Nouveau chasseur

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Le hangar était entièrement blanc et paraissait d’une propreté impeccable comparée à ceux du Destiny et de l’Odysséas. Mais quelque chose frappait l’esprit de Spiros : où étaient les équipes de mécaniciens et les équipements ?

Il ne tarda pas à avoir la réponse. Lorsque le drone-tracteur le déposa sur une plateforme, celle-ci se mit à descendre automatiquement puis l’ouverture du dessus se referma puis une autre en dessous s’ouvrit.

Je suis dans un sas de pressurisation, comprit alors Spiros.

La plateforme descendit de nouveau jusqu’au sol. Cette fois, Spiros était dans un vrai hangar avec les mécaniciens et les appareils de maintenance et de ravitaillement.

Une fois son chasseur endommagé posé, il sortit du cockpit où il fut accueilli par un mécanicien dont il ne s’attendait pas à voir ici.

— Pierrik ! Mais comment… ?

— Tu n’en as pas marre de détruire tous tes vaisseaux ? lança ce dernier. Celui-là est bon pour la casse maintenant !

— Tu as enfin pu quitter Alpha-3 ?

— Oui, mais… ce n’était pas sans mal. Un peu avant l’arrivée du Séraphin, nous avons été attaqués par une escouade Black-Tron.

— Merde ! Et alors ?

— Corson nous a envoyés dans un espace de sécurité en dessous du hangar, ce qui nous a protégés. Ça s’est joué à peu de chose. La base est entièrement détruite.

— Ouf ! Vous êtes sain et sauf, c’est le principal.

— Eh ben… pas vraiment…

— Quoi ?

— Corson. Il ne s’en est pas tiré…

Spiros mit quelques secondes pour encaisser la nouvelle.

— A… attends, je croyais que…

— Le système de survie autonome du bunker n’arrivait pas à se lancer, il a fallu aller dans la salle de contrôle pour le réarmer manuellement. Corson s’est proposé, en sous-entendant qu’on n’était pas qualifié pour le faire. Le système est reparti, mais il n’a pas eu le temps de nous rejoindre.

Spiros n’en croyait pas ses oreilles. Maintenant, c’était le professeur Corson, qui n’était guère sociable, qui n’était plus de ce monde.

— Il ne méritait pas ça…, murmura-t-il.

— Je sais… Et toi ? J’avais peur que tu n’arrives pas à Neyria lorsque tu es parti. Tout s’est bien passé ?

— Une escouade Black-Tron m’a suivi depuis la Lune noire, répondit Spiros, encore sous le choc. Après ça, j’ai cru qu’ils remonteraient jusqu’à Alpha-3.

— On suppose que c’est ce qu’ils ont fait, dit alors Pierrik. Pendant des jours, ils ont balayé la zone autour de Jéricho. Ils ont fini par nous repérer, mais le Séraphin est arrivé juste à temps.

— Il faut que je retourne au combat ! lança subitement Spiros. Pierrik, trouve-moi un autre chasseur s’il te plaît ! Vous avez bien des vaisseaux en réserve ?

— Eh bien… pour te dire la vérité, non. Tous les appareils disponibles sont déjà sur le champ de bataille. Le Séraphin n’a pas encore tout son équipement, il était censé accueillir les futurs chasseurs en cours de développement.

— Vous n’avez vraiment rien d’autre ?

— En fait… il y a bien un prototype, mais…

— Je prends ! s’écria Spiros. Prépare-le-moi !

— Je viens de te dire que c’est un prototype ! Il n’est pas terminé, il n’y a eu que quelques essais d’effectués sur lui, rien de plus.

— Est-ce qu’il vole ?

— Oui, mais…

— Son armement est opérationnel ?

— Pas entièrement… il y a les lasers et les projectiles IEM, mais…

— Ça me suffit.

— Il faut d’abord en référer au responsable de la passerelle. Je ne sais pas s’il sera d’accord.

— Trouve-le-moi dans ce cas, sapristi ! Le temps presse !

Pierrik se rendit auprès de l’officier de pont en charge des hangars. Ce dernier se défendit de la responsabilité de laisser un pilote utiliser un appareil expérimental :

— Je ne peux pas prendre la décision, c’est au capitaine d’en juger. Le chasseur n’a passé que des tests de vol hors atmosphère.

