33. Le choc des cultures

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Liam

Il n’y a pas à dire, les fêtes dans les quartiers bourges, c’est pas exceptionnel au niveau ambiance, mais au moins, il y a pas mal de jolies filles. Elles sont un peu toutes sur le même format, brune ou blonde, l’air un peu coincées, mais je suis sûr qu’aucune d’entre elles ne dirait non à une nuit dans mon lit. J’ai l’impression d’être, avec elles, une star entourée de ses groupies tellement elles me collent où que j’aille. Surtout la petite Jemma. La fille reste accrochée à mon bras comme si elle avait besoin de moi pour tenir debout. Elle est plutôt pas mal, même si je ne peux m’empêcher de la comparer à Sarah et la comparaison penche nettement en faveur de ma… Colocataire ? Grande sœur ? Techniquement, ce n’est pas encore le cas. On va rester sur la meuf que j’ai baisée et que je ne peux plus toucher.

— Liam, c’est vrai que tu es basketteur ? me demande une petite brune qui ne s’est même pas présentée.

— Je suis le capitaine de l’équipe universitaire, mais je ne suis pas encore un basketteur professionnel. Peut-être que je ne le serai jamais, en plus. Il faudrait que je me fasse remarquer par la NBA si je veux faire carrière. En attendant, j’essaie d’être sérieux dans mes études.

— Si tu veux de l’aide ou de la compagnie pour réviser, j’habite la grande maison blanche, là-bas, me montre Jemma.

Je souris et cherche du regard où se trouve la compagnie que j’ai à la maison. Je constate que Jude s’est vite intégrée avec les autres gamins du quartier. Elle est la seule black mais ça n’a pas l’air de la perturber plus que ça. Mon père a enfin réussi à se rapprocher de Vic qui s’accroche à son bras devant les regards soit envieux, soit un peu dégoutés de ses amies. Sarah est elle avec un beau gosse, blond, bien propret sur lui et bien habillé avec son petit polo de marque et son pantalon blanc qui montre qu’il a du fric.

Je me désengage du petit groupe qui m’avait accaparé et récupère deux hot-dogs avec des chips et des sticks de carottes, puis viens voir la jeune femme.

— Tiens, Princesse, je t’ai ramené un hot-dog. Je suis Liam, me présenté-je au blondinet qui l’accompagne.

— Salut, Liam. Moi c’est Kyle. Je suis content de te rencontrer, Sarah m’a parlé de votre emménagement.

— Eh oui, c’est l’invasion black en pays blanc, une colonisation inversée, dis-je en montrant l’assemblée présente. La petite touche de couleur qui va permettre à tous de dire qu’ils ne sont pas racistes car ils auront parlé à un noir sans l’insulter pendant la fête des voisins. Tu n’es pas à l’université, toi, si ? Je ne t’ai jamais croisé là-bas. Princesse, ça va ? Tu ne t’ennuies pas loin de moi ?

— Kyle bosse avec son père. Et, non, je ne m’ennuyais pas, j’étais même plutôt en train de m’amuser, jusqu’à ce que tu te pointes et me caches la vue sur les deux vieilles du quartier qui hésitent entre reluquer ton père et jouer les racistes.

Je m’écarte légèrement pour regarder avec Sarah ce dont elle parle. Je suis un peu jaloux de la voir ainsi s’amuser avec ce voisin qui apprécie plus que de raison son corps parfait, mais que puis-je dire ? L’exclusivité, c’est fini, elle a bien le droit de parler et draguer qui elle veut. J’observe les deux vieilles qui sont effectivement en train de baver sur mon père mais en même temps, elles ont l’air outré des gens qui voient une infestation de nuisibles envahir leur espace personnel.

— Attends, regarde, Sarah, je vais aller leur parler, ça peut être drôle.

— Tu vas les draguer, elles aussi ? Ou c’est réservé aux petites jeunes dont les pères vont avoir envie de te trucider ?

— Ils veulent me trucider ? demandé-je, surpris. Je n’avais même pas remarqué, tellement toutes ces petites saintes ont le feu aux fesses. Il va falloir qu’ils se fassent à l’idée que leur progéniture n’est pas forcément insensible à mes charmes. Je vais aller leur proposer mes services aux petites vieilles, je vais leur dire que si elles me donnent dix dollars, je leur donne le numéro de mon père. On fait les paris si elles acceptent ou si elles seront scandalisées ?

