Chapitre 9 : Issue incertaine (2/2)

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Une lueur verte se diffusa de mes doigts. Ce sort de guérison, quoique très basique, adoucissait les maux. Frôlais-je les limites de ma magie ? Il me suffisait de puiser dans le flux environnant, m’en sustenter pour baigner dans ma propre énergie. Un léger sursaut me parcourut, rien qui ne pût m’altérer, j’étais indemne et Bramil le redeviendrait. Il vivait un moment de repos après un long supplice. Je n’avais pas seulement ôté des vies, j’en avais sauvé une. Voilà aussi ce que les mages pouvaient accomplir ! Devaient-ils suivre mon exemple ou étions-nous une cause perdue ?

Quand Margolyn revint, son matériel dansait entre ses bras. Arzalam et Jaeka la suivaient de près. La guérisseuse dispersa promptement quelques herbes dans une gourde, ouvrit la bouche de l’endormi, le fit déglutir plusieurs gorgées puis allongea la couverture. Nous vérifiâmes une dernière fois l’état du jeune homme avant de nous relever.

— Va-t-il s’en sortir ? s’enquit sa tante, les larmes aux yeux.

— Son état s’est stabilisé, consolai-je en posant ma main sur son épaule. Vous n’avez plus à vous inquiéter.

— N’exagère pas, Jyla, trancha Margolyn. L’ascension à Temrick sera difficile pour lui avec un seul bras. Tant pis, c’est de sa faute. Ce ne serait pas arrivé s’il s’était montré moins fougueux !

— Tu dois la rassurer, pas enfoncer le couteau dans la plaie !

— L’éthique me force d’être positive, je refuse de m’y soumettre. Je préfère être honnête.

Son attitude empêchait la maréchale de décrocher un sourire. L’envie ne me manquait pas de la plaquer contre un arbre, mais je me retins. Cela raviverait inutilement les tensions.

Margolyn haussa les sourcils et s’écarta de la conversation tandis que Jaeka cherchait à se rapprocher de son neveu. Pourquoi Arzalam la devança, il s’intéressait tant que cela à lui ? Son silence prolongé me perturbait, tout comme son coup d’œil furtif.

— Tu t’es très bien débrouillée, complimenta-t-il. Tes talents en guérison n’ont rien à envier à ceux des mages spécialistes.

— Ah oui ? fis-je, dubitative. Pourtant, j’ai tué plus que je n’ai sauvé…

— Ne te mésestime pas. Jyla, je ne m’étais pas rendu compte que tu étais exceptionnelle. Tu es la plus apte à enquêter sur les mystérieux phénomènes de Temrick.

Que signifiait ce commentaire ? Arzalam… Un homme singulier dans notre académie. Je ne l’avais vu se battre qu’à une seule reprise, lorsque ma mère détruisait tout ce qui nous était cher et ôtait des vies comme on privait une fleur de ses pétales. Depuis lors, il s’était uniquement intéressé aux concepts théoriques inhérents à notre domaine, et bien qu’il fût un ami proche de ma tante, je dialoguais peu avec lui. Un homme sibyllin et déterminé dont les actions s’avéraient incompréhensibles.

L’arrivée de nos autres alliés ne se fit pas attendre. Gurthis et Ralaia tenaient les deux derniers chevaux par la bride, lesquels transportaient désormais une lourde charge. Derrière, Stenn perdait l’espoir d’un voyage sans problèmes. J’avais oublié un moment cette histoire… Bramil avait échappé à la mort, d’où le retour d’un blâme soutenu. Erak ignora ses appréhensions et réconforta son épouse, puis son regard vagabonda entre les membres de sa famille.

— Il survivra, lâcha Margolyn. Il devra juste se reposer quelques heures.

— Quelques heures ? répéta ironiquement Elmaril. Très bien, et après ? On ne se remet pas facilement d’une amputation. Dans le meilleur des cas, il faut quelques jours pour recouvrir sa forme.

— Nous en déciderons quand il sera réveillé, avança notre chef. Nous méritons une pause aussi.

Une pause ? Ce ne serait pas de refus, en effet. Aider Bramil m’avait été plus éprouvant que de terrasser ces engeances de la nature. Il faudrait juste arrêter de se confronter avec les mots maintenant que nos armes avaient assez crié. On en avait oublié la langue d’Elmaril, aussi perçante que sa lance.

— Il vaut mieux éviter de traîner dans les parages, suggéra-t-elle. J’ignore comment fonctionnent les meutes de Kaenums. D’autres viendront. Est-ce qu’on survivrait à une deuxième attaque avec un mutilé avec nous ? Il va nous ralentir. Je suis d’avis de le renvoyer à la capitale.

