40. Confidences sous les étoiles

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Sarah

Il fait bon ce soir et plutôt que de rester enfermée dans ma chambre, j’ai préféré m’installer sur la terrasse. La nuit est tombée, il fait plus frais, mais le ciel est dégagé et maintenant que les parents ont éteint les lumières pour regarder la télévision au salon, mes yeux se sont habitués à la pénombre et je peux observer les étoiles.

La scène de cet après-midi est imprimée dans mes rétines et dans mon cerveau. Je n’arrive pas à me sortir de la tête le regard de Liam sur ma meilleure amie, son excitation bien visible. Et tout ce qui en découle. J’ai l’impression qu’il m’a arraché le cœur pour le piétiner. J’ai beau avoir conscience que nous ne nous sommes rien promis, que rien n’est possible entre nous et qu’il a le droit de faire sa vie, j’ai la preuve formelle que cet abruti a réussi à me faire tomber amoureuse de lui. Et ça fait mal. C’est stupide, je ne devrais pas souffrir et être malheureuse comme ça alors que ce n’est qu’un petit chagrin d’amour de pas grand-chose. Ce n’est rien comparé à ce qu’a pu vivre ma mère en perdant mon père, mais ça ne m’empêche pas d’avoir la gorge serrée et l’envie constante de pleurer comme une gosse qui n’a pas eu le seul cadeau qu’elle voulait pour Noël.

C’est un peu comme si le sort s’acharnait sur moi. Après la décision de nos parents de se mettre ensemble qui me prive de ce quelque chose avec Liam, il faut qu’il craque pour ma meilleure amie et soit à deux doigts de la baiser dans notre cuisine. Tomber sur cette scène m’a replongée dans un mal-être que je n’avais plus connu depuis un moment. J’ai l’impression de couler à pic avec une enclume accrochée au pied, et j’ai beau essayer de me libérer de ce poids, rien n’y fait. Impossible de positiver. J’en suis même arrivée à chercher le contact de mon psy dans mon téléphone pour retourner le voir par peur de replonger dans mes vieux démons.

J’essuie rageusement une nouvelle larme qui s’échappe et remonte le plaid sur moi en soupirant. Je ne vois plus les étoiles et ce n’est ni à cause de la pollution, ni à cause des nuages. Depuis qu’ils ont débarqué à la maison, je sens bien que je flanche, et je me rends compte que c’est sûrement davantage parce que cela me prive de Liam que parce que ma mère refait sa vie en m’imposant ses choix. C’est quand même un foutu hasard, une malchance pas possible, non ? Le Karma peut être injuste, je n’ai pas déjà assez morflé ? Je me sentais tellement bien avec lui, pourquoi a-t-il fallu que tout se casse la figure ? D’autant plus que vu mon comportement avec Becca, je risque en prime de perdre ma meilleure amie. Elle est folle, délurée, un peu chaudasse ou sexuellement très libérée pour le politiquement correct, mais ça n’en reste pas moins une amie fidèle. Du moins, je crois. Je n’aurais jamais pensé qu’elle puisse vouloir se faire prendre sous mon toit, au beau milieu de notre pièce de vie, alors que je l’attendais bien sagement au premier. Je veux bien qu’elle soit attirée par Liam, mais quand même, merde ! Je n’arrive pas à passer au-dessus de ça, du fait qu’il va la baiser, quoi que je puisse dire ou faire. Il a envie d’elle. Il m’a dit qu’il envisageait plus avec moi, mais il va baiser Becca et bien d’autres nanas. Putain, ça fait trop mal.

C’est d’autant plus douloureux qu’il est sorti ce soir, et qu’il est peut-être avec elle en ce moment même. D’autant plus douloureux que je peux apercevoir nos parents se bécoter sur le canapé et se dire des mots d’amour, se câliner, s’aimer, quand je me sens plus seule que jamais. Cette maison que j’affectionne tant me fait un mal de chien à présent. Croiser Liam me serre le cœur, y voir ma mère et Jim construire leur vie me rend amère, sans compter que chaque pièce me rappelle mon père. Ouais, je crois qu’il va vraiment falloir que je retourne voir mon psy. Au moins, Liam aura une bonne raison de me traiter de petite chose fragile. A qui la faute, hein ?

Je me tortille sur le fauteuil pour récupérer mon téléphone dans la poche arrière de mon short et soupire en voyant que Rebecca m’a envoyé un message. J’hésite à l’ouvrir parce que, honnêtement, justifié ou pas, je lui en veux encore. Elle n’a pas idée de ce que ça peut m’avoir fait de la voir dans les bras de Liam.

