Préparations

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Assis dans un fauteuil blanc, par ailleurs très confortable, face au capitaine Ferne, l’adjudant Kerrel attendait que cette dernière achève de consulter son rapport sur son écran holographique. De temps à autre, la stupéfaction se lisait sur son visage à travers ses lunettes rondes. Lorsqu’elle eût fini de lire, elle éteignit son moniteur et soupira.

— Alors ça y est, dit-elle dans un murmure. Cette fois, nous en sommes sûrs.

— Hélas, capitaine, déplora Kerrel. Nos pires craintes étaient fondées, confirmant la théorie de l’agent Derry.

— Il aurait été préférable qu’il en soit autrement, fit-elle remarquer. Mais dans un sens, cela nous permet d’avancer enfin dans nos investigations. Quelle ironie !

— Comme je l’ai souligné dans mon rapport, une opération de sauvetage est possible. Mais nous manquons d’effectifs avec les autres missions en cours.

— Et nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre plus longtemps… la vie de l’adjudant Bannoc est en jeu une nouvelle fois.

— Nous n’avons pas d’agents suffisamment expérimentés pour une opération de ce genre, ajouta Kerrel. Qui voulez-vous prendre ?

— Je vais en choisir quelques-uns parmi ceux qui sont disponibles, répondit Ferne, ceux qui me paraîtront les plus aptes. Ils gagneront leur expérience sur le terrain, comme nous l’avons tous fait depuis cinq ans. Vous pouvez disposer pour l’instant. Je vous contacterai dès lors que j’aurai établi l’ordre de mission.

— Bien capitaine.

L’adjudant Kerrel se leva et salua avant de sortir du bureau. Le capitaine Ferne se laissa aller dans son fauteuil. Cela ne faisait que trois heures qu’elle avait repris le service après ces quelques jours de repos sur Terre Nouvelle et elle sentait déjà une fatigue accablante l’envahir.

Le rapport de l’adjudant Kerrel n’avait pas apporté de bonnes nouvelles. Durant la semaine précédente, des équipes de reconnaissance avaient constaté une activité Black-Tron sur le site d’Orphos, exactement comme l’avait présagé l’agent Derry.

D’après les clichés pris durant les observations, l’ennemi avait investi le satellite naturel de Képhas afin d’en faire un poste avancé, et ce, malgré l’instabilité de la structure rocheuse de l’astéroïde. Certaines photographies montraient également le chasseur de l’adjudant, la Comète Bleue, posé sur la plateforme d’atterrissage.

Mais qu’espèrent-ils en faire ? se demanda-t-elle ?

Elle secoua la tête. L’heure n’était plus aux questions, mais aux agissements. Comme l’avait suggéré l’adjudant Kerrel dans son rapport, une opération d’intervention devait être mise en place pour secourir l’adjudant Bannoc. Mais qui envoyer ?

La moitié des effectifs de la Police Spatiale était partie avec le nouveau vaisseau-amiral, dirigé par ce prétentieux de Rodrigues, durant encore trois semaines de l’autre côté du soleil. Tous ses meilleurs éléments étaient également occupés dans les opérations quotidiennes. Il y avait bien l’agent Derry qui, malgré un manque d’expérience, pouvait être un atout de taille grâce à son intelligence…

Une autre question se posait à elle : comment s’approcher d’Orphos sans attirer l’attention de l’ennemi ? Surveiller le site était assez délicat sans que les équipes de contrôle se fassent repérer, alors accoster ce caillou tout en étant discret…

Une idée lui traversa l’esprit alors qu’elle réfléchissait. C’était peut-être une solution audacieuse, mais cela valait peut-être le coup. Rapidement, elle envoya un message au responsable du hangar à vaisseaux en espérant avoir une réponse positive.

Celle-ci ne tarda pas à venir. En lisant le communiqué du responsable technique, elle sut alors comment mettre en place l’intervention et quels agents sélectionner pour cela.

