Chapitre 18 : Trahison (1/2)

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ELMARIL

La magie… Impossible à comprendre, difficile de s’y confronter. Ses prouesses stupéfiantes se levaient devant nous, des tas d’ossements remuant sur la pierre. C’était pire que tout vu la tête que tiraient les fragiles. Les squelettes sortaient un à un des sarcophages. Un mouvement macabre s’ensuivit. Leur environnement, c’étaient les ruines. L’ennemi, c’était nous. Ironie du sort : ils voulaient ressusciter, mais pas dans cet état.

Mes compagnons ne savaient pas quoi faire ni penser. Lamentable. Des minutes entières sans agir, sans l’attaquer, comme si le bouclier arrêtait tout. Les pauvres, ils n’arrivaient pas à se remettre de la projection magique. J’y parvenais, moi. Un mal de tête, un frisson me parcourant l’échine, pas quoi de gémir. J’étais debout, parée au combat, attentive aux mouvements adverses. Je devais tout scruter au risque de recevoir un autre coup. Si je gardais l’œil vif, si je tendais l’oreille au moindre sursaut, rien ne m’effleurerait. Ma lance, ma volonté, tout me portait, me poussait à ce combat. Pas d’ambitions, pas de grands idéaux, juste le besoin de survivre.

Un traître dans notre compagnie, que c’était étonnant ! Il avait bien pris le temps, en plus. Où étaient les réflexes, la fierté ? Restait la soif de riposte, enfin je l’espérais. Arzalam nous toisait de son sourire narquois, imbu de sa personne. Encore un autre type indigne de confiance. Autant déguerpir dès que j’en aurais l’occasion. Loin d’eux. Loin de tout. Mais il était trop tard pour revenir dans mon pays. Et trop tôt pour aller dans l’autre.

Son œuvre achevée, le mage avança de quelques pas. Une vraie énigme, cet homme. Impassible, calme, il ne craignait ni leur rage, ni leur arme. Toujours le même après avoir défié la nature. C’aurait dû l’épuiser, le faire suer, voire le broyer s’il échouait. Mais non, il était toujours debout, le fier mage. Dressé comme jamais, insolent comme toujours.

Contemplez les bienfaits de la magie, dit-il triomphalement. Réalisez-vous au moins mon exploit ? J’ai vaincu la mort ! Qui d’autre peut s’en vanter ?

Je ne captais pas tout. Tant pis, pas question de m’attarder sur des mots, Arzalam était ce qu’il était. Sa réussite pour leur échec. Sa satisfaction contre leurs rugissements. Ses choix face aux nôtres. Eux devant lui.

Nous aurions dû te tuer avant ! beugla Gurthis, espadon au poing. Salopard de traître, tu n’attendais que cette occasion, n’est-ce pas ?

Arrête de te réfugier derrière ton bouclier ! rugit Ralaia, saisissant son arc. Je croyais que tu assumais ton geste !

Quand on était borné, on le restait. Ils pouvaient crier autant qu’ils voulaient, ça ne changerait rien. Le mal était présent, pesant, menaçant. Plus d’union, plus de camaraderie, plus de victoire dans leur société décadente. Des idiots croyaient encore à cette quête ? Elle était vouée à rater dès le départ, je l’avais pressenti. Il fallait sauver l’Ertinie avant le reste. Que mes sœurs me pardonnent, je ne servais personne. Ni moi, ni elles, ni même mes compagnons.

Porter la magie était une chose, la représenter en une autre. Notre prétendue meneuse s’avançait vers Arzalam, ignorant les squelettes. Elle avait les larmes aux yeux, celle-là. Avoele aurait honte si elle m’avait vue suivre ses ordres. À s’en retourner dans sa tombe. Ça convenait aux circonstances.

Pourquoi, Arzalam ? hurla Jyla, révulsée. Je te faisais confiance ! Je t’ai défendu contre tes détracteurs ! Hier encore, je t’ai dit de ne pas te laisser corrompre ! Pourquoi ne m’as-tu pas écoutée ?

Je suis désolé, s’excusa le traître. Je n’avais pas le choix. Aujourd’hui, vous êtes indignés, mais à l’avenir, le peuple comprendra ma décision. Le bon sens finit toujours par triompher.

Personne n’en saura rien, défia le vétéran. Je vais les renvoyer sous terre !

Trois pas et il fut déjà immobilisé. Le sort exposait son action brute, aussi implacable que son porteur. Ainsi Arzalam montrait ses intentions. Sadique mais malin.

Je ne te laisserai pas menacer mes projets, lâcha-t-il.

Tu contrôles mes mouvements ? fulmina le vieux soldat. Ça veut dire que tu aurais pu t’en servir avant ? Je le savais, tu avais planifié ta trahison depuis un moment ! Tu as laissé notre chef crever !

Je n’ai trahi personne ! se défendit Arzalam. Même si j’avais prévu leur arrivée, j’ai moi aussi été surpris par les capacités des Kaenums. Je déplore le décès d’Erak Liwael.

