Chapitre 26 : Pour l'honneur du pays (3/3)

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Elmaril s’élança pour récupérer sa lance. J’avais prévu son action ! J’écrasai sa main sous mes solerets. Elle n’eut pas le temps de broncher que la mienne se referma sur sa tête. Immédiatement, je la plaquai contre la roche et y écrasai la tête. Du sang y giclait ! C’était une humaine comme une autre, elle était capable de crever !

Loin s’en fallait. J’en avais affronté, des adversaires coriaces, ça dépassait le raisonnable ! Son crâne n’était pas fracassé après cet encastrement ? Pire encore… Elle déchargea sa bestialité dans un rugissement proche de l’animal. Je décochai alors une bourrade : Elmaril perdit l’équilibre mais se rattrapa au moment où je voulus l’enchaîner. Et elle se libéra comme lors des précédents assauts.

— Tu es très violent aussi, lâcha Elmaril. Sauf que tu ne l’assumes pas. En réalité, c’est toi, le sauvage ! Personne ne t’a jamais qualifié ainsi car tu te dresses du bon côté de la loi.

Rah, elle allait la fermer à tout jamais, je l’attaquai une bonne fois pour toutes ! Mais je ne la bigornais pas assez, car Elmaril me mordit la gorge. Ses dents pointues pénétrèrent dans ma chair ! Foutue barbare, ses crocs me déchiquetèrent comme des lames, m’arrachèrent un beuglement ! Je me dégageai de son emprise, laissant une plaie lancinante. Je… Je graillonnais carrément du sang, maintenant ! Vengeance était réclamée !

À mon tour, je lui mordis le bras. Elle se dégagea aussitôt avant de me marteler de coups de poing, poussant un cri de rage. Me protéger, riposter, c’était tout ce dont j’étais capable. Fournir l’ultime vigueur se dégageant de moi…

Pardon, compagnons…

Blessé jusqu’à l’os, taillé de partout, saignant comme un moribond… J’étais encore apte à lancer une dernière offensive ! L’opportunité de trop… Elmaril récupéra sa lance, brisa ma défense, transperça ma peau ! Un écho assourdi par l’environnement… Voilà tout ce qui sortait de ma bouche… À gerber.

Elmaril avait beau anhéler, rudoyée de lésions, elle n’en demeurait pas moins victorieuse. Elle gardait sa lance enfoncée sur mon épaule. Elle triomphait, je perdais. Dans quel monde vivait-on ?

— Tue-moi…, suppliai-je. Tu en meurs d’envie, je le sais…. Vas-y, prends ta revanche…

Mais Elmaril ne répondit rien. Elle se contenta de ciller, de me regarder de haut, et c’était déjà de trop. Elle avait morflé pourtant ! Pas autant que moi…

Un autre hurlement ? Qui en avait la force ? Moi qui crachais du sang par-dessus ma bave, je savais à peine me tourner… Margolyn ? Elle seule pouvait me tirer d’affaire ! Du haut de la pente, elle nous découvrait tout ensanglantés alors qu’elle geignait près du corps de Ralaia. Un choc pour elle… Une soldate tuée, l’autre sur le point de calancher… Mais elle devait se surpasser pour moi !

— Que s’est-il passé ? piailla-t-elle. Pourquoi Ralaia est morte ? Ce n’est pas possible !

Aucun de nous deux ne fut foutu de lui répondre. La jeune contourna la pente rocheuse et passa par le sentier. Elle s’approcha lentement de nous, son acte le plus courageux depuis des lustres ! D’habitude, elle aurait détalé en digne couarde qu’elle était ! Peut-être bien que j’avais de la veine… Ça rattrapait tout ce qui me plantait à genoux comme une mauviette, un gringalet… ou juste un vaincu.

Elmaril extirpa enfin sa lance ! Cette maudite douleur, elle allait s’arrêter, oui ou non ? Pas tant que personne n’intervenait… Là, devant moi, une lueur guinchait devant mes yeux ! Foutre ciel... Margolyn me jugeait au lieu de s’en prendre à notre ennemie ! Laquelle des deux était la vraie charogne ? Elmaril, qui rangea son arme et se courba pour mieux supporter ses blessures ? Ou bien Margolyn, qui me fixa les poings fermés sans lever un doigt pour moi ?

— Dis-moi la vérité ! exigea-t-elle. As-tu tué Ralaia ?

— Oui…, confirmai-je, le supplice vrillant tout mon corps. C’était une traîtresse… Ouais, une félonne comme pas deux !

Mes mots se calaient dans ma gorge, je n’arrivais pas à causer ! Un petit effort… pour plaider en ma faveur. Je perdais trop de sang, bordel !