***

Une petite équipe était réunie dans la salle de briefing où étaient donnés les ordres de mission. La pièce pouvait accueillir une quarantaine de personnes, mais seulement sept étaient présentes. Le capitaine Ferne dirigeait la rencontre, accompagnée de l’adjudant Kerrel. Spiros et Julius comptaient parmi les cinq agents restants. Les trois derniers étaient Homar Malaam, qui avait été dans la même promotion que ces derniers, l’agent Driss Klemer et le sergent Olaph Krein.

Tous les cinq étaient alignés au premier rang, attendant le début du briefing. Ferne était actuellement en liaison avec le général Septimus sur son oreillette :

— Bien, mon général. Oui… Oui, tout à fait. Merci mon général. Je vous enverrai le détail de la mission après la séance. Merci de votre accord.

Elle coupa la communication.

— Bien, nous avons l’aval du général, dit-elle. Nous pouvons commencer.

— Parfait, dit alors Kerrel. Messieurs… nous avons reçu, il y a quelques heures, des nouvelles concernant l’adjudant Bannoc, porté disparu depuis plus d’une semaine. Une enquête a été menée en parallèle au sujet du site d’Orphos, à la suite d’une hypothèse émise par l’agent Derry à propos d’une possible installation Black-Tron. Celle-ci a prouvé deux choses : la première, la théorie s’est révélée exacte. Les Black-Trons ont bel et bien investi l’ancien site minier situé sur l’astéroïde et en ont fait un poste avancé. La seconde, c’est que l’adjudant Bannoc a été fait prisonnier et emmené sur Orphos.

Un écran s’alluma derrière Kerrel, montrant des images d’une plateforme d’atterrissage. Bien que légèrement floues, elles présentaient clairement des vaisseaux Black-Trons ainsi que la Comète bleue de l’adjudant sur une des pistes.

— Comme vous pouvez le constater, reprit Kerrel, le Striker de l’adjudant se trouve parmi les véhicules ennemis. Jusque-là, aucun départ n’a été signalé par les équipes de surveillance en place. Tout porte à croire qu’il est encore là-bas.

Il fit passer une autre image, celle d’un bâtiment adossé à une grande paroi rocheuse. Le logo M:Tronic était toujours présent sur la devanture.

— Votre mission consistera à vous infiltrer dans ce bâtiment afin d’y retrouver l’adjudant et de le libérer.

Les agents assis faillirent tomber chacun de leur chaise. S’infiltrer dans une base ennemie ?

— Vous êtes sérieux ? demanda le sergent Krein. Personne n’a encore réalisé ça !

— Jusque-là, nous pensions que le Lunar Centaury était le seul centre Black-Tron, répondit Kerrel. Nous ne pouvons tenter une approche sur une base de cette ampleur, mais un site aussi restreint que celui d’Orphos est beaucoup plus simple. Nous avons un plan détaillé de la structure extérieure de l’astéroïde, datant de l’époque où il était exploité. Nous allons vous donner les précisions…

Une autre image apparue. Elle montrait Orphos dans sa globalité. Une flèche mentionnait un point précis vers son sommet.

— Sur cette partie, nous avons une place au milieu de pics rocheux, expliqua Kerrel en faisant un zoom sur le point indiqué. Ici (il montra une tache sombre au pied d’un pic), vous avez un tunnel qui servait autrefois à l’évacuation des gravats non utilisés. Il est suffisamment grand pour qu’un vaisseau de petite taille puisse s’y engouffrer sans problème. Une fois de l’autre côté, vous serez assez proche pour vous poser et entrer dans la base ennemie.

— Jusque-là, tout va bien, fit remarquer Homar. Mais dès qu’on sera à l’intérieur, nous avons un risque considérable d’être capturés à notre tour. À moins que…

— … À moins que nous soyons habillés comme les Black-Trons, termina Julius.

