Mission

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Julius était penché sur la table holographique où plusieurs unités de la flotte miniaturisées étaient représentées. L’un d’eux était celui du vaisseau amiral Odysséas, en orbite stationnaire de Képhas depuis quatre jours, et rien jusqu’à présent ne s’était produit. Machinalement, il se gratta son crâne chauve en poussant un long bâillement tout en observant sur un moniteur en hauteur la planète minérale, rendue verdâtre par son atmosphère hautement riche en divers gaz.

La mission du puissant bâtiment était de protéger un convoi de minerais de fer raffinés en provenance de la planète minière, à destination de Terre Nouvelle. Un convoi suffisamment important pour intéresser les Black-Trons, dont certains vaisseaux-espions avaient été repérés un peu plus tôt dans le secteur. De ce fait, les instances supérieures de la Police Spatiale redoutaient une attaque sur la procession. Depuis quatre jours, l’équipage était sur le qui-vive, prêt au combat.

Le jeune Néo-sapiens avait été affecté sur l’Odysséas en tant qu’aide stratégique. Celui-ci savait pertinemment que c’était pour son intelligence qu’il avait été sélectionné et non pour son peu d’expérience. Seuls les grades de caporal et de sous-lieutenant étaient habituellement préposés à ce poste.

Depuis leur départ de Neyria, il réfléchissait à la situation sur cette table holographique afin d’anticiper les mouvements ennemis, mais il n’aboutissait à rien par manque de données. Les apparitions de vaisseaux Black-Tron étaient trop aléatoires, voire hasardeuses.

Après un examen approfondi sur les pertes engendrées sur les ressources à la suite des affrontements de ces trois dernières années, Julius avait déterminé que la quantité volée n’était pas suffisante pour l’ensemble de la base stellaire des Black-Trons. Autant d’efforts pour finalement si peu de résultats. Julius, tout comme les officiers supérieurs, soupçonnaient que cela cachait quelque chose. Ces ressources devaient probablement leur servir à autre chose qu’à l’expansion de leur infrastructure, à moins qu’il ne s’agisse d’agressions pour tester les défenses de la colonie et que d’autres, de plus grandes envergures, étaient à prévoir.

De plus, le Lunar Centaury allait entrer en alignement parfait avec Terre Nouvelle dans quelques jours, ne laissant que la ceinture d’astéroïdes comme obstacle entre les deux. Le haut commandement redoutait un assaut d’importante ampleur et une opération de contre-attaque était en discussion à Centralville. Cependant, l’incertitude était dans chaque point soulevé et il était difficile de prédire les actions de l’ennemi.

— Agent Derry ?

Julius releva la tête. C’était le capitaine Ferne. Il se redressa subitement et salua son supérieur. Depuis sa grande taille, il se rendit compte qu’elle était bien petite par rapport à lui.

— Repos, dit-elle. Est-ce que vous avez pu avancer ?

— Pas le moins du monde, capitaine, se résigna-t-il. Les activités de l’adversaire sont trop fortuites et illogiques. Quelque chose nous échappe ou alors ils ne sont absolument pas organisés. Il y a peut-être aussi autre chose de plus sournois.

— Je le pense également, répondit-elle en hochant la tête. Depuis que nous sommes là, nous avons constaté une activité étrange à proximité, mais rien qui ne nous permette de tirer des conclusions. Enfin… Nous avons reçu une communication de Képhas : le convoi est prêt à décoller de la base, il sera à notre portée dans une heure. Nous partirons dès qu’il nous aura dépassés. Transmettez-moi toutes vos nouvelles observations. L’ennemi va probablement se mettre en activité à ce moment-là.

— Bien capitaine.

L'officier supérieur sortit en refermant la porte. Julius se laissa aller sur son fauteuil et pendant un instant il prit soudainement conscience de sa fatigue. Cela faisait maintenant vingt-sept heures qu’il n’avait pas dormi. Il avait été tellement concentré sur son travail qu’il n’avait pas fait attention au temps écoulé. Il enfouit sa tête dans ses mains et se posa un moment pour récupérer. La porte se rouvrit à nouveau.

— Julius ?

Cette fois-ci, c’était Junie. Elle aussi avait été affectée sur l’Odysséas comme opératrice dans le hangar de vaisseau.

— Ah ! Bonjour Junie, dit-il en la voyant. Je ne t’ai pas entendu arriver.

— Est-ce que ça va ? demanda-t-elle. Tu es tout pâle.

— Je vais bien, ne t’inquiète pas.

— Je remarque bien que tu n’as pas pris ta pause depuis un moment, répliqua-t-elle. Tu as les traits de ton visage tirés par la fatigue.

