21. Chris

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De retour à l’appartement, je cherche une image d’Alice sur l’ordinateur tout en reprenant mon souffle, coupé par le sprint que j’ai tapé en montant l’escalier.

Comme je le craignais, je ne retrouve que de vieux souvenirs. Je tombe sur une photo de classe où nous sommes tous deux perdus dans le rose joufflu d’un bataillon de visages poupins. Les yeux d’Alice fixent l’objectif d’un air narquois, tandis qu’une ombre de désenchantement souligne l’insolence de son sourire. Déjà sur cette photo, je suis trop loin d’elle.

Mais ce n’est pas le moment de se lamenter, le temps presse. Par acquis de conscience, je cherche aussi des images d’elle sur internet, en vain. Elle est encore plus parano que moi avec ça. Non seulement elle n’aime pas l’idée d’étaler publiquement sa vie privée, mais elle prend aussi d’infinies précautions pour ne laisser aucune trace de son identité sur la toile. Je l’entends encore me lancer, comme une évidence sortie de nulle part : « Au cas où un régime fasciste arriverait au pouvoir… On sait jamais ! »

L’angoisse que je ressentais tout à l’heure s’est muée en état d’urgence. Mon esprit s’est extrait de ma peur, il se concentre sur le présent et cherche à penser rationnellement. J’essaie de me mettre à sa place. Où aurait-elle pu conserver des photos d’elle ? J’explore tout l’appartement. Rien. Les gens normaux aiment s’entourer de projections rassurantes d’eux-mêmes… Comme on vit dans un meublé-décoré depuis deux ans, on n’a pas franchement songé à l’illustrer de mirages flatteurs.

Une illumination me vient alors : ses papiers ! Cette foutue paperasse qu’elle trimballe de ville en ville. Elle a sûrement laissé son passeport avec ! Je me précipite sur l’étagère. La douleur de mon petit orteil éclaté contre le pied d’une chaise fait couler une larme qui ne m’atteint pas. Je retrouve la chemise en carton sous une pile de dossiers qu’Alice accumule depuis qu’elle a commencé à travailler. La chemise déborde de courriers et d’enveloppes pas toujours ouvertes. Je survole les noms d’assurances, de banques et de mutuelles qui s’enchevêtrent, puis je tombe sur un avis d’imposition et… victoire ! Son passeport.

Il m’attend dans un sac de congélation étanche, en cas d’inondation ou de naufrage probablement, comme une preuve sous scellé de son esprit affuté, paré à toute éventualité. Cette vision soulage un instant le poids de la détresse qui m’écrase, c’est une brume d’espoir dans le brouillard qui m’oppresse. Je dois avoir confiance en elle. Même s’il lui est arrivé quelque chose, elle va s’en sortir, elle va revenir, ce n’est pas possible autrement. Je repère son carnet de vaccination international dans le sac transparent. Un papier blanc dépasse des feuillets jaunes. Je retourne le pochon pour voir le verso : une photo. Je vide fébrilement le sac sur la table et trouve une série de trois photos d’identité, comme un marque-page dans le carnet jaune… Photos et passeport en poche, je repars au commissariat au pas de course.

Arrivé là-bas, la fliquette me redemande de patienter à l’accueil. Son collègue est occupé, il me recevra dans cinq minutes. Je suis de retour sur mon banc, rouge et ruisselant de sueur. L’horloge n’en finit pas de trotter, il est une heure et demi.

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