— Ce qui sera effectivement le cas, confirma Ferne. Les prisonniers de la dernière bataille ont été délestés de leurs équipements. Après études de ceux-ci, nous avons découvert qu’ils étaient très peu différents de ceux que portaient les premiers colons. Nous allons donc les utiliser pour cette mission, ainsi que l’un des Intruders que nous avons récupérés. Agent Merig, vous serez affecté au pilotage du chasseur. Vous resterez à bord, attendant que l’équipe de sauvetage opère à l’intérieur du bâtiment.

— À vos ordres, répondit celui-ci.

Kerrel reprit la parole :

— L’équipe mécanique du hangar vous instruira sur les commandes de l’appareil, mais d’après ce que nous savons, elles ne semblent pas si différentes des Protectors et des Strikers.

Il se tourna ensuite vers Julius :

— Agent Derry, vous resterez également à bord du chasseur. Vous guiderez l’équipe de sauvetage et établirez une stratégie sur la console que nous installons en ce moment même. Un satellite équipé de puissantes caméras à infrarouge est actuellement déployé à proximité et vous enverra les informations en temps réel sur la position de toutes les personnes aussi bien en surface que dans le bâtiment. De cette manière, vous pourrez guider l’équipe à l’intérieur du site.

— Bien, monsieur.

— Quant à vous trois, vous devrez vous infiltrer à l’intérieur à partir de l’une des bouches d’aération qui se trouve un peu partout autour du bâtiment principal. Les conduits sont assez grands pour que vous puissiez y entrer sans difficulté.

Krein leva la main :

— Le système de recyclage de l’air est-il le même que celui du centre de commandement ? En ce cas, il nous sera impossible de passer par là, nous allons être broyés par les pales de ventilation !

— Le site a été entièrement désactivé après sa fermeture, expliqua Ferne. Il n’y a donc plus d’aération ni d’oxygène à l’intérieur.

— Sauf si les Black-Trons l’ont rétabli…, rétorqua Krein.

— Cette éventualité est peu probable, car les agents de M:Tronic avaient enlevé les batteries d’alimentation du système de recyclage d’air lors de sa fermeture. À moins d’avoir les plans de fabrication de celle-ci, ils ne peuvent l’avoir relancé.

— En passant par les conduits se trouvant au sous-sol, reprit Kerrel, vous aurez la possibilité d’accéder à toutes les parties du bâtiment. Le premier objectif sera de repérer la position de l’adjudant Bannoc. Vous analyserez ensuite la situation et opérerez en conséquence pour le libérer. La dernière étape sera, bien évidemment, de quitter les lieux le plus rapidement en compagnie de l’adjudant, toujours en étant le plus discret possible. Est-ce que c’est clair pour tout le monde ?

— C’est une très bonne stratégie, murmura Julius en réfléchissant. Mais nous n’avons jamais été envoyés pour une opération de ce genre, mis à part les simulations d’entraînement qui étaient, pour le moins, assez différentes dans leurs scénarios.

— En effet, admit Kerrel. Mais c’est de cette manière que vous apprendrez le mieux. Il vous faudra vous appuyer sur les connaissances acquises pendant votre formation et rappelez-vous des simulations en réalité virtuelle. Ne faites rien qui ne vous mette en danger, n’attaquez pas l’ennemi, mais neutralisez-le au besoin avec vos armes non létales. Évitez absolument de déclencher la moindre alarme.

— Ce qui risque d’être compliqué souleva Krein. Nous ignorons tout de l’état actuel de la base ni de ce qu’ils en ont fait. Avons-nous une idée du nombre d’agents ennemis en poste là-bas ? Des moyens de défense mis en place ?

— Nous avons des réponses à la majorité de ces questions, assura le capitaine. Des relevés effectués depuis Képhas ont montré une faible activité en surface. Cependant, un spectrogramme a révélé quelque chose de tout à fait inhabituel…

L’écran afficha une toile de diverses couleurs, allant du bleu jusqu’au rouge en passant par diverses nuances. L’image s’anima ensuite, faisant bouger les couleurs comme une mer agitée.