— C’est vrai, admit-il. J’étais concentré sur mon travail.

— Allez, viens avec moi, insista-t-elle en lui prenant le bras. Je partais manger. Allons-y ensemble.

— Désolé Junie, mais je n'ai pas le temps. Nous sommes en état d’alerte de niveau 1 et je dois évaluer la situation afin d’anticiper les actions ennemies !

— Tu n’y arriveras pas si tu tombes dans les pommes. Allez, viens te nourrir un peu !

Il finit par céder, battu par les grognements de son estomac, et accompagna sa camarade au réfectoire. Ils prirent chacun un plateau-repas et s’installèrent à une table. À la première fourchette, Julius se sentit revivre.

— Tu as bien fait de me sortir de ma planche holographique finalement, dit-il entre deux bouchées. Je n’avais pas constaté à quel point j’étais affamé.

— Je te l’avais dit, fit-elle remarquer. Tu es peut-être un peu trop exploité. Mais à toi aussi de t’organiser dans ton emploi du temps.

— Tu as raison. C’est ma première longue mission dans l’espace et je ne sais pas comment est la vie à bord d’un vaisseau amiral.

— Il faut savoir s’arrêter de temps en temps tout simplement.

— Il m’arrive d’envier Spiros, avoua-t-il. Il est en poste à Jéricho à faire des rondes de surveillance. Rien de plus tranquille…

— Mais si les Black-Trons attaquent de son côté ?

— Avec un seul chasseur, je doute qu’il puisse faire quelque chose. Son rôle consistera surtout à alerter la base pour l’évacuer.

— Dans ce cas, à quoi ça sert de faire des rondes sur une lune éloignée, où les communications mettent des heures à atteindre Neyria ?

— C’est un protocole obligatoire depuis la découverte des sites Black-Tron sur Damass. On doit s’assurer qu’ils ne cherchent pas à s’implanter sur d’autres planètes ou lunes du système.

— J’ai entendu dire que lors de leur libération, les prisonniers ont reçu un message du Conseil de Centralville à faire passer à leurs chefs. Tu penses qu’ils ont répondu ?

— J’en doute, rétorqua Julius. On nous en aurait parlé. Bon, je dois retourner travailler. Merci de m’avoir accompagné, on se revoit à la prochaine pause.

— Mais… ? Tu n’as pas terminé ton…

Elle constata avec dépit que le plateau-repas de Julius était déjà vide.

— Je dois faire vite, dit-il. Ce que j’ai à faire est assez urgent, le capitaine attend un rapport très rapidement.

Le Néo-sapiens déposa ses restes sur un chariot approprié et s’en alla.

— Et moi qui pensais passer plus de temps avec lui…, souffla Junie en plantant sa fourchette avec agacement.

De retour à son poste, Julius se remit tranquillement à sa table, revigoré par ce repas simple, mais consistant. Il pianota rapidement sur le clavier afin de superposer une mise à jour de la carte de la zone spatiale et….

Il se leva d’un bond. Un détail était apparu à la suite de cette synchronisation. Un détail suffisamment important qui pouvait expliquer clairement l’activité des Black-Trons à proximité. Il sortit en toute hâte après avoir copié les données sur son Holocom et se rendit sur le pont de commandement.

— Capitaine ! s’écria-t-il en entrant dans la vaste pièce où opérait une grande partie de l'équipage sur des moniteurs holographiques.

— Oui agent Derry ? répondit Ferne, étonnée de le voir arriver si précipitamment.

— Je crois avoir découvert quelque chose, dit-il, essoufflé. Les dernières informations nous ont bien indiqué qu’une activité ennemie avait été observée dans les environs depuis des mois ?

— Effectivement, pourquoi cette question ?

— Je pense savoir pourquoi. Tenez !

Il lui tendit son Holocom avec une cartographie de la zone. Elle étudia un instant l’image holographique sans comprendre.

— Je ne vois pas où vous voulez en venir…

— Un objet spatial est entré dans notre champ de vision il y a une heure à peine, d’où la raison de notre ignorance. Capitaine, ils ont un avant-poste avancé dans l’orbite de Képhas !

***

Le cargo avait enfin décollé du site de raffinerie, accompagné de trois chasseurs Protectors et du Striker piloté par Niki. Ils rejoignirent l’Odysséas sur l’orbite de Képhas avant de prendre la route de Terre Nouvelle. Le vaisseau amiral resta en retrait, protégeant les arrières du convoi. Leur vitesse était adaptée à celle du navire de charge, ce dernier étant le plus lent de tous.

