Chapitre 4°) Le violet est la couleur de la malédiction

33 minutes de lecture

15 juin :

Sororité du "club de magie", Université Per, Mockingcrow, Oklahoma, Terre Álfheimienne :

Ne me demandez pas le nom de la sororité, je retiens pas ces lettres Grecques...

En repensant aux évènements de cette journée, je ne remercie pas mes travers.

Il avait certes suffi d'un coup de fil pour me renvoyer au manoir, ou plutôt pour me donner envie d'y retourner, mais rien que pour ça, la véritable Lavigna Sthot n'aurait peut-être pas vu le jour!

Je me rappelle que "Hopes and Dreams" avait été interrompu par la sonnerie de mon portable.

C'était mon père, mais il raccrocha immédiatement.

C'était logique: Il savait que je n'allais travailler que cette après-midi... Mon père vivant en France, la nuit allait tomber pour lui.

De plus, moi, c'étaient des "gros richards" qui payaient mon abonnement, il était donc plus pratique pour lui que je passe l'appel depuis l'Oklahoma, il n'était pas pingre, c'était juste plus raisonnable !

Je priai Carla de m'excuser et m'isolai dans la chambre qu'elle me désigna.

- Allô, papa.

- Bonjour, ma chérie ! Comment ça va ? me fit-il d'une intonation joyeuse, presque mielleuse.

- Bien... Carla m'a amené à une des réunions de la fondation de sa mamie.

- Où est Kave ?

- A la muscu, il nous rejoint plus tard. Juno aussi d'ailleurs.

- Attends, c'est quoi, comme réunion, en fait ?

- D'après Carla, c'est juste un moyen pour la fondation de se trouver des bénévoles et... Ben... D'attirer des entreprises intéressées ! Bref : Plein de riches qui vont dire des trucs évidents pour faire croire qu'ils sont gentils et gnagnagna !

- Ah... Heureusement que Kave arrive...

- Pourquoi ? Tout ce qu'il va faire, c'est... Je dirais «Jouer avec Juno et chercher des filles à mettre dans son lit» !

- Tu n'es pas jalouse ? demanda mon père, légèrement moqueur.

- J'suis pas sa petite amie ! rappelai-je.

- Oh, Lavie, j'ai vu comment vous vous regardiez quand il était en France !

- Tu veux dire quand je passais presque tout mon temps avec Carla et lui... Chez tes voisines ?

- Les garçons sont comme ça, il veut juste te rendre jalouse !

- Papa... Oui, depuis cinq ans, Kave me drague, mais c'est toujours par humour. Il a trop peur que sa sœur la lui coupe !

- Comment elle compte devenir tata après ça ? plaisanta mon père.

- Sinon... En parlant de Carla, si jamais tu lui parles, tu lui dis pas, mais je sais pourquoi elle veut passer les vacances en France : Ses parents ont un studio près de l'aéroport et elle veut me le faire découvrir ! Bien entendu, vous serez tous invités.

- Ah, c'est gentil... Mais ça a pas l'air si exceptionnel !

- Papa, réfléchis. Quand Carla aura son diplôme d'ingénieure, elle pourra travailler dans le studio de sa mère, elle espère me faire découvrir des métiers pour que je bosse avec elle.

- Le cinéma, ça te plairait ?

- J'y ai beaucoup réfléchi... Je s'rai pas commise toute ma vie. J'en ai discuté avec Billy... Tu sais : le frère d'Auriane qu'a pas arrêté de te répéter que son frère ne risquait pas d'essayer de me mettre dans son lit... Et enfin bref ! Je ne suis pas la première employée du manoir à avoir un travail tout en étudiant à Per U, donc Carla et moi, on pourrait faire un stage et si ça se passe bien, ben, je pense choisir un des métiers qu'j'aurais découverts !

- Le cinéma et les séries, ça a l'air hasardeux... avoua mon père.

- Oui, mais les Per font pas que ça : Leurs studios accueillent des publicitaires et les mecs, là... Tu sais, ceux qui gèrent les sites Internet de leurs centres commerciaux et de leurs autres établissements.

A ce moment, la pièce dorée noircit à mes yeux. Mes narines soufflèrent. J'avais l'impression qu'un voile noir et rouge avait empli les alentours de fumée. C'était un peu comme une couverture de brume orangée.

J'aurais dû prévoir que le sujet allait encore une fois être abordé :

- Ton frère a vu sur Facebook que les maisons de retraite à Mockingcrow recrutaient. Donc si jamais ça tourne mal, tu pourrais y postuler ! proposa mon père.

- Papa... Depuis que j'ai la R.Q.T.H (Reconnaissance de Qualité de Travailleuse Handicapée), j'ai décidé d'éviter les métiers qui demanderaient du contact humain...

- Euh... C'est ce que t'as fait au cours de ton volontariat !

Ce n'était pas la première fois que nous avions cette conversation !

Au cours du volontariat que j'avais effectué, j'avais souvent eu à faire des animations en maison de retraite, j'avais juste mal compris cette partie de l'annonce quand j'avais choisi la mission.

Pour être plus honnête, la vérité n'était pas que je fuyais les métiers demandant des qualités humaines : j'avais besoin de les éviter !

Mon père ne me comprit pas.

Maintenant que cette conversation ne représente plus rien à mes yeux, il m'est difficile de me souvenir des mots exacts, mais je n'ai pas oublié ce que j'ai ressenti.

Papa croyait que le problème était l'ennui, était parti sur un laïus parlant des possibilités de trouver du plaisir dans un tel emploi, par exemple en se liant avec les retraités par la conversation et y revenait à chaque fois que j'essayais de lui expliquer que le problème n'étais pas que je ne VOULAIS pas faire ce travail, mais que je ne POUVAIS pas.

Il n'avait pas compris que le problème n'était pas le manque d'intérêt, mais le poison que représentait la profession en soi.

Être auxiliaire de vie demandait ce que je ne pouvais pas donner.

N'écoutant même pas les élucubrations de mon père, je m'étais allongée sur le lit en faisant craquer mes doigts comme si j'essayais de faire céder les articulations de mes phalanges. Je me mordis l'avant-bras en attendant que l'orage passe. Je me perdis donc dans un voile composé de spectres noirs et orangés, mon imagination se transformant en brouillard de plus en plus dense pour m'empêcher de perdre des neurones par les oreilles.