— Juste avant que…, prononçai-je. Tout débute… Ralaia s’était portée garante d’Elmaril. Nos supérieurs, ils ont menti… Ils voulaient qu’elle représente notre nation, ou je ne sais quelle autre connerie. Soi-disant pour… terminer notre combat contre notre guerre sans fin contre eux. Tu…

Elle m’écoutait à peine ! Trop cruche pour piger ce que je disais… Le danger était derrière elle, pas devant ! Et mon sang continuait à s’échapper par litres…

— Menacer Bramil et frapper Stenn ne te suffisaient pas ? accusa Margolyn. Il a fallu que tu tues ta propre collègue !

— Je n’avais pas le choix ! me défendis-je. Ce… mensonge allait tous nous buter. Notre gouvernement… s’est associé à des tueurs d’enfants, pilleurs et violeurs de masse… Tout ça parce qu’ils sont trop lâches pour les affronter ! Ralaia… Elle le regrettait, mais le mal était déjà fait. Collaboratrice…

Notre inutile guérisseuse n’ouvrait pas sa gueule. Toujours à me bigler comme le mal incarné, celle-là ! Je devais la… convaincre.

— Réagis, bon sang ! tempêtai-je entre deux lancinements. Tu te rends compte… de ce que je te raconte ? No… Notre quête entière a été élaborée autour d’un mensonge ! Tu…

— Je m’en fous ! interrompit Margolyn. Tes histoires de trahison et de protection de royaume me passent par-dessus de la tête. Après tout ce temps, tu n’as toujours pas compris ? Je déteste l’armée ! Tu incarnes tout ce qui me répugne. Regarde ce que tu as fait ! Tu es juste fêlé, détraqué, malade ! Tu as tué ta collègue juste parce qu’elle a obéi aux ordres !

— C’est… C’est comme ça que tu me remercies ?

— Te remercier de quoi, au juste ? Vous n’apportez aucun bien à l’Ertinie. Vous causez plus de massacres que vous n’en combattez. Vous êtes soumis au joug de Carône et vous suivez ce pays envahisseur pour faire la guerre dans des pays dont vous ne savez rien, juste par soif de conquête sous prétexte d’y rétablir la paix ! Mais aucune paix ne sera obtenue tant que les armes existeront et des groupuscules légaux pour les utiliser !

Quelle pauvre d’esprit ! Je la piétinerais, je réduirais son bourrichon en bouillie ! Si j’en étais capable… Mais je ne l’étais plus. Encore des hallucinations ? Impossible de bien voir, d’entendre, ni même de bouger sans faire brailler un os. Le sang remontait tellement qu’il me bloquait la parole ! Facile, hein ? Facile de mépriser les innocents en position de faiblesse !

— Peut-être qu’un jour, reprit Margolyn d’un ton dédaigneux, il existera des institutions défendant la véritable justice. Vos actions ont causé des centaines de morts, en attendant. Des milliers.

— Et combien de personnes…, grognai-je comme un enragé.. Le clan d’Elmaril a buté combien d’innocents ?

— Votre armée existe depuis beaucoup plus longtemps et a commis plus de crimes ! La violence engendre la violence. Quand tu es sur le terrain, Gurthis, tu ne comprends pas mon dur labeur. Chaque jour, je vois défiler des crétins qui se battent pour des raisons absurdes, j’aperçois parfois des cadavres méconnaissables transportés par des gens insensibles ! On souhaite que je soigne des ingrats à longueur de journée, sans les juger, parce que c’est mon travail, celui qu’on m’a imposé à la naissance !

— Co… Comment oses-tu ? En quoi… ton… métier… est difficile ? Tu es assise au chaud… Tu es protégée par les murailles… Nous, on défend les innocents !

— Ton hypocrisie m’agace ! Non, tout m’agace chez toi. Ça me fait tellement plaisir que tu subisses enfin un retour de bâton. Tu es la raison pour laquelle je déteste l’Ertinie ! Un pays qui impose un avenir à ses citoyens derrière des fausses promesses de liberté. En particulier, vous, les militaires, faites la propagande d’idéaux que vous ne respectez même pas !

Pire que tout… Elle ne savait rien des soldats, rien de ma vie, rien de mes épreuves ! Guérisseuse de pacotille… Félonne, elle aussi… La lance ne m’avait infligé aucun dégât comparé à ce qu’elle me faisait endurer !

— Pourquoi je sauverais-je ta vie ? reprit Margolyn. Durant cette expédition, tu t’es contenté de menacer, grogner et tuer. Tu avais jeté le corps d’Arzalam parce qu’il avait tué Jyla, alors je n’ai aucune raison de te soigner ! Certains pensent qu’un guérisseur doit s’occuper de tout le monde sans jugement de valeur. Qu’ils aillent gentiment se faire voir.