— Selon toute vraisemblance, une activité a lieu à l’intérieur même de l’astéroïde, ajouta Kerrel. À la fermeture du site, il n’y avait que des forages inachevés. Nous ignorons ce qui se passe en dessous des bâtiments. Aussi, nous vous demandons de rester en surface et de ne pas aller au-delà de ces limites, sauf si cela vous amène à votre objectif premier.

— Cela pourrait être l’occasion d’en savoir plus, fit remarquer Julius. Une telle opportunité ne pourra sans doute jamais se reproduire.

— La mission est suffisamment dangereuse, répliqua doucement Ferne. Nous ne voulons pas vous faire courir plus de risque.

— Et si nous déposions un ou plusieurs dispositifs-espions ? suggéra le Néo-sapiens. En les plaçant dans les conduits en allant délivrer l’adjudant, ils pourraient ainsi récolter un nombre important de données sur les activités ennemies sur Orphos.

— Nous ne possédons pas de dispositifs de ce genre, dit alors Kerrel en balayant l’idée de la main. Le seul appareil pouvant effectuer de tels relevés est bien trop imposant pour le transporter. Bref… avez-vous des questions ?

— Quand commençons-nous la mission ? demanda Spiros.

— Vous partirez d’ici trois heures, le temps de vous préparer et de vous familiariser avec les commandes de votre « nouvel engin ».

— Que se passera-t-il si nous sommes faits prisonniers à notre tour ? demanda Julius.

— Nous enverrons un vaisseau-amiral à l’assaut d’Orphos, précisa Ferne. Nous prendrons le site avec la force s’il le faut, mais nous ne laisserons pas plus d’agents aux mains des Black-Trons. Nous voulons cependant éviter cela. Je compte sur vous pour la réussite de cette opération.

Julius résumait la situation dans sa tête : ils étaient envoyés sur un terrain qu’ils ne connaissaient pas pour un type de mission qu’ils n’avaient vu que lors des simulations en réalité virtuelle. Il avait le sentiment que, encore une fois, le capitaine Ferne reposait ses espoirs sur son intelligence et son sens tactique pour diriger cette entreprise délicate et périlleuse.

***

— Vous voulez vraiment me faire piloter ÇA ?

La voix de Spiros avait résonné bien plus fort qu’il ne l’avait souhaité. Mais devant le fouillis de boutons et de manettes contenu dans le cockpit de l’Intruder qu’il devait utiliser, il lui était difficile de rester calme. Kerrel avait pourtant affirmé que les commandes n’étaient pas différentes d’un Protector mais le jeune pilote ne voyait pas la moindre similitude.

— L’agencement de leur tableau de pilotage est assez déroutant, admit le mécanicien en charge de lui apprendre le fonctionnement. Mais lorsque l’on regarde le système à l’intérieur de l’ordinateur de bord, il n’est pas si opposé à celui que nous utilisons dans nos propres chasseurs…

— Mais je m’en fous du logiciel ! répliqua Spiros. Pour moi, ce qui compte ce sont les manettes, les boutons, les écrans de contrôle ! Il n’y a rien qui soit comme dans un Protector !

Assis sur le siège du pilote, il essayait de manipuler les commandes pour ressentir leur flexibilité et leur résistance à la force des bras. Pour ce qui était de leur réactivité, impossible de voir tant qu’il ne serait pas dans l’espace avec. Il sentait également que la maniabilité était bien différente.

— Il n’y a pas moyen de le tester tout de suite ? demanda-t-il. J’ai besoin de faire un essai avant de partir, histoire que je n’ai pas à apprendre sur le tas…

— On termine les derniers réglages et l’on devrait pouvoir vous laisser sortir un moment.