— Mais il est équipé en armements, n’est-ce pas ? insista Spiros.

— Oui, mais vous n’aurez pas les capacités maximales de l’engin. Lorsqu’il sera finalisé, ce sera notre arme mobile la plus puissante que nous aurons. Même les Strikers seront dépassés et de loin !

— Lieutenant, demandez la permission au capitaine, s’il vous plaît ! Nos camarades sont en train de se battre ! Dans cette bataille d’une telle ampleur, nous avons besoin de tous les effectifs possibles, non ?

— J’en conviens… Bon, très bien ! J’appelle le capitaine Rodrigues.

— Merci, mon lieutenant !

Il se dirigea vers un communicateur et demanda le pont de commandement.

— Lieutenant Golan ? s’étonna Rodrigues. Que puis-je pour vous ?

— C’est une… demande spéciale, capitaine. L’agent Merig, que nous avons recueilli à bord, sollicite le prototype pour la bataille.

— Le prototype ? Mais n’avons-nous pas un autre chasseur à lui donner ?

— Non, capitaine. Tous les effectifs sont au combat.

— Mais est-ce que l’engin est apte à se battre ? Nous ne l’avons pas éprouvé pour cela…

— Il est équipé de l’armement standard des Strikers. Nous n’avons pas son arsenal propre, nous ne devions le recevoir qu’après les essais de vol.

— Je vois… Mais dans ce cas, il est capable de se défendre, n’est-ce pas ?

— Les tests ont démontré qu’il était parfaitement hermétique au vide spatial et son autonomie est excellente. Donc oui, capitaine.

Rodrigues mit un temps de réflexion.

— J’en prends la responsabilité, déclara-t-il enfin. Mais si vous avez le moindre souci avec l’appareil, vous revenez aussitôt à bord du Séraphin, est-ce bien clair ?

— Oui, mon capitaine ! répondit Spiros, heureux de pouvoir repartir avec un nouveau type d’engin spatial.

— Lieutenant, je vous charge de lui expliquer son fonctionnement.

— À vos ordres !

Le lieutenant Golan l’emmena dans une seconde partie du hangar en donnant des ordres à une équipe de mécaniciens, suivie de Pierrik, curieux de découvrir ce fameux prototype.

Ce dernier était complètement différent des Protectors et des Strikers. Équipé de deux paires d’ailes avec chacune un réacteur à son extrémité et d’un aileron à l’arrière, il avait les mêmes couleurs que le Séraphin. En dessous de la carlingue, Spiros vit deux autres ailes, plus petites et sans réacteurs. Derrière le cockpit et sa verrière vert émeraude se trouvait un module de confinement, comme ceux des anciens chasseurs. Deux avancements arrondis étaient de chaque côté entre le cockpit et les ailes à l’avant.

— Voici le premier prototype du Mediator, présenta Golan. Il est trois fois plus rapide qu’un Protector et quatre fois plus réactif qu’un Striker. Ses quatre propulseurs que vous voyez au bout des ailes lui permettent ces deux améliorations importantes. Ils peuvent être orientés à 360° et surtout indépendamment, lui conférant la possibilité de se diriger plus promptement dans toutes les directions. Attention ! À pleine vitesse, le brusque changement d’orientation peut fortement vous secouer. Le module de prisonnier est toujours présent et comme d’habitude vous pouvez le larguer en vol pour entrer en mode de croisière semiluminique. Ce qui change de ce côté-là, c’est la vitesse à laquelle vous passer sur ce mode : quatre secondes seulement contre les quinze des anciens modèles.

— Très intéressant, souffla Spiros, admirant l’engin.

— Les commandes sont légèrement différentes, continua Golan. L’ergonomie est plus agréable et l’agencement simplifié. Quant à son autonomie, elle dépasse de loin celle d’un croiseur.

— À quel type de carburant fonctionne-t-il ? demanda Pierrik.

— Entièrement à l’Énergie Pure. Chaque réacteur possède sa propre pile EP, une cinquième est utilisée pour les passages en vitesse semiluminique et une sixième pour l’armement. La capacité des piles a, en plus, été améliorée de trente pour cent.

— Est-ce qu’il y a un dispositif de dérivation des flux d’énergie vers les autres systèmes ? demanda de nouveau Pierrik. Si l’un d’entre eux est endommagé, il serait utile de compenser sa perte en augmentant la puissance des autres…

— Pas sur celui-là. Mais c’est envisagé sur les prochaines versions. Comme je l’ai dit, cet appareil n’a passé que des tests de vol. C’est un prototype basique.