Cette chimérique prison de brume noire et rouge me protégea un peu du déluge de malentendus.

Je suppose qu'il peut être difficile de comprendre parfaitement de quoi je parle si je ne mets pas de dialogue, mais comme je l'avais mentionné, ce n'est pas comme si cette conversation présentait le moindre intérêt !

Il fallait comprendre mon père: pendant vingt-trois ans, il m'avait connue comme une personne comme les autres, ce n'étaient pas un diagnostic psychiatrique ou un papier officiel qui allaient changer ça.

Et si jamais, vous n'avez pas compris où je veux en venir : je suis autiste !

Pour moi, un appel téléphonique avec quelqu'un ou assister à une fête avec plein de gens inconnus, c'était un enfer !

Le simple fait d'avoir une conversation pouvait m'éreinter. Surtout si l'interlocuteur refusait de comprendre ce qui vous semblait naturel et évident !

Je fus donc obligée de rentrer. Ce fut du moins la décision que je pris.

L'être humain avait encore prouvé qu'il était mon ennemi.

La dernière fois que Carla m'avait invitée à une soirée étudiante, son mari et Kave m'avaient raccompagnée parce que les battements de mon cœur les assourdissaient et, à l'époque, je ne le savais pas, parce que le premier avait lu dans mes pensées.

Je savais quand même qu'Algos ne voulait pas me laisser avec son beau-frère tellement ivre qu'on l'aurait pris pour la version sexy de Depardieu.

Il m'avait vue au milieu d'un monde d'onyx aux traits dessinés par des néons rouge orangé.

Dans cette pièce, la même pression était revenue.

Au cours de ma vie, l'aura d'êtres que les mortels ont appelés "dieux" ou "démons" allait souvent m'écraser, me serrer le cœur ou m'emplir de dégoût et de pression, mais ce n'était rien à côté de ce que le contact humain avait représenté pour moi.

Le majordome arriva donc, en voiture, avec la petite Juno et sa nounou, Carla insista pour qu'il me ramène, me serrant le bras. Je cédai.

Elle aussi, elle lisait dans mes pensées.

Mon supérieur accepta lui aussi, si jamais quelqu'un venait au manoir et me voyait cauchemarder éveillée, il ne voulait pas qu'on croie que c'était à cause des conditions de travail qu'il imposait.

Je montai donc dans la voiture et repris ma plongée dans mon propre esprit.

Pour aujourd'hui, mon emploi du temps ne comprenait que la préparation du déjeuner et du dîner, je devais ajouter une collation pour un invité.

On m'avait officiellement dit qu'un cryptographe allait venir étudier les décorations du salon.

Pendant ma pause, j'allais encore avoir le temps de réfléchir. Ma chambre allait se changer en ring sur lequel s'affrontaient mon ego et mon défaitisme.

Que pouvais-je faire si je venais à démissionner ?

Aurais-je fait une bonne bibliothécaire?

La raison pour laquelle j'avais effectué mon volontariat, c'était parce que j'avais toujours eu peur de ce que pourrait me coûter un cursus universitaire... Euh... Oui, j'avais juste voulu profiter des associations qui aidaient les volontaires à reprendre des études... Mais bon, elles ont rejeté ma candidature quatre fois...

Est-ce que, de toute façon, cette voie professionnelle avait de l'avenir ? Il me semblait que les bibliothèques recrutaient peu.

On m'avait souvent dit que j'aurais pu devenir professeure de philosophie, je pense que ça ne vous étonnera pas.

Le jour où j'avais passé un test pour savoir quel domaine choisir, c'était ce qui est tombé... Bon parmi les résultats, il y avait aussi rabbin et prêtre, mais outre le fait que Dieu et moi, ça faisait deux, il me semblait que c'était un métier... "Humain". On pouvait parler de "métier"?

J'aurais voulu être une psychopathe, si j'avais su faire taire mes émotions aussi bien que je l'aurais voulu, j'aurais pu devenir un de ces gourous qui se font de l'argent sans se soucier des pigeons qu'ils manipulent.

Pourquoi devais-je avoir des scrupules ?

Les sentiments...

C'était malheureusement un fardeau intrinsèque à la condition humaine.

Triste capacité !

Je devrais être contente. D'aucuns envieraient ma vie. Je vivais dans un manoir, j'avais un travail... J'avais des amis... J'avais Carla!

J'ignorais si c'est juste que je désirais plus, mais c'était comme ça : Je n'étais pas complètement heureuse.

Un jour, j'allais probablement poursuivre des études, pour trouver un meilleur emploi... Dans le sens où j'en aurais quelque chose à faire de l'hypothétique emploi.

Si j'avais droit à un vœu, ce serait bien entendu l'immortalité !

Bon... Ça n'existait probablement pas ! Alors à défaut : laisser une marque indélébile derrière moi, mais il me fallait trouver une voie professionnelle stable.

Je pensais au design graphique.

Je me rappelai alors que ma priorité était un métier qui ne demandait pas réellement de contact humain. C'était à ça que servait la qualification "travailleuse handicapée".

On m'avait déjà parlé des métiers comme "routier" ou "concierge".

Pouvait-on être routière et handicapée?

Déjà que je ne savais pas conduire, je n'imaginais pas ce qu'aurait donné le transport de marchandises en camion!

Il y avait aussi l'informatique, mais mon cerveau était au codage ce que Kave était à l'abstinence.

J'aurais juste aimé plus. Devenir artiste aurait pu être une voie professionnelle envisageable, si elle n'était pas aussi hasardeuse.

Ma plus grande crainte, c'était le néant.

Les êtres humains vivaient tous avec cette fatalité, cette invincible épée de Damoclès leur rappelant qu'ils finiraient par voir leur conscience s'évanouir et disparaître...

Vous l'aurez compris : Je suis athée !

C'était assez ironique de se dire que ces réflexions allaient être les dernières qu'aura eues l'ancienne Lavie.

Vers la fin de ma pause, je commençai à m'en vouloir:

- Ai-je gâché la matinée de Carla ?

La voiture démarra. Ma première réaction en voyant le ciel s'éclairer fut :

- AH ! UNE BOMBE ATOMIQUE !

