Chapitre 3 : L'académie des mages (2/2)

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Son sourire me convainquit de la justesse de mon choix et son silence me donna le temps de réfléchir. Je devais assumer ma décision. Néanmoins, je m’interrogeais sur la composition du groupe que je m’apprêtais à rejoindre. Qui d’autre voyagerait avec moi ?

— Tu as bien dit que tu devais sélectionner deux mages pour se joindre à l’expédition, rappelai-je. Vers qui se portera ton second choix ?

La maîtresse affleura ses lèvres de son index. Sur son faciès, je lisais… de l’embarras ? Elle refoulait ce type de sentiments, d’habitude !

— J’ai choisi Jyla, avoua-t-elle. Je me suis entretenue avec elle seule à seule tout à l’heure pour l’aviser de ma décision. Elle a accepté sans hésiter.

Jyla, bien sûr. Virtuose, polyvalente, aussi déterminée que sa tante. Bien qu’elle fût spécialiste dans la magie du feu, elle maîtrisait tous les autres domaines et avait prouvé sa valeur à maintes reprises. Cependant, ce choix était-il subjectif ? Istaïda prenait un risque conséquent en désignant une mage de sa famille. Quels autres desseins sibyllins la trituraient ?

— Très bien, acquiesçai-je. Ton choix est judicieux, et comme Jyla s’est portée volontaire, je ne vais pas m’y opposer. Ce sera l’occasion de rattraper les erreurs de sa mère.

Avais-je commis une erreur ? Ma langue avait fourché et cela avait assombri sa mine. Istaïda essayait de chasser de sa mémoire les atrocités commises par sa sœur aînée. Mais le Massacre d’Aernaux restait bien ancré dans les esprits après douze ans et servait de justification aux détracteurs. Un événement atroce que nous tentions d’extraire de nos souvenirs.

— Je ne voulais plus entendre parler de Lynta…, soupira la mage. Arzalam, qu’est-ce qui t’a pris ? Le temps n’efface en rien la douleur !

— Désolé…, murmurai-je. Je ressasse des mauvais souvenirs. Un passé que nous préférons tous oublier. Un passé qu’on nous rappelle sans arrêt. Pardon, je me suis rabaissé au niveau de nos détracteurs…

— Après toutes ces années, comprends-tu ce qui l’a poussée à devenir ainsi ? Parfois, j’ai l’impression que ma sœur avait perdu toute son humanité. Nous avions veillé l’une sur l’autre après la mort de nos parents. Ce n’est qu’après la naissance de ses premiers enfants que sa soif de pouvoir s’est accentuée. Cela me fait mal de penser que Jyla maîtrise la magie de destruction grâce à elle…

Elle s’interrompit pour baisser la tête. Ses yeux commencèrent alors à se mouiller de larmes. Ces réminiscences nous hanteraient-elles pour toujours ? Je les appréhendais quelques fois comme des cauchemars à effacer.

— Jyla n’est pas comme sa mère, assurai-je. Tu l’as choisie pour cette raison, non ? Elle a résisté à ses plus terribles manipulations. Elle a compris la folie de sa génitrice lorsque cette dernière a assassiné son mari et prétexté un accident. Lynta nourrissait des ambitions belliqueuses, effrayant ses propres enfants !

— À cause d’elle, la renommée de la magie n’est pas très positive… Est-ce que cette expédition permettra de nous rattraper ? J’en doute.

— Elle ne nous ressemble en rien ! Elle souhaitait s’emparer du pouvoir et tuait quiconque s’opposait à ses idéaux. Si tu n’avais pas été là, Istaïda, peut-être qu’elle aurait fait plus de victimes que les quelques centaines à son actif.

— Cela ne suffit pas ! s’époumona-t-elle. Lynta a tué la précédente maîtresse, mes amis et de nombreux éléments prometteurs. Crois-tu qu’il m’est facile de ressasser de tels souvenirs ? Je déteste ma sœur plus que toute personne au monde. N’importe qui de sensé n’imputerait pas à la majorité les actions d’une minorité… Jyla est la seule de sa famille à avoir assumé son statut de mage. Ses crétins de frères et sœurs sont partis vers d’autres voies. Je ne les vois plus. Je ne les reverrai peut-être plus jamais.

Je me maudis moi-même. Pourquoi avais-je lancé le sujet ? Jyla était fixée sur l’avenir et n’attendait que moi pour l’accompagner. Les larmes d’Istaïda avaient coulé sur ses pommettes, mais elles séchaient déjà. Elle s’était perdue dans sa sensibilité, essuyer ses joues n’y changeait rien. Heureusement, son visage redevint de marbre.

— Quoi que vous pensiez, reprit-elle, Jyla et toi êtes d’excellents mages. Ne tardez donc pas à manifester votre accord auprès de la conseillère Dratia Athonn. Elle vous expliquera tous les détails de votre voyage au nom de son souverain. Les préparatifs devraient être courts. À mon avis, vous partirez dans quelques jours tout au plus.

— Très bien. Où puis-je la trouver, et rejoindre Jyla par la même occasion ?

— Jyla m’a dit qu’elle t’attendrait dans le vestibule. Je lui ai confié le papier où les premières modalités sont inscrites, dont le lieu de cette réunion, qui se déroulera peu avant le coucher du soleil. En principe, vous devriez retrouver tous les autres membres de l’expédition.

Fort de toutes ces informations, je me levai de mon siège et saluai Istaïda. Mais elle m’attrapa le poignet au moment où je me retournais. Nous nous fixâmes derechef. Que signifiait ce regard ? Ses tressaillement semblaient se transmettre jusqu’à moi.

