17. Solution de repli

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Liam

— Bonjour, Monsieur, votre caisse est ouverte ? me demande une voix masculine.

Sans vraiment lever la tête, j’acquiesce et finis d’envoyer un petit message à Sarah pour lui dire que je pense à elle quand tout à coup, une main poilue s’empare de mon téléphone.

— Eh ! Mais rendez-moi ça ! m’écrié-je en attrapant la main au vol qui lâche immédiatement le téléphone. Vous êtes fou ou quoi, d’essayer de me voler mon téléphone comme ça ? La prochaine fois, j’appelle la sécurité !

Je dévisage l’armoire à glace qui a cherché à s’emparer de mon appareil et blanchis quand je comprends qu’il s’agit d’un des gardes du corps du Mexicain. Il me sourit et son air, sous son apparence normale et son sourire mielleux, est terrifiant. Il dépose sur le tapis roulant un petit drapeau que l’on vend pour Halloween, avec une tête de mort dessus. C’est la seule chose qu’il a achetée et ça s’approche lentement de moi. Je me tourne pour voir où est l’agent de sécurité qui est censé nous protéger, mais il est dos aux caisses, apparemment en grande discussion avec une autre armoire à glace. Le message est clair, je suis seul pour affronter la situation. Même les autres clients, devant la mine patibulaire des quatre hommes devant ma caisse, se sont éloignés. Je suis seul et je déglutis alors que le drapeau s’est arrêté près de ma main.

— Eh bien, mon petit Liam, on dirait que tu as vu un fantôme ? me dit le Mexicain de sa petite voix toute fluette, bien loin de l’impression de terreur que tout le reste de la scène évoque. Je vois que tu m’as reconnu. Tu sais pourquoi je suis là ?

— Pour acheter un drapeau, je vois. Vous voulez un sachet avec ou ça va aller pour le transporter ?

J’essaie de rester professionnel et de faire comme s’il était vraiment là pour faire des courses alors que je sais qu’il est présent pour me mettre la pression par rapport au paiement de notre loyer.

— Pas besoin de sachet, c’est un cadeau pour toi, tu peux le prendre directement. Comme ça, tu seras prêt pour Halloween.

— Ça fera quarante cents, murmuré-je après avoir bippé le code barre.

Une des armoires à glace grogne et n’aime apparemment pas le ton que j’emploie car il lève son poing, mais le Mexicain l’abaisse, l’air de rien, et sort son porte-monnaie.

— Calme-toi, Alexandro. N’oublie pas que c’est une visite de courtoisie. Pas de coups, cette fois-ci. Pas de violence. Enfin, pas de violence inutile. Le petit Liam ne fait que son travail.

Toujours cette voix fluette et nasillarde, et toujours aussi ce regard menaçant dissimulé sous une fausse bonhomie.

— Oh, j’ai un souci, par contre, continue-t-il en se penchant un peu vers moi. Regarde, mon ami, il n’y a plus d’argent… C’est triste, non ? Et tu sais pourquoi je suis pauvre comme ça ?

— La maison ne fait pas de crédit, je suis désolé.

— Oh, vraiment ? C’est étrange car moi non plus, je ne fais pas de crédit, et certains se pensent au-dessus de ces principes qui devraient diriger nos vies à tout moment. Parce que, si je n’ai plus d’argent, c’est que j’ai des gens qui vivent chez moi et qui ne paient pas leur loyer… Quelle horreur, tu ne trouves pas ?

Je le regarde et me demande où il veut en venir, avec ses menaces à peine voilées. Je continue à le provoquer de manière indirecte.

— Vous ne prenez pas le drapeau, alors ?

— Arrête tes conneries avec le drapeau, Liam Sanders, s’énerve-t-il alors que Main Poilue m’a attrapé par le col. Je vais être clair avec toi, Monsieur je me moque de tout. Soit vous me payez avant dimanche, soit je connais une petite fille toute mignonne qui risque d’avoir un gros accident. D’ailleurs, il n’est pas dit que même avec un paiement, il n’y ait rien qui lui arrive. Elle est si mignonne… Ce serait dommage d'abîmer un si beau spécimen… Bref, dimanche, mon Petit. Dimanche, c’est dans trois jours, c’est tout. C’est fou comme le temps passe vite…

Lentement, je saisis la main qui m’enserre le col et me dégage le cou avant de répondre. Je me lève et domine le Mexicain de toute ma taille car je n’ai rien à envier à la carrure des gardes du corps. Je tends un doigt accusateur vers notre propriétaire et je gonde dans sa direction.