Fort heureusement, ce n'était qu'un cercle incantatoire traversant le ciel.

Qui aurait cru que l'idée de voir tous ses êtres chers et sa propre personne mourir sous les coups d'une attaque nucléaire serait la dernière pensée de l'humaine appelée Lavigna Sthot ?

Juste avant que l'obscurité ne tombe, j'aperçus clairement une silhouette qui ressemblait à un camion. Je la vis distinctement s'enfoncer dans la voiture du majordome.

- Oui... Avant d'agir, j'ai décidé de checker vos séries Isekai et "Power Rangers" et je me suis dit que si je te faisais croire qu'un camion t'avait envoyé valdinguer, tu comprendrais plus facilement la situation.
15 juin :

Sororité du "club de magie", Université Per, Mockingcrow, Oklahoma, Terre Álfheimienne :

Ne me demandez pas le nom de la sororité, je retiens pas ces lettres Grecques...

En repensant aux évènements de cette journée, je ne remercie pas mes travers.


Il avait certes suffi d'un coup de fil pour me renvoyer au manoir, ou plutôt pour me donner envie d'y retourner, mais rien que pour ça, la véritable Lavigna Sthot n'aurait peut-être pas vu le jour!

Je me rappelle que "Hopes and Dreams" avait été interrompu par la sonnerie de mon portable.

C'était mon père, mais il raccrocha immédiatement.

C'était logique: Il savait que je n'allais travailler que cette après-midi... Mon père vivant en France, la nuit allait tomber pour lui.

De plus, moi, c'étaient des "gros richards" qui payaient mon abonnement, il était donc plus pratique pour lui que je passe l'appel depuis l'Oklahoma, il n'était pas pingre, c'était juste plus raisonnable !

Je priai Carla de m'excuser et m'isolai dans la chambre qu'elle me désigna.

- Allô, papa.

- Bonjour, ma chérie ! Comment ça va ? me fit-il d'une intonation joyeuse, presque mielleuse.

- Bien... Carla m'a amené à une des réunions de la fondation de sa mamie.

- Où est Kave ?

- A la muscu, il nous rejoint plus tard. Juno aussi d'ailleurs.

- Attends, c'est quoi, comme réunion, en fait ?

- D'après Carla, c'est juste un moyen pour la fondation de se trouver des bénévoles et... Ben... D'attirer des entreprises intéressées ! Bref : Plein de riches qui vont dire des trucs évidents pour faire croire qu'ils sont gentils et gnagnagna !

- Ah... Heureusement que Kave arrive...

- Pourquoi ? Tout ce qu'il va faire, c'est... Je dirais «Jouer avec Juno et chercher des filles à mettre dans son lit» !

- Tu n'es pas jalouse ? demanda mon père, légèrement moqueur.

- J'suis pas sa petite amie ! rappelai-je.

- Oh, Lavie, j'ai vu comment vous vous regardiez quand il était en France !

- Tu veux dire quand je passais presque tout mon temps avec Carla et lui... Chez tes voisines ?

- Les garçons sont comme ça, il veut juste te rendre jalouse !

- Papa... Oui, depuis cinq ans, Kave me drague, mais c'est toujours par humour. Il a trop peur que sa sœur la lui coupe !

- Comment elle compte devenir tata après ça ? plaisanta mon père.

- Sinon... En parlant de Carla, si jamais tu lui parles, tu lui dis pas, mais je sais pourquoi elle veut passer les vacances en France : Ses parents ont un studio près de l'aéroport et elle veut me le faire découvrir ! Bien entendu, vous serez tous invités.

- Ah, c'est gentil... Mais ça a pas l'air si exceptionnel !

- Papa, réfléchis. Quand Carla aura son diplôme d'ingénieure, elle pourra travailler dans le studio de sa mère, elle espère me faire découvrir des métiers pour que je bosse avec elle.

- Le cinéma, ça te plairait ?

- J'y ai beaucoup réfléchi... Je s'rai pas commise toute ma vie. J'en ai discuté avec Billy... Tu sais : le frère d'Auriane qu'a pas arrêté de te répéter que son frère ne risquait pas d'essayer de me mettre dans son lit... Et enfin bref ! Je ne suis pas la première employée du manoir à avoir un travail tout en étudiant à Per U, donc Carla et moi, on pourrait faire un stage et si ça se passe bien, ben, je pense choisir un des métiers qu'j'aurais découverts !

- Le cinéma et les séries, ça a l'air hasardeux... avoua mon père.

- Oui, mais les Per font pas que ça : Leurs studios accueillent des publicitaires et les mecs, là... Tu sais, ceux qui gèrent les sites Internet de leurs centres commerciaux et de leurs autres établissements.

A ce moment, la pièce dorée noircit à mes yeux. Mes narines soufflèrent. J'avais l'impression qu'un voile noir et rouge avait empli les alentours de fumée. C'était un peu comme une couverture de brume orangée.

J'aurais dû prévoir que le sujet allait encore une fois être abordé :

- Ton frère a vu sur Facebook que les maisons de retraite à Mockingcrow recrutaient. Donc si jamais ça tourne mal, tu pourrais y postuler ! proposa mon père.

- Papa... Depuis que j'ai la R.Q.T.H (Reconnaissance de Qualité de Travailleuse Handicapée), j'ai décidé d'éviter les métiers qui demanderaient du contact humain...

- Euh... C'est ce que t'as fait au cours de ton volontariat !

Ce n'était pas la première fois que nous avions cette conversation !

Au cours du volontariat que j'avais effectué, j'avais souvent eu à faire des animations en maison de retraite, j'avais juste mal compris cette partie de l'annonce quand j'avais choisi la mission.

Pour être plus honnête, la vérité n'était pas que je fuyais les métiers demandant des qualités humaines : j'avais besoin de les éviter !

Mon père ne me comprit pas.

Maintenant que cette conversation ne représente plus rien à mes yeux, il m'est difficile de me souvenir des mots exacts, mais je n'ai pas oublié ce que j'ai ressenti.

Papa croyait que le problème était l'ennui, était parti sur un laïus parlant des possibilités de trouver du plaisir dans un tel emploi, par exemple en se liant avec les retraités par la conversation et y revenait à chaque fois que j'essayais de lui expliquer que le problème n'étais pas que je ne VOULAIS pas faire ce travail, mais que je ne POUVAIS pas.