— Liam, soupire Sarah, ne fais pas n’importe quoi, s’il te plaît… Ils vont tous déjà assez jaser, non ? Tu as vraiment besoin d’en rajouter ?

— Il faut bien pour attirer un peu ton attention, répliqué-je instantanément, avant même de réfléchir. Mais tu as raison, je vais laisser les mémés tranquilles. Kyle, tu veux que je te ramène quelque chose ? Je vais aller me resservir.

— Non, ça ira, me répond-il, un peu gêné. Ça ferait trop le nabab blanc qui se fait servir par son boy noir, tu ne crois pas ?

— Je crois surtout que si ça avait été un pote blanc qui te proposait ça, tu aurais dit oui, répliqué-je un peu durement. Bref, tant pis pour toi. A plus tard.

Je m’éloigne rapidement avant de m’emporter contre ce gars qui m’énerve, à la fois par sa volonté d’être bien pensant, mais surtout pour sa main qu’il a négligemment posée sur la jambe de Sarah. Il va vraiment falloir que je m’y fasse, à ça. J’ai beau faire le malin, ces quelques fois où j’ai pu retrouver ma Sweetie ont laissé une marque bien plus profonde que ce que je croyais.

Je m’approche du retraité qui est à la sono. La musique qu’il passe est d’un ennuyeux avec lequel il est assez difficile de rivaliser. Je repense à la phrase de Sarah sur le fait que je dois faire attention pour éviter que les autres jasent. Mais quand je la vois éclater de rire à une remarque de son cavalier du jour, je me dis que de toute façon, si on jase, ce sera sur moi et ma famille, pas sur elle ou sa mère. Je discute un peu avec le papy qui finit par accepter de connecter mon téléphone à l’enceinte. Je fais passer une musique de Beyonce qui bouge bien, Single Lady. Et emporté par le rythme, je me mets à danser devant la sono, bientôt rejoint par Jemma et d’autres jeunes qui se déhanchent en ma compagnie. J’adore le regard des mémés du quartier, un peu choquées par cette jeunesse qui ne respecte même pas le classicisme des fêtes habituelles.

Je vois Judith au loin courir vers moi, et souris en l’observant faire demi-tour pour aller chercher Sarah. Elle lui tire le bras sans ménagement pour la faire se lever et l’entraîne avec elle sur la piste de danse improvisée en sautillant joyeusement jusqu’à moi. Cette petite est vraiment adorable, et je la saisis dans mes bras et la soulève alors qu’elle n’a pas lâché la main de Sarah qui se retrouve ainsi collée à moi.

— Ça va ? La musique te plaît ? demandé-je à ma colocataire, en souriant. J’espère que ta mère ne va pas me trucider si je te parle !

— Pas très conventionnelle, comme musique, mais ce n’est pas moi que ça va déranger, rit-elle en ondulant en rythme. Et je doute que ma mère te veuille du mal, promis.

— Il faut réveiller un peu tout ce beau monde, c’était trop plan plan à mon goût.

Et je profite bien de ce petit moment où je me retrouve entre Sarah et Jemma qui se déhanchent à mes côtés pendant que Judith rit aux éclats contre moi. Mais tout à coup, la musique s’arrête et est remplacée par un morceau des Rolling Stones, avec un rythme on ne peut plus classique. L’homme d’une cinquantaine d’années, habillé tout en noir, qui est à l’origine de ce retour à la normalité, s’approche de moi. Je reconnais dans son attitude celle du gars qui sait que tout lui est dû, qu’il est toujours dans son droit et je ne suis pas surpris quand il se plante devant moi, comme si j’avais commis le pire des crimes.

— Jack Millers, je suis le père de Jemma, dit-il en approchant encore d’un pas, la main tendue. Et vous êtes, jeune homme ?

Je regarde ce Jack Millers de haut, sa tête n’arrivant même pas à la hauteur de mon épaule, avant de lui serrer la main.

— Moi, c’est Liam. Vous n’aimiez pas ma musique pour la changer sans vous préoccuper de tous ceux qui dansaient ?

