Chapitre 14 : Aux profondeurs des montagnes (2/2)

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Je rassemblai le flux à mes doigts et générai une sphère lumineuse. Nous obtînmes un premier aperçu des lieux, comme je l’avais vu précédemment. Une vision nette pour tous mes compagnons, voilà qui m’aiderait à gagner leur loyauté. Serait-elle temporaire ou infaillible ? Je plaçai la boule au-dessus de ma tête et indiquai l’allée de mon index.

— Faites-moi confiance, requis-je. Si ça peut vous rassurer, je n’ai vu aucun squelette. Nous n’allons pas nous aventurer vers un tombeau. Je tente juste d’échapper au trajet conventionnel. Il ne nous a pas réussis.

— Je suis prête à t’accorder ma confiance, assura Ralaia. Mais j’espère que ce passage en vaudra la peine.

— Je ne peux pas l’affirmer maintenant, avouai-je. Nous le saurons en y allant.

Étrangement, ils n’émirent pas d’autres protestations. Eux aussi voulaient tenter une autre approche à mon humble avis. La simple ascension nous avait coûté trop de pertes, alors cette grotte constituait une solution valable. Ou bien un piège nous cernerait dès notre entrée. J’incarnais donc l’espoir de progresser paisiblement vers notre destination. Eh bien, une pléthore de responsabilités s’accumulait en quelques instants ! La vie de mes compagnons dépendait de moi. Je devais chasser toute idée pessimiste, cela ne servirait à rien pour la suite. J’étais meneuse, il fallait m’y tenir.

Ralaia aida Jaeka à se relever sous l’œil soucieux de son neveu. J’attendis l’accord de tout le monde avant de les guider dans l’obscurité. Aussitôt, une nouvelle disposition se forma, bien distincte de l’habituelle. Nous n’avancions pas tous au même rythme en raison de l’étroitesse de l’allée. Derrière nous les larmes et les remords, devant nous l’inconnu et l’obscurité. Finirais-je comme Erak à progresser aussi imprudemment ?

Ce que j’avais affirmé pour moi était valable pour les autres. Ils se définissaient au-delà de leur fonction au sein du groupe. Des êtres humains avant tout, des vies désormais entre mes mains. Gurthis et Elmaril fermaient la marche conformément à leurs déclarations. En revanche, Margolyn et Bramil lâchaient souvent des petites exclamations. Un nouveau lieu d’intérêt pour eux, ou des frayeurs parcouraient leur corps ? Jaeka, elle, demeurait toujours muette. Quoi que l’archère essayât, elle ne parvenait pas à la sortir de son chagrin. Et puis, Arzalam était revenu auprès de moi, flanqué par Stenn. Pendant que l’érudit traçait laborieusement la voie sur un papier, mon collègue surveillait mes moindres faits et gestes. Il ne m’adressait pas la parole ni ne prétendait me guider. Non, il était redevenu un simple compagnon. Était-ce vraiment lui ?

Cette grotte offrait un nombre limité de chemins. Comme je l’avais déjà examinée, j’avais une idée de la direction à suivre. Me référer méthodiquement à ma vision précédente, d’accord, mais sans oublier l’apport de mes camarades. Souvent, Arzalam me susurrait des paroles sibyllines, lesquelles me laissèrent indécises. Quelle était cette façon de procéder ? Au moins les autres me fournissaient des indications utiles pour avancer dans cette caverne. Elle constituait un refuge dont nous désirions profiter au maximum. Le vide y accompagnait-il les ténèbres ?

Des indices, disséminés droit devant nous ! Des traces de pas effacées dans la roche et les stalagmites. Chaque fois que nous les repérions, nous les inspections avec minutie, mais nous en tirions peu d’informations. Où se tapissaient-elles ? Peu connaisseuse des souterrains, je m’ingéniais à identifier tout ce que nous trouvions. Ma vision ne s’était pas trompée, quelque chose se terrait bien dans cet amoncellement de mystères ! Je manipulai derechef mon flux, le transformai, le projetai, pour capturer ne fût-ce que de maigres apports. Une magie persistante imprégnait les lieux, mais je n’arrivais pas à déterminer son origine. Quelle frustration !

Nous émergeâmes vers une zone plus ouverte après une heure d’exploration. Une transition très abrupte qui en valait la peine. Une rivière souterraine coulait entre des colonnes naturelles qui joignaient des stalactites. En sus des roches normales, des pierres bleues se dispersaient sur la pente. Cet ensemble brillait intensément sous nos yeux ébahis. Même dans ses entrailles, la nature continuait de nous éblouir.