— Salut Beauté. Désolée pour tout à l’heure, j’aurais dû me retenir, mais Liam était trop beau. Tu veux qu’on évoque le remariage de ta mère ? J’ai pas envie de perdre ma meilleure amie juste pour un petit écart dans ta cuisine. Si tu as besoin de parler, je suis là. Evan attend aussi un signe de ta part si tu veux l’appeler. Je l’ai prévenu que Liam et sa famille avaient débarqué chez toi. Quelle histoire ! Bisous, bestie.

J’imagine que si Liam était avec elle, elle serait beaucoup trop occupée pour m’envoyer un message, alors, outre la satisfaction de la voir s’excuser, j’avoue que je ne peux qu’apprécier ce que j’en ai conclu. Enfin, s’il n’est pas avec elle, il peut très bien être niché dans le corps d’une autre, cet enfoiré.

— Merci pour ton message. Et désolée pour mon comportement. C’est un peu compliqué pour moi en ce moment, mais tu n’y es pour rien, je n’aurais pas dû… Bref, si tu pouvais juste éviter de faire ça chez moi, j’avoue que je t’en serais éternellement reconnaissante… On en parlera peut-être plus tard. Bonne nuit, Bichette. Bisous.

Je soupire en envoyant le message et me demande si en parler est la bonne solution. Dans tous les cas, je ne pourrai pas être à cent pour cent honnête. Je sais que nous n’avons rien fait de mal avec Liam, jusqu’à présent. Enfin… Hormis les quelques baisers depuis qu’il vit ici. Avant cela, nous ne savions même pas qu’il se passait quelque chose entre nos parents. Mais l’emménagement rendait notre nouveau statut déjà bien réel, et ce n’était rien comparé à cette idée de mariage qui s’organise déjà. Ma mère a passé je ne sais combien de temps là-dessus ce matin, et nous serons bientôt de corvée pour choisir nos tenues. Foutu mariage. S’il n’y aura jamais de lien du sang avec Liam, difficile de ne pas se considérer comme une famille, tant ma mère adore nous le rappeler, ou Jude qui se plaît à me surnommer sa grande sœur. J’aimerais bien toucher deux mots au Karma, moi.

— Sarah ? On va aller se coucher, Chérie. Est-ce que… Est-ce que tout va bien ? me demande ma mère en approchant.

— Pas pire que tout à l’heure, Maman. Non, non, ça va aller, t’inquiète, soupiré-je en remettant le nez dans mon téléphone alors qu’elle s’assied à mes côtés.

— Chérie, je te sens contrariée et ça me fait de la peine, tu sais. J’aime pas voir mon bébé triste comme ça. Tu sais que tu peux tout me dire ? Après tout ce qu’on a vécu à deux, je n’aime pas te voir t’isoler comme ça et faire comme si tout allait bien.

— C’est juste une accumulation de petites choses, je te promets que ce n’est rien de grave, dis-je en espérant être convaincante. Je… Je crois que je vais retourner voir le doc pour être sûre que ça ne s’aggrave pas. Juste… Si tu pouvais éviter d’en parler à tout le monde, ça m’arrangerait.

— Non, je ne dirais rien, bien sûr. Je… Suis désolée que tu sois dans cet état-là à cause de moi, ma Puce. Si j’avais su que tomber amoureuse de Jim remuerait tant de choses en toi, je… Je ne me serais sûrement pas lancée dans cette histoire avec lui. Tu sais que tu es la chose la plus précieuse dans ma vie ? J’aimerais tant que tu retrouves le sourire…

— Il n’y a pas que ça, Maman. Je… Enfin, je suis contente que tu aies retrouvé l’amour et que tu vives pour toi. C’est juste que… Tout ça est trop rapide pour moi et j’ai peur pour toi. Et… Je suis un peu jalouse, je crois…

— Oui, je sais, on va vite… Mais tu sais, à nos âges, on ne peut pas non plus tergiverser trop longtemps. Je sens au fond de moi que Jim est l’homme qu’il me faut pour m’accompagner jusqu’à mes derniers jours. Quant à toi, ne sois pas jalouse, voyons. Jolie comme tu es, tu vas vite te trouver un beau jeune homme qui va te rendre heureuse. Pourquoi tu ne demandes pas à Liam de te présenter à ses amis ?

— Ses amis ? Ce sont tous des basketteurs, soit ils sont casés, soit ils sont comme lui, du genre à tirer un coup avec une nana différente tous les soirs, marmonné-je. Non merci. Ce n’est pas de ça que j’ai envie...

— Oh, je vois. Tu recherches le Grand Amour et tu as bien raison. Je l’ai connu avec ton père, moi. C’était… Fort. Très fort. Chaque jour, j’y pense encore, tu sais. Et Jim, c’est vraiment quelqu’un avec qui j’ai une bonne alchimie, mais ton papa est toujours là, au fond de moi, finit-elle par dire en montrant son cœur.

Je soupire et vais me caler dans ses bras en la serrant contre moi. J’espère vraiment que Jim ne se moque pas d’elle, sinon je vais le torpiller.

