Chapitre 28 : La fin du voyage (2/2)

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— Personne n’est blessé ? s’enquit Margolyn, soulagée.

D’autres priorités nous tracassaient ! J’accordai un coup d’œil rassurant à mon amie puis m’avisai de l’identité de notre sauveteur, si toutefois nous pouvions le qualifier ainsi. Il avait une apparence bien insolite, ce jeune homme qui zieutait la carcasse ! Sa tunique grise pourvue d’une large capuche en laine le méprenait à un mage ordinaire. Par opposition, il portait des braies et des bottes de fourrures, un habit de paysan ! Mince et d’allure vigoureuse, cet inconnu dénotait de l’expérience et présentait pourtant un aspect soigné. Des boucles dorées cascadaient autour de son visage d’une blancheur extrême. Et ses intenses yeux verts… Belle évidence : des décennies de séparation avaient laissé les Nillois évoluer dans leur coin. Ils étaient adaptés à un milieu plus naturel mais aussi plus froid. Tomber sur cet individu constituait une première ouverture à leur monde.

L’homme s’intéressa peu au Kaenum vaincu. Une exécution banale à ses yeux ? Inutile de râler contre sa venue : c’était précisément ce que nous attendions. Maintenant que j’y pensais, notre rencontre s’apparentait à une coïncidence. Une sacrée coïncidence… Il était apparu peu après le début de notre affrontement contre le monstre. Un hasard, ou bien… Non, nous étions contents qu’il soit là ! Une personne vivante, en pleine santé et débrouillarde, nous n’exigions rien de plus. Une issue bénéfique pour tous !

Il n’y avait qu’une décision intelligente à entreprendre face à l’inconnu. Ça, Elmaril le comprit directement, puisqu’elle rangea sa lance et se dota d’un sourire affable. Jaeka hésita un peu et préféra me consulter pour choisir. J’opinai juste du chef, car ma tante se montrait souvent plus raisonnable en relations humaines. Elle rengaina donc son poignard et fixa l’étranger après un moment de silence.

— Qui êtes-vous ? questionna-t-elle.

Jaeka savait sa tentative inutile avant même de parler. Elle se mordilla les lèvres lorsque le jeune homme pencha la tête. C’aurait été trop simple qu’il maîtrise notre langue ! Heureusement que Stenn n’était pas seulement doué pour dessiner des cartes. Il s’approcha du Nillois qui recula par prudence, même si au fond de lui, il ne devait pas nous penser hostiles.

Enfin, c’était ce que j’espérais… L’érudit bredouilla quelques phrases dans une langue ressemblant à du patois. Je jugeais peut-être trop vite, mais sa prononciation n’était pas terrible, aussi le mage dut tendre l’oreille. Il finit par saisir le propos et lui répondit ! Bizarre d’écouter quelqu’un s’exprimer en langue étrangère, avec fluidité en plus ! Stenn revint vers nous dès qu’il eut tout capté.

— Ce jeune homme a opté pour lever toute ambiguïté, dit-il. Il s’appelle Raykad Ormez, et son rôle consiste à surveiller la frontière. Avant de révéler toute information supplémentaire, il souhaiterait prendre connaissance de nos origines. Que dois-je lui expliquer ?

Le mystère sur son identité était résolu. Raykad Ormez… Un nom guttural et abscons. Je n’allais pinailler sur cela, quand même ! Encore moins avec le premier étranger vivant et amical que nous croisions. Il restait tant de zones sombres à éclaircir, et une communication indirecte ne favorisait pas l’entente. Notre devoir consistait donc à discuter entre nous. Si nous prouvions au Nillois que nos intentions étaient honnêtes, il nous accueillerait probablement avec grand plaisir. Il n’avait pas l’air méchant, après tout !

Sauf qu’Elmaril demeurait fidèle à elle-même. Elle ignora les suggestions et examina le mage d’un œil suspicieux. Mais elle eut la jugeote de se comporter avec décence, se limitant à lui parler dans sa langue avant de reculer. Raykad fronça les sourcils et commenta à mi-voix. Stenn le traduisit sans distinction.

— Il nous identifie en tant qu’Ertinois, une affirmation foncièrement correcte. Diverses interrogations lui apparaissent, et à mon humble avis, il se tâte de les soulever. Je suggère de lui raconter toute la vérité afin qu’une confiance mutuelle s’installe entre nous.

— Ce serait trop long ! se plaignit Margolyn. Je suis contente de trouver quelqu’un de vivant, mais il faut un moyen plus rapide pour qu’il sache que nous sommes de son côté !

— Il a abattu notre ennemi avec sa magie, rappela Jaeka. Il n’aurait pas agi ainsi s’il ne voyait pas en nous des alliés.

— Donc c’est juste un gardien ? interrogeai-je. Je ne sais pas comme fonctionne leur société, mais nous devrions peut-être nous adresser à une plus grande autorité !