— Pour qui te prends-tu ? s’opposa Erak. Tu ne choisis pas ce qu’il doit advenir de mon neveu ! Un bras lui suffira amplement pour nous suivre. Il pourra continuer de se battre !

— Arrêtez de nier la réalité. Notre expédition doit se débarrasser des personnes inutiles. Vous ne voyez pas que votre neveu et votre femme ne savent plus y participer ?

Jaeka s’empourpra de honte et baissa la tête à la mention de son nom. Mes efforts pour l’apaiser se révélaient vains.

— Jaeka n’a rien à voir là-dedans ! tonna Erak. Laisse-la tranquille !

— Vous refusez de les sauver ? répliqua Elmaril. Mais regardez-les ! Bramil est amputé et Jaeka est terrorisée. Leur place n’est pas dans cette compagnie ! Sans les chevaux, votre femme n’a plus aucune utilité.

— Ça suffit ! vociféra Ralaia en s’approchant. Tu n’as fait qu’apporter des problèmes depuis que tu es parmi nous. Donne-nous une seule raison de te laisser encore en vie !

Elmaril agrippa Jaeka par le poignet et lança un coup d’œil dédaigneux à quiconque osait faire preuve d’hostilité à son égard.

— J’ai sauvé la vie de ce gamin ! se défendit-elle. Saviez-vous ce que faisait sa tante après qu’il soit tombé de son cheval ? Elle a préféré sauver son animal plutôt que lui !

Comment osait-elle ? Erak lui flanqua un coup de poing au torse et la jeta sur le côté. Il dompta sa colère pour ne pas rudoyer davantage la guerrière dissidente.

— Répète ça encore une fois et tu peux dire adieu à ta tête ! menaça-t-il. Tu nous guides, tu batailles à nos côtés, mais si tu fais encore du mal à mes compagnons, rien ne te protègera de mon courroux. Ne touche plus jamais ma femme, c’est compris ?

— Je ne toucherai plus jamais à Jaeka, promit la sauvage.

Elle se redressa et épousseta son plastron comme si de rien n’était. Insensible, ce mot suffisait-il à la définir ou allait-elle révéler des sentiments plus complexes ? La mort ne l’effrayait nullement : pour cette raison, elle manifestait son opposition en toute impunité. Gurthis et Ralaia pouvaient l’invectiver autant qu’ils voulaient, seul notre meneur était capable de contrôler son comportement.

Alors, faute de mieux, Gurthis se focalisa sur Arzalam. Elmaril avait déjà été calmée, il souhaitait probablement déverser sa rancœur contre quelqu’un d’autre. Il impliqua mon confrère malgré lui.

— Pourquoi le regardes-tu ainsi ? provoqua-t-il. Tu nous ignores depuis trop longtemps, Arzalam. Tu ne te sens pas concerné par tout ce qui nous arrive ?

— Peux-tu le laisser tranquille ? proposa Stenn sur un ton trop doux. Tu n’as aucune raison de le morigéner pour des actes qu’il n’a pas commis.

— Eh bien, il aurait dû agir. Jyla a sauvé la vie de Bramil. Qu’a-t-il fait pendant ce temps ? Tu as des motivations égoïstes, Arzalam, admets-le.

À lui de répondre, je ne le connaissais pas assez pour le défendre. Mais si ce vieux soldat bourru accusait la magie de tous les maux, je devais agir, il en allait de mes convictions personnelles. Mon camarade, placide, ne cédait pas aux réprimandes. Je le reconnaissais bien là : il intériorisait toujours ses tourments. Face à ce contempteur, il se retourna et croisa les bras derrière son dos.

— Je défends les intérêts de tout le monde, déclara-t-il. Je n’ai juste pas encore eu l’occasion de prouver ma fidélité au royaume.

— Tu ne ressens aucune fidélité pour l’Ertinie, accusa le soldat. Tu ne fais que défendre les intérêts de ta propre communauté en méprisant le reste de la population. Vous, les mages, êtes sectaires au possible. Vous avez répandu la mort dans tous les pays où vous avez eu de l’influence.

Armé de patience, Arzalam était apte à démentir ses dires. Gurthis nous avaient asséné assez d’invectives pour aujourd’hui ! Bramil était sain et sauf, cela ne lui suffisait pas à prouver son fourvoiement ? Ces propos étaient diffamants, je me plaçai donc entre mes deux compagnons et réprimandai le vétéran du regard.

