Chapitre 18 : Trahison (2/2)

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Ma silhouette se découpa dans l’obscurité. J’empalai un premier adversaire entre les côtes. Dans le vif de l’action, à terre, je me relevai vite, et la neige virevolta autour de moi. Une douleur vrilla mon épaule et mon dos. Rien de sérieux, juste un frisson de plus, mais je dus retenir un cri. Je me libérai de mes assaillants d’un coup de hampe, mais certaines phalanges atteignirent mon plastron. Ils ne perdaient rien pour attendre !

Des victimes de plus ! D’un bras, j’embrochai un crâne à ma gauche, de l’autre, je flanquai un coup de coude à mon second agresseur. Mes sens étaient aux aguets, l’erreur m’était interdite. Des méthodes brutales contre des opposants primaires, sans âme ni conscience. Je les disloquai, ils s’accrochèrent, je les écrasai, ils persistèrent. Attaques, esquives, parades, blessures, tout se multipliait, se confondait dans la mêlée. Mes adversaires fouettaient par taillades, lacéraient en avançant. C’était ça, le produit d’une magie inconnue ? Une belle preuve de faiblesse, oui !

Mais les ennemis surgissaient toujours en nombre. J’haletai, je reculai, exposée à leurs intentions néfastes. Des griffures balafraient mon visage, d’autres mordaient mon armure. Et alors ? Avoir mal me rendait plus forte. Seule contre tous, au centre de la mêlée, je les attendais ! Leur seconde mort allait être bien plus douloureuse que la première.

Ils préféraient attaquer mes alliés. C’était leur problème, pas le mien. Chacun pour soi, la camaraderie n’existait plus. Mes compagnons ne le comprenaient pas. Ils voulaient s’unir, lever l’arme ensemble, abattre les ennemis de toutes leurs forces. La traîtrise du terrain les rattrapa bien vite. Bramil fonça, cria, trébucha sur une pierre affleurant la neige. Il se releva vite. Ah, il avait appris de ses erreurs, il faisait déjà face aux premiers squelettes. Et le métal couina sur l’os, la neige gicla comme de la poudre, la lame étincela jusqu’à son bras tendu. Un peu d’aide ne serait pas de refus pour lui. C’aurait dû être quelqu’un d’autre que sa faible tante. Mais elle se débrouillait pas mal, au fond. Elle progressa, planta son poignard sur des clavicules et réussissait avec brio. Précise, vivace, ça ne lui ressemblait pas. Mais c’était bien elle, pas de doute possible. Trop imparfaite pour se défendre. Elle perdait l’équilibre, se rattrapait, poursuivait de plus belle, se liguait contre les ossements animés. Quelle incompétence ! Leur fierté familiale en prenait un sacré coup. Il ne fallait pas s’enfermer dans les cités, ça affaiblissait nos citoyens, ça ne les préparait ni aux voyages, ni à la vraie vie. Dire qu’on perdait contre eux depuis des décennies.

Les revenants les frôlèrent à tout moment. Pas moi, je savais les éviter, bien me placer, contre-attaquer. Vaincre. Squelettes depuis longtemps, morcelés maintenant, tourmenteurs pour toujours. Bah, on s’en sortait avec des éraflures ! Eux, par contre, ils retournaient à leur place, sous la neige, dans la paix des montagnes. Ils se remuèrent encore ! Les traits perçaient leurs orbites, les lames les décapitaient, nos efforts étaient vains. Cette tactique ne marchait pas. Un autre échec en perspective ? Je ne le subirais pas !

Ah, voilà ce qu’ils voulaient faire ! Nous disperser pour mieux nous exécuter. Mais pas de dissémination quand les soldats se montraient tenaces. Ralaia, Gurthis, tous deux s’échinèrent, suèrent sang et eau, donnèrent leur énergie et leur vie dans la nature indomptable, contre des adversaires antinaturels. Terrifiants peut-être, acharnés à coup sûr. Margolyn, Stenn, tous deux braillèrent à tue-tête, pleurèrent à chaudes larmes, perdirent leur cran et leur ardeur. Des échos dans les sommets, au-delà des ruines, là où l’être humain ne devait pas être. Là où personne n’aurait dû venir.

Un tremblement ébranla la montagne. Minime, pas de quoi nous déstabiliser. Pas moi en tout cas. Mais je savais d’où ça venait. La magie vibrait, créa un impact, nourrit notre corps de palpitations. Un instant durant, nous ressentîmes l’impact que la magie créait. Je ratais le plus épique !

Voilà pourquoi je déteste la magie…, grommela Gurthis. Elle nous tuera tous…

Restez groupés ! insista Ralaia, effleurant son carquois. Si nous sommes séparés, ils nous tueront !