— Dommage qu’on n’ait pas ce type d’appareil dans les simulateurs…

— Ça ne devrait pas tarder, affirma le mécanicien. On a bossé dur sur ces engins cette semaine. On a extrait le système d’exploitation et ses sous-systèmes. Il devrait être introduit dans les simulateurs pour améliorer les programmes d’entraînement.

— Et sinon, ça se pilote comment, cette mouise ?

Le mécanicien se pencha à l’intérieur du cockpit.

— La propulsion est basée sur leur fameuse "énergie noire", expliqua-t-il. Le moteur génère des particules subatomiques qui sont lancées sur les ailerons à l’arrière du chasseur, permettant ainsi la poussée et la direction.

Il montra un long tuyau qui jaillissait du dessous du cockpit jusqu’à la poupe du vaisseau.

— C’est une sortie d’échappement des particules. C’est par là qu’elles sont envoyées pour entrer en interaction avec la matière dont sont faits ces ailerons. En les manœuvrant, on change le sens de la propulsion et donc de direction. On ignore encore de quoi elles sont faites, on n’avait jamais vu ça sur Terre Nouvelle. On finira bien par savoir comment ça fonctionne après avoir décortiqué les moteurs…

— Bon, je vois le principe, coupa Spiros qui n’avait nullement envie d’un cours de physique. Et donc, la manette de gauche dirige les ailerons de gauche, pareil pour la droite.

— Exactement. Ce système est ingénieux, mais du coup, l’appareil perd en souplesse contrairement à nos chasseurs qui ont une bien meilleure maniabilité grâce à leurs différents réacteurs.

— Oui, je l’ai constaté durant les batailles. Ils ont un champ de manœuvre beaucoup plus large que les nôtres, ce qui les gêne lors des retournements rapides.

— Tout à fait. Mais leurs moteurs restent beaucoup plus puissants.

— Il faudrait combiner les nôtres avec les leurs, on obtiendrait des véhicules spatiaux aussi puissants que des croiseurs…

— C’est dans les idées. Mais est-ce réalisable ? Les énergies sont très différentes.

Il bidouilla quelques trucs dans la carlingue ouverte sur le côté et en sortit une pièce mécanique pour l’examiner.

— Vous devriez aller vous changer, suggéra-t-il. Nous allons avoir fini dans un quart d’heure. On vous montrera le détail des commandes après.

— Bien.

Spiros descendit du chasseur par l’échelle et se dirigea vers le sas puis le vestiaire. Un agent l’attendait avec des combinaisons noires Black-Tron posées sur un banc.

— Agent Merig ? demanda-t-il.

— Oui, c’est moi.

— Agent Cody. Je suis chargé de vous équiper pour votre mission. Vous êtes le premier à découvrir votre "nouvel uniforme". Celui-ci devrait d’ailleurs vous aller…

Il lui tendit une des combinaisons posées sur un support à roulette. Entièrement noire, elle ressemblait à celles de la Police Spatiale pour les sorties dans l’espace. Plus épaisse et moins souple, elle était surmontée sur le torse et le dos par un équipement respiratoire. Contrairement à celle que Spiros utilisait d’ordinaire dans le vide cosmique, le contrôle de l’air se faisait à partir des commandes sur le torse et non sur le casque. Les bonbonnes d’air étaient toujours à l’arrière, deux petites bouteilles interchangeables qui s’encastraient dans la partie dorsale du système de respiration.

— Elles sont protégées contre les balles d’armes létales, expliqua l’agent Cody. Mais elles ont une faiblesse contre nos Magnus et Kemers au niveau des parties souples, comme les genoux et les coudes.

— D’accord.

Il aida Spiros à enfiler sa nouvelle tenue. Ce dernier constata qu’elle était particulièrement pesante.

— Elle fait son poids, quand même !

— Oui, leur appareil respiratoire est assez massif et est plus lourd que les nôtres. Une fois dans l’espace, vous serez libéré du poids.