Menteur ! accusa Bramil en dégainant son épée. Tu veux notre mort !

Mon silence était préférable. Les reproches fusaient partout, je ne savais pas où donner de la tête. Arzalam me prêtait à peine attention. Il se défendait plutôt contre les autres, avec la position qui allait avec. Pas assez forte pour être une menace ? Voilà comment il me considérait, c’était peut-être mieux comme ça. Je pouvais encore me défouler sur leur squelette, les massacrer, détruire son œuvre. Dommage qu’ils ne saignaient pas.

Trop de force, pas assez de cran, Gurthis n’arrivait pas à se libérer. Les squelettes allaient le lacérer, le transpercer, lui donner ce qu’il méritait. Lui aussi deviendrait alors un tas d’ossements. C’était sans compter l’approche de Bramil et Ralaia. Eux avançaient, tentaient de faire quelque chose, au contraire de Jyla. Mais ça pouvait mener à la mort. Nous devions sortir d’ici !

Soudain, un squelette m’assaillit. J’évitai de justesse ses phalanges pointues. Un pas de côté, un mouvement de recul et je lui perçai l’orbite de ma lance. Je la fis tournoyer, respirai, me plongeai dans cette lutte, dans ce combat. Raté ! Mes doigts s’enroulèrent sur ma hampe pendant qu’il claquait des dents. Résistant, pour un mort. Comment le tuer pour de bon ?

— Tu vas mourir, bâtard ? m’énervai-je.

Les mots avec les armes, l’un gagnait sans l’autre. D’un coup de pied, je séparai la tête du cou. Le crâne resta sur ma lance, je l’écrasai sous ma botte, il éclata en plein de morceaux. Mais le corps était toujours là ! Il bougea encore, gesticula. C’était laid, disgracieux, à peine vivant. Sa main droite s’enroula autour de ma cheville. Fichue magie ! Je m’en libérai sans souci. Il continuait de ramper, de venir vers moi, jusqu’à me blesser. Une volonté directe mais hors de sa portée. Je grinçai des dents.

Je viens de leur redonner la vie, dit Arzalam. Crois-tu pouvoir t’en débarrasser aussi facilement, barbare ?

Je n’appelle pas ça être vivant, répliquai-je.

Tu n’as aucune idée de la valeur de la vie. Combien d’innocents as-tu tué ? J’apporte la justice dans ce monde, la justice oubliée par les gens comme toi. Ne viens pas me parler de déchéance ensuite.

De la provocation banale. Des insultes contre d’autres, du temps gâché pour rien. De toute façon, je n’étais pas la cible prioritaire. Tous les squelettes s’alliaient contre nous, avec la seule force de leurs membres. Sans repères, sans idéaux, ils n’étaient que des pantins. Mais ils avaient un instinct. Celui de nous tuer. Tous, sauf leur sauveur, qui n’arrivait pas à les contrôler.

Trois d’entre eux saisirent Margolyn par l’épaule. Ralaia rangea son arme et la libéra de son emprise. Ça devenait lassant de la voir se faire secourir tout le temps ! À moi de me montrer, maintenant. Je libérai Stenn d’un coup sec. Je le laissai geindre, frotter ses vêtements froissés, se cacher derrière les forts. Pas de remerciements ? Sans importance, ils ne valaient rien. Nos nouveaux ennemis nous encerclaient, tournaient la tête n’importe comment, marchaient par pas courts, prévisibles. À nous de trouver comment les vaincre. Soit on y arrivait, soit on s’échappait. Si c’était possible.

Comment pouvons-nous les tuer ? demanda Jaeka.

Elle s’impliquait dans le combat ? Elle avait déjà fait assez de torts. Cette chétive citadine n’avait rien d’une guerrière. Quand il était encore vivant, elle se blottissait derrière la hache de son mari. Et maintenant ? On ne valait pas mieux qu’elle. Juste immobiles, évitant d’être griffés, cherchant une issue. Face à nous se dressait l’invincible mage. Nous étions dans un beau pétrin.

Mais Jyla ne renonçait pas. Elle inspira, nous devança, se concentra. Une décharge dirigée, rien de mieux pour éjecter les squelettes à proximité. La voie était libérée ! Par contre ,ce n’était pas la peine de libérer Gurthis, mais elle le fit quand même. Il put de nouveau bouger et ne se précipitait plus. Il suivit Jyla, se conforma au groupe, comme d’habitude. Notre chemin se traçait, la survie avec, mais ça ne suffisait pas. C’était lâche de fuir, nous détalions au lieu de se battre. Arzalam était un compagnon ? Plus maintenant. Il fallait rester, agir, il y avait bien un moyen de tuer les squelettes, de les renvoyer dans leur tombe.

Tu me déçois tellement…, dit Jyla d’une voix dénonciatrice. Autrefois, je t’admirais pour ta curiosité et ton savoir sur la magie. Mais là, tu es allé trop loin. Tu en viens même à utiliser des sortilèges interdits ! Arzalam… Tu es notre ennemi, maintenant.