— Bon, s’impatienta Spiros, trêve de bavardage, mais j’ai un combat à mener ! Je peux entrer à l’intérieur ?

— Oui, vas-y, lui dit Pierrik. Je t’amène l’équipement nécessaire.

— J’ai déjà mon casque, ça va aller.

— Non, dit alors Golan. Pour cet engin, il en faut un autre spécifique.

— Ah bon ?

— Une partie des écrans de contrôle se situe désormais sur la visière du casque. Connecté à l’appareil, il vous transmettra des informations sur l’état du chasseur, comme votre vitesse ou votre positionnement dans l’espace par rapport au soleil.

— Ce n’est pas gênant pour la visibilité ?

— En fait, non. Les indications n’apparaissent que lorsque vous regarderez la verrière du chasseur. C’est très pratique quand vous aurez besoin de parcourir vos instruments de bord qui ne sont pas implantés sur la visière. Il y a aussi deux modes intéressants : un manuel d’instruction interactif par déplacement oculaire qui vous donnera des informations sur les différentes commandes et un système de visée qui détecte aussitôt un appareil n’ayant pas le signal énergétique d’un vaisseau de la colonie. Pour verrouiller un chasseur ennemi, dès que la visée est sur lui, il vous suffit d’appuyer sur un bouton sur le manche. Un mode de vol spécial peut alors être enclenché : vous suivrez la cible et la vitesse s’adaptera automatiquement à la sienne pour ne pas le perdre de vue.

— C’est vraiment une merveille ! s’extasia Spiros.

Pierrik revint avec un casque qu’il lui tendit. La forme et les couleurs étaient identiques à l’ancien, si ce n’était la visière verte au lieu d’être rouge. Spiros le mit sur sa tête puis le lieutenant Golan pressa un bouton sur le côté droit. Des lignes de commandes apparurent alors sur la visière avant d’initialiser le système. Lorsque Spiros posa son regard sur l’appareil, le casque le reconnut et valida une entrée.

— Le casque est déjà relié au chasseur étant donné qu’il y en a qu’un, expliqua Golan. Plus tard, on pense que chaque pilote aura un casque qui sera dédié à un appareil pour éviter les confusions. Tout est configuré, il n’y a rien d’autre à faire pour l’instant. Les mécaniciens ont fini de le préparer. Attention, je vous rappelle que vous ne possédez que des lasers et des projectiles IEM, mais pas de mine.

— Bien reçu.

Spiros embarqua ensuite dans l’engin. L’intérieur était assez similaire au cockpit du Protector mais en plus épuré. Le manche ressemblait en revanche à celui des Intruders avec les boutons à la même position.

Ils ont mélangé les deux technologies, en conclut-il.

Le manche et la manette des gaz étaient plus rapprochés du pilote, laissant les bras moins tendus qu’à l’ordinaire. Le siège aussi était différent. Le harnais de sécurité était beaucoup plus serré et les rebords remontaient sur les côtés. Spiros avait l’impression d’être comprimé, bien que ses bras soient libres de tout mouvement.

— Est-ce que ça va ? lui demanda Pierrik.

— Ça peut aller… mais je suis hyper pressé dans ce siège…

— C’est parce que c’est un jet-pack en cas d’urgence. Tu t’éjectes et tu peux ensuite te déplacer dans l’espace avec.

— Ah, cool !

— Tout est prêt au départ, tu peux y aller. Je rejoins les autres mécanos, on a des chasseurs endommagés qui arrivent.

— Ça marche.

— Une dernière chose, que le lieutenant n’a pas précisée… au vu de sa maniabilité, les brusques changements de direction que l’engin est capable de réaliser peuvent être dangereux pour toi. Une trop forte accélération et décélération vont énormément mettre ton corps à rude épreuve et te faire tomber dans le coma. Même avec ton entrainement tu pourrais ne pas le supporter.

— Je vois… avec les Protectors on peut aussi avoir des décélérations brutales si l’on ne fait pas gaffe. Je saurais m’en tirer, t’inquiète.

— Reste prudent quand même. C’est un prototype, ne l’oublie pas. Il n’est pas au point comme nos chasseurs actuels.