Spiros fit quelques pas en avant. Ses mouvements étaient également restreints.

— Ce n’est pas très confortable, admit-il. Je me demande comment ils font…

— On pense qu’elles sont basées sur les combinaisons que possédaient les premiers colons. À l’époque, elles manquaient, effectivement, de confort et de maniabilité. Celles que nous avons aujourd’hui ont été étudiées pour optimiser les mouvements dans l’espace ainsi qu’en atmosphère, ce qui n’est visiblement pas le cas de ces combinaisons noires.

Cody ferma hermétiquement chaque ouverture de la blouse au niveau des poignets et des chevilles.

— Voilà, déclara-t-il. Vous êtes désormais un agent Black-Tron !

— Pas d’insulte, s’il vous plaît, répliqua Spiros sur le ton de la plaisanterie.

Il lui tendit son casque. Spiros le prit dans ses mains et examina l’intérieur tout en marchant pour tester la souplesse de la combinaison. Cody reçut un message sur son Holocom.

— Le départ est prévu dans une heure, dit-il en le lisant. Il va falloir faire vite pour un vol d’essai.

— Très bien alors, allons-y.

De retour dans le hangar, Spiros monta dans le cockpit, suivi du mécanicien.

— Si vous êtes prêt, lui dit ce dernier, on va commencer la leçon du jour. Comme je disais tout à l’heure, ces deux manettes servent à la direction du chasseur…

— Oui, ça j’ai compris. Reste à voir comment cela réagit en action.

— Elles servent également à l’accélération. Pour modifier la vélocité de déplacement, il vous suffit de les pousser et de les tirer ensemble en appuyant sur le bouton sous votre pouce. Pour vous déplacer, il y a trois modes de vitesse : "lent", "rapide" et "croisière". Le mode "lent" sert à la navigation dans des environnements restreints, comme ce hangar. Vous n’irez jamais au-delà de vingt kilomètres/heure, mais vous aurez une parfaite maîtrise du vol stationnaire. Le suivant, le mode "rapide", est utilisé dès que vous êtes dans l’espace, la vitesse est adaptative en fonction des changements de sens et de la pression exercée sur les manettes.

— Si je comprends bien, la vitesse diminue automatiquement si je change de direction ?

— Exactement. C’est une commande de stabilité. Lorsque vous virez, il limite votre vélocité, aussi bien votre vecteur principal que la manœuvrabilité afin que le vaisseau se déplace avec le moins de glisses possible. Quand l’appareil est stabilisé et que vous ne tirez plus sur les manettes, il réaccélère. Nos chasseurs n’ont pas ce système, ce qui nous oblige à ralentir manuellement, mais nous permet de conserver également cette fameuse maniabilité. C’est une des raisons pour laquelle nous avons toujours eu l’avantage sur eux.

— Oui, c’est évident maintenant, souffla Spiros qui comprenait mieux. C’est pourquoi j’ai réussi à les semer aux abords de la ceinture d’astéroïdes.

— Ce sont pourtant des armes redoutables. Leurs canons laser sont beaucoup plus puissants que les nôtres, car ils sont conçus pour détruire et non pour simplement réduire les boucliers énergétiques. Sans parler de leur balistique qui fait de sacrés dégâts !

Il appuya sur un bouton du tableau de bord. Deux cavités s’ouvrirent sous la proue, faisant sortir deux canons cylindriques dont les embouts étaient aussi gros que la tête d’un homme.

— Ces mitrailleuses peuvent réduire en passoire n’importe quel chasseur qui a perdu son bouclier d’énergie et même percer la coque d’un vaisseau-amiral.

Spiros était éberlué. Il ne se rendait pas compte du danger qu’il encourait à chaque mission face à ces monstres.