Il n'avait pas compris que le problème n'était pas le manque d'intérêt, mais le poison que représentait la profession en soi.

Être auxiliaire de vie demandait ce que je ne pouvais pas donner.

N'écoutant même pas les élucubrations de mon père, je m'étais allongée sur le lit en faisant craquer mes doigts comme si j'essayais de faire céder les articulations de mes phalanges. Je me mordis l'avant-bras en attendant que l'orage passe. Je me perdis donc dans un voile composé de spectres noirs et orangés, mon imagination se transformant en brouillard de plus en plus dense pour m'empêcher de perdre des neurones par les oreilles.

Cette chimérique prison de brume noire et rouge me protégea un peu du déluge de malentendus.

Je suppose qu'il peut être difficile de comprendre parfaitement de quoi je parle si je ne mets pas de dialogue, mais comme je l'avais mentionné, ce n'est pas comme si cette conversation présentait le moindre intérêt !

Il fallait comprendre mon père: pendant vingt-trois ans, il m'avait connue comme une personne comme les autres, ce n'étaient pas un diagnostic psychiatrique ou un papier officiel qui allaient changer ça.

Et si jamais, vous n'avez pas compris où je veux en venir : je suis autiste !

Pour moi, un appel téléphonique avec quelqu'un ou assister à une fête avec plein de gens inconnus, c'était un enfer !

Le simple fait d'avoir une conversation pouvait m'éreinter. Surtout si l'interlocuteur refusait de comprendre ce qui vous semblait naturel et évident !

Je fus donc obligée de rentrer. Ce fut du moins la décision que je pris.

L'être humain avait encore prouvé qu'il était mon ennemi.

La dernière fois que Carla m'avait invitée à une soirée étudiante, son mari et Kave m'avaient raccompagnée parce que les battements de mon cœur les assourdissaient et, à l'époque, je ne le savais pas, parce que le premier avait lu dans mes pensées.



Je savais quand même qu'Algos ne voulait pas me laisser avec son beau-frère tellement ivre qu'on l'aurait pris pour la version sexy de Depardieu.

Il m'avait vue au milieu d'un monde d'onyx aux traits dessinés par des néons rouge orangé.

Dans cette pièce, la même pression était revenue.

Au cours de ma vie, l'aura d'êtres que les mortels ont appelés "dieux" ou "démons" allait souvent m'écraser, me serrer le cœur ou m'emplir de dégoût et de pression, mais ce n'était rien à côté de ce que le contact humain avait représenté pour moi.

Le majordome arriva donc, en voiture, avec la petite Juno et sa nounou, Carla insista pour qu'il me ramène, me serrant le bras. Je cédai.

Elle aussi, elle lisait dans mes pensées.


Mon supérieur accepta lui aussi, si jamais quelqu'un venait au manoir et me voyait cauchemarder éveillée, il ne voulait pas qu'on croie que c'était à cause des conditions de travail qu'il imposait.

Je montai donc dans la voiture et repris ma plongée dans mon propre esprit.


Pour aujourd'hui, mon emploi du temps ne comprenait que la préparation du déjeuner et du dîner, je devais ajouter une collation pour un invité.

On m'avait officiellement dit qu'un cryptographe allait venir étudier les décorations du salon.

Pendant ma pause, j'allais encore avoir le temps de réfléchir. Ma chambre allait se changer en ring sur lequel s'affrontaient mon ego et mon défaitisme.

Que pouvais-je faire si je venais à démissionner ?

Aurais-je fait une bonne bibliothécaire?

La raison pour laquelle j'avais effectué mon volontariat, c'était parce que j'avais toujours eu peur de ce que pourrait me coûter un cursus universitaire... Euh... Oui, j'avais juste voulu profiter des associations qui aidaient les volontaires à reprendre des études... Mais bon, elles ont rejeté ma candidature quatre fois...

Est-ce que, de toute façon, cette voie professionnelle avait de l'avenir ? Il me semblait que les bibliothèques recrutaient peu.

On m'avait souvent dit que j'aurais pu devenir professeure de philosophie, je pense que ça ne vous étonnera pas.

Le jour où j'avais passé un test pour savoir quel domaine choisir, c'était ce qui est tombé... Bon parmi les résultats, il y avait aussi rabbin et prêtre, mais outre le fait que Dieu et moi, ça faisait deux, il me semblait que c'était un métier... "Humain". On pouvait parler de "métier"?

J'aurais voulu être une psychopathe, si j'avais su faire taire mes émotions aussi bien que je l'aurais voulu, j'aurais pu devenir un de ces gourous qui se font de l'argent sans se soucier des pigeons qu'ils manipulent.

Pourquoi devais-je avoir des scrupules ?



Les sentiments...



C'était malheureusement un fardeau intrinsèque à la condition humaine.



Triste capacité !



Je devrais être contente. D'aucuns envieraient ma vie. Je vivais dans un manoir, j'avais un travail... J'avais des amis... J'avais Carla!



J'ignorais si c'est juste que je désirais plus, mais c'était comme ça : Je n'étais pas complètement heureuse.



Un jour, j'allais probablement poursuivre des études, pour trouver un meilleur emploi... Dans le sens où j'en aurais quelque chose à faire de l'hypothétique emploi.



Si j'avais droit à un vœu, ce serait bien entendu l'immortalité !



Bon... Ça n'existait probablement pas ! Alors à défaut : laisser une marque indélébile derrière moi, mais il me fallait trouver une voie professionnelle stable.



Je pensais au design graphique.



Je me rappelai alors que ma priorité était un métier qui ne demandait pas réellement de contact humain. C'était à ça que servait la qualification "travailleuse handicapée".



On m'avait déjà parlé des métiers comme "routier" ou "concierge".



Pouvait-on être routière et handicapée?



Déjà que je ne savais pas conduire, je n'imaginais pas ce qu'aurait donné le transport de marchandises en camion!



Il y avait aussi l'informatique, mais mon cerveau était au codage ce que Kave était à l'abstinence.



J'aurais juste aimé plus. Devenir artiste aurait pu être une voie professionnelle envisageable, si elle n'était pas aussi hasardeuse.