— Je suis contente que tu arrives à refaire ta vie, Maman, mais ça m’inquiète aussi. Je… J’ai peur que Jim te fasse du mal. Et je ne peux pas m’empêcher de me dire que si ça se passe mal, il va récupérer la moitié de ce que Papa nous a laissé, avoué-je doucement.

— Je comprends ton inquiétude, et ça me touche que tu cherches autant à me protéger. Tu sais, je ne vais pas faire n’importe quoi non plus. Je suis amoureuse, pas encore sénile, sourit-elle. J’ai rendez-vous dans une semaine avec Bob, notre avocat. J’écouterai ses conseils, promis. Mais pour l’instant, j’ai juste envie de profiter de mon amoureux à la maison, de ses charmants enfants, de toi tant que tu es encore ma petite chérie à moi. Alors, ne sois pas si désespérée, je sais aussi me protéger.

J’espère qu’elle écoutera vraiment Bob, mais j’avoue que cela me rassure de savoir qu’elle va le consulter. Je ne doute pas qu’il lui propose de faire signer un contrat de mariage à Jim, et cela me permettra d’être rassurée sur le fait que ce n’est pas pour l’argent qu’il est là. S’il le signe sans rechigner. Je l’espère vraiment. Cela résout au moins l’une de mes inquiétudes. C’est mieux que rien, non ?

— Ta petite chérie a besoin de conseils pour guérir son cœur en peine, je crois...

— Une peine de cœur ? Mais je n’avais aucune idée… Oh, quelle vilaine je fais à ne voir que mon bonheur ! Il m’aveugle tant que je n’avais pas compris que ton cœur n’allait pas bien, renchérit-elle en me serrant fort contre elle et en déposant des petits baisers sur mon front. De quels types de conseils as-tu besoin ?

— J’en sais trop rien, en fait, soupiré-je. Je crois que je suis amoureuse d’un garçon qui a bien aimé qu’on s’amuse mais qui ne veut rien de plus. Sauf que moi, je me suis attachée, et j’ai l'air conne maintenant, parce qu’on… Enfin, il est passé à autre chose et moi je morfle, quoi...

— Tu veux que j’aille lui péter la gueule à ce petit morveux ? me lâche-t-elle, sérieuse, employant des mots tellement inhabituels que j’ouvre grand les yeux en la regardant.

— Heu… Non, ça va aller, Maman, pouffé-je. Pas sûre que tu ferais le poids. Bref, ça en plus du reste, j’avoue que ça fait beaucoup, mais… Ça le fait, t’inquiète, je me suis relevée de pire.

— Si tu veux, Chérie, je vais parler à Jim et je lui demande de repousser le mariage ? Je suis sûre qu’il dira oui car c’est moi qui le pousse un peu, en réalité. Je n’ai pas envie de le perdre, tu comprends ? Mais, pour toi, je peux attendre que ça aille mieux… Et ce petit gars qui te brise le cœur, tu peux être sûre qu’ils se mordra les doigts quand il se rendra compte que tu es la plus belle chose qui peut exister au monde, et qu’il ne pourra jamais retrouver tout ce qu’il a perdu quand il t’a quittée.

Même s’il s’en rend compte, ça ne changera rien du tout à la situation. Ce garçon, tout le monde va le considérer comme mon frère, alors, il nous est totalement impossible d’envisager quoi que ce soit.

— Non, non, Maman, ça va aller. Fais comme tu le sens. Mais n’oublie pas que si Jim te brise le cœur, je lui pète la gueule sans hésitation, souris-je en reprenant ses mots avant de l’embrasser sur la joue.

— On va former le clan des péteuses de gueule, rit ma mère à mes côtés. Tu verras, à deux, on va beaucoup s’amuser. Et mon mariage ne changera rien à ça, je te le promets. Tu sais, ma fille, ce n’est pas facile, là tout de suite, pour toi. Mais avec ta force de caractère et ton humour, je crois que rien ne peut t'arriver.

Je n’en suis pas si sûre, je me prends des tacles au quotidien en présence de Liam, et ce n’est pas toujours évident de me relever derrière. Mais j’ai la chance d’avoir une mère formidable et j’espère qu’elle a raison sur ma force de caractère, au moins. Pour le reste, on verra bien. Je vais prendre les choses comme elles viennent, au jour le jour, et espérer que Liam ne se permette pas trop de choses ici et sous mes yeux à l’université. Sinon, ça va vraiment être compliqué. Finalement, plutôt que de vouloir éviter ma mère à tout prix, j’aurais sans doute mieux fait de discuter avec elle plus tôt, parce que, ce soir, je m’endors bien plus facilement que ces dernières semaines. On n’est pas encore sur un apaisement total, mais c’est déjà beaucoup mieux.

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