— T’en fais pas ! On verra bien ce que ça donne…

— Bonne chance !

Spiros leva le pouce en l’air et ferma la verrière. Il fut étonné de voir si peu de vert à l’intérieur malgré sa couleur. Il avait l’impression de regarder à travers une vitre parfaitement transparente. Les autres chasseurs avaient toujours cette couleur rouge au travers de leur verrière, ce qui n’était pas véritablement gênant. Les vitres étaient ainsi pour protéger des rayons solaires en dehors d’une atmosphère. Apparemment, Futur-On avait réussi à améliorer la visibilité.

Après l’allumage des moteurs, dans un bruit très discret, l’appareil lévita légèrement. Spiros était en mode décollage, bloquant la vitesse à un très bas niveau. Les commandes réagissaient incroyablement bien, les temps de réponse étaient infimes. Le vol était fluide, linéaire et sans secousses.

La visière de son casque lui indiquait toutes les étapes à suivre, sans gêner sa visibilité. Des icônes et des balises apparaissaient sur les différents boutons du vaisseau comme si elles étaient présentes à l’intérieur du cockpit.

— C’est vraiment bien fait ! s’extasia Spiros à voix haute.

Une fois sortie du hangar, une balise lui spécifia le bouton pour débloquer la vitesse et pouvoir se déplacer normalement. À ce moment-là, il reçut un appel sur le communicateur :

— Ici le capitaine Rodriguez à bord du Séraphin. Agent Merig, m’entendez-vous ?

— Cinq sur cinq, mon capitaine ! Je vous écoute.

— Voici un ordre de mission qui m’a été communiqué par l’amiral Quotor de l’Odysséas. Vous servirez de soutien à une escouade formée de nos meilleurs pilotes. Leur objectif est de neutraliser trois vaisseaux de type inconnu situés au centre de leur formation. Ils sont fortement gardés, mais une faille a été découverte, il s’agit alors de l’exploiter en passant entre deux transporteurs. Votre but à vous sera de les aider à franchir les lignes ennemies grâce à votre nouvel appareil. Des questions ?

— Oui, capitaine. Est-ce que les transporteurs sont armés ?

— C’est fort possible, mais vu le nombre de chasseurs qui reste autour pour les protéger, nous supposons qu’ils ne sont pas à même de se défendre convenablement. Mais ce n’est pas d’eux qu’il faudra s’occuper. Ouvrez la voie à l’escadrille jusqu’à ces fameux vaisseaux. Faites attention ! Nous ne savons rien d’eux actuellement. Ils sont peut-être plus dangereux que les transporteurs.

— Bien reçu, capitaine !

— Bonne chance, agent Merig. Et que ce chasseur soit à la hauteur de vos attentes !

***

Niki en avait assez d’attendre. Depuis près d’un quart d’heure, l’ordre lui avait été donné, ainsi qu’à plusieurs astropoliciers, de se replier auprès du Destiny. Parmi eux se trouvait l’adjudant Bannoc à bord de sa Comète Bleue récupérée lors du raid sur Orphos et remise en état, le sergent Desrives et deux autres agents non gradés. L’ordre de mission avait déjà été transmis et les instructions étaient parfaitement claires. Mais un dernier chasseur devait les rejoindre et se faisait attendre.

Spiros arriva peu après, engaillardi par son nouvel appareil qui répondait à la moindre caresse sur les commandes. Il se positionna devant l’escadrille puis se présenta :

— Agent Spiros Merig, assigné à cette mission comme soutien offensif. Prêt pour le combat !

— Content de vous savoir en vie, agent Merig, dit alors Bannoc. Quand vous êtes sorti du champ de bataille tout à l’heure, nous avons bien cru vous perdre. Et c’est un bel engin que vous avez là…

— Merci, mon adjudant. Il n’est qu’au stade expérimental, mais après seulement quelques minutes de vol, je peux vous garantir qu’il est déjà bien supérieur à tous nos chasseurs !

— Alors dans ce cas, allons-y ! Notre mission nous attend ! Pellia et Desrives, vous serez sur chaque côté de la formation. Rogy et Stevens, vous occuperez le centre et quant à vous, Merig, vous serez la tête du groupe. Ouvrez-nous la voie !

— Bien reçu ! répondirent-ils tous ensemble.

