09. Tout ira bien, mon fils

7 minutes de lecture

Liam

— Bonne journée, Madame. A bientôt et n'oubliez pas, achetez malin, chez nous, c'est bien !

Quelle horreur, cette phrase qu'on nous oblige à dire à chaque client du supermarché ! Heureusement que j'ai bientôt fini mon service parce que là, je sature.

— Bonjour Monsieur. Vous avez la carte du magasin ?

— Touche pas à mes fruits, sale nègre.

Je le regarde et fais mine de ne pas l'avoir entendu même si je bous intérieurement. S’il recommence, tant pis pour le boulot et pour l’argent, je me lève et je lui casse sa belle gueule de blanc raciste.

— Huit dollars s'il vous plaît. Et n'oubliez pas, achetez malin, chez nous, c'est bien.

Connard de raciste. Si tu pouvais crever sous une voiture, ce serait encore plus malin. Heureusement que nous sommes dans une ville plutôt ouverte et que ces cons ne sont pas trop nombreux...

Je finis mon service et passe voir Renée au rayon frais.

— Tu es la meilleure, Renée, grâce à toi, on va manger un peu de viande ce soir.

— Oui, mon lapin, c'est normal. Il faut bien s’entraider ! Et sinon, on jette…

Je repars chez moi avec mon petit sac en réfléchissant à comment je vais faire pour acheter de nouveaux vêtements à Judith qui a encore grandi, et ma situation financière me désespère un peu. Avec les cours et le basket, je n'ai pas assez de temps pour travailler suffisamment. Et Daddy ne se préoccupe pas du tout de la situation. Comme si en jouant sur Internet, tous nos tracas allaient disparaître… Avant de rentrer chez moi, je passe récupérer ma sœur chez Megan.

— Le Mexicain est passé tout à l’heure, il dit que ton père n’a pas réglé le loyer le mois dernier, ni le mois d’avant. Il a laissé un courrier pour toi dans ta boite aux lettres. Il n’avait pas l’air content du tout, Liam. Tu devrais en parler à ton père.

Comme si je ne lui en parlais pas presque chaque jour. Mais que fait mon père de son salaire ? Il ne dépense pas tout en jeu quand même ? Ça m'énerve car je me tue au boulot et lui fait comme si la vie était belle et tranquille. Il vit dans ses rêves et me laisse affronter la réalité de la vie.

— Judith a été sage ? demandé-je pour distraire ma voisine.

— Oui, un ange, comme d’habitude. Par contre, elle a un peu mal aux dents. Il faudrait peut-être consulter un médecin.

Et puis quoi encore ? Elle pense qu’on a les moyens de se payer une visite chez le médecin comme ça ? Avec Obamacare, on a certes accès à la médecine, mais il faut appeler sur la liste prévue, attendre qu’il y ait un rendez-vous de disponible. Elle n’aura plus mal quand ça arrivera, il faut juste laisser passer un peu de temps.

— On verra demain si elle a encore mal, Megan. Merci de m’avoir prévenu, en tous cas. A demain !

Je me dépêche de sortir avec ma sœur avant qu’elle ne me fasse part d’une autre mauvaise nouvelle ou qu’elle ne me fasse du rentre-dedans. Je prends la main de Judith et rentre chez moi après avoir récupéré la lettre dans la boîte. Elle est grande et notre nom est inscrit à la main, d’une écriture un peu tremblante.

— Va jouer un peu, Jude, je vais préparer à manger. Et si tu vois Daddy quelque part dans la maison, dis-lui qu’on a reçu du courrier, s’il te plaît.

Je n’attends cependant pas mon père pour l’ouvrir et essaie de comprendre ce qui est indiqué. Tout est écrit à la main, ça ne fait pas très officiel, mais avec le Mexicain, ce serait surprenant qu’il en soit autrement. Je déchiffre les lignes griffonnées et qui nous sont adressées et je n’arrive pas à réaliser ce que les mots révèlent. Mon père arrive à ce moment-là.

— Daddy, pourquoi tu n’as pas payé le loyer ces deux derniers mois ? Tu es fou, on va se retrouver dehors !

— Bonsoir mon fils, tu vas bien ? Pourquoi cet énervement alors que tu viens d’arriver ?

— Le Mexicain est passé et il a laissé un courrier, dis-je simplement, le voyant pâlir un peu à l’annonce de cette visite.

— Un courrier ? Qu’est-ce qu’il veut encore ? soupire-t-il en me prenant le papier des mains pour le lire. Nom de… Il veut vraiment nous mettre à la rue, cet imbécile de profiteur ?

— Oui, il a dit à Megan que tu n’avais pas payé le dernier loyer, ni celui d’avant. Tu as fait quoi de l’argent, Daddy ? l’interrogé-je, un peu énervé.

— Je… Je les ai investis pour qu’ils rapportent…

— Tu veux dire que tu les a cramés, oui ? Ils t’ont rapporté combien ? Tu peux les récupérer pour payer ?

J’hallucine, là. Il n’a pas vraiment mis tout l’argent du loyer dans des placements foireux ? J’espère qu’il va pouvoir au moins récupérer sa mise et qu’on pourra payer le loyer au Mexicain, sinon, on n’est pas sauvé.