— Arzalam, supplia-t-elle, quoi qu’il se passe, fais en sorte qu’elle revienne indemne.

— Il ne lui arrivera rien, promis-je. Jyla a vingt-six ans et est une des mages les plus douées de l’académie. Elle sait très bien se débrouiller toute seule. Mes futurs compagnons, en revanche, m’inspirent plus de méfiance…

Je laissai mes appréhensions en suspens. Peu à peu, mes poignets se dérobèrent du contact de mon amie. L’avais-je rassurée ou l’avais-je confortée dans ses regrets ? Difficile à évaluer. Istaïda s’était rassise, pianotait la table de ses index, sa figure exempte d’expression. Personne ne pouvait prétendre qu’elle s’impliquait peu pour notre institution. Elle envoyait deux personnes proches dans une expédition risquée. S’inquiéter pour nous constituait une preuve supplémentaire de sa dévotion.

Je rejoignis placidement l’entrée du bâtiment. Comme lors de ma montée, je croisai quelques mages avec lesquels je n’entamai aucune discussion. Nos échanges se résumaient à des simples salutations. Se doutaient-ils de ma nouvelle mission ? Toutes les éventualités devaient être envisagées.

Le vestibule, élément principal de l’académie des mages. Comment des jeunes adeptes pouvaient la souiller en fricotant ensemble ? Ils ne m’avaient même pas aperçu. Trop occupés à s’embrasser, sans doute. Je ne voulais pas les importuner : en ce qui me concernait, ils pouvaient occuper leur temps libre selon leurs appétences. Mais Jyla pensait autrement.

— Hé, vous deux ! interpella-t-elle, les mains plaquées sur les hanches. À cette heure-ci, vous êtes censés suivre votre cours ! Retournez-y, tout de suite !

Les mages s’empourprèrent sous l’autorité que la jeune femme exerçait et détalèrent à toute vitesse, gênés. Belle entrée pour Jyla, de moins en moins tolérante envers l’insubordination.

Ah, Jyla, elle ressemblait tant à sa tante ! Outre ses yeux vert vifs, elle rabattait sa chevelure brune et lisse sur le côté. Son front saillant et son nez camus semblaient se détacher de son visage lisse. De taille moyenne, sa tunique grise en lin mettait en exergue sa silhouette mince. Le motif de son vêtement déployait une flamme persistante au centre de ses rayures pourpres. Sa cape en laine brodée, de teinte noire, flottait à hauteur de son pantalon bouffant. Moins souriante qu’Istaïda, elle se montra affable avec moi le temps de notre salut. Ordinairement, Jyla arborait des couleurs vives, mais cette tenue plus sombre lui seyait bien. Comment alliait-elle l’élégance à la sagesse ? Voilà un secret qu’elle savait garder. Ses traits se raidirent lorsqu’elle promena son regard aux alentours.

Jyla ne se remettait pas de l’attitude des deux jeunes. Était-ce nécessaire de s’énerver pour si peu ? En respirant de façon si saccadée, en foudroyant du regard quiconque déambulait ici, son charme s’estompait. Dommage, car cette jeune femme était plus respectable que la plupart de ses confrères et consoeurs. Ses talents et son opiniâtreté en inspiraient beaucoup.

— Ma tante t’a-t-elle informé de notre quête ? demanda-t-elle.

— Bien sûr, répondis-je. Comme prévu, je me suis entretenu avec elle. Désolé de t’avoir fait attendre.

— Tu annonces notre départ comme une routine, remarqua Jyla. Temrick est très dangereux, je suppose que tu es le premier à le savoir. Mais je n’ai pas peur.

— Ton courage m’impressionnera toujours, Jyla.

— J’ai besoin d’exploration. Je veux me sentir vivre. Ici, il y a des visages que je ne supporte plus de voir. Les apprentis de cette génération sont vraiment des incapables. Ils préfèrent s’amuser plutôt que de prendre leur formation au sérieux !

— Est-ce vraiment pertinent de critiquer la jeunesse ? Tu n’es pas beaucoup plus âgée qu’eux. Et puis, lors de ta formation, il existait aussi des jeunes comme ceux que tu viens de réprimander.

— Je ne suis pas comme eux ! se défendit la jeune femme, vexée.

— C’est vrai. Tu as toujours été plus consciencieuse que les autres. Nous verrons si tu détiens toujours cette qualité. Avant de partir, j’ai une ultime question : qu’est-ce qui t’a encouragée à accepter la proposition de ta tante ?

Jyla se dirigea vers l’entrée comme pour se soustraire de mon interrogation. Sa démarche appuyée traduisait une minutie héréditaire. Réfléchissait-elle ou bien se gaussait-elle de moi ? Quand nos regards se croisèrent de nouveau, j’interprétai le fond de ses pensées.

— J’essaie de me donner des motivations altruistes pour combler mes envies égoïstes, expliqua-t-elle. D’un côté, j’aimerais représenter les mages de mon royaume pour cette mission. Mais je voudrais aussi prouver ma propre valeur. Je ne veux décevoir personne…

J’acquiesçai à défaut d’approuver totalement. Nous émergeâmes ensuite à l’extérieur. Dès que la lueur solaire me cingla le visage, je réalisai toute la portée de notre quête. Nous cheminions à deux, mais Jyla menait la marche, puisqu’elle connaissait le trajet à suivre. Mes pensées me ralentissaient, toutefois… Si même elle se mettait à douter, qu’allait-il advenir de nous ?

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