Chapitre 6

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Matthew

Lorsque je rejoins Paul au « Brin », le pub dans lequel nous avons l’habitude de nous retrouver, il est vingt-trois heures passées. Une bière m’attend déjà à ma place, et Paul a les mains très occupées sur le corps d’une grande black à la robe très courte. Lorsqu’il me repère, il lui parle à l’oreille et elle finit par se lever et s’éloigner. Je m’installe en face de lui et bois une gorgée après avoir fait tinter ma bière contre la sienne.

- Il ne fallait pas te déranger pour moi.

- T’inquiète, j’ai rencard dans une heure, rit-il en buvant à son tour.

- Elle est jolie. Tu la connais depuis longtemps ?

- Nous étions au lycée ensemble. On s’est perdus de vue, et croisés par hasard au supermarché il y a trois semaines.

- C’est top mon pote !

- Ça va toi ? me demande-t-il après avoir acquiescé avec un sourire en coin.

- Ça va ouais, dis-je en haussant les épaules.

- Hum, à d’autres. Comment ça va, réellement ?

- Aussi bien que possible vu le contexte.

- Vous vous êtes rapprochés ces derniers temps quand même.

- Paul, ça fait plus de quatre mois qu’elle a perdu la mémoire, je commence à perdre espoir, soupiré-je.

- Pourquoi est-ce que tu ne lui dis pas ? Ça décoincerait les choses, elle essaierait davantage de se souvenir de votre relation.

- Hors de question. Tu imagines ce qu’elle va ressentir si je lui dis ? En n’ayant aucun souvenir de nous deux, alors que moi je me souviens de tout. Elle est déjà suffisamment mal à l’aise comme ça. Si en plus elle pige que je l’ai vue nue, qu’on a couché ensemble, et je ne sais quelle autre connerie, elle va carrément paniquer.

- Pas faux…

- Quant à ses sentiments, je ne veux pas qu’elle ait l’impression d’être amoureuse de moi tu vois, ni qu’elle se sente obligée de l’être.

Paul me regarde longuement par-dessus sa bière. Je ne sais pas si j’ai raison de ne pas en parler avec Léana, mais la vérité est simple : je suis mort de trouille à l’idée de la perdre, et je suis mort de trouille à l’idée qu’elle me rejette si elle ne partage plus mes sentiments. Je crois que je préfère encore devoir jouer l’ami quitte à souffrir du manque de proximité, tant que je la garde tout près de moi.

- Mon pote, il va falloir que tu fasses quelque chose et vite, parce qu’elle, elle vit sa vie, soupire-t-il, les yeux levés vers l’entrée du bar.

Je me retourne et me fige lorsque mes yeux se posent sur Léana. Elle porte une petite robe blanche évasée à partir de la taille, qui contraste divinement avec le teint halé de ses jambes ; et son éternelle veste en cuir. Ses cheveux sont relevés en un chignon haut lâche, si bien que des mèches retombent et encadrent son magnifique visage. Bon sang, ce qu’elle est belle !

Ma main se serre sur ma bière quand j’aperçois un grand brun qui lui murmure à l’oreille je ne sais quelle connerie, la faisant sourire, avant de poser sa main dans son dos pour l’accompagner jusqu’au bar.

- C’est qui celui-là ? bougonné-je en déplaçant légèrement ma chaise pour pouvoir les observer sans me tordre le cou.

- Je ne sais pas mec… Tu veux que j’aille à la pêche aux infos ?

- Non, laisse tomber… Bordel, comment je vais faire Paul ?

- La faire tomber amoureuse de toi une seconde fois ?

- Tu plaisantes ? Ça m’a pris tellement de temps de la convaincre qu’on pouvait être plus que des amis sans foutre en l’air la coloc… J’ai pris un nombre de râteaux incalculable !

- Ça ne m’étonne pas d’elle ! rit-il. Plus sérieusement, Matthew, que tu ne veuilles pas lui dire ce qui se passe entre vous, certes. Mais tu dois faire quelque chose. Imagine qu’elle tombe amoureuse de ce mec ? Et imagine qu’après elle se souvienne pour vous ? Comment va-t-elle se sentir ?