Ma plus grande crainte, c'était le néant.



Les êtres humains vivaient tous avec cette fatalité, cette invincible épée de Damoclès leur rappelant qu'ils finiraient par voir leur conscience s'évanouir et disparaître...



Vous l'aurez compris : Je suis athée !



C'était assez ironique de se dire que ces réflexions allaient être les dernières qu'aura eues l'ancienne Lavie.



Vers la fin de ma pause, je commençai à m'en vouloir:



- Ai-je gâché la matinée de Carla ?


La voiture démarra. Ma première réaction en voyant le ciel s'éclairer fut :



- AH ! UNE BOMBE ATOMIQUE !



Fort heureusement, ce n'était qu'un cercle incantatoire traversant le ciel.



Qui aurait cru que l'idée de voir tous ses êtres chers et sa propre personne mourir sous les coups d'une attaque nucléaire serait la dernière pensée de l'humaine appelée Lavigna Sthot ?

Juste avant que l'obscurité ne tombe, j'aperçus clairement une silhouette qui ressemblait à un camion. Je la vis distinctement s'enfoncer dans la voiture du majordome.

- Oui... Avant d'agir, j'ai décidé de checker vos séries Isekai et "Power Rangers" et je me suis dit que si je te faisais croire qu'un camion t'avait envoyé valdinguer, tu comprendrais plus facilement la situati
15 juin :

Sororité du "club de magie", Université Per, Mockingcrow, Oklahoma, Terre Álfheimienne :

Ne me demandez pas le nom de la sororité, je retiens pas ces lettres Grecques...

En repensant aux évènements de cette journée, je ne remercie pas mes travers.


Il avait certes suffi d'un coup de fil pour me renvoyer au manoir, ou plutôt pour me donner envie d'y retourner, mais rien que pour ça, la véritable Lavigna Sthot n'aurait peut-être pas vu le jour!

Je me rappelle que "Hopes and Dreams" avait été interrompu par la sonnerie de mon portable.

C'était mon père, mais il raccrocha immédiatement.

C'était logique: Il savait que je n'allais travailler que cette après-midi... Mon père vivant en France, la nuit allait tomber pour lui.

De plus, moi, c'étaient des "gros richards" qui payaient mon abonnement, il était donc plus pratique pour lui que je passe l'appel depuis l'Oklahoma, il n'était pas pingre, c'était juste plus raisonnable !

Je priai Carla de m'excuser et m'isolai dans la chambre qu'elle me désigna.

- Allô, papa.

- Bonjour, ma chérie ! Comment ça va ? me fit-il d'une intonation joyeuse, presque mielleuse.

- Bien... Carla m'a amené à une des réunions de la fondation de sa mamie.

- Où est Kave ?

- A la muscu, il nous rejoint plus tard. Juno aussi d'ailleurs.

- Attends, c'est quoi, comme réunion, en fait ?

- D'après Carla, c'est juste un moyen pour la fondation de se trouver des bénévoles et... Ben... D'attirer des entreprises intéressées ! Bref : Plein de riches qui vont dire des trucs évidents pour faire croire qu'ils sont gentils et gnagnagna !

- Ah... Heureusement que Kave arrive...

- Pourquoi ? Tout ce qu'il va faire, c'est... Je dirais «Jouer avec Juno et chercher des filles à mettre dans son lit» !

- Tu n'es pas jalouse ? demanda mon père, légèrement moqueur.

- J'suis pas sa petite amie ! rappelai-je.

- Oh, Lavie, j'ai vu comment vous vous regardiez quand il était en France !

- Tu veux dire quand je passais presque tout mon temps avec Carla et lui... Chez tes voisines ?

- Les garçons sont comme ça, il veut juste te rendre jalouse !

- Papa... Oui, depuis cinq ans, Kave me drague, mais c'est toujours par humour. Il a trop peur que sa sœur la lui coupe !

- Comment elle compte devenir tata après ça ? plaisanta mon père.

- Sinon... En parlant de Carla, si jamais tu lui parles, tu lui dis pas, mais je sais pourquoi elle veut passer les vacances en France : Ses parents ont un studio près de l'aéroport et elle veut me le faire découvrir ! Bien entendu, vous serez tous invités.

- Ah, c'est gentil... Mais ça a pas l'air si exceptionnel !

- Papa, réfléchis. Quand Carla aura son diplôme d'ingénieure, elle pourra travailler dans le studio de sa mère, elle espère me faire découvrir des métiers pour que je bosse avec elle.

- Le cinéma, ça te plairait ?

- J'y ai beaucoup réfléchi... Je s'rai pas commise toute ma vie. J'en ai discuté avec Billy... Tu sais : le frère d'Auriane qu'a pas arrêté de te répéter que son frère ne risquait pas d'essayer de me mettre dans son lit... Et enfin bref ! Je ne suis pas la première employée du manoir à avoir un travail tout en étudiant à Per U, donc Carla et moi, on pourrait faire un stage et si ça se passe bien, ben, je pense choisir un des métiers qu'j'aurais découverts !

- Le cinéma et les séries, ça a l'air hasardeux... avoua mon père.

- Oui, mais les Per font pas que ça : Leurs studios accueillent des publicitaires et les mecs, là... Tu sais, ceux qui gèrent les sites Internet de leurs centres commerciaux et de leurs autres établissements.

A ce moment, la pièce dorée noircit à mes yeux. Mes narines soufflèrent. J'avais l'impression qu'un voile noir et rouge avait empli les alentours de fumée. C'était un peu comme une couverture de brume orangée.

J'aurais dû prévoir que le sujet allait encore une fois être abordé :

- Ton frère a vu sur Facebook que les maisons de retraite à Mockingcrow recrutaient. Donc si jamais ça tourne mal, tu pourrais y postuler ! proposa mon père.

- Papa... Depuis que j'ai la R.Q.T.H (Reconnaissance de Qualité de Travailleuse Handicapée), j'ai décidé d'éviter les métiers qui demanderaient du contact humain...

- Euh... C'est ce que t'as fait au cours de ton volontariat !

Ce n'était pas la première fois que nous avions cette conversation !

Au cours du volontariat que j'avais effectué, j'avais souvent eu à faire des animations en maison de retraite, j'avais juste mal compris cette partie de l'annonce quand j'avais choisi la mission.