— Assez ! protestai-je. Ce que tu dis sur la magie est faux, rien qu’en Skelurnie, par exemple, les mages ont beaucoup d’influence sociale, politique et culturelle et le pays se porte bien ! Tu n’en as pas marre de nous critiquer sans cesse ? Les mages ne sont pas tous des êtres dangereux ! Toute notre vie, nous nous sommes battus pour rendre l’Ertinie meilleure !

— Contre ta mère, la mage génocidaire ? Oui, je me souviens très bien du Massacre d’Aernaux… Vous avez dû rattraper vos propres erreurs !

— Et que penses-tu du massacre militaire de l’an 1224 ? Nous n’étions pas nés, mais cela ne change rien ! Eux aussi ont essayé d’éliminer tous leurs opposants par idéologie, détruisant plusieurs villages au passage ! Sans évoquer les dictatures militaires introduites par des despotes, qui se prolongent encore aujourd’hui !

— Tu es obligée de citer des exemples lointains et de te défendre en m’attaquant. Oui, je déteste la magie de tout mon être. Elle a commis bien plus d’atrocités que de bonnes choses.

— Tu es vraiment fermé d’esprit. Ce n’est pas la magie le problème, ce sont les personnes qui l’utilisent. Les génocidaires se sont servis de magie, d’armes ou d’autres moyens pour massacrer des populations. Il faut les blâmer plutôt que de critiquer leurs méthodes. Ils seraient parvenus à leurs fins quelle que soit la manière.

Je plaquai mes poings contre les hanches. La gestuelle supplantait mes paroles : j’étais suffisamment rentrée dans son jeu. Reprocher à mes compagnons de s’éterniser en disputes avait des limites quand mes actions rejoignaient les leurs. Notre nature nous imposait-t-elle notre conduite ? Jamais notre groupe ne serait uni, à ce rythme…

Gurthis ne répondit pas ou plutôt ne réussit pas à répliquer. Ouf ! Peut-être avait-il compris que ses jugements nous exaspéraient. Même Ralaia réprouvait ses pensées concernant les mages, ses priorités se situaient ailleurs.

Un calme morne se développa au silence de chacun. Nous haletions, notre voix ne portait plus nos mots. Combien de temps supporterions-nous ces différends ? Un peu de repos maintenant, les montagnes ne promettaient pas de nous en offrir, et nous avions vécu assez de drames.

Des comportements raisonnables me détendirent. Erak ne beugla pas pour rétablir l’ordre, Elmaril ne glissa aucun commentaire sarcastique, Margolyn ne râla pas et Gurthis cessa de tancer les autres. Un seul mouvement se produisit : Jaeka se détacha de la tendresse de son époux et rejoignit son neveu. Elle caressa ses mèches blondes alors qu’il dormait encore

— Avez-vous fini de vous disputer ? se lamenta-t-elle, l’air mélancolique. Ces conflits internes ne résoudront rien et ne nous aideront pas à avancer. Nous avons perdu beaucoup aujourd’hui. Si nous poursuivons sur cette voie, jamais nous n’atteindrons notre objectif.

— Tout va bien, mon amour ? s’inquiéta son mari. C’est pour toi que ce doit être le plus difficile. Je suis désolé pour toutes ces pertes.

— Nous sommes en vie, c’est l’essentiel. Mais les chevaux… J’en élevais certains depuis des années. Kenda et Corin s’étaient assurés de leur bien-être, qu’un jour ils participent à de grands voyages… Et puis, j’étais enfin contente de retrouver Bramil, et voilà qu’il a perdu un bras. Qu’allons-nous devenir ?

— Nous allons réussir. Bientôt, nous traverserons Temrick et je m’assurerai que nous parviendrons tous de l’autre côté.

Croyait-il en ses propres mots ? Les promesses réconfortaient les désespérés mais la réalité ne fabulait jamais. Épreuves se succédaient dans une société dont le sens s’était perdu depuis des lustres.

J’enviais tout de même Erak et Jaeka : leur résistance psychologique dépassait toutes les prédictions. Ils avaient traversé moult épreuves et leur couple subsistait toujours. Mes expériences amoureuses furent éphémères comparée à la solidité de leur couple.

Nous rassemblâmes nos affaires autour de Bramil et nous préparâmes à nous reposer. La journée avait bien avancé et nous avions perdu la volonté de poursuivre notre voyage pour aujourd’hui. Progressivement, nous nous remettions de nos émotions.

Une vie de secourue… À quel prix ? Pour combien de temps ? Ces questions me tarabustèrent bien avant mon sommeil et me rôderaient encore longtemps après.

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