Tandis qu’ils manœuvraient pour se mettre en position, Niki appela Spiros dans le communicateur :

— Comment ça se fait qu’on t’ait permis de prendre un chasseur comme ça ?

— Il fallait bien que je retourne au combat, répondit-il simplement. Il n’y avait plus que celui-là et le capitaine Rodriguez m’a donné l’autorisation. Pourquoi tu me demandes ça ?

— Pour rien…

Elle coupa la communication. Spiros connaissait bien ce ton cassant. Apparemment, elle n’appréciait pas que ce soit lui et pas elle à qui l’on avait confié le prototype, sûrement par jalousie ou orgueil personnel. Ce n’était pas la première fois qu’elle réagissait comme ça, mais il préféra laisser couler pour l’instant. Il prit la tête du groupe, suivi de l’adjudant puis du reste de l’escadrille.

Le champ de bataille qui se dévoilait devant eux faisait presque peur. De nombreux chasseurs de la police étaient poursuivis par les Black-Trons au milieu des débris de ceux qui étaient tombés. C’était une vision d’horreur, une image apocalyptique.

Spiros n’osait se demander qui parmi ses camarades était dans ces débris de vaisseau. Combien étaient déjà morts ? Combien de ses amis ne verrait-il plus ?

Cela le glaça d’effroi. Un frisson désagréable parcourut son corps, suivi de tremblements. Une forte colère l’envahit alors soudainement, comme si tout sentiment de bonté et de bienfaisance avait disparu de son âme.

De nouvelles lignes de commandes apparurent sur sa visière puis des indicateurs de verrouillage de cible se positionnèrent sur tous les chasseurs ennemis à portée de tir. Presque inconsciemment, comme s’il connaissait le vaisseau par cœur, il activa le déverrouillage des tourelles laser pour les rendre indépendantes entre elles et tira sur plusieurs cibles en même temps, faisant mouche à chaque fois. Il ne lança cependant aucun missile IEM, préférant user des lasers en puissance augmentée sur les réacteurs des Intruders, les faisant ainsi exploser.

Fonçant dans le tas, Spiros ne se posait pas la question si ses actions étaient justifiées ou non. Presque dans un état second, il se contentait d’asséner les tirs en rafales, esquivant ceux de ses adversaires comme s’il prévoyait les attaques à l’avance. Il avait l’impression d’être omniprésent sur le champ de bataille, sachant où tirer au dixième de seconde près et où se déplacer pour être toujours derrière l’ennemi. Ses salves ne rataient aucune cible.

Il se sentait fort. Il se sentait puissant. Il était invincible.

— Agent Merig ! interpella Bannoc. Vous vous éloignez de l’objectif ! Veuillez reprendre votre position dans la formation immédiatement ! Et baissez la puissance de vos lasers, vous effectuez bien trop de dégâts sur l’ennemi !

Spiros n’avait écouté qu’à moitié. Il ne pouvait pas obéir, cela l’empêcherait de protéger ses amis. Ils couraient un grave danger, il se devait de détruire l’ennemi.

Détruire, anéantir…

— Agent Merig ! répéta Bannoc. Veuillez obéir immédiatement !

— Spiros ! appela Niki à son tour. Réponds à ton supérieur ! Mais qu’est-ce qui t’arrive ?

Il ne répondait pas. Elle et l’adjudant ne comprenaient pas ce qui se passait. Son comportement n’était pas normal. Certes, il réduisait le nombre d’ennemis à une vitesse impressionnante, mais il ne les neutralisait pas, il les détruisait purement et simplement. Ce n’était pas ainsi que devait agir la Police Spatiale.

— Sergent Pellia, ordonna Bannoc. Restez avec l’agent Merig. Il y a quelque chose qui ne va pas, essayez de le raisonner. Nous allons continuer la mission de notre côté.

— Est-ce que vous pensez que ça ira pour vous ? demanda-t-elle inquiète.

— Nous n’allons pas prendre de risque, mais je vais appeler des renforts. Si la situation devient trop dangereuse, nous abandonnerons la mission.

— Bien. À vos ordres, mon adjudant !

Niki décrocha de la formation et tenta de rejoindre Spiros. Celui-ci ne répondait toujours pas à ses appels, mais il n’y avait aucun problème matériel de communication. Que lui arrivait-il donc ?