Pour être plus honnête, la vérité n'était pas que je fuyais les métiers demandant des qualités humaines : j'avais besoin de les éviter !

Mon père ne me comprit pas.

Maintenant que cette conversation ne représente plus rien à mes yeux, il m'est difficile de me souvenir des mots exacts, mais je n'ai pas oublié ce que j'ai ressenti.

Papa croyait que le problème était l'ennui, était parti sur un laïus parlant des possibilités de trouver du plaisir dans un tel emploi, par exemple en se liant avec les retraités par la conversation et y revenait à chaque fois que j'essayais de lui expliquer que le problème n'étais pas que je ne VOULAIS pas faire ce travail, mais que je ne POUVAIS pas.

Il n'avait pas compris que le problème n'était pas le manque d'intérêt, mais le poison que représentait la profession en soi.

Être auxiliaire de vie demandait ce que je ne pouvais pas donner.

N'écoutant même pas les élucubrations de mon père, je m'étais allongée sur le lit en faisant craquer mes doigts comme si j'essayais de faire céder les articulations de mes phalanges. Je me mordis l'avant-bras en attendant que l'orage passe. Je me perdis donc dans un voile composé de spectres noirs et orangés, mon imagination se transformant en brouillard de plus en plus dense pour m'empêcher de perdre des neurones par les oreilles.

Cette chimérique prison de brume noire et rouge me protégea un peu du déluge de malentendus.

Je suppose qu'il peut être difficile de comprendre parfaitement de quoi je parle si je ne mets pas de dialogue, mais comme je l'avais mentionné, ce n'est pas comme si cette conversation présentait le moindre intérêt !

Il fallait comprendre mon père: pendant vingt-trois ans, il m'avait connue comme une personne comme les autres, ce n'étaient pas un diagnostic psychiatrique ou un papier officiel qui allaient changer ça.

Et si jamais, vous n'avez pas compris où je veux en venir : je suis autiste !

Pour moi, un appel téléphonique avec quelqu'un ou assister à une fête avec plein de gens inconnus, c'était un enfer !

Le simple fait d'avoir une conversation pouvait m'éreinter. Surtout si l'interlocuteur refusait de comprendre ce qui vous semblait naturel et évident !

Je fus donc obligée de rentrer. Ce fut du moins la décision que je pris.

L'être humain avait encore prouvé qu'il était mon ennemi.

La dernière fois que Carla m'avait invitée à une soirée étudiante, son mari et Kave m'avaient raccompagnée parce que les battements de mon cœur les assourdissaient et, à l'époque, je ne le savais pas, parce que le premier avait lu dans mes pensées.



Je savais quand même qu'Algos ne voulait pas me laisser avec son beau-frère tellement ivre qu'on l'aurait pris pour la version sexy de Depardieu.

Il m'avait vue au milieu d'un monde d'onyx aux traits dessinés par des néons rouge orangé.

Dans cette pièce, la même pression était revenue.

Au cours de ma vie, l'aura d'êtres que les mortels ont appelés "dieux" ou "démons" allait souvent m'écraser, me serrer le cœur ou m'emplir de dégoût et de pression, mais ce n'était rien à côté de ce que le contact humain avait représenté pour moi.

Le majordome arriva donc, en voiture, avec la petite Juno et sa nounou, Carla insista pour qu'il me ramène, me serrant le bras. Je cédai.

Elle aussi, elle lisait dans mes pensées.


Mon supérieur accepta lui aussi, si jamais quelqu'un venait au manoir et me voyait cauchemarder éveillée, il ne voulait pas qu'on croie que c'était à cause des conditions de travail qu'il imposait.

Je montai donc dans la voiture et repris ma plongée dans mon propre esprit.


Pour aujourd'hui, mon emploi du temps ne comprenait que la préparation du déjeuner et du dîner, je devais ajouter une collation pour un invité.

On m'avait officiellement dit qu'un cryptographe allait venir étudier les décorations du salon.

Pendant ma pause, j'allais encore avoir le temps de réfléchir. Ma chambre allait se changer en ring sur lequel s'affrontaient mon ego et mon défaitisme.

Que pouvais-je faire si je venais à démissionner ?

Aurais-je fait une bonne bibliothécaire?

La raison pour laquelle j'avais effectué mon volontariat, c'était parce que j'avais toujours eu peur de ce que pourrait me coûter un cursus universitaire... Euh... Oui, j'avais juste voulu profiter des associations qui aidaient les volontaires à reprendre des études... Mais bon, elles ont rejeté ma candidature quatre fois...

Est-ce que, de toute façon, cette voie professionnelle avait de l'avenir ? Il me semblait que les bibliothèques recrutaient peu.

On m'avait souvent dit que j'aurais pu devenir professeure de philosophie, je pense que ça ne vous étonnera pas.

Le jour où j'avais passé un test pour savoir quel domaine choisir, c'était ce qui est tombé... Bon parmi les résultats, il y avait aussi rabbin et prêtre, mais outre le fait que Dieu et moi, ça faisait deux, il me semblait que c'était un métier... "Humain". On pouvait parler de "métier"?

J'aurais voulu être une psychopathe, si j'avais su faire taire mes émotions aussi bien que je l'aurais voulu, j'aurais pu devenir un de ces gourous qui se font de l'argent sans se soucier des pigeons qu'ils manipulent.

Pourquoi devais-je avoir des scrupules ?



Les sentiments...



C'était malheureusement un fardeau intrinsèque à la condition humaine.



Triste capacité !



Je devrais être contente. D'aucuns envieraient ma vie. Je vivais dans un manoir, j'avais un travail... J'avais des amis... J'avais Carla!



J'ignorais si c'est juste que je désirais plus, mais c'était comme ça : Je n'étais pas complètement heureuse.



Un jour, j'allais probablement poursuivre des études, pour trouver un meilleur emploi... Dans le sens où j'en aurais quelque chose à faire de l'hypothétique emploi.



Si j'avais droit à un vœu, ce serait bien entendu l'immortalité !



Bon... Ça n'existait probablement pas ! Alors à défaut : laisser une marque indélébile derrière moi, mais il me fallait trouver une voie professionnelle stable.



Je pensais au design graphique.