La lutte des mages ne me concernait plus, il y avait juste ses reliquats à affronter. Ça pouvait durer encore des heures, des profondeurs aux sommets, face à un groupe uni contre mes alliés, contre nous. Ils les faucheraient s’ils traînaient, ils me buteraient si je les imitais. L’abandon et l’indépendance, un pas séparait les deux. La fureur de la nature vainquait nos désirs. Le climat, le plus implacable ennemi. Je respirai en y pensant, surveillai autour de moi en me protégeant. Une brume épaisse s’élevait soudain du contrebas. Elle surgit de nulle part, brisa nos repères, joua en notre défaveur. Comme si on en avait besoin !

Tante Jaeka ! appela Bramil à pleine voix. Où es-tu ?

Un cri, une confusion, aucune répercussion. Les armes vibrèrent, l’air humide charia leur son, les os jonchaient la neige. Tout changerait en un instant. Le langage du métal se faisait plus net. Les fugaces bruits, je les entendais à peine. Mais ils existaient, volaient, évoluaient, tout comme mes liens avec ces êtres méprisables. Ils dépendaient de moi, j’avais besoin d’eux. D’autres priorités m’attendaient. Le combat vers la survie avant tout : je n’abandonnais personne.

Ne t’éloigne pas ! implora Ralaia. Tu vas te mettre en danger !

Voilà ce qui arrivait aux combattants imprudents. Bramil, l’entêté, l’émotif, il n’allait pas abandonner la maréchale. À vrai dire, je n’avais aucune idée d’où était Jaeka, et je m’en cognais. Un moment de solitude m’était enfin offert. Plus de soldat ronchonneur, ni d’archère moralisatrice, ni d’érudit crâneur, ni de guérisseuse râleuse, ni de mages compliqués. Juste la paix que j’espérais.

La clarté nocturne me domptait. J’étais sous la voûte constellée d’étoiles, dans ce paysage inconnu. Esseulée, perdue. Non, au contraire, je pouvais me repérer, trouver un chemin. C’était le moment idéal. Encore une erreur ! Le ciel se chargeait de nuages. Que se passait-il encore ? Quel changement malvenu !

Un autre combat m’attendait. Plus rien ne me dérangerait, je pourrais m’y mettre à fond, sentir mes poils se hérisser, mon sang couler, ma sueur lustrer ma peau, mon énergie me soulever. Je n’y voyais pas à cinq mètres, mais c’était suffisant pour me repérer. J’étais la cible de quelques squelettes, comme un bête détachement qui se jetait sur moi à corps perdu. Qui allait perdre ce qu’il en restait. Je relevai ma lance et inspirai légèrement. Le temps était venu de les renvoyer à leur place.

— Approchez, provoquai-je. Je vous attends.

Ma hampe tournoya. Mon cœur battit à tout rompre. Mes yeux se focalisèrent sur l’ennemi. Et je fondis sur mes proies, tendis les bras, bondis. Il y eut un entrechoquement, une volée de bras. Ils frappèrent avec vigueur, multiplièrent leurs coups, m’encerclèrent, mais j’avais l’avantage. Pas celui du nombre. Celui de la force, de la constitution, de la maîtrise. J’avais plus que des os. De la chair, des muscles, et tout ce qui les liait. Tout ce qui vivait en moi. J’étais entière, pas comme eux.

Leurs phalanges crissèrent sur mes épaulières, ça faisait mal ! Des dégâts insuffisants pour me faire flancher. À quoi bon mépriser les faibles si je me mettais à genoux ? À moi d’endurer. Les réflexes renaîtraient en ripostant. Je me fendis, récupérai ma lance à pleines mains. Quelques halètements et je repris mon souffle.

Je ne comptais plus les squelettes. Mon souffle se dissipait dans la brume, mes vêtements se froissaient sous mon armure, deux filets de sang coulaient de mon visage. Des petites estafilades, rien de plus ! La douleur était un message, un appel, un murmure parcourant chacun de mes membres. En l’ignorant, en la surmontant, j’étais sûre de vaincre. Les revenaient allaient morfler.

Je me jetai dans la mêlée. Ma lance tourbillonnait à rythme effréné, l’espace vital se libérait. Il fallait m’en servir ! Je m’élançai contre les squelettes, mon arme prolongeant mes bras. Des crânes brisées, des côtes pulvérisées. Ah, j’en faisais beaucoup, des victimes ! J’en comptais quatre, puis je basculai sur le côté, faillis trébucher sur ces fichus ossements. Qu’ils s’enfouissent sous la neige, qu’ils retournent à leur repos ! Minute… Ma lance avait glissé de mes mains. Je me retrouvais à mains nues… Voilà qui changeait la donne. Ils me pensaient affaiblie ? La plus grande erreur de leur seconde vie.