— Tu touches à un cheveu de ma sœur, je te jure que tu le regretteras. Aucune protection ne m’empêchera de te faire la peau. Et pour ton loyer, mon père a dit qu’il paierait, il va payer. Pourquoi tu ne lui fais pas confiance ?

— Tss. Tss. C’est pas joli, joli, ces menaces. J’en serais presque à aller me plaindre à la police. Mais on est plus intelligent que ça, tous les deux. Dimanche, d’accord ? Bonne journée, mon petit Liam. Et mes amitiés à la jolie jeune femme que tu fréquentes, elle est vraiment très belle.

Il s’éloigne en sifflotant, suivi par ses armoires à glace. Je le suis du regard alors que j’ai l’impression que le monde extérieur se réveille et que la vie autour de moi reprend son cours normal. Une vieille dame se présente à la caisse et dépose ses courses. J’ai un peu l’impression d’avoir rêvé, sauf que le petit drapeau avec la tête de mort est bien là. Le sentiment de malaise qui s’est installé en moi ne me quitte pas jusqu’à la fin de mon service. Ce gars n’a vraiment aucune crainte et sa façon de faire est répugnante. Pourquoi mon père n’a-t-il pas payé les derniers loyers ?

Quand j’arrive à la maison, mon père est là et pianote sur son téléphone pendant que Judith dessine à ses pieds. J’hésite à aborder la question devant elle, mais je n’ai pas la patience d’attendre.

— Le Mexicain est venu me menacer au travail, aujourd’hui. Quand est-ce que tu vas le payer ? attaqué-je directement.

— Bonsoir, Fils. Je vais bien, merci, et toi ? soupire-t-il. Le Mexicain est vraiment venu te voir ? Je suis désolé…

— Oui, il n’a pas fait que venir me voir, il est venu essayer de m’impressionner et il a proféré des menaces contre…

Je m’arrête dans ma phrase car je ne veux pas inquiéter inutilement ma petite sœur, mais le regard que je porte sur elle lui fait comprendre ce qu’il s’est passé et cela lui fait au moins poser son téléphone.

— Je vais aller le voir ce weekend… Je… Bon sang, je n’arrive pas à croire qu’il aille jusque-là, ce fou.

— Si tu sortais un peu de tes jeux sur ton téléphone, tu aurais plus de notions sur la vraie vie, l’accusé-je. Bref, si tu le vois, dis-lui que je n’ai pas peur de lui. Je ferai tout pour nous protéger, tu pourras l’en assurer comme je l’ai déjà fait tout à l’heure. Moi, je ne suis pas comme toi, s’il faut me battre, je me battrai !

— Pas besoin de jouer des poings, bougonne mon père. Je t’ai dit que je gérais, il aura son paiement en temps et en heure.

— En temps et en heure, c’était il y a deux mois. Tu es vraiment irresponsable. Si jamais il arrive un truc à qui que ce soit ici, je te jure que je t’en tiendrai responsable. C’est pourtant pas compliqué de payer son loyer tous les mois ! Surtout à un fou comme le Mexicain !

— C’est bon, Liam, j’en ai marre que tu me parles comme à un gamin. Je fais du mieux que je peux, n’oublie pas que c’est ta mère qui a merdé et que je fais ce que je peux pour pallier à son absence !

— Ouais et moi j’en ai marre que tu te laisses aller comme ça. Elle a bon dos, Maman. Qui c’est qui doit tout gérer à la maison ? Tu sais que Judith a un rendez-vous chez le dentiste demain ? Tu appelles ça être un bon père ?

— Eh bien, excuse-moi de ne pas être le père parfait, s'énerve-t-il en se levant. Désolé de ne pas rentrer dans les critères que tu aimerais, oh Saint Liam !

— Les critères que j’ai ? Mais c’est quoi cette connerie ? Je te demande juste de quitter un peu ton téléphone et d’assumer tes responsabilités ! Tu ferais comment si je n’étais pas là ?