— J’essaie, Liam, marmonne-t-il en se laissant tomber sur le canapé. Vraiment, j’essaie. Mais j’ai un autre plan, ne t’inquiète pas. Bientôt, on n’aura plus de problèmes d’argent, je te le garantis.

— Tu essaies ? Tu as un autre plan ? Mais tu es inconscient ou quoi ? Tu sais que tu as un fils et une fille surtout ? Tu nous vois vivre à la rue ? Le Mexicain, c’est pas un rigolo. Si on n’a pas payé à la fin de la semaine, il nous laisse quinze jours pour nous barrer d’ici. Daddy, dis-moi que tu vas payer…

J’ai horreur du tremblement qu’il y a dans ma voix, mais je ne parviens pas à le maîtriser. Si le Mexicain saisit la maison, où va-t-on vivre ? Il va sûrement falloir que j’arrête mes études pour bosser à cause de l’inconscience de mon père…

— Calme toi, fils. Je gère. Je te promets qu’on ne se retrouvera pas à la rue. Ça va aller, je vais trouver de l’argent, dit-il en sortant son téléphone de sa poche.

— Tu crois que tu vas trouver ça sur ton téléphone ? C’est pas là que tu as déjà tout perdu ?

— Daddy, Liam, on va se retrouver à la rue ? demande Judith qui a débarqué au milieu de notre conversation.

Son ton me retourne le cœur et je ne sais pas quoi lui dire parce que, vu comment mon père gère la situation, c’est bien parti pour arriver. Je le laisse répondre, incapable d’affronter le regard innocent de ma sœur.

— Je te promets que non, Princesse, soupire mon père en la faisant monter sur ses genoux. Tu sais bien que je ferai tout pour que ça n’arrive pas. Le Mexicain dit des bêtises, ça va aller.

Et le voilà reparti sur son téléphone. Il abuse, là, et je me retiens de trop crier pour ne pas effrayer davantage Judith, mais son comportement est irresponsable.

— Comment tu peux lui promettre ça alors que tu n’as pas l’argent pour régler ce que l’on doit au Mexicain ? Si tu veux, je peux demander une avance au Supermarché pour payer une partie, mais ça ne suffira jamais à tout prendre en charge...

— Je gère, Liam. Ça suffit maintenant, tu fais peur à ta sœur, me gronde-t-il en me fusillant du regard.

J’hésite à continuer cette discussion stérile car il a au moins raison sur un point, mon inquiétude se transmet directement à Judith qui me regarde avec ses grands yeux effrayés.

— Tu as raison, Daddy. Il ne faut pas l’effrayer pour rien. Mais je suis curieux de savoir ce que tu as en tête pour trouver une solution, ajouté-je plus calmement. Un miracle sorti de ton téléphone, peut-être ?

— C’est tout à fait ça, sourit-il comme si nous n’étions absolument pas dans la galère.

— Bien, on verra ça, conclus-je. J’ai pas l’impression qu’on pourra tirer de toi quoi que ce soit de concret ce soir. Dépêchons-nous de manger, je dois aller travailler au café, après.

— Liam, si on dort dehors, tu pourras me laisser ta couverture pour dormir au chaud ? J’ai froid, moi. Surtout l’hiver avec la neige.

— Ne t’inquiète pas, ma Puce. Tu ne dormiras pas dehors, tu sais, au pire, tu pourras sûrement rester chez Megan. Elle ne dira rien pour toi.

— Mais je veux pas aller chez Megan, je veux rester avec toi, moi !

— Je ne serai pas loin, Jude, ne t’en fais pas. Daddy a raison, on va trouver des solutions, assuré-je avec une confiance que je suis loin de ressentir. Aide-moi à mettre la table.

Nous nous installons alors que mon père sourit bêtement à son téléphone et que ça me donne envie de lui confisquer son appareil et de le jeter par la fenêtre. Je me demande ce qu’il peut bien faire tout le temps sur ses applications. Peut-être que je devrais lui conseiller de consulter un psychologue ou quelqu’un pour son addiction aux jeux ? Mais est-ce à moi de faire ça ? Je ne suis pas responsable de lui, quand même.

— Daddy, tu ne sors pas ce soir, j’espère ? Tu n’as pas oublié que je bosse tard, je fais la fermeture au Unicorn Café. Tu seras bien là pour Judith ?

— Oui, oui, je me souviens, Liam. Tu me prends pour un imbécile ou quoi ? Je sais encore quand tu bosses.

— Essaie de prendre un peu de temps loin de ton téléphone pour la coucher, alors. Elle n’est pas encore sur Facebook, ta fille. Tu ne pourras pas lui envoyer de petit cœur avec ton téléphone.

J’ai horreur d’être mesquin comme ça avec mon père, mais je suis révolté par son attitude et j’ai du mal à me calmer. Daddy, lui, se contente de jeter un regard dans ma direction et ne prend pas la peine de me répondre avant de retourner à ses petits jeux. Je soupire et vais mettre ma vaisselle dans l’évier avant d’aller me changer pour aller travailler au café. La situation est catastrophique, mais je n’ai aucun moyen d’infléchir le cours des événements. J’ai horreur de ce sentiment d’impuissance.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0