Chapitre Trois écrit par Florent Billard

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Chapitre Trois écrit par Florent Billard

Alix n’en était pas à accepter les invitations de Holan. Contrairement aux niaises qu’on voit se plaindre sur les plateaux de ce que leurs séducteurs oublient de les renseigner sur leurs intentions, elle savait ce qu’on attendait d’elle ; ce qu’on attendait, pour peu qu’elle l’acceptât elle l’accepterait pleinement et fermement, c’est à dire qu’elle ne se mettrait pas à protester entre deux caresses ou même entre le restaurant et la chambre.

Pour l’instant c’était donc non.

Ses pensées suivaient ses regards et ses regards allaient vers la fenêtre d’où se devinait toujours la silhouette du miséreux. A force de le voir, elle s’imagina le connaître et crut lui devoir son aide. Se voyant surprise dans son observation, elle se détourna mais dut, à sa sortie au soir, soutenir les apostrophes de ce monsieur.

« Madame ! Madame !

—Encore vous ! Je dirai qu’on me harcèle si vous insistez !

—Ah oui ! s’exclama José. J’oubliai qu’on harcèle avec une seule parole ! Je ne vous demande rien pourtant, qu’un peu de votre temps. Employez-moi où vous voudrez ! Je suis à la rue depuis quelques jours… Comme on m’a dit de franchir la rue pour me dégottez un travail, et qu’on n’ a pas le droit d’être regardant, je franchis la rue et je vous demande du travail. Où plutôt, si vous me donniez un papier, je vous écrirai mon CV et si vous acceptiez de vous entretenir avec moi, j’argumenterai en ma faveur.

—Où voudriez-vous donc que je vous mette ? Je n’élis pas les députés à moi toute seule, en plein milieu d’une mandature !

—Bon. Je reviendrai demain et tous les autres jours…

—Si vous y tenez vraiment, je vous offre cinq minutes de conversation, à l’intérieur. »

Alix espérait bien qu’Holan l’apercevrait avec ce miséreux, pour exciter sa jalousie déplacée.

Ils entrèrent. José se fit offrir un café et une chaise, soit le plus extraordinaire asile pour qui vit dehors, dans Paris surtout, depuis plusieurs jours.

« Avez-vous déjà travaillé ? demanda Alix.

—Oui, pour une entreprise dont la première moitié a délocalisé ses activités en Chine et la deuxième en Ukraine, comme si d’un coup tout l’univers s’était mis à tourner autour de l’Ukraine. Mais on a prétendu les Ukrainiens plus malheureux que les malheureux exposés directement à vos yeux de politiciens. C’est que l’Ukraine a le mérite d’être plus grande que moi, avec un nom qu’on connaît mieux, et que quand on fait un geste pour l’Ukraine on reçoit les applaudissements du monde. Eh oui, la bonté c’est quelque chose qui s’expose de nos jours, et qu’on fait à l’endroit des malheureux à la mode ! »

Alix sentit le rouge monter à ses joues : la veille elle avait parrainé une petite africaine, comme s’il n’y avait point de petits africains affamés. Elle donnait aux Ukrainiens, bien sûr, et elle ne donnerait pas un sou à ce Monsieur ? Par miséricorde pour elle-même, elle jeta une pièce sur la table (elle se savait méprisante et s’en moquait ; tout juste espérait-elle restaurer de son lustre auprès de ce Monsieur à l’intelligence surprenante.)

« Je n’en veux pas ! Je veux une arme ! Mon arme à moi, ce sera un emploi, un emploi ici, pour démontrer vos hypocrisies et vos failles, pour m’y engouffrer tout entier et pour tout renverser, tout ! »

D’autres eussent jeté cet homme, mais pas Alix qui sentait monter quelque fièvre en son sein : elle était galvanisée et se crut à son tour capable de transformer le monde depuis le temple de l’inertie : cette assemblée consacrée aux spectacles médiocres qu’on fait lors des questions au gouvernement.

« Vous êtes bien vindicatif pour quelqu’un qui quémande !

—Je m’en vais donc, et je reviendrai demain. »

De toutes ses forces elle désirait qu’il tînt parole, pour ressentir encore ce frisson. Elle regarda ses dossiers pour ne pas le voir lui s’en aller ; ces dossiers si importants qu’elle vit désormais comme ils étaient : des logorrhées.

Elle repensa à José, évidemment. Quelle rencontre étrange, et quelles suites détonantes elle pressentait ! Cependant, elle raffermit l’emprise qu’elle avait d’elle-même et ramena ses sentiments à la raison. De trouble il ne fut plus question, mais de politique. Deux idées combattirent en son esprit : employer ce monsieur pour l’humilier, selon l’enseignement des féministes renommées qui prônent l’humiliation des hommes comme gage de tolérance, où l’employer comme gage de sa propre bonté. Cette seconde idée supplanta la première, car la vertu publique à des vertus que le dédain privé n’a point.

Au lendemain, tandis qu’il revenait, elle sortit à sa rencontre. « Bien, je vous engage, à quoi, je ne sais pas. Tant que je ne vous ne donne pas l’autorisation, ne parlez pas en public. Je veux tirer parti de ce geste, alors n’allez pas tout gâcher par une parole insensée !

—Je me contenterai de vous observer », répondit José avec un clin d’œil.

Ainsi donc, notre députée enorgueillie l’exposa dans le tout Paris : au surplus lui découvrit-elle assez de singularités pour en faire le membre de plusieurs minorités officielles ; elle avoua même, avec la bénédiction des gourous de sa secte politique et des journalistes convertis sans rien comprendre, que s’il n’avait appartenu à aucune minorité agrée par les apôtres de la vertu, elle l’eût abandonné à sa misère.

Il y eut des querelles à l’Assemblée nationale, des lois nouvelles, une intervention du président de la République ; mais comme l’affaire ne naissait point aux États-Unis, on n’en fit cas peu de temps.

Ce peu de temps passé, elle décida des tâches à confier à José.

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