— D’assumer mes responsabilités ? Parce qu’aller se tuer à la tâche tous les jours dans un boulot que je déteste, ce n’est pas ça ? Il te faut quoi de plus ? Tu crois que je l’ai voulue, cette situation, peut-être ? Tu crois que ça me fait plaisir de devoir m’appuyer sur toi ? Mais vas-y, barre-toi si c’est ce que tu veux ! Ne te gêne surtout pas !

— Ouais, eh bien, c’est ce que je vais faire. Et tu verras si tu arrives à assumer ! Tu n’as peut-être pas voulu cette situation, mais tu ne fais rien pour la faire changer ! Moi, je te dis, Hasta la Vista, Bye bye !

Et bravache, je reprends mon sac à dos et sors immédiatement en claquant la porte derrière moi. Je fonce vers le lac sans vraiment savoir où je vais. Tout ce que je sais, c’est que la vue sur l’eau et le centre-ville un peu plus loin me détend. Je ne prends même pas le El (*nom du métro de Chicago) parce que je n’ai pas envie de me retrouver avec d’autres personnes dans ce métro aérien qui fait le tour de la ville. J’ai juste envie de calme et de tranquillité. Et marcher me fait du bien. Mes idées commencent à se mettre en place et je me dis que je n’aurais sûrement pas dû partir comme une furie. Je fais quoi, moi, maintenant ? Si je rentre tout de suite, je vais passer pour un imbécile. Et ça ferait trop plaisir à mon père. Et puis, peut-être que si je ne rentre pas, cela l’inquiètera un peu ? Il mérite ça vu son attitude envers sa famille ! Mais je n’ai nulle part où dormir si je ne rentre pas à la maison… Peut-être que je pourrais aller à la bibliothèque de l’Université ? Elle ferme tard, je sais, mais ça ne résoudra pas mes difficultés.

Penser à la bibliothèque m’amène à penser à Sarah qui y passe beaucoup de temps. Peut-être que je pourrais lui demander un coup de main ? Si elle me donne les coordonnées de son pote, Evan, peut-être que je pourrai aller crécher chez lui ? Ni une, ni deux, je compose son numéro.

— Allo, Sweetie, c’est moi.

— Salut, Capitaine de mes nuits de folie, sourit-elle à l’autre bout du fil. Tu vas bien ?

— Non, c’est la galère. Tu as le numéro d’Evan ?

— Heu… Oui, bien sûr, mais… Je peux te demander dans quoi tu comptes embarquer mon ami ?

— Je me suis engueulé avec Daddy. Et je ne sais pas où dormir ce soir. Il faut que je trouve un endroit pour ne pas passer la nuit dehors, tu vois ?

— Heu… bafouille-t-elle après un silence qui m’a paru une éternité. Tu veux venir à la maison ? Ma mère vient de me dire qu’elle allait dormir chez son nouveau mec bien monté alors… Disons que la voie est libre. Enfin, je vois avec Evan, si tu préfères.

Mon cerveau carbure à fond. Sa proposition est intéressante, pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable ? Mais ça veut aussi dire que je vais encore lui devoir un service. C’est bien beau de payer au lit, mais ça veut aussi dire que je suis en train de perdre un peu de mon indépendance, tout ça.

— Tu es sûre que ça ne va pas te poser de problème, si je viens chez toi ? Je n’ai pas envie de te causer des difficultés à toi aussi. Même si j’avoue que la perspective d’une nuit dans ton lit, ce ne serait pas pour me déplaire !

— Qu’est-ce que tu veux que ça me pose comme problème ? Enfin, je veux dire, en dehors de l’horreur de m’endormir avec le visage du Capitaine de l’équipe de basket sous les yeux et, mon dieu, de me réveiller à ses côtés. Tu te rends compte ? rit-elle. Je t’envoie mon adresse. Et Liam, ça me fait plaisir, ce n’est pas de la charité, juré !

— J’arrive ma belle. J’espère que tu as une brosse à dents à me prêter ! Je la prends, même si c’est de la charité.

— Brosse à dents et repas maison, lit confortable et même l’option câlins si tu veux. Tu as juste à ramener tes jolies petites fesses chez moi. Deal ?

— Deal, Sweetie. You rock.

J’adore ces deals que l’on passe ensemble. Je reste un peu mal à l’aise de me retrouver à la rue et de devoir aller squatter chez elle, mais, il faut l’avouer, il y a pire comme solution de repli. Et si ça peut faire réfléchir mon père sur ses responsabilités, ce serait le pompon !

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