Votre ennemi ? Jyla, je ne veux pas te combattre…

Tu ne nous laisses pas le choix ! Tu ne contrôles pas les squelettes ! As-tu conscience de la catastrophe que tu as engendrée ?

Je peux me rattraper ! Ils viennent à peine de revenir. Je vais les aider à prendre leurs repères, pour qu’ils ne vous attaquent plus !

Non, ils représentent une menace, tout comme toi…

À eux de se confronter, ça ne me concernait pas. Et je n’étais pas la seule à avoir cet avis. Jyla se retourna, pointa les marches de son index.

Sortez d’ici ! ordonna-t-elle. Je vous protège.

Nous n’allons pas te laisser te battre seule ! refusa Ralaia.

Sa magie est trop puissante, il vous anéantira tous ! Fuyez, je vous rejoindrai après !

Fuir, encore et toujours. Pas d’autres choix. C’était indigne d’une guerrière ! Assaillis de tous les côtés, il fallait foncer vers ce nouvel espoir. Des squelettes tentèrent de nous barrer la route, c’aurait été trop simple sinon. Enfin Gurthis se rendait utile ! Il porta un coup de large envergure, trancha plusieurs ennemis, vécut l’affrontement tel le meneur qu’il n’était pas. Certains s’engagèrent dans les marches, d’autres accordèrent un regard soucieux à Jyla. Presque honorable, son action. La magie était déployée, la protection fonctionnait, le combat devenait celui de Jyla, le nôtre devrait attendre. Quoique…

Des chocs, des bruits de pas. Les revenants nous poursuivaient sans relâche. Ils s’acharnaient ! Je les briserais, je les écraserais, et je ne recevrais que quelques plaies ! Personne ne m’en voudrait. Ils étaient déjà morts. Et d’autres de notre groupe le seraient bientôt.

Nous émergeâmes enfin. L’obscurité des sommets de Temrick. Un ciel noir, plein d’étoiles, quelques nuages au loin. À côté, une neige persistante, profonde, où on pouvait s’enfoncer par imprudence. Au-dessus, la structure. Elle se prolongeait vers un arc brisé, soutenait un pavé lisse, glissant même. Les lieux étaient intacts et pourtant inoccupé depuis des lustres. Cette vue en valait le détour, des pics enneigés qui surmontaient le versant jusqu’à l’horizon. On ne pouvait pas se contenter de tout ça, on devait juste fuir, quelque part, là où ils ne nous poursuivraient plus. Ça tenait du rêve ! Ils nous traqueraient, nous attaqueraient, nous massacreraient jusqu’au dernier. Sauf si on se défendait. Nous étions à l’endroit idéal pour nous battre.

Ce combat n’était pas le mien. Mes sœurs étaient loin. Elles ne s’alliaient pas avec l’ennemi, elles ne servaient pas le pouvoir en place, ne quittaient pas notre royaume. J’étais la seule, la traîtresse, celle qui avait rejoint l’ennemi. De gré ou de force, ça ne leur importait peut-être pas, le mal était fait. Jamais ce type d’union n’avait eu lieu auparavant.

Pas le temps d’y songer. Les bruits s’intensifiaient.

De la bâtisse à la nature sauvage, du chaud au froid, là où on se sentait vivre. Ma main se resserra sur ma lance, mon pouls s’accéléra, ma vue s’adapta. Derrière nous, les squelettes se rapprochaient. Il fallait s’en débarrasser, arrêter de retarder l’inévitable. Nous avions assez fui. L’heure du sang et des armes sonnait. Je m’arrêtai net, me retournai, braquai ma lance, défiai mes adversaires du regard. Superflu bien qu’agréable.

Pourquoi t’es-tu immobilisée ? demanda Stenn.

Je ne fuis jamais, répondis-je avec détermination. Je me bats.

Convaincue mais pas convaincante. Je calai mon arme entre mes doigts, le vent glacial me cingla le visage. Désastreuses conditions ! Cela dit… Le terrain pouvait être un avantage contre ces êtres sans chair. Et enfin on me suivit, dans les gestes comme dans les pensées. Le tintement d’un poignard, le crissement de la neige, le souffle sur les cheveux. Tout venait de Jaeka, elle cassait le rythme mais s’avançait vers les ennemis.

Elle a raison, concéda-t-elle. Fuir ne nous aidera pas.

Personne ne cédait au désespoir ni au découragement. Personne, sauf Stenn et Margolyn, bien sûr. Heureusement que Gurthis et Ralaia les défendaient. Pour leur propre survie, les forts du côté des faibles. Un jour ces deux-là le regretteraient. Ils adressèrent leur rage militaire envers nos ennemis. Par instinct protecteur ou par soif de vaincre ? Peu importait. Leur aura s’approchait presque de celle de purs guerriers. Mais elle ne surpassait pas la mienne.

Mon corps frémit. J’étais rôdée à l’affrontement. Des squelettes sans arme ? Plus facile qu’à l’entraînement ! Je retins mon souffle, me fondis dans la neige, focalisée sur l’instant. Puis ils furent à ma portée. À bonne distance pour la contre-attaque.

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