Je me rappelai alors que ma priorité était un métier qui ne demandait pas réellement de contact humain. C'était à ça que servait la qualification "travailleuse handicapée".



On m'avait déjà parlé des métiers comme "routier" ou "concierge".



Pouvait-on être routière et handicapée?



Déjà que je ne savais pas conduire, je n'imaginais pas ce qu'aurait donné le transport de marchandises en camion!



Il y avait aussi l'informatique, mais mon cerveau était au codage ce que Kave était à l'abstinence.



J'aurais juste aimé plus. Devenir artiste aurait pu être une voie professionnelle envisageable, si elle n'était pas aussi hasardeuse.



Ma plus grande crainte, c'était le néant.



Les êtres humains vivaient tous avec cette fatalité, cette invincible épée de Damoclès leur rappelant qu'ils finiraient par voir leur conscience s'évanouir et disparaître...



Vous l'aurez compris : Je suis athée !



C'était assez ironique de se dire que ces réflexions allaient être les dernières qu'aura eues l'ancienne Lavie.



Vers la fin de ma pause, je commençai à m'en vouloir:



- Ai-je gâché la matinée de Carla ?


La voiture démarra. Ma première réaction en voyant le ciel s'éclairer fut :



- AH ! UNE BOMBE ATOMIQUE !



Fort heureusement, ce n'était qu'un cercle incantatoire traversant le ciel.



Qui aurait cru que l'idée de voir tous ses êtres chers et sa propre personne mourir sous les coups d'une attaque nucléaire serait la dernière pensée de l'humaine appelée Lavigna Sthot ?

Juste avant que l'obscurité ne tombe, j'aperçus clairement une silhouette qui ressemblait à un camion. Je la vis distinctement s'enfoncer dans la voiture du majordome.

- Oui... Avant d'agir, j'ai décidé de checker vos séries Isekai et "Power Rangers" et je me suis dit que si je te faisais croire qu'un camion t'avait envoyé valdinguer, tu comprendrais plus facilement la situation.

Bien que vêtu d'un costume-cravate, je crus avoir affaire à un des amis du fils Per, ce dernier fréquentait encore quelques lycéens... Bon... Surtout leurs grandes sœurs ou leurs mères.

En ouvrant la porte, ma première pensée fut :

- Il est vraiment trop mignon !

Pour moi, un cryptographe, c'était le professeur Halambique étudiant le sceptre d'Ottokar!Luka ne mesurait qu'un mètre soixante-cinq. J'étais trop habituée au majordome, à Kave et à son père pour réaliser que Luka n'était pas si petit que ça. Il fallait reconnaître que sa maigreur jouait, son âge aussi.

Le démon déguisé en homme prit son inspiration et s'exprima doucement, il tressaillit quand j'avouai ne pas avoir compris et lui demandai de répéter:

- Z... Je m'appelle Luka Ygeb, je suis charz... gé du dossier "Nomoru Lennox".

- Ah... Un cheveu sur la langue ? notai-je, intérieurement.

Le jeune "homme" me montra son autorisation, signée par Madame Lea. Le sorcier me montra ensuite ses papiers.

- Désolée... J'ai un peu de mal à croire que tu as 18 ans.

Luka me répondit en français, je me dis qu'il avait deviné ma langue maternelle à cause mon accent.

- Z... J'ai l'habitude...

Un de mes sourcils se leva de deux millimètres, j'eus du mal à déterminer où était passé son accent : Pourquoi Luka avait-il parlé anglais avec un accent Brésilien, mais le perdait en parlant français.

Le sorcier transmuté remarqua que je fuyais son regard.

J'avais le droit de le désigner comme tel, j'allais bientôt le découvrir.Je conduisis le jeune "cryptographe" jusqu'au salon, je vis ses yeux briller, se couvrant le sourire des deux mains, le corps parcouru de frissons, il déclara:

- L'"Elixir du Sage"!

Je devrais dessiner une version barbare d'un plan, en face de la porte du salon, se trouvait la table, juste en face, il y avait une vitrine, où étaient exposées les récompenses gagnées par Juno, Kave et Carla. Juste à droite de ce meuble, se tenaient deux présentoirs en verre, celui qui avait une forme de parallélépipède rectangle, de frite contenait la canne de Lennox, celui qui était collé contre le mur contenait le jeu de cartes de tarot.

Le plan du salon :


La canne :


Luka se précipita vers la canne.

Il fallait avouer que ce bâton doré était très joli, on aurait dit un sceptre de sorcier.Bon... Vous vous doutez bien qu'il s'agissait bel et bien d'une baguette magique et que Lennox était réellement un sorcier!

- Je te déconseille d'y toucher... commençai-je.

- Ne t'inquiète pas, madame Lea m'a donné son autorisation.

Luka souleva le pavé de verre qui faisait office de couvercle et se saisit de la canne, je voulus le prévenir qu'il avait mal compris mon avertissement: il n'avait pas vu les vidéos sur le portable de Kave, où on voyait ses amis se coincer les doigts en essayant de manipuler ce gadget!

Mes yeux s'écarquillèrent, comme j'ignorais avoir affaire à un sorcier, je ne m'attendais pas à assister à une telle dextérité.

Le démon au sourire d'ange réussit à dévisser l'ambre du pommeau, elle restait attachée à ce dernier par une chaîne dorée. Oui, Lennox voulait avoir un fléau au cas où il se ferait agresser. C'était ce qui arrivait quand un philosophe Béninois grandissait dans les années 1930 !

Il observa les différentes cavités qui révélaient leurs compartiments.

- Au lycée, z... J'avais vu une vidéo sur cette canne, mais en vrai...

- ATTENDS! Tu as étudié Lennox au lycée?

- Euh oui... Au... Au Brésil, z... J'avais choisi l'option... Philosophie!

Lennox disait qu'on pouvait reconnaître un monstre parce qu'il ne savait pas mentir. J'aurais dû voir venir la révélation qui allait arriver dans l'heure!Je ne connaissais pas le programme scolaire des lycées Brésiliens, je pouvais ainsi croire son bobard.

Le moment qui suivit fut assez gênant. Même moi, je trouvais le silence pesant.

Le garçon me présenta ses excuses:

- Désolé... Je n'ai pas l'habitude de parler avec des gens.