Je relâchai ma fin de phrase, regrettant déjà. Établir un lien avec les Nillois impliquait de procéder par étapes ! Ce gardien nous mènerait à ses compatriotes si nous exposions notre bonne volonté. Cet argument encouragea Stenn à se conduire comme un porte-parole. Même si je ne comprenais rien de ce qu’il racontait, il débita comme jamais dans une langue qu’il articulait péniblement. D'abord objectif, il suscita très vite l’émotion de son auditeur et insista sur certains passages de son récit. Notre cartographe réussit en une seule minute à décrire l’ensemble de nos péripéties, ce qui nous plongea dans le doute. Des semaines de labeur aussi condensées occultaient des événements de première importance ! Raykad semblait convaincu par le peu que Stenn lui partageait.

Une fois informé de l’importance de notre quête, le jeune homme nous accorda un regard compatissant. De la considération après tout ce temps ! Tout se résumait à une mission ayant mal tournée, indigne des récits héroïques et autres légendes. Mais Raykad comprenait nos peines, ou du moins, il nous considéra comme des êtres humains. Les frontières et le temps n’altéraient pas ce lien si précieux qui avait uni autrefois Ertinois et Nillois ! Dans un élan d’enthousiasme, il se montra plus loquace. Stenn s’empressa de le traduire de nouveau.

— Il m’explique qu’il loge avec sa sœur dans une demeure nichée dans ces bois, à quelques kilomètres de notre position. Elle est également gardienne de la frontière et mère d’un enfant. Ils s’alternent leur rôle dans cette région : ces jours-ci, Raykad a décidé de rôder sur cette large zone appartenant encore à son territoire. Il propose de vous accueillir dans leur demeure. Ils résident non loin d’une cité importante, si j’ai bien compris, et pourront nous y conduire après que nous nous y soyons reposés. Je lui ai informé que nos provisions sont quasiment épuisées…

Une bonne nouvelle… Oui ! Elle nous laissait sourire à pleines dents et expirer quelques soupirs de soulagement ! Une telle opportunité paraissait trop bonne pour être vraie. Je n’allais pas me méfier du premier inconnu, sinon nous ne parviendrions à rien. Chacun d’entre nous était assez clairvoyant quant à la nature humaine. Notre voyage nous l’avait appris.

À première vue, Raykad se révélait accueillant. Il serait stupide de refuser son aide, nous en avions besoin ! Un doute assombrissait tout de même mon esprit… Les pensées de ma tante semblaient aller dans ce sens aussi !

— Nous pouvons accepter votre proposition, accordai-je. Mais avant, j’ai une question à vous poser : êtes-vous les seuls à garder la frontière ?

Je ravalai ma salive au lieu de prolonger ma question. Il était préférable de ne pas mentionner notre précédente rencontre avec les Nillois : autant démarrer sur des bonnes bases. Cette vision s’opposait à celle de la franchise totale. Ils apprendraient la vérité tôt ou tard, ce n’était pas à moi de la révéler. Oh, je trahissais déjà mes principes ! Stenn posa la question malgré tout et écouta la réponse de Raykad.

— Cette partie du pays est peu peuplée, rapporta-t-il, parce que les montagnes y sont plus étendues. En revanche, paraît-il, à l’est de la Nillie, les villages abondent comme les champs. La densité de population semble assez inégale. J’espère que cela répond à notre question.

Je hochai la tête, à moitié satisfait. Cette explication résolvait une partie de mes interrogations, mais d’autres me taraudaient encore. Nous étions las de poireauter ici, à côté d’un cadavre encore fumant. L’idée de nous joindre à la civilisation, de quitter cette nature qui voulait notre mort nous tendaient les bras ! Raykad nous guida et nous lui emboitâmes le pas.

Le Nillois marchait selon un chemin bien convenu, comme sûr de lui. Il regrettait sans doute d’être incapable de discuter avec nous. Cette communication difficile le contraignait à commettre des choix douteux. Il connaissait peu de choses sur l’Ertinie, et l’existence des clans guerriers n’y figurait pas. Elmaril profitait de son ignorance pour le duper. Représentante de la communauté… Mon œil, oui !

Notre groupe était comme scindé en deux. Devant nous, Elmaril susurrait des paroles sûrement malsaines à l’intention de Stenn. Lui les répétait aussitôt, peut-être en les modifiant. Derrière, je regardais Margolyn et Jaeka, une attention particulière accordée à ma parente. Je n’arrivais pas à me confier à elle, même dans la discrétion ! Je m’évertuais, tant bien que mal, à me raccrocher à ses ultimes espoirs de concrétiser des semaines d’expéditions.

La demeure apparut au milieu des bois toute cette errance ! La première civilisation à laquelle nous nous heurtions depuis longtemps.

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