Il était impossible pour un bâtiment de ce type d’avoir un réacteur semiluminique. Les chasseurs virevoltaient sur ses deux côtés, le soutenant ainsi sur les deux flancs à la fois. Sur leur gauche, à environ quatre cent mille kilomètres de leur position, la petite lune ferreuse Damass leur apparut, minuscule à côté de Képhas qui était l’une des planètes les plus imposantes du système.

Le voyage allait durer trois jours à ce rythme. Les chasseurs devaient être remplacés toutes les cinq heures afin que les pilotes puissent se reposer. Il y avait trois escadrilles en tout : la première était dirigée par l’adjudant Bannoc qui coordonnait également l’ensemble des appareils de combat, à bord d’un Striker modifié. La seconde et la troisième étaient respectivement menées par les sergents Pellia et Desrives. Une seule flottille était en vol, permettant aux deux autres d’être en pause de manière alternative.

Sur le pont de l’Odysséas, le capitaine Ferne et le lieutenant Perguet observaient le convoi sur le plan holographique tandis que Julius analysait une énième fois les informations de la carte.

— Êtes-vous sûr de vos conclusions, agent Derry ? demanda Perguet, peu convaincu par la théorie de ce dernier.

— Je ne peux l’affirmer pour le moment, répondit Julius. Mais les nouvelles données que j’ai pu recueillir expliqueraient l’activité des Black-Trons à proximité.

— Nous n’avons guère le temps pour des suppositions, répliqua Perguet. Il nous faut des preuves concrètes !

— J’ai vérifié la véracité des propos de l’agent Derry, défendit Ferne. Une première station minière de M:Tronic avait bien été installée sur l’astéroïde Orphos, il y a trente ans de ça. Le site a été abandonné à la suite d’une instabilité de la structure rocheuse qui a causé de nombreux accidents.

— Cela ne dit pas pourquoi les Black-Trons opéreraient dans ce secteur, insista le lieutenant, ni sur ce tas de cailloux précaire…

— Nous savons qu’ils volent nos ressources afin de concevoir de nouveaux vaisseaux de guerre, expliqua Julius. Ils ont probablement une usine de fabrication au sein du Lunar Centaury, mais la distance est telle que nous aurions dû les rattraper à plusieurs reprises. Or, ils nous ont échappés à chaque fois, toujours dans la région de Képhas. L’interprétation la plus plausible réside dans le fait qu’ils ne se rendaient pas sur la Lune noire, mais sur un poste avancé très proche, l’astéroïde Orphos par exemple. Avec ceux découverts sur Damass, cela concrétise mon hypothèse. Et c’est probablement sur ce même site qu’ils entreposent les marchandises volées avant de les acheminer au Lunar Centaury. Voilà comment ils disparaissaient après leurs attaques éclairs.

— Dans un vieux complexe prêt à s’effondrer ? Cela n’a pas de sens !

— Je suis d’accord, affirma le capitaine, mais l’heure n’est qu’aux suppositions et nous ferons une enquête sur le sujet en temps voulu. Nous savons au moins qu’ils souhaitent augmenter leurs forces armées, le reste viendra ensuite.

— Notre police est déjà limitée face à leur puissance de frappe, fit remarquer Perguet. Pourquoi chercheraient-ils à s’agrandir encore ?

— Je l’ignore, lieutenant, répondit Julius. Mais le site d’Orphos est idéalement placé pendant deux semaines tous les mois entre Terre Nouvelle et Képhas. L’astéroïde suit le mouvement de cette dernière, seule la ceinture fait obstacle. Quand on regarde le cycle des attaques avec celui de l’astre, tout coïncide. Et si ma théorie est exacte, celui-ci se situe très près de nous. Une offensive venant de là est donc à envisager.

— Nous aviserons le haut commandement dès que nous aurons dépassé la ceinture d’astéroïde, dit le capitaine. En attendant, nous avons un convoi à escorter et à protéger. Que tout l’équipage se tienne prêt ! Nous passons en niveau d’alerte 2 !

— Bien capitaine, répondit le lieutenant.

Il exhorta le sous-lieutenant de communiquer l’alerte à tout le personnel et donna ensuite quelques ordres à l’équipe d’artillerie et demanda à l’opératrice de contacter les chasseurs qui accompagnaient le cargo.

— Agent Derry, appela Ferne, je souhaite que vous m’établissiez au plus vite les différents scénarios possibles sur la situation. Je veux que nous soyons prêts à la moindre attaque.

— Bien capitaine.

— Mais avant cela, je requiers que vous preniez du repos, agent Derry. Vos cernes vous trahissent.

— Ah… heu… à vos ordres, capitaine.

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