24. L'invasion

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Sarah

— Sarah, je crois qu’il y a un camion qui se gare devant chez toi.

— Et alors ? T’es payé pour regarder un camion rouler ou pour me donner un cours de piano ? lui demandé-je, presque avec véhémence avant de souffler un coup. Excuse-moi Elliott, je suis fatiguée.

— Et pas du tout concentrée ! Tu es amoureuse ou quoi ?

— Amoureuse ? m’égosillé-je. Mais ça va pas, non ?

— Eh bien, tu es tendue, aujourd'hui. Excuse-moi, je faisais juste une blague…

— Pardon, Excuse-moi. Ce sont… Le copain de ma mère emménage avec ses deux gosses, en fait. C’est un peu brutal pour moi, j’ai pas la tête à pianoter aujourd’hui. Et c’est beaucoup moins apaisant quand c’est moi qui en fais que quand j’écoutais mon père en jouer, souris-je tristement.

— Bon, on arrête pour aujourd'hui, alors. Tu veux un petit massage pour te détendre ? tente-t-il avec un sourire charmeur.

Je dépose un baiser sur sa joue en souriant et me lève pour m’étirer. Je crois que j’aurais préféré que notre leçon dure toute la journée, pour ne pas avoir à rencontrer le bel engin et ses gamins.

— Ça va aller, merci. Je te raccompagne, Elliott. Et encore désolée.

— Sarah ? Tu viens, Chérie ? Jim est là ! Tu vas voir, Judith est trop mignonne, glousse ma mère comme une ado en entrant dans le salon où nous recevons les invités.

— Heu… Non, je finis mon cours, Maman, marmonné-je.

— Oh arrête, je t’ai entendue jouer, ce matin, ma Chérie, il vaut mieux que tu en restes là, rit-elle.

Merci Maman. Très sympathique.

— Attends, t’as dit Judith ?

— Oui, Judith. C’est une adorable petite fille.

Nous sortons à l’extérieur et entendons du brouhaha dans l’allée. J’aperçois effectivement le gros camion derrière le porche.

— Sarah ! crie une voix d’enfant qui me confirme que le mauvais pressentiment que j’avais en entendant son prénom n’était pas injustifié.

Elle me saute dessus et je la prends dans mes bras en croisant le regard de Liam au loin. Il semble aussi déstabilisé que moi, pour le coup, bien loin de l’assurance qu’il peut afficher d’ordinaire.

— Maman, c’est quoi ce bordel ? Tu te tapes vraiment le père de… Liam et Judith ? murmuré-je, presque désespérée.

— Tu connais Liam et Judith ? me demande-t-elle, surprise.

— Ben oui, Sarah elle vient à la maison des fois, répond Judith. Elle m’a déjà gardée pendant que Liam il jouait au basket.

— Eh bien, vous vous connaissez déjà alors ! s’exclame ma mère, ravie. Ça va faciliter votre arrivée ici, à la maison, n’est-ce pas Liam ?

— Pas sûr que ça facilite quoi que ce soit, grommelle-t-il en me regardant puis en portant son regard vers Elliott qui me suit. Et lui, c’est qui ? Encore un autre invité à la fête ?

— C’est le Professeur de piano de Sarah, Liam, lui répond ma mère. Il vient tous les dimanches matins ou presque. Sarah, je te présente Jim.

Elle le rejoint et glisse son bras autour de sa taille comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Je sens mon estomac se serrer à cette vision. Ça commence à faire beaucoup, là, non ? Ma mère se tape le père de Liam. Si elle savait que je couche avec le fils, je doute qu’elle tiendrait le discours de la jolie petite famille recomposée.

— Enchantée, Jim, dis-je poliment après avoir jeté un regard à ma mère qui semble me supplier d’être correcte.

— Enchanté, Sarah. Liam m’avait caché qu’il te connaissait. En tous cas, merci de nous accueillir chez toi, tu ne peux pas savoir tout ce que ça veut dire pour nous.

Si, je le sais. J’ai entendu parler de tes dettes, mon petit. Tu as trouvé la poule aux œufs d’or, là. Ma mère a le cœur sur la main et je ne doute pas qu’elle ait déjà réglé les fameuses dettes.