— Parlons maintenant du dernier mode, le dispositif dit de "croisière". Il est utilisé pour les voyages longue distance. Il enclenche un processus assez long avant le départ. Tout d’abord, les réacteurs ralentissent fortement, puis la partie centrale du chasseur est larguée en vol, comme la cellule de prisonnier des Strikers. L’avant et l’arrière se rapprochent et enfin, le moteur quantique s’active pour partir en vitesse semiluminique. Tout ça dans un laps de temps de deux minutes et vingt secondes.

— C’est leur point faible, ajouta Spiros en continuant de manipuler les commandes. En simulateur, c’était à ce moment-là qu’on pouvait finir de les neutraliser. Autre chose en particulier ?

— Non, c’est à peu près tout ce qu’il y a à savoir. L’apprentissage de toutes les autres commandes prendrait trop de temps, il va vous falloir vous habituer sur le tas.

— Dans ce cas, commençons le vol d’essai.

— Très bien, je vais m’occuper du remorquage de l’appareil. Le départ se fera à partir d’une piste de lancement des navettes civiles.

— OK !

Le chasseur était posé sur une remorque qui permettait de le déplacer de l’atelier vers les zones extérieures. Le mécanicien revint après quelques minutes à bord d’un gros véhicule qu’il accrocha ensuite au wagon. Le personnel présent évacua par la même occasion avant l’ouverture des portes du hangar.

Dans le cockpit de l’Intruder, Spiros ferma hermétiquement son casque à sa combinaison. Le tableau de bord était déjà allumé, il ne lui restait plus qu’à attendre d’être sur la rampe de lancement.

Les monts acérés entourant le centre de commandement offraient leur spectacle lugubre avec un ciel d’un noir d’encre. Sur sa droite, quelques rayons du soleil au-dessus de l’imposante antenne de communication éclairaient le cratère, l’éblouissant à peine à travers la vitre jaune du chasseur. À deux cents mètres devant lui, une impressionnante rampe de lancement se dressait comme une moitié de montagnes russes.

Celle-ci permettait aux navettes de sortir plus efficacement de l’attraction lunaire. Elle était pourtant bien plus petite que celles installées sur Terre Nouvelle. L’attraction terrestre étant plus forte sur la planète, les rampes du spatioport de Centralville étaient beaucoup plus longues afin de donner un élan bien plus important aux vaisseaux pour sortir de l’atmosphère.

À mesure qu’il avançait dans ce paysage insolite, Spiros sentait son cœur battre de plus en plus fort, se demandant s’il allait pouvoir contrôler un appareil de ce type. Les commandes étaient si différentes tout comme leur maniabilité…

Le mécanicien positionna la remorque afin qu’elle soit en face de la rampe. Il décrocha son véhicule de l’attelage puis en descendit et, de sa démarche pataude due à la faible pesanteur, se dirigea vers une console électronique. Après quelques secondes, le chasseur glissa de la remorque jusqu’à rencontrer une butée. Le choc était assez violent, ce qui fit basculer la tête de Spiros sur le tableau de bord.

Cette expérience est en train de me saouler ! se dit-il, exaspéré.

Les minutes s’écoulèrent sans que rien ne se passe. Puis, une voix grésilla dans le communicateur.

— Agent Merig, ici l’adjudant Kerrel. Est-ce que vous m’entendez ?

— Je vous reçois cinq sur cinq mon adjudant, répondit le pilote.

— Votre matricule pour cette mission ne change pas, expliqua l’officier. Le code d’identification de votre appareil sera le suivant : IN-001. Utilisez-le lors de vos contacts avec le quartier général. Vous ne serez autorisé à communiquer que dans l’espace de la colonie. Dès lors que vous aurez dépassé la ceinture d’astéroïdes, toute transmission avec le centre de commandement sera interdite, sauf en cas d’extrême urgence.

— Bien compris.