Je sais que je devrais la jouer plus profil bas, mais là, je suis vraiment énervé et, quitte à me faire trucider, autant le faire en beauté.

— A vrai dire, hormis les quelques personnes occupées à se déhancher comme Shakira, personne ici n’était pas vraiment fan de cette musique un peu… Osée, si je puis dire. Ce n’est pas dans les coutumes de notre fête des voisins, c’est tout. Mais… Vous arrivez, je me doute que vous n’avez pas encore intégré tous les codes sociaux inhérents à ce quartier.

— Les codes du quartier ? Il faudra me les montrer, car oui, je sais lire, et je n’ai rien signé à mon arrivée ici. Bref, un vrai plaisir de vous rencontrer, heureusement que votre fille est plus intéressante que vous, ajouté-je en passant mon bras autour de l’épaule de l’intéressée, uniquement dans le but de provoquer son père.

— Liam, essaie-t-elle doucement de me raisonner avant que son père ne repousse mon bras un peu violemment, sous mon regard un peu ahuri.

— Ne joue pas trop au con, gamin. Et n’approche surtout pas de ma fille, sinon je peux te garantir que ça va mal se passer, me menace-t-il sans sourciller. Ce n’est pas parce que les Ashford t’ont accepté chez eux qu’il en sera de même pour le quartier. Crois-moi, personne ici n’est ravi de voir des personnes de ton… Espèce, débarquer comme ça.

— Monsieur Millers, intervient Sarah en se glissant entre nous. Je n’ai pas souvenir que la couleur de peau de Liam vous dérangeait quand il s’agissait de la babysitter de Jemma et qu’elle se glissait dans votre lit. C’est fou comme on oublie vite, n’est-ce pas ?

— Je ne te permets pas d’insinuer des atrocités comme ça, Sarah ! Je ne sais pas ce qui te prend, mais tu ferais mieux de te calmer plutôt que de fricoter avec des gens comme ce… Truc qui ressemble à rien, continue-t-il en me montrant.

— Il vaut mieux des gens de mon espèce, grondé-je, que des espèces de con comme toi. Encore une remarque de ce genre, et tous les gangs de Chicago vont débarquer dans ce quartier et te faire la fête. Alors, attention à ta langue ou elle risque de finir coupée dans un caniveau.

Je vois à la façon dont il blanchit qu’il croit vraiment aux inepties que je viens de sortir. Comme si j’avais des contacts avec ces gangs ! Et même si j’avais des contacts, comme si j’avais les moyens de leur faire faire ce que je veux ! Mais il est tellement enfermé dans ses préjugés que ma menace fait son petit effet et il me tourne le dos, outré, en emmenant Jemma, qui me sourit, gênée de l’attitude de son père.

— Qu’est-ce que tu disais, déjà ? me demande Sarah. Ne pas écouter les gens, ou un truc dans le genre ? Bravo, c’est une franche réussite.

— J’ai l’impression que je ne suis pas le seul à avoir perdu mon sang-froid, rétorqué-je en redéposant ma sœur à terre. Jude, vas dire à Papa que je rentre à la maison, s’il te plaît. Et vois avec lui si tu restes ou pas.

— Je n’ai jamais dit que je resterais calme, bougonne Sarah en regardant Judith courir vers Daddy. Tu l’as cherché en fricotant avec sa gamine, soit dit en passant. Je t’avais dit de ne pas jouer avec le feu…

— Désolé, je n’ai pas la tête de gendre parfait du blondinet avec qui tu rigolais, mais, on est dans un pays libre, et j’ai encore le droit de fréquenter qui je veux.

Je vérifie que Judith a bien atteint sans encombre mon père et tourne les talons pour retourner à la maison qui nous accueille dans ce quartier où je me demande si, finalement, on a bien fait d’emménager. J’ai beau me dire que les racistes sont une minorité, je reste sur les nerfs suite à l’événement avec le père de Jemma. Je récupère mon ballon dans le garage et me lance dans une série de tirs pour faire redescendre toute la colère qui m’a envahi. La seule satisfaction que j’ai dans cette soirée bien pourrie, c’est que Sarah a pris ma défense. Mais pour le reste, il va me falloir oublier tout ça rapidement. Trop déprimant sinon.

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