J’hallucinais…. Jamais, non, jamais personne n’avait refusé de soigner un militaire ! Alors que je luttais de tout mon être pour ne pas m’effondrer, Margolyn me rejeta en faveur d’Elmaril.

— Gurthis s’est servi de toi, dit-elle. Il a tué Ralaia et a failli te tuer, pour ensuite t’accuser du meurtre. Heureusement que tu t’es montrée plus forte que lui.

— Moi, je n’ai rien fait, prétendit Elmaril. Il m’a attaqué et je me suis défendue, c’est tout.

Une scène improbable, même dans mes plus sombres cauchemars… Une guérisseuse et une barbare s’alliaient. Plus de frousse, plus de dignité, Margolyn était répugnante !

— Je… Je rêve ? m’indignai-je. Margolyn… Si tu aides Elmaril, elle vous trahira par après ! Tu soutiens… une meurtrière ! Tu… Tu as… perdu la tête ?

— Tu t’acharnes pour rien, rétorqua la soigneuse. Je me fiche de savoir qui Elmaril a tué. Dans cette histoire, tu es le meurtrier. Et tu sais quoi ? Je vais te laisser là. Crève, bâtard.

— Traîtresse à ta nation ! Sois… maudite à tout jamais !

Des insultes contre le silence... Ni Margolyn ni Elmaril ne se retourna, pas même pour me regarder une dernière fois. Lentement, elles remontèrent la pente et disparurent de ma vue. Je m’étais sacrifié pour le bien de la compagnie, et voilà comment on me récompensait ! En me crachant à la figure. Bramil, Margolyn, Stenn, tous se prétendaient innocents. Il n’en était rien.

Abandonné de tous… Qu’est-ce qui me restait ? Juste une insupportable et interminable agonie…

— Gurthis…, prononça une voix indistincte. Pourquoi persister ?

On me causait encore, on m’appela dans ma tête ! C’était mieux que rien… ou pire que tout.

— Tu en as tué une autre…, reprocha Malok. Et la mauvaise personne.

— Ralaia n’est pas ta première victime, ajouta sèchement Sharielle. Mais elle sera la dernière.

— Tu as bien vécu…, acheva Cyram. Laisse-toi mourir, ces dernières minutes n’ont rien à t’apporter. Rejoins-nous, Gurthis. Dans le néant infini…

— À quoi bon ? répondis-je sans énergie. Ce que je veux n’a plus d’importance. On m’a abreuvé de valeurs et de grands idéaux parce que je voulais y croire… À force de me convaincre que je m’étais engagé pour l’honneur du pays, j’ai renoncé à ce que j’étais. Comme si ça me permettait d’oublier ce monde…

Les voix se turent et disparurent à jamais. Ainsi partait mes compagnons… Notre obstination importait peu, notre objectif final ne s’accomplirait jamais. Tant que cet éternel bain de sang profitait aux puissants, ils ne cesseraient jamais de soutenir de faux principes.

La solitude comme ultime compagne…

Agir… Bouger… Me traîner comme un handicapé s’il le fallait ! En marchant, en rampant, je n’en avais rien à foutre, tant que j’arrivais à avancer, ne serait-ce que de quelques centimètres. Je me vidais de mon sang, je sentais mes muscles se disloquer et mes articulations gémir…

Je grimperais cette pente, mort ou vif !

Si seulement le soleil ne me morniflait pas… Si seulement mon sang ne se déversait pas sur la roche… Il n’y avait plus rien devant moi, pas la moindre trace de vie, juste des sillons rouge séchés. Elmaril et Margolyn avaient emmené le corps de Ralaia avec elles. Gagnantes jusqu’au bout…

Ma vue se brouilla… Mes oreilles bourdonnèrent… Mon cœur battait à peine. Mais j’arrivais encore à me retenir contre la paroi sans m’écrouler, je parvenais encore à fleurer l’ennemi. Elles déboulaient en masse… Des guerrières du clan Nyleï. Leur armure en cuir… leurs armes rutilantes… leurs tatouages… leurs cicatrices… et leur aspect. Aucun doute.

Elles palabraient dans leur langue… sûrement pour décider ce qu’elles me réservaient. Mon avenir était tout tracé. Face à face avec mes ennemis de toujours… Ni une coïncidence, ni un hasard, c’était un foutu signe du destin ! Je répondrais présent jusqu’au glas !

— Je ne vous laisserai… jamais…vous emparer de notre nation !

Aucune… Je n’en abattis aucune. Les guerrières m’embrochèrent de tous les côtés. Sans souffrance, sans râle, sans agonie. Juste dans la mélodie des armes.

En fin de compte, j’étais un citoyen comme les autres.

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