- C'est aussi mon cas, confiai-je.

Le garçon vérifia ses autorisations et les photocopies des cartes qu'on lui avait données.

- Je suppose que je te dérange, pensai-je à haute voix.

Le jeune scientifique sursauta et se tourna vers moi:

-Ah... Euh... Non, rassure-toi! C'est rien! C'est z... juste que... Je me répète! soupira le garçon.

Je souris:

- On forme une belle paire d'handicapés sociaux.

- Tu me déranges pas, tenta le sorcier (bien que j'ignorais qu'il en était un), c'est j...

Le garçon ferma les yeux et serra les lèvres, il s'en mordit une. Il se tapa les joues et rit nerveusement. La redondance était un cauchemar. L'humiliation commune nous fit lâcher un rire nerveux:

- Honnêtement, ça m'étonne que tu t'intéresses à mon travail ! Ah ! On te paie pour ? avoua le sorcier transmuté.

- Madame Lea et son frère comptent sur moi pour protéger cet héritage. Mamie Annette aussi...

- Je connais l'histoire, vérifia le sorcier, ils n'ont jamais connu leur grand-père.

Aujourd'hui, je savais que les mortels, ce que j'étais à l'époque, ne connaissaient pas toute l'histoire.

L'ambiance redevint glaciale. Les ténèbres retombèrent. Je n'avais pas réussi. Nous n'avions pas réussi: il nous fallait un meilleur moyen de tuer la gêne.

Je remarquais alors un carnet dans la sacoche du garçon:

- Tu dessines?

- Oui... avoua le sorcier, les joues rouges.

- Je peux regarder. Moi-même, je dessine un peu, mais voilà...

Ce fut la salvation.

Luka avait dessiné toutes sortes de créatures, mais la plupart du carnet étaient des essais anatomiques.

Je montrai les dessins que j'avais déjà postés sur les réseaux sociaux, nous avions tous les deux expérimenté l'art de l'illustration à travers toutes sortes de représentations de créatures légendaires aux apparences diverses, qu'il s'agisse de femmes ailées, de sorcières sur leurs balais, de loups volants ou de divinités au corps d'adonis.

- T'es vraiment plus doué que moi!! Je me demande quel logiciel tu utilises! lâchai-je.

- L'alchimie et les sorts de manipulation des couleurs, pensa l'incantateur.

Pour éviter de parler d'informatique, le sorcier aborda le sujet de mes dessins. Pourquoi ? Parce qu'il avait peur de passer pour un ignare.

Il reconnut la manière très précise de représenter le Culâ des Vosges comme un nabot-araignée... Le nom sonnait très moche en français, mais ce n'était qu'un lutin-feu follet!


- Je vois que, toi aussi, tu as dû lire tout Lennox.

Nous nous mîmes alors à échanger sur le sujet des mythes et des légendes. Nous parlions de plus en plus vite et venions aux inévitables moments où nous nous coupions la parole avant de nous présenter mutuellement des excuses.

Je n'osais pas le dire, mais sa manière de ne plus dissimuler son cheveu sur la langue m'apparaissait vraiment mignonne!

Au bout d'un moment, Luka reçut un message sur mon portable:

- Désolé, l'argent des impôts doit pas servir à me faire des amis, je suis en service. Je plaisante, l'université m'envoie juste de nouvelles directives.

Le garçon partit chercher un bureau pour son coup de téléphone.

Pendant ce temps, je regardais mon propre portable, j'admirais ce que le prétendu cryptographe avait posté sur les réseaux sociaux.

Luka m'ayant autorisé à vous parler de la conversation, la voici :

Le sorcier voulut vérifier l'isolation du bureau du père de Carla, mais n'en eus pas l'occasion, il eut de la chance, ma chambre était trop éloignée :

- VOUS AVEZ TÉLÉPORTÉ UN ROBOT DANS LA CAVE ?!

- Non, c'était ni Elvira, ni moi... C'était madame Léonard ! répondit l'interlocuteur du mage.

- Les Per engagent des mortels ! Elvira pouvait pas le tester, elle ?

- Malheureusement, nous ne sommes pas en service toute la journée... Et en plus, Madame Léonard tient à ce que tu puisses te téléporter entre ici et la mine.

- Marco... Y A UNE MORTELLE !

- Hein... Lavie est rentrée ? Pffff... T'auras qu'à utiliser un de tes tours de magie.

- Dis-moi, depuis quand notre travail est d'exposer la magie aux mortels sans pouvoirs ? Dis-moi au moins que le robot ne ressemble pas à un robot.

Le sorcier blond se demandait où Madame Léonard avait la tête.

- Non, c'est juste un cheval à bascule. Bon, je te laisse, Elvira m'attend. Bonne chance avec tes trucs de sorcier, là.

Luka lâcha un râle de rage. Il vérifia le message que sa supérieure lui avait envoyé. Elle parlait d'un test. La vampiresse disait avoir fabriqué ce nouvel appareil et voulait assurer son utilité.

- Bon, ben va falloir que je trouve un prétexte... Le majordome fait les courses, je pourrais lui demander de mentir à Lavie et de lui dire que je réserve la cave parce que... Je sais pas, moi... Je dois faire un machin confidentiel.

Le mage observa les plans et instructions que Madame Léonard avait envoyés.

- Cheval-mallet...

Ce terme rappela quelque chose au sorcier.

Luka tient à passer le message suivant :

« Rétrospectivement, j'aurais dû consulter mes grimoires concernant la créature... Madame Léonard pouvait y ajouter tous les ajustements et toutes les personnalisations qu'elle voulait, un cheval-mallet restait un cheval-mallet, à savoir une créature se nourrissant de l'émerveillement et de la fascination ! »

Honnêtement, je ne peux pas en vouloir à Luka. Même s'il avait réalisé le problème du prototype, je doute que les évènements auraient pu prendre une tournure différente.

Le fait était que la décision à la dernière minute de Madame Léonard avait joué son rôle dans la surprise qui attendait Luka.

Le sorcier resta dans le bureau. Il tenait à décoder ces cartes de tarot. Pour une fois que son travail ne consistait pas à coller des procès-verbaux ou à effacer des souvenirs, il voulait profiter de sa mission.

A suivre...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Matthieu Roux ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0