— Cette grotte contient du lapis ! s’exclama Stenn. Qui sait quelles autres pierres précieuses elle recèle ?

Il rangea son papier dans son sac, en dénicha un autre et s’apprêta à prendre d’autres notes. Bramil glissa en s’approchant de lui et manqua de chuter à l’eau. Pour une fois, Margolyn prouva son utilité : elle saisit sa tunique et le tira jusqu’à la paroi où il récupéra son équilibre. C’était moins une… Ralaia était toujours présente afin de s’aviser qu’il n’avait reçu aucun dégât. Elle tapota même son épaule en vérifiant la sûreté du chemin.

— Tu n’as rien, rassura-t-elle. Il faut juste redoubler de prudence. Le sol est glissant ici.

Parfois, certains n’écoutaient pas les plus sérieuses des mises en garde. Ce fut Arzalam qui ignora les avertissements. Mais à quoi rimait son attitude, bon sang ? Pourquoi il se précipita ainsi sans notre accord ? Il contourna les colonnes, enjamba la rivière et s’engagea dans le couloir contigu. Perplexes, nous nous consultâmes du regard avant de le suivre. Il existait toujours une raison à ses agissements, fût-elle minime.

Ma sphère lumineuse illumina le mur à notre gauche. Dès l’abord, nous fîmes face à une preuve déconcertante du passage d’humains. Je tentai de déchiffrer les inscriptions, mais elles étaient écrites dans un alphabet inconnu. Arzalam porta sa main à son menton. Réfléchissait-il ou maudissait-il son manque de réponses ? Probablement la deuxième réponse : sa soif de connaissance venait de se heurter à une impasse. Comment agir face à une découverte inqualifiable ? Il fallait absolument déchiffrer ces écritures, c’était la raison pour laquelle nous nous étions engouffrés aussi loin.

— Quelle est cette langue ? demanda Arzalam. Je veux savoir !

— En tout cas, ce n’est pas de l’Ertinois, lâcha Elmaril. Ça n’y ressemble pas. Du peu que je sais en lire.

— À mon avis, souffla Margolyn, il ne te posait pas la question…

Stenn déposa son sac à terre et inspecta les écritures, effleurant le mur de gauche à droite avant de hausser les épaules. Lui non plus n’obtenait aucune réponse, d’où son air dépité.

— Hélas, déplora-t-il, je ne reconnais pas la langue. Cela ressemble à du Myrrhéen, mais les courbes sont moins épaisses et les lettres présentent des formes légèrement différentes. Je ne peux rien interpréter.

— Es-tu certain ? insista Arzalam. Nous devons découvrir sa signification !

— Tu es trop curieux, blâma Gurthis. Je vous avais prévenu, cette grotte est une perte de temps. Il n’y a rien à trouver. Nous aurions mieux fait de ne pas y entrer.

— J’ai décidé d’y aller et je ne regrette rien, affirmai-je. Même sans comprendre le message, vous ne trouvez pas que sa présence est surprenante ? Nous suivons un chemin déjà parcouru depuis le début !

— Surprenant n’est pas le bon mort, marmonna Ralaia. Inquiétant est plus approprié.

Ils dégoisaient d’une manière tellement sinistre… Ces inscriptions, les interpellaient-ils, les déconcertaient-ils, ou bien s’en fichaient-ils ? Assez de tergiversation ! Pourquoi toutes ces péripéties si c’était pour aboutir à la même conclusion qu’avant ? Nos efforts cumulés nous menaient vers des impasses.

— Avoue-le, dit le soldat, tu n’as aucune idée de ce que tu fais. Tu n’es pas prête à être meneuse si tu n’en assumes pas les conséquences. Tu sais au moins comment sortir de cette grotte ?

— Bien sûr que oui ! me défendis-je. J’ai identifié les lieux avant de m’y engager ! Je dois bien endosser ce rôle. À moins que nous n’ayons plus besoin de chef…

Je laissai ma dernière phrase en suspens. Aucun réplique ni riposte ne nous vint à l’esprit. Seule subsistait la désagréable sensation d’être désorienté. L’inconnu nous désemparait ! Existait-il une réponse à nos questionnements ? Oui, j’en étais persuadée : si j’arrêtais de me triturer l’esprit, je pourrais simplement poursuivre sur cette voie. Ces écritures fixes, pourtant symboles d’un passé révolu, semblaient voyager au-delà de leur emplacement, voler dans les limbes des mystères de notre civilisation. Notre civilisation, vraiment ?