Je fais signe un barman de nous resservir une tournée et finis ma bière d’une traite. Il a raison, je ne peux pas la laisser tomber amoureuse de ce type ou de n’importe quel autre type d’ailleurs. Il va falloir que je me batte pour la retrouver, qu’elle tombe amoureuse de moi à nouveau, ou qu’elle se souvienne.

Je continue à observer Léana. Elle rayonne, sourit, rit, mais je perçois qu’elle garde une distance de sécurité. C’est Léa tout craché. Elle ne se lâche pas tant qu’elle n’est pas en confiance à cent pour cent. Et c’est tout aussi elle quand elle s’interpose entre un homme qui semble avoir trop bu et une femme qui le repousse alors qu’il est très insistant. Elle lui parle calmement mais fermement, cependant l’homme ivre s’énerve et je me retrouve aux côtés de ma brune sans même m’en rendre compte, à attraper son bras pour immobiliser cet imbécile alors qu’il vient de la bousculer brutalement. Paul nous rejoint et éloigne les filles alors que je sors le type du bar. Je le gratifie d’une bonne droite. Je ne devrais pas, mais il aurait pu repartir dans un état bien plus inquiétant.

Lorsque je rentre dans le bar, Léana est assise, son prétendant accroupi devant elle. Elle relève les yeux vers moi alors que j’approche, se désintéresse totalement du type et me rejoint au milieu du bar.

- Tu vas bien ? dit-elle en attrapant mon menton et en m’inspectant le visage.

- C’est moi qui devrais te poser la question. Est-ce que ça va ?

J’attrape la main qui maintenait mon menton et la serre. Léa remarque mes phalanges rougies.

- Tu l’as frappé ?!

- Non, c’est son visage qui s’est retrouvé projeté sur mon poing.

- Matt !

- Quoi ? Il a posé ses mains sur toi ! Il t’a bousculée ! Tu aurais préféré que je l’encourage ?

Sans attendre sa réponse, je lui prends la main et l’entraîne dans le couloir. Elle me suit sans rechigner. Une fois à l’abri des regards, je fais à mon tour une inspection de son corps. Son poignet gauche est rougi par la poigne de l’ivrogne avant qu’il la bouscule. Je caresse l’intérieur de son poignet alors que la colère gronde en moi.

- Est-ce que tu vas bien Chouquette ?

Léa se fige puis baisse les yeux sur ma main qui caresse son poignet. Merde, je viens de l’appeler Chouquette. Je m’étais juré de ne pas l’appeler ainsi tant qu’elle n’aurait pas retrouvé un souvenir d’elle et moi plus proches que des colocataires, à l’époque où je m’aventurais à la draguer.

- J’ai une impression de déjà-vu. Mais c’était à l’hôpital. Matt, je me souviens ! Et… je me souviens même du contexte ! Sophia s’est faite agresser et je l’ai défendue !

Le sourire qui apparaît sur mon visage est totalement incontrôlé, tout comme l’instinct qui me pousse à la prendre dans mes bras et à la serrer contre moi. Rien n’est perdu.

Je crois qu’il me fallait ça pour me remettre sur pied. Je vais la courtiser à nouveau. Je vais la faire mienne une seconde fois. Hors de question de la perdre. Que Léana se souvienne ou pas de ces dernières années, je compte bien la reconquérir.

****

Un an et demi plus tôt

Je pars récupérer Léa et Sophia aux Urgences après ma garde. Une garde des plus compliquées. Sophia s’est fait agresser par un mec ivre durant une intervention sans les Pompiers et, comme d’habitude, Léana n’en a fait qu’à sa tête : au lieu d’appeler la police, elle a voulu s’interposer. Malgré ses cours de Krav-Maga, elle a pris un mauvais coup dans l’estomac alors que Sophia appelait les Bleus.

Lorsque j’arrive près du box qu’on m’a indiqué à l’entrée, je m’arrête en entendant les filles discuter, pour les laisser terminer leur conversation. Ou les épier ? Non, moi jamais !

- Tu n’aurais pas dû t’interposer, regarde-moi l’état de ton ventre, dit la voix de Sophia, qui semble à mi-chemin entre colère et angoisse.

- Si je n’étais pas intervenue, c’est toi qui serais dans cet état.

- Et alors ?

- Et alors tu as un rencard ce soir non ? Imagine, le tue-l’amour si tu avais dû lui raconter l’agression.