— Bon, on reste plantés dehors ou on se bouge ? éludé-je en faisant déjà demi-tour pour rentrer, Judith toujours dans les bras.

— On va leur montrer où ils peuvent s’installer, comme ça ils pourront tout descendre et tout mettre au bon endroit. Jim, tu connais déjà notre chambre, minaude-t-elle. Je suis tellement contente que la famille soit enfin réunie. Tu dois l’être aussi, Sarah, maintenant, tu as un petit frère et une petite sœur !

— Wow, on se calme, Maman, ne puis-je m’empêcher de lui dire. C’est pas parce qu’on vit ensemble qu’on est frère et sœur, t’emballe pas.

— Euh, je crois que je vais vous laisser, moi, intervient Elliott qui ne sait pas où se mettre. Sarah, on se retrouve la semaine prochaine. Tu m’appelles si besoin, n’hésite pas !

Il m’offre un sourire gêné, vraiment mal à l’aise de se retrouver au milieu de tout ça, et dépose un bisou sur ma joue.

— Merci Elliott, souris-je. A dimanche prochain. Promis, je serai plus attentive.

Mon prof de piano acquiesce et salue d’un signe de tête tout le monde avant de regagner sa voiture, et le regard un peu jaloux de Liam pourrait me faire sourire si je n’étais pas en colère.

— Je te montre ta chambre, Judith ? J’espère que tu vas l’adorer et que Liam ne va pas vouloir te la piquer, dis-je en montant les marches alors que son frère suit derrière, semblant aussi motivé que s’il allait au bûcher.

— Elle est où la mienne ? demande le basketteur, toujours aussi ronchon. On a l’aile des domestiques ou bien vous allez vivre avec le petit peuple ?

— La porte à côté de ma chambre. On t’offre la charité, un peu de respect, lui dis-je froidement en traversant le couloir pour déposer Judith devant la troisième chambre. Entre, Jude, tu vas voir, tu vas être une vraie princesse ici.

La petite ouvre la porte de la chambre et pousse un petit cri en découvrant le lit à baldaquin sur lequel elle se précipite.

— Liam ! crie-t-elle. Viens voir ! Je suis une princesse !

Je souris en allant m’asseoir à côté d’elle alors que son frère débarque, me gratifiant d’un regard noir au passage. Ah, oui, je doute que ma dernière réplique lui ait plu. Dommage pour lui.

— Quel lit ! Ça va te changer, Jude. Et puis, tu vois, ma chambre n’est pas loin, comme ça, si tu te sens un peu triste d’être dans cette grande maison, tu pourras venir me voir.

— Pourquoi je serais triste, Liam ? lui demande la petite. Tu es triste, toi ? C’est trop bien d’être ici ! Et puis, si je pleure, j’irai voir ma grande sœur, dit-elle en revenant dans mes bras.

— Ah oui ? Tu préfères déjà Sarah ? l’interroge-t-il, un peu amer. Bon, je vais aller chercher mes potes qui attendent dehors. On a plein de choses à ramener.

— Fais donc… Avec Jude, on va aller dans ma chambre pendant que vous déchargez. Juste… Faites gaffe aux peintures de mon père sur les murs, s’il te plaît.

Je dois lui lancer un regard désespéré totalement incontrôlable avant de soupirer et d’entraîner sa sœur dans ma chambre. Je refuse de voir cette invasion de mon espace, c’est trop compliqué pour moi. J’ai beau avoir aidé ma mère hier, je ne vis pas très bien l’emménagement de son mec ici. Et encore moins bien maintenant que je sais de qui il s’agit. Quelles étaient les chances pour que ce soit la famille que je côtoie intimement, hein ? Est-ce que Liam était au courant ? C’est quoi ce bordel, sérieusement ?

Nous passons un moment dans ma chambre, avec Judith. Elle semble très bien vivre son changement de situation, et c’est vraiment une gamine adorable. Elle s’est assise sur la banquette, devant les fenêtres, et commente ce qu’elle voit en me racontant sa journée d’hier avec la voisine. Elle a voulu dessiner, écouter de la musique, regarder la télévision. Une vraie pile électrique que j’adore mais qui me fatigue déjà. Je n’ai pas vraiment l’habitude, il faut le dire, d’avoir un enfant à la maison. Voilà qui va d’autant plus chambouler ma vie.