Arzalam effleura mon épaule et me fixa avant que le mutisme ne s’installât.

— Jyla, je dois te parler. En privé.

— Nous n’avons pas assez perdu de temps ? râla la guerrière.

— Je n’en ai pas pour longtemps et ce qu’il me faut lui dire est très important.

Nos compagnons tiraient une mine désapprobatrice, mais ils ne s’opposèrent pas à ma volonté. Nous abandonnâmes la lumière et des repères connus pour nous diriger vers l’obscurité. De quoi souhaitait-il s’entretenir avec moi ? J’entendis des murmures désobligeants tandis que mon confrère accélérait le pas. Un peu d’entente, ce serait l’occasion de découvrir ce qui occupait ses pensées du moment.

Arzalam m’accorda derechef son regard énigmatique dès que nous fûmes assez éloignés.

— Nous devons nous séparer de ce groupe, proposa-t-il.

Quoi ? D’où avait émergé cette idée ? J’arquai les sourcils en l’attente d’une explication.

— Tu vois bien que la cohésion a disparu, expliqua-t-il. Je voulais laisser une chance à notre compagnie après la mort d’Erak. Ce pauvre homme aurait honte de nous… Plus rien ne nous unit.

— La Nillie nous unit ! protestai-je. J’ai choisi de les mener. Ce serait lâche de ma part de les abandonner maintenant.

— Et qui abandonnerions-nous, au juste ? Un militaire aigri, une archère hypocrite, une sauvage dangereuse, une guérisseuse pleutre, un érudit inutile, un mutilé et une muette. Sans renoncer à ton humanité, penses-tu vraiment qu’ils en valent la peine ? Bientôt, tu ne supporteras plus la pression.

— Je n’ai pas l’intention de rester meneuse. Dès que nous sortirons de la grotte, notre groupe redeviendra ce qu’il était. Nous devons aller jusqu’au bout.

— Ne sois pas naïve, Jyla, ce n’est plus possible. J’ai essayé d’accepter les attitudes des autres, crois-moi ! Mais comment puis-je aider si je suis insulté en permanence ? Je n’ai pas le droit d’avoir une opinion opposée aux autres. Même toi, tu ne l’approuves pas.

— Nous sommes différents, Arzalam. Là où la théorie t’attire depuis longtemps, j’ai toujours favorisé la pratique. Les phénomènes inexpliqués des lieux m’intéressent, mais notre exploration ne doit pas se faire au détriment de notre survie. Tu deviens égoïste.

— Je ne suis pas égoïste ! Je pense à l’intérêt de notre communauté ! Sans les mages, les civilisations se seraient écroulées depuis longtemps.

— Nous contribuons tous à l’avancement de notre société. Ces stupides discriminations doivent cesser ! Les pays détruits par les mages, les mages détruits par les pays… C’est un cycle sans fin, tu comprends ? Je souhaite juste que tu ne mettes pas notre expédition en danger.

— Les dangers sont déjà présents ! Avant même de s’engager dans Temrick, des Kaenums nous avaient bloqué le passage. D’ailleurs, mon intuition était correcte : leur chef n’était pas parmi eux. J’ai une explication très simple : plus adapté aux climats froids, il s’est séparé de sa meute pour entamer une petite ascension à Temrick. Son but devait être de rapporter de la nourriture qui commençait à manquer aux basses altitudes, là où ils chassaient. Tôt ou tard, il était certain qu’il reviendrait se venger. Il est arrivé plus tard que prévu…

Comment savait-il tout cela ? Il se tut un instant et me dévisagea plus longuement.

— Je te respecte pour tes aptitudes, Jyla, mais tu te montres souvent têtue. Ne fais pas le mauvais choix. Séparons-nous du groupe aussi tôt que possible, sinon nous le regretterons. Il ne tiendra pas longtemps sans Erak.

Qu’est-ce que c’était que cet avis ? Hors de question de le suivre ! Mais refuser la proposition assombrit son faciès, heureusement qu’il n’insista pas davantage. Arzalam… Pourquoi ? Voilà la sinistre vérité : ses intérêts personnels supplantaient celles de notre groupe. Il se fichait de la Nillie ou de notre propre accomplissement, la vérité se situait ici-même.

Que signifiaient ses dires ? J’y réfléchis au lieu de retourner auprès des miens. Les connaissances d’Arzalam sur les Kaenum étaient grandes, il me l’avait lui-même avoué. Trop grandes. Elles surpassaient même les déductions…

Arzalam avait prédit l’arrivée du chef de la meute. Et il ne nous avait pas prévenus.

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