- N’importe quoi Léa ! Non mais tu te rends compte que tu t’es jetée dans la gueule du loup !

- Je vais bien Sosso, si tu veux mon avis, il est en pire état que moi.

- Léana, je suis sérieuse, qu’est-ce qui t’a pris ?

- Il était hors de question qu’il t’arrive la même chose qu’il y a deux ans ! s’énerve Léa.

Sophia soupire et j’en profite pour frapper et entrer. Léa se lève et se poste devant la fenêtre, les épaules droites, les poings serrés. La blonde me sourit doucement.

- Salut les bagarreuses. Votre chauffeur est arrivé, souris-je pour détendre l’atmosphère.

- Je vais chercher la paperasse à signer, soupire Sophia avant d’ajouter à mon oreille : ne l’écoute pas, elle ne va pas bien.

J’acquiesce et attends qu’elle sorte de la pièce avant d’approcher de Léa. Je l’entoure d’un bras et l’attire contre moi. Elle pose sa tête contre mon épaule et soupire.

- Hé, ça va ?

- Ouais, j’ai juste besoin de dormir.

- On va déposer Sophia et je te ramène à la maison. Qu’est-ce qu’ont dit les médecins ?

- Je n’ai rien, juste un hématome à l’abdomen et les poignets rougis.

Je la retourne face à moi et prends ses mains. En effet, ses poignets ont dû être fortement serrés. Mes pouces les caressent doucement.

- Est-ce que tu vas bien Chouquette ?

Elle me sourit tristement et se love dans mes bras.

- J’ai revu Sophia au sol, le sang partout, le type avec le couteau dans la main faisant les cent pas autour d’elle. Je ne pouvais pas laisser ça arriver une seconde fois alors j’ai agi.

- Je comprends, mais tu t’es mise en danger Léa.

- Il le fallait. Je m’en suis tellement voulu la dernière fois Matt. J’étais incapable d’agir. Aujourd’hui je le pouvais, alors je l’ai fait. C’est aussi simple que ça.

- Ne me refais jamais une frayeur pareille, murmuré-je en la serrant contre moi.

- Vas-y molo, j’ai mal aux côtes grimace-t-elle.

- Pardon. Allez rentrons à la maison Chouquette.

Léana

Je quitte les bras de Matt à contrecœur mais je dois me reprendre. J’attrape sa main droite et examine ses jointures rougies.

- Il te faut de la glace.

- Mais non, ça va aller.

- Matt ! C’est non négociable.

- Oui Patronne, rit-il. Allez viens.

Il me prend la main et me ramène dans la salle, où Romain, mon rencard, discute avec Paul. Je m’arrête au bar pour demander à Louis, le barman qui semble bien mieux me connaître que moi, merci amnésie, de la glace pour mon colocataire. Je rejoins le groupe et m’assieds à côté de Matt, attrape sa main et pose la glace dessus. Il bougonne et l’enlève, alors je le prends par le poignet et pose sa paume sur ma cuisse, l’immobilisant en posant ma main sur la glace. Je ferme les yeux une seconde, assaillie par un désir naissant entre mes cuisses alors que la main de Matt se crispe sur ma cuisse. Est-ce le froid des glaçons ou notre promiscuité qui a dicté ce geste ?

Matthew se racle la gorge alors que Romain fronce les sourcils en prenant la parole.

- Tu vas bien ?

- Oui oui, rien de grave.

- Tu es rouge au niveau de la clavicule, il t’a bousculée ?

- Bien sûr qu’il l’a bousculée ! Tu dormais ou quoi ? s’insurge Matt en se tournant vers moi.

Il pose sa main sur ma clavicule et je jure que j’ai l’impression qu’une décharge électrique part de ses doigts pour venir traverser tout mon corps. Son regard noir vers Romain se charge de douceur quand il se pose sur moi.

- Tu risques d’avoir un bleu. Tu vois, il méritait largement une droite.

- Répondre à la violence par la violence n’est pas une solution Matt…

- Je sais bien Chouquette.

- Il va falloir que tu m’expliques d’où vient ce surnom, dis-je en fronçant les sourcils.

- Oh c’est simple, rit Paul, d’un brunch où tu avais mangé toutes les chouquettes entre le passage à la boulangerie et l’arrivée à la coloc.

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