CHAPITRE 17 : Déguster tiède le jour même, c'est à ce moment qu'il est le meilleur
La mascotte de Kouign Amann pénétra dans la cour de récréation de l’école Diwan.
Un garçon costaud prêt à lancer une botte de paille par-dessus une barre horizontale, s’arrêta net pour la regarder passer. Deux jeunes filles assises par terre, face à face, cessèrent de tenter de s’arracher le bâton qu’elles tenaient dans leurs mains. Un groupe d’enfants arrêta sa partie de boules bretonnes.
- Regarde, il lui manque un gant, remarqua l’un d’entre eux.
- Elle est bizarre, ajouta un autre.
- Elle sent les poubelles, lança un petit en se pinçant le nez.
Son pas était raide. Elle titubait légèrement, comme gênée dans ses mouvements et tirait des bords dans la cour, comme un bateau qui doit avancer face au vent. Pas de coucou avec les mains, même pas une petite chorégraphie. Elle allait droit vers le bâtiment principal et s’engouffra à l’intérieur.
Dans la salle des professeurs, Loig, le professeur de breton, consultait son téléphone, adossé au radiateur du couloir. Il sursauta en entendant des pas.
En voyant Kouignette avancer vers lui, il bondit en arrière.
La mascotte stoppa net à deux mètres, les poings sur ses hanches.
Silence.
Puis une voix étouffée, derrière le sourire figé dans la mousse jaune.
- Je ne comprends rien, dit Loig. Parlez plus fort.
La mascotte agita les bras. Loig se rapprocha et colla son oreille à la bouche.
- Suis… coincé… Aide-moi à sortir de cet enfer ! parvint-il entendre.
Loig tira la tête de toutes ses forces. Bruit de scratch qui cède. Il recula d’un coup lorsqu’elle céda et tomba à la renverse, sur les fesses.
Jacky dégoulinait de sueur. Ses trois cheveux plaqués sur le crâne, les joues aussi rouges que des fraises de Plougastel. Il souriait malgré tout, essoufflé, vêtu jusqu’à la taille de l’improbable costume de Kouignette.
— Voilà. On peut parler, maintenant, dit-il, le souffle court.
— J’attendais ce moment, répondit calmement Loig.
— Jacques le Fur, Gendarmerie nationale. Je suis venu pour vous interpeller dans le cadre du meurtre de Monsieur Véron.
— J’avais compris, murmura Loig.
Jacky marqua une pause, surpris par ce demi-aveu spontané. Il n’était plus question d’en rajouter sur l’effet théâtral. Le suspect était à point, la cuisson était parfaite.
— Je voulais que ce soit clair. Nous avons fait analyser le gant retrouvé dans la poubelle près de l’école. Votre ADN y figure, celui de Véron aussi. Et des traces de pâte crue de Kouign Amann. Au beurre doux.
Un silence tomba. Jacky conclut doucement :
— Il n’y a plus aucun doute sur votre implication.
Loig tendit les poignets. Son regard était fatigué.
— J’avoue tout. C’est étrange, mais… je suis presque soulagé. Je n’avais pas le courage de me rendre. J’espérais que quelqu’un viendrait. Que quelqu’un comprendrait.
Jacky le regarda un instant, sans rien dire. Puis :
— Pourquoi ?
Loig inspira profondément. Ses yeux se posèrent sur la tête de Kouignette posée au sol, muette, avec son sourire absurde.
- Il passait son temps à me provoquer, dit-il. À se moquer de mes interventions, à m’imiter quand j’enfilais ce… machin.
Il fit un léger mouvement du menton vers la mascotte.
- J’étais au bord du craquage. Il faisait une chaleur à mourir, j’étais enfermé là-dedans depuis des heures, les enfants n’en pouvaient plus, les parents râlaient… Et lui, il est revenu à la charge. Toujours un mot de trop. Cette fois, il m’a dit : « Kenavo, professeur. »
Il s’interrompit.
- Vous savez ce que ça signifie, Kenavo ? En breton, ça veut dire « Tant qu’il y aura ». C’est un mot magnifique. Tant qu’il y aura des étoiles dans le ciel, des marées, des pommes à cidre, on se reverra. Tant que nous serons vivants, on se reverra. Et lui, il le balançait comme une vanne, pour dire bonjour, en plus. L'identite bretonne, ce n'est pas une part de kouignette, un coup de cidre fermier et un kenavo lâché comme un pet !