***

— Qu’est-ce que vous dites ? s’exclama Ferne face à ce que venait de lui révéler l’adjudant Bannoc.

— Affirmatif, mon capitaine. L’agent Merig est totalement hors de contrôle. Il n’obéit à aucun ordre et ne répond pas. J’ai envoyé le sergent Pellia pour tenter de le raisonner, en espérant qu’elle y parvienne…

Le lieutenant Perguet avait remarqué que le visage du capitaine avait blêmi, comme si elle avait redouté que ce moment arrive. L’amiral, lui, semblait en pleine réflexion. Savaient-ils quelque chose à propos de ce qui se passait avec cet agent ? Quelle idée de donner un tel prototype à quelqu’un d’aussi peu expérimenté !

— Le plus surprenant, continua Bannoc, c’est son efficacité au combat : il ne rate aucune cible et n’a pas été touché une seule fois ! C’est vraiment remarquable… si l’on passe le fait qu’il détruise les Intruders au lieu de les stopper.

— Merci de votre rapport adjudant Bannoc, dit alors Ferne. Nous vous envoyons deux autres chasseurs en renfort pour votre mission.

— Bien reçu !

— Vous pensez à la même chose que moi, capitaine ? demanda Quotor après un temps de silence.

— Je le crains, amiral… Mais cela n’aurait pas dû arriver, c’est impossible !

— Il n’y a pas d’autre explication. Le système NG s’est activé…

— N’aurions-nous pas dû éviter de confier cet appareil à l’agent Merig ? Le capitaine Rodriguez s’est trop avancé pour l’avoir envoyé ainsi ! Il n’y a que lui pour prendre ce genre de décision !

— C’était une erreur, effectivement. Mais l’heure n’est pas au blâme. Avons-nous un moyen de couper le système à distance ?

— Hélas non ! déplora Ferne. Il n’était pas censé être actif ! Le programme a bien été implanté dans le système du vaisseau, mais sans commande d’activation ! Il n’était donc pas nécessaire de construire un module de prise en main à distance…

— Bon sang… alors il ne reste plus qu’à attendre la suite des événements. Observons ses exploits, en espérant que cela n’aille pas dans des proportions dramatiques…

Ferne pria de tout son être que cela ne se produise pas. C’était bien la dernière chose dont ils avaient besoin.

— Pardonnez-moi, amiral… capitaine, s’exprima Perguet avec une lenteur choisie. Mais qu’est-ce que le système NG ?

Ferne et Quotor se regardèrent, gênés. Ferne voulut ouvrir la bouche, mais c’est l’amiral qui parla en premier :

— C’est un système très particulier qui devait servir au guidage du chasseur, mais à l’heure actuelle ce n’est qu’une ébauche qui a quand même été implantée en attendant un programme plus complet. Nous ne pouvons en dire plus pour le moment, aussi je vous demanderais la plus grande discrétion à ce sujet.

— Bien monsieur, acquiesça le lieutenant.

Un nouveau système de guidage… En quoi cela pouvait provoquer une perte de contrôle du pilote ? Perguet trouvait bien étrange tout ce mystère, piquant au vif sa curiosité. Il tâcherait de découvrir la réponse à tout ça en temps et en heure.

***

Niki essayait de suivre Spiros tant bien que mal. Son Striker peinait à garder la distance face au chasseur fulgurant de son amant qui n’avait toujours donné aucune réponse à ses appels.

Ce n’est pas possible, ce n’est pas lui ! pensa-t-elle. Ça ne lui ressemble pas de réagir de cette manière, il y a quelque chose qui cloche !

Elle tenta une manœuvre pour se poster devant lui en braquant son appareil vers le haut pour lui couper la route.

Échec. Spiros avait obliqué sa trajectoire juste avant pour prendre en chasse deux Intruders qu’il élimina sans aucun problème. Il anticipait tout ce qui lui représentait un obstacle avec une aisance incroyable.

— Merde ! s’exclama-t-elle rageusement. Ça me gonfle !

Elle ressentait une vive animosité face à cette impuissance. Elle qui figurait parmi les meilleurs pilotes de la Police Spatiale, elle était mise à mal par un qui était moins expérimenté qu’elle et à bord d’un prototype encore en phase de test. Elle se devait de l’interrompre, quoiqu’il advienne !