Quand les potes basketteurs de Liam repartent enfin et que je l’entends aller dans sa chambre, j’accompagne la petite dans la sienne et manque de m’étouffer en voyant le bordel qui y règne. Les voilà installés chez moi. C’est fou comme ce fut rapide et je doute de pouvoir m’y faire. Judith a ramené plein de jouets, il y a des cartons partout et je me demande comment elle va bien pouvoir tout ranger, mais ma mère débarque et propose de l’aider avec toute sa gentillesse naturelle. Elles ont accroché, toutes les deux, et je ne peux m’empêcher de me dire qu’au final, ma mère a eu ce qu’elle voulait et n’a pas pu avoir : d’autres enfants.

— Ça va, pas trop une chambre de riches pour toi ? demandé-je à Liam en me plantant dans l’encadrement de sa porte. Tu vas survivre ?

— On fait quoi, ici, chez toi ? me demande-t-il, l’air complètement perdu. Je… Je ne sais pas si je vais pouvoir rester. Avec toi à côté, ta mère, cette immense maison… Je ne comprends pas ce qui m’arrive.

— Tu ne comprends pas ce qu’il t’arrive ? ris-je. Tu peux arrêter de bosser, ma gentille mère vous héberge gratuitement et va pourvoir à tous vos besoins. Tu vois, ton père l’a trouvée, la solution finalement.

— Oui, je suis le fils d’un gigolo, et me voilà à devoir vivre la vie de château… Dans quelle galère, il nous met, mon père… J’en reviens toujours pas.

— Dans quelle galère ? Tu déconnes ? Plus de dettes, plus de soucis financiers et tu appelles ça une galère ? Elle est bonne, celle-là ! Y a pire, non ?

— Je ne suis pas comme mon père, Sarah. Je n’ai aucune envie de vivre à vos crochets. Lui dit qu’il aime ta mère, que c’est un véritable amour et que ça ne le dérange pas qu’elle nous aide. Moi, je suis désolé, mais je ne le supporte pas. Ce n’est pas moi, toute cette opulence.

— Pauvre petit Chéri, obligé de devoir s’habituer à avoir de l’argent, marmonné-je. En tous cas, on peut te remercier de m’avoir repoussée hier matin et même de ne pas t’être rendu disponible pour moi hier soir, au moins, ça rend les choses moins glauques maintenant qu’on est frère et sœur.

— On a quand même couché à deux, grande sœur, dit-il avec une expression mêlant à la fois le désir et l’incompréhension. Et tu comprends pourquoi hier soir, je n’ai pas pu venir… J’étais un peu occupé.

— Je me doute… Et tu comprends pourquoi hier soir, moi, je voulais te voir… J’avais besoin de me changer les idées. Mais bon, on ne comprend pas ce genre de choses, avec un plan cul, soupiré-je.

— Oui, il va falloir que je m’en trouve un autre, là. Entre frère et sœur, ça ne se fait pas, c’est ça qui est glauque…

— C’est ça, précipite-toi pour t’en trouver une autre… Mais je te rappelle les règles ici ou c’est bon pour toi ? lui dis-je d’une voix amère.

— C’est toi qui fixes les règles ici ? Je crois que c’est le genre de choses dont il va falloir parler ensemble. En famille, répond-il en insistant lourdement sur le mot.

— Arrête de parler de nous comme ça, putain, on n’est pas une famille et on ne le sera jamais, grimacé-je. Et hors de question de voir tes poufiasses défiler. T’es pas dans ton quartier, là, va falloir t’y habituer !

Je claque la porte de sa chambre et vais me réfugier dans la mienne, prodiguant le même traitement au battant au passage. J’ai l’impression d’être dans un foutu cauchemar sans pouvoir m’en échapper. Est-ce qu’on pourrait me réveiller, s’il vous plaît ? C’est bon, la blague était déjà nulle, mais il faudrait éviter de prolonger cette torture ! Liam vit ici. Liam est mon frère. Non, on n’a rien d’un frère et d’une sœur. Pourtant, Judith est déjà à fond dans l’idée, et ma mère… Ah ma mère, n’en parlons pas. Donc, selon l’équation, j’ai couché avec mon frère ? Glauque, il a raison…

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