En avant, au milieu de tout, dans ce cercle parsemé d’os, de neige et de pierres ! Je saisis le crâne du premier venu, l’arrachai de son cou, le broyai en une myriade de morceaux. Le premier, mais pas le dernier ! Sur mon élan, je courus vers ma prochaine cible, la jetai à terre et écrasai sa nuque. Des craquements, une autre secousse, une brume qui s’intensifiait. Où était ma lance ? Je ne savais pas, je ne la trouvais pas, je ne voyais que les squelettes. Entiers ou disloqués, agressifs ou non, expressifs ou pas, ce qui restait d’eux bataillait à corps perdu. À planter leurs ongles sur leur plastron À s’unir contre moi. Eux contre moi, moi seule pouvait triompher. C’était ce pourquoi j’avais fui. Désarmée, tout le reste de mon corps tournoyait, du sang perlait jusqu’à mes tresses. Et un autre squelette se rua sur moi. Facile de l’esquiver, encore plus de le plaquer à terre. Pas de demi-mesure cette fois-ci. Moi aussi j’avais des ongles et je savais m’en servir ! Ils s’enfoncèrent dans ses os, le percèrent. Il gesticula, ce faible, il trembla, ce fragile. Je traversai le vide qui le composait. Un bon coup de poing dans sa figure, j’avais encore brisé les efforts de l’un et la résistance d’autres. Mais ils étaient coupants, ces os, le liquide rouge coulait de mes doigts !

Plus qu’une poignée d’entre eux et c’était fini. J’étais debout, mes jambes me soutenaient à peine. Le ciel aussi semblait bouger, virevolter autour d’un seul point, au-dessus de nous, au–dessus de ces ruines encore plus abandonnées. Une œuvre de délaissée, une autre de détruite. Je récupérai ma lance, fis une autre roulade, revins vers le combat. Ma lance, implacable, traversa tout et n’épargna personne. Les êtres sans chair s’écroulèrent autour de moi. Et le monde ralentit. Et le calme revint.

Un beau combat. Un véritable combat, contre toute attente. Essoufflée, je rangeai ma lance et recouvris mon endurance. Ma chevelure battait au vent, mes jambes tremblaient. Les squelettes n’étaient pas invincibles, en fin de compte.

Un répit de courte durée. Un cri distinct résonna à ma droite. Mon cœur me somma de le rejoindre et je l’écoutai. Tant pis si c’était glissant, tant pis si des pierres dégringolaient autour de moi, tant pis si le précipice m’emportait. J’avais vécu, c’était ce qui comptait ! Prudemment, j’enjambai les membres, descendis la pente, traversai la brume. Par-delà le rude climat, par-delà la mort bafouée, une silhouette familière m’apparut.

Le métal chuinta de nouveau, puissant mais isolé. Près du versant, près d’un vrai précipice, Jaeka affrontait un squelette. Quelles vaines attaques ! Son poignard ripait sur le sternum de son ennemi. L’affaiblir, voilà ce qu’elle cherchait à faire. Elle n’y arrivait pas alors qu’elle avait réussi à en terrasser deux. Aucun courage, juste de la faiblesse. Une vie entière entre des murailles ne se rattrapait pas en une poignée de leçons.

Elle commit un pas de trop et glissa. Sa lame resta entre ses mains qui s’accrochèrent au rebord. C’était le moment pour intervenir ! Sautant sur le squelette, je transperçai son crâne, encore, et l’éjectai d’un coup de pied, encore. Ne demeuraient plus que Jaeka et moi. J’étais tranquille, elle risquait la mort. Je souriais, elle craignait la chute.

Par pitié ! supplia-t-elle. Elmaril, au secours !

Je pouvais lui venir en aide. Si j’agissais maintenant, j’aurais pris une décision intelligente. J’obtiendrais sa gratitude, la confiance de mes alliés et la levée des soupçons. Mais d’un autre côté… Elle ne le méritait pas. Fragile, impuissante. Victime du monde extérieur. Ses camarades devaient la secourir sans cesse. Me mettre à leur niveau, et puis quoi encore ? Je la toisai.

Hors de question, refusai-je.

Quoi ? gémit-elle. Mais pourquoi ?

Tu ne te souviens pas ? J’avais promis à ton défunt mari que je ne te toucherais plus. Je suis une femme de parole, Jaeka. Je respecte toujours mes engagements.

Quelle détresse dans son regard ! C’en devenait jouissif. Enfin, sa faiblesse eut raison d’elle. Jaeka perdit le rebord et fut entraînée par la pente rocheuse. Temrick l’entraîna vers une glissade de plus en plus abrupte, jusqu’à la chute totale.

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