— Spiros, écoute-moi ! C’est Niki, s’il te plaît réagit ! Si tu ne t’immobilises pas, je vais être dans l’obligation de t’arrêter !

Spiros entendait parfaitement ses appels, mais quelque chose dans sa tête lui interdisait de répondre. C’était un obstacle à sa mission de détruire l’ennemi.

— Spiros !

Oui, c’était lui qu’on appelait. C’était comme un écho lointain, une voix insignifiante qu’il fallait ignorer. Seul l’objectif était important.

— Je t’en prie !

Niki commençait à prendre peur. Son devoir l’amenait à réagir, mais elle était effrayée à l’idée de devoir tirer sur Spiros. Elle pensait pouvoir le faire, mais l’hésitation l’en empêchait. Pourtant, il le fallait…

— Spiros, arrête-toi s’il te plaît ! Je n’ai pas envie de tirer sur toi !

L’écho lointain se rapproche, semble-t-il. Est-ce finalement plus important ? Non, l’objectif d’abord : détruire l’ennemi !

— Je t’en prie, Spiros… arrête-toi !

Elle finit par tirer deux lasers sur lui. Le premier rata la cible, le second eut plus de chance en touchant le bout d’une aile. Spiros fut un peu secoué, mais le bouclier avait parfaitement absorbé l’impact énergétique.

Un ennemi ? Faut-il l’éliminer ? Encore cet écho qui se rapproche… Qui est-il ? Non, qui est-elle ? Cette voix… Éliminer les cibles ! C’est la priorité.

— Ne m’oblige pas à recommencer !

Toujours pas de réponse. Il fallait trouver une solution…

Niki eut une idée. Elle fit dériver la puissance de ses armes dans les boucliers d’énergie et se lança à la poursuite de Spiros non pas juste pour le suivre, mais pour le toucher. Encore fallait-il pouvoir l’atteindre…

Après une course-poursuite longue et fastidieuse, elle réussit à le percuter de plein fouet, le faisait dévier hors du champ de bataille. Spiros se rétablit très rapidement et s’apprêtait à revenir lorsque Niki se posta pile devant lui.

— Stop ! s’écria-t-elle. Cette fois, tu vas m’écouter !

Un ennemi ? Non, je dois protéger… amis Mais il m’a attaqué… un obstacle à ma mission ? Dois-je le détruire ?

Ses tourelles laser pointèrent vers Niki.

— Non… Spiros, ne fais pas ça… C’est moi ! Niki ! Tu ne te rappelles donc pas ?

Niki ? Elle est mon obstacle ? Oui… bloqué dans le passé à cause d’elle… je ne peux pas avancer avec elle…

— Est-ce que tu te souviens… ? La nuit dernière ? Rappelle-toi, nous étions tous les deux… ensemble comme autrefois… ne me dis pas que tu as oublié !

Ce n’est pas un obstacle ? Niki… oui… c’est elle… et je dois la protéger aussi… non, la mission… quelle mission ?

Une ligne de commande apparue sur sa visière :

Processus terminé//fin de commande autonome __Neurosystem extinction

Spiros se rendit compte qu’il était complètement essoufflé. En nage sous sa combinaison, son visage était trempé comme s’il venait de sortir de la douche. Il avait un horrible mal de crâne et avait l’impression de se réveiller d’une nuit difficile et fiévreuse.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que je fous là ? marmonna-t-il.

Devant lui était posté le Striker de Niki. Il le reconnut au numéro sur le nez de l’appareil.

— Niki ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Spiros ! Enfin, tu réponds ! ça fait vingt minutes que je t’appelle ! Pourquoi tu ne répondais pas ? Tu allais me tirer dessus, c’est ça ?

— Hein ? Mais non, pourquoi tu dis ça ?

— Prends-moi pour une conne ! Tes canons étaient pointés sur moi ! Tu n’as pas arrêté de dégommer les vaisseaux ennemis depuis tout ce temps sans tenir compte des ordres ! Tu as même ignoré l’adjudant Bannoc ! Bordel, Spiros ! Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?

— J’en sais rien… je ne me sens pas très bien… j’ai chaud et je transpire comme pas possible…

— La belle affaire ! Tu t’expliqueras aux supérieurs ! Écoute-moi attentivement ! Tu vas retourner auprès du Séraphin et ne plus bouger ! Tu es mis à pied jusqu’à nouvel ordre, c’est compris ?

