Une histoire de nains (de jardin)

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Perché sur le perron de sa maison, Michel contemplait la rue d’un air maussade. De là où il était, il apercevait toutes les maisons voisines et les champs qui les bordaient. La vue était franchement déprimante : quelques moutons batifolaient entre des clôtures rouillées et des maisons vieillottes au bord de l’effondrement, décorées de panneaux “à vendre” ancestraux. Bref, une rue déserte et morne comme on en trouve dans les campagnes où tous les jeunes sont partis depuis longtemps en laissant les vieillards et les nains de jardins seuls pour penser au bon vieux temps.

Michel n’avait jamais quitté cette rue depuis son enfance : il se rappelait ses jeunes années, où perché sur le même perron, il contemplait la même rue qui bruissait alors d’activité. Il se remémorait notamment ses frasques de jeunesse, lorsqu’il glissait dans la boîte aux lettres de ses voisins des fausses factures, plus crédibles que les vraies, qui faisaient pleurer les ménagères d’angoisse, et lui de rire. Ou les faux bulletins qu’il déposait chez Maxime, le petit gamin insupportable de la maison d’en face, un intello que ses parents avaient toujours cru idiot grâce à Michel. De belles tranches de rire, vraiment, comme on n’en faisait plus aujourd’hui (surtout quand on n’avait plus ni de voisins à énerver ni de boîtes aux lettres où déposer ses arnaques). Maintenant, les jeunes nains de jardin passaient leur temps à la ville, sur des balcons minuscules où on ne voyait pas un mouton, loin de la belle herbe verte de leurs ancêtres, à contempler nuit et jour leurs petits écrans ridicules. O tempora, o mores (ou quelque chose comme ça, Michel n’avait jamais été très assidu en latin, il préférait glisser des grenouilles dans les bottes de ses professeurs).

Un bruit le sortit brutalement de ses rêveries : cette pétarade, c’était Jonathan (Jo pour les intimes) qui surgissait en scooter et veste en cuir au bout de la rue. C’est décidément toujours un m’as-tu-vu bruyant, songea Michel avec un sourire au coin des lèvres, tout heureux à l’idée de revoir son neveu de jardin préféré (même s’il essayait de ne pas trop le montrer).

En effet, Jo était un neveu un peu particulier : amateur de technologies en tout genre, il passait son temps à démonter et remonter tout ce qui possédait un écran. Michel, lui, se méfiait de tous ces nouveaux gadgets qui n’existaient pas de son temps, aussi fut-il un peu dépité quand son neveu lui glissa un de ces téléphones intelligents flambant neuf dans la main avant de partir, “pour garder contact avec son tonton préféré”.

Michel comptait laisser le petit parallélépipède perché sur la cheminée à prendre la poussière dès que Jonathan aurait le dos tourné, mais la petite bête faisait un bruit infernal à toute heure du jour ou de la nuit, et demandait plus d’attention qu’un bébé malade. Des “promotions incroyables !!” et des “newsletters” (on ne parlait même plus français, soupirait Michel) se précipitaient tous les jours sur le téléphone du nain de jardin sans un instant de répit, à croire que le monde entier était suspendu à son porte-monnaie.

Jusqu’à ce qu’il reçoive, un jour, un mail de sa banque l’informant qu’il devait impérativement confirmer son mot de passe sur le lien suivant. Michel fut atterré de la pauvre qualité de cette tentative d’arnaque : ce n’était même pas la bonne banque, le mail était rempli de fautes et le lien ne ressemblait pas du tout à un site officiel où on avait envie de rentrer son mot de passe. De son temps, quand il faisait des faux, il s’y prenait quand même avec un peu plus de soin, où va le monde si même les arnaqueurs n’ont plus le goût du travail bien fait ? Lui saurait faire mieux, décida-t-il. Il saurait montrer au monde que des arnaqueurs de qualité existent toujours, qu’être un faussaire (même sur téléphone) est un art qui réclame de la finesse, de l’élégance et de l’intelligence.

Quelques coups de fil à son neveu plus tard, pour comprendre les subtilités technologiques qui distinguent les belles arnaques, il avait mis en place son premier mail frauduleux : en souvenir du bon vieux temps, il avait décidé d’envoyer à tous les parents d’élève du collège du coin un faux bulletin (désastreux évidemment) de leurs enfants. L’oeil pétillant, se sentant plus jeune qu’il ne l’avait été depuis des années, enthousiasmé par toutes les possibilités qui s’offraient désormais à lui pour enquiquiner le monde, il cliqua sur le bouton “envoyer”.

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