Il reprit, la gorge serrée.
- J’ai vu le bac de pâte crue. J’ai voulu qu’il se taise. Juste une seconde. Il s’est étouffé. Et j’ai fui. Comme un lâche.
Il baissa la tête. Jacky s’approcha, toujours en bas de costume de mascotte, et sortit lentement les menottes.
— Nous passerons par la porte de derrière. Vos élèves n’ont pas besoin de vous voir comme ça.
— Merci, murmura Loig.
Alors qu’ils sortaient par l’arrière de l’école, il se tourna vers le gendarme à moitié déguisé :
— Dites… Pourquoi cette mise en scène ? Vous vouliez me faire peur ?
— Vous parlez de mon entrée façon Kouignette ? fit Jacky avec un petit sourire.
— Oui. Ça m'a… surpris.
— C’est une longue histoire. Ce matin, j’ai voulu enfiler le costume. Pour comprendre ce que vous aviez ressenti. Me mettre, disons, dans la pâte du coupable.
Il grimaça.
— Mais j’étais seul à la brigade, et j’ai bloqué la fermeture éclair. Impossible de l’enlever. Je suis resté coincé pendant deux heures à tourner en rond. Alors j’ai décidé de venir comme ça. En me disant que ça vous aiderait à vous mettre à table, si je puis dire.
Il ajouta, presque pensif :
— Et franchement, j’ai eu peur. Vraiment peur. Pendant un moment, j’ai cru que le costume allait m’avaler. Que je n’arriverais jamais à le quitter. Que j’allais finir… possédé par l’esprit de la mascotte. Alors, j’ai compris ce que vous avez ressenti. Vous aurez peut-être des circonstances atténuantes. Je l’espère en tout cas.
Loig le regarda un instant. Puis il éclata d’un rire sec, soulagé.
— Un costume maudit qui transforme son porteur en meurtrier… ça ferait un bon roman.
Jacky pensa à Marie-Langoustine. À ses bibliothèques pleines d’Agatha Raisin, à son rire, à ses rêves de polar. Un sourire étira sa moustache.
Épilogue
Quelques mois plus tard, le ciel de Ploudévennec était d’un bleu parfait.
Jacky descendait les marches de l’église Saint-Pilbec, en costume trois pièces. À son bras, Marie-Langoustine rayonnait dans une robe d’un blanc crème à fleurs. Elle s’accrochait à lui pour ne pas tomber. Tout autour, les retraités de l’Ehpad lançaient de la semoule Tipiak à pleines poignées, avec la même fougue que lors des lotos du jeudi soir.
La foule riait, applaudissait, la chorale de Diwan s’égosillait sur Tri Martolod.
Anne Le Quellec, la maire, les félicita d’une voix vibrante :
— Vous êtes le couple breton le plus âgé à convoler, et c’est à Ploudévennec que ça se passe ! Ploudévennec, toujours en avance sur son temps !
En retrait immobile et silencieuse, une mascotte de Galette Bretonne les observait.
Son sourire cousu ne bougeait pas, ses yeux en forme de jaune d’oeuf fixaient la foule.
Marie-Langoustine s’arrêta net.
— Tu crois que… c’est elle ?
— Qui, Kouignette ? Non. Elle repose au grenier de la gendarmerie, lui glissa Jacky. Pièce à conviction.
- J’aime quand tu me parles comme ça, mon Jacky.
Mais dans sa poche, ses doigts serraient un petit mot que quelqu’un avait glissé sous sa porte ce matin :
« Pour un jour comme celui-là, il fallait une mascotte. Comptez sur moi.»
Le cortège s’ébranla, les danses commencèrent, les galettes volèrent.
La Galette Bretonne dansa avec les enfants, petit doigt levé, comme la reine du Fest Noz.
Quand la nuit tomba et que la place fut vide, la mascotte s’éclipsa lentement derrière l’église, sans un bruit.
Dans la sacristie, la fermeture éclair résista un peu, puis céda.
Morvan en émergea, ruisselant de sueur, la tête décoiffée, les yeux brillants.
— Bon sang, ça pue là-dedans, grogna-t-il en s’épongeant le front.
Il s’assit, essoufflé mais heureux.
Françoise s’approcha, glissa un baiser dans son cou et murmura à son oreille :
— Tant qu’il y aura… des rigolos pour se déguiser, il y aura des histoires à raconter.
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