa Diane à émettre l’hypothèse qu’elle enquiquinait maintenant les médiums du Miroir de la pythie. Un petit coup de fil servirait alors à confirmer qu’elle portait une grande doudoune couvrante pour se rendre le dimanche dans les cimetières.

La jeune femme composa le numéro du service sur son téléphone portable. La musique d’attente lui arracha un sourire : un mélange de musique chamanique et de voix chuchotantes. Une voix féminine se mit à parler de manière calme, lente, et — se voulant — envoutante.

— Bonjour, je suis Esther Orion, grande voyante du Miroir de la pythie. Tarot divinatoire, prédiction, lecture d’horoscope, nos médiums sont à votre service.

La ligne fut prise.

— Bonjour, reprit une nouvelle voix de femme.

— Bonjour, bafouilla Diane.

— C’est la première fois que vous appelez ?

— Oui.

— Nous allons tout de suite créer votre dossier client dans ce cas.

Eh, oh, minute papillon !

— En ce moment vous pouvez profiter de notre offre « équilibrage de la balance céleste ». Pour trente minutes de communication, nous vous en offrons trente de plus.

— En fait, euh, je n’appelle pas pour moi.

Silence à l’autre bout du fil.

— Vous appelez pour une tierce personne ?

— Oui, je pense qu’elle a déjà un dossier chez vous.

— Pouvez-vous me renseigner le nom et le prénom s’il vous plait.

On se croirait à la banque.

— Alors, Danika Grinberg.

Diane épela le nom de famille.

— C’est elle qui vous demande d’appeler ? demanda la femme, soudain beaucoup moins aimable.

— Oui…

Diane formula un mensonge en vitesse, se mettant à faire les cent pas dans l’appartement.

— Elle ne se sent pas très bien aujourd’hui, elle pense qu’il y a un… bouleversement astrale.

— Madame Grinberg est blacklistée par notre service, nous lui avons notifié.

— Ah bon ?

— Vous êtes une proche ?

— Une amie.

— Je pense que madame Grinberg devrait commencer une thérapie pour se débarrasser de ses additions.

— Ses addictions ?

— Au service de voyance. J’ai le dossier sous les yeux, les derniers temps, elle appelait jusqu’à vingt fois par jour. Sa dette s’élève à près de dix mille euros.

Diane ouvrit des yeux ronds comme des billes.

— Mince… elle a des problèmes avec la justice ?

— Nous lui avons donné un délai de paiement, il expire prochainement.

— Est-ce que je peux savoir pourquoi elle appelait ?

— Non, nous garantissons le secret sur nos consultations.

— Bon, merci.

La personne raccrocha. Diane s’empressa de transmettre les informations à son frère.

Mathias rentrait tout juste d’une patrouille. Surveiller les ronds-points pendant quatre heures, une activité plutôt ennuyeuse. Cette dernière semaine, il n’avait pratiquement fait que ça. Ce qui l’inquiétait également, c’était la multiplication des appels pour violences conjugales. Les langues se déliaient depuis les divers mouvements sur les réseaux sociaux. Aucune tranche d’âge ne se trouvait épargnée par ce fléau. Dans une grande majorité de cas, les gendarmes ne pouvaient garantir une sécurité pérenne aux victimes. La plupart du temps, elles refusaient de porter plainte, laissant la porte ouverte à leur bourreau. Ce que Mathias redoutait, c’était l’appel pour le coup de trop, celui qui serait fatal à la personne battue. Au milieu d’un défilé de femmes, il se trouvait aussi des hommes maltraités. Autant de personnes pour qui l’appel au secours rimait avec honte. Mathias déplorait ces évènements, surtout quand des enfants assistaient aux scènes de violence quotidienne.

Son téléphone vibra, un message de Diane, ou plutôt un pavé, il fit défiler le texte sans en voir le bout. Avant de lire, il passa au vestiaire pour se rincer les mains et troquer ses chaussures d’intervention pour ses baskets de ville, bien plus confortables. Il bailla à s’en décrocher la mâchoire et consulta sa boîte mail d’un œil las. Rien de bien important, il reposa son attention sur son téléphone. Ses yeux parcourent les premières lignes tranquillement, pour finalement accélérer la lecture et dévorer les dernières lignes.

Sans lui sortir de la tête, son enquête, chronophage, se trouvait mise en dessous de la pile par des journées d’une rare intensité. La fatigue le talonnait tant il essayait de se montrer présent sur tous les fronts. Les informations récoltées par sa sœur lui firent l’effet d’un coup de fouet. Danika Grinberg souffrait vraisemblablement d’un profil addictif. Mais rien ne la reliait au meurtre de Jacques Reignac. La cupidité aurait pu pousser son geste pour couvrir ses dettes, mais dans ce cas, comment récupérer l’argent et les biens du défunt ? Elle ne faisait pas partie de sa famille et ne pouvait prétendre, telle la légende d’Anastasia Romanov, être Nicole Girard, sortant de la tombe.

En premier lieu, et pour éclaircir certaines zones d’ombre, le maréchal des logis-chef se mit en quête du numéro de Delphine Bourgoin, la chiromancienne ayant porté plainte quelques années auparavant, contre Danika.

La plainte avait été déposée à la gendarmerie de Couzeix, une commune plus au sud, proche de Limoges. Mathias sortit devant la gendarmerie pour appeler, se protégeant des oreilles indiscrètes.

Il tomba sur la messagerie :

— Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Delphine Crystal, chiromancienne, annonça une voix sensuelle accompagnée d’une musique zen. Je suis en séance pour le moment, mais n’hésitez pas à me laisser un message.

C’est sûr que Bourgouin ça faisait moins classe pour le côté voyance.

— Bonjour Madame, le maréchal des logis-chef Mathias Brochart à l’appareil. Je vous appelle concernant votre plainte portée contre Danika Grinberg, j’aurais quelques questions à…

On décrocha à l’autre bout du fil.

— Allô ?

Mathias répéta sa demande. Sans hésitation,la femme accepta de le rencontrer le samedi suivant.

[1] La chiromancie est une pratique divinatoire qui se base sur la lecture des mains.

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