— Votre rôle sera d’amener l’équipe de sauvetage jusqu’à l’astéroïde Orphos. Un plan de vol a été intégré dans l’ordinateur de bord afin d’atteindre le point d’atterrissage. Restez en communication fermée avec le groupe lorsqu’il sera dans le bâtiment, l’agent Derry servira d’opérateur à l’intérieur du chasseur. Quand il aura atteint son objectif et sera revenu à votre position, vous repartirez en direction de la ceinture d’astéroïdes puis vers le centre de commandement.

— Bien reçu.

— Avez-vous des questions sur la mission ?

— Juste une, monsieur. Que se passera-t-il si l’ennemi cherche à entrer en contact avec nous ?

— Utilisez le matricule du chasseur que je vous ai fourni. Indiquez-leur que vous effectuez une manœuvre dans les environs. Nous n’avons malheureusement pas plus d’informations sur leurs procédures, il faudra compter sur la chance.

Cela ne le réjouissait guère. Oui, il lui faudra beaucoup de chance, car le moindre contact avec les Black-Trons pourrait provoquer une suite d’événements entraînant une bataille non désirée.

La voix d’un opérateur lui indiqua qu’un buggy lunaire amenait l’équipage pour embarquer dans le chasseur. Lorsque les membres sélectionnés pour la mission sortirent du gros véhicule, ils étaient tous habillés de la combinaison noire à l’exception d’un seul.

Ils n’en ont pas trouvé à sa taille, conclut Spiros en reconnaissant l’allure filiforme de Julius dans sa combinaison habituelle.

Cependant, en les voyant ainsi monter dans le caisson arrière, Spiros eut un doute pour le moins stressant.

— Opérateur ? appela-t-il dans le communicateur. Ici chasseur Black-Tron IN-001.

— Je vous écoute, IN-001, répondit l’opérateur.

— Je croyais que nous allions d’abord effectuer un vol préliminaire pour apprendre les manœuvres de l’appareil. Comment se fait-il que l’équipage monte à bord ?

— Un vol préliminaire ? Il n’a jamais été question de ça avant la mission, agent Merig. Actuellement, nous préparons le décollage pour le début de l’opération de sauvetage.

— Non, mais attendez ! Comment voulez-vous que je puisse mener cette mission à bien si je ne sais pas comment se pilote cet engin ?

— Désolé, agent Merig. Réaliser un vol d’essai prendrait trop de temps et demanderait plus de ressources matérielles. Nous ne disposons ni de l’un ni de l’autre. Il vous faudra apprendre au cours de la mission.

— Mais pourquoi alors le mécanicien m’a dit qu’on effectuerait ça ?

— Je l’ignore, agent Merig. Il y a dû y avoir une mauvaise communication en interne.

Je t’en foutrai, moi, des mauvaises communications ! s’emporta-t-il intérieurement.

Dès que l’équipage eût embarqué avec le matériel, la procédure de lancement se mit en place. Le chasseur fut alors projeté sur la rampe grâce au lanceur sur lequel l’appareil était posé et, aidé par ses propres propulseurs, s’envola dans l’espace vers sa mission de sauvetage.

Dans la salle de contrôle, le mécanicien qui avait rapidement briefé Spiros sur les commandes de l’Intruder se rendit vers l’opérateur afin de vérifier que tout allait bien.

— Je vois qu’il est déjà parti, dit-il à l’opérateur. Tout s’est bien passé pour le départ ?

— Aucun problème à signaler…

— Bon, il devrait essayer de faire quelques manœuvres simples avant de revenir doucement vers le hangar.

— Comment ça, « revenir vers le hangar » ? s’étonna l’opérateur. Le chasseur est parti pour sa mission !

— Hein ? Il devait d’abord effectuer un vol d’essai pour se mettre au point avec les commandes !

— C’est ce que m’a dit l’agent Merig, mais l’adjudant Kerrel a donné son accord pour le départ et l’équipage a embarqué.

— Mais ce n’est pas ce qui était prévu ! On devait laisser le pilote apprendre à utiliser l’Intruder avant le début de l’opération ! Passez-moi l’adjudant Kerrel dans l’intercom !

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