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Tu te fous de moi ? Tu vas me dire que tu ne te souviens de rien ?

— Je ne sais pas…

La mémoire lui faisait effectivement défaut. Il ne se rappelait nullement comment il s’était retrouvé là, en dehors du champ de bataille. Seulement quelques images très vagues lui parvenaient.

— Je vais t’escorter jusqu’au vaisseau-amiral, dit alors Niki. Maintenant, tu désactives tes armes et tu te contentes de me suivre, OK ?

— Si l’on survit jusque-là…

Leurs radars venaient tout juste de signaler une escadrille ennemie en approche de leur position. Niki n’avait pas prévu ça. Ce laps de temps avait permis aux troupes Black-Trons de se réunir pour affronter Spiros. Évidemment, un tel adversaire ne pouvait qu’attirer l’attention sur lui, les commandants Black-Trons ont forcément ordonné à leurs effectifs de le détruire en priorité après les dégâts qu’ils avaient reçus.

— OK… On n’a pas le choix, on décroche ! On décroche !

Spiros la suivit, encore abasourdi. Il ne comprenait absolument pas ce qui lui arrivait en cet instant. Avait-il subi un choc au point d’en perdre la mémoire ? Et pourquoi Niki voulait lui donner une mise à pied ?

De son côté, le sergent avait rapidement analysé la situation et avait conclu qu’ils ne s’en sortiraient pas sans l’aide de renforts. Elle lança un appel à l’Odysséas, confirmant avoir « récupéré » l’agent Merig et qu’ils étaient pourchassés par une trentaine de chasseurs Black-Tron.

— Nous allons tenter de vous trouver du renfort, répondit alors Ferne. Je vais appeler les chasseurs les plus proches de votre position, mais la situation est très compliquée, toutes les unités sont aux prises avec l’ennemi. Tenez le coup en attendant, je vous en prie !

— Nous allons essayer, capitaine…

En son for intérieur, elle savait que c’était quasi impossible. Trente Intruders contre eux deux seulement, c’était purement du suicide. Spiros était probablement capable de les sortir de là, mais elle voulait éviter un nouveau débordement de sa part. Avait-elle cependant le choix ?

— Spiros, écoute… j’aimerais que tu gardes le contrôle de ta personne, mais si tu pouvais refaire le même exploit que tout à l’heure, ça serait parfait…

— Niki, je ne sais absolument pas de quoi tu parles ! J’ai l’impression d’avoir subi une absence, si tu pouvais éclairer ma lanterne…

— Pas le temps, grommela-t-elle. Ils arrivent, partons vite d’ici, on ne va pas faire le poids.

Le vaisseau-amiral le plus proche était le Destiny mais il y avait bien trente minutes de vol en pleine vitesse. Passer en semiluminique prendrait trop de temps pour si peu de distance et Spiros n’en était pas équipé. Cependant, son chasseur était bien plus rapide que le sien, il avait donc plus de chance de s’en sortir.

— Niki, il faut que je me batte moi aussi ! On a bien une mission à réaliser, non ?

— On a été obligé de te remplacer, crétin ! Pour faire court, tu as pété un boulon et tu as dégommé la moitié de l’armée Black-Tron à toi tout seul !

— Vraiment ? s’étonna-t-il, un léger sourire aux lèvres. J’ai fait ça ?

— Tu les as même carrément détruits !

— OK, alors je vais faire de même avec ceux-là… sans les détruire si j’y arrive.

— Spiros, NON !

Bien qu’il ne s’en souvenait toujours pas, le fait de savoir qu’il avait réalisé ce que personne n’avait pu faire auparavant lui donna un excès d’adrénaline qui le poussa à ignorer Niki pour faire volte-face et affronter les Intruders qui arrivaient en masse. Niki, ne pouvant se résoudre à le laisser tout seul, le suivit en pensant au danger auquel ils faisaient face.

Quel abruti ! Il a bien de la chance que je l’aime… Oh Punaise ! Qu’est-ce que je raconte ?

Non, ce n’était pas possible. Ainsi, ses sentiments envers lui n’avaient jamais disparu. Elle ne pouvait s’y résoudre, c’était comme trahir ceux qu’elle avait pour Lioris. Et pourtant, la voilà accourant pour porter assistance à Spiros, pour qui elle avait souffert tant d’années.

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