80. Le neurone unique sous le choc

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Sarah

— Becca, assieds-toi, tu veux ? l’imploré-je en tirant sur son bras tandis qu’elle fait coucou à Abdul qui entre à nouveau dans le gymnase.

Une vraie cruche. Franchement, ma meilleure amie cumule tous les clichés possibles. En plus, elle n’a pas besoin de tous ces artifices pour se faire remarquer. C’est une jolie jeune femme, de base, et je ne comprends pas pourquoi il faut toujours qu’elle en rajoute. Il n’y a qu’à voir sa tenue du soir. Jamais je n’oserais mettre un tel truc et j’ai l’impression d’être une coincée à ses côtés.

— Oh, ça va, Sarah, respire, rit-elle en s’asseyant malgré tout.

— Tu sais, j’imagine que ça doit être un peu galère de jouer au basket avec la trique, j’imagine qu’il vaut mieux que tu ne te dandines pas trop sous les yeux d’Abdul… Et de toute l’équipe, d’ailleurs, grimacé-je.

— J’espère qu’ils ont tous la trique, sourit-elle. Ça leur donnera l’énergie de vaincre et on pourra dire que s’ils gagnent, c’est grâce à moi !

Je ne réponds pas et me concentre sur le match qui reprend. Je me demande parfois ce qui nous a rapprochés, avec Rebecca. Je crois que nous sommes deux opposés, et j’ai peur que mon rôle de catalyseur dans notre duo soit un échec cuisant.

— Franchement, le blondinet, il cherche la merde, marmonné-je en voyant qu’il va encore au contact avec Liam qui a l’air d’avoir du mal à se canaliser.

— Ouais, on dirait qu’il provoque Liam volontairement, intervient Evan. Et le capitaine n’a pas l’air d’être super concentré, en plus. Il ne faudrait pas que ça dégénère entre les deux.

Effectivement, depuis le retour du vestiaire, j’ai l’impression que mon basketteur a la tête ailleurs. J’aimerais bien pouvoir faire comme dans les films ou les séries, un regard, un signe, qui lui permette de s’apaiser, mais on est bien loin de tout ça et je me sens affreusement inutile dans ces tribunes.

— Ils se rendent coup pour coup, c’est fou. Tu sais s’ils se connaissent ? Peut-être qu’ils ont un contentieux à régler, qui sait ? Liam ne m’en a pas parlé, en tous cas.

— Ils ont déjà dû jouer l’un contre l’autre, oui, mais je ne me souviens pas qu’il y ait eu un joueur qui soit aussi provoquant face à Liam. Et les autres. Tu as vu la petite frappe qu’il vient de mettre à Ryan ? Il va tous nous les exciter…

Je n’aime pas trop ce genre de joueurs. Le basket est un beau sport, c’est dommage de voir que certains sont dans cet état d’esprit. Surtout que ça a l’air de fonctionner. Liam bouillonne et j’ai bien peur qu’il craque avant la fin du match. Surtout qu’il manque de concentration. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans le vestiaire, mais nous n’avons pas le même Liam sur le parquet qu’avant la pause.

Il essaie, pourtant. Quand Ryan récupère le ballon dans leur camp et lui fait la passe, mon basketteur part comme une flèche en direction du panier opposé. Il est seul devant le panier et je le vois se mettre en position de tir et sauter, au moment où ce foutu blondinet arrive derrière lui et saute sur son flanc gauche pour intercepter la balle. S’il n’y arrive pas, son coude heurte la tête de Liam qui perd son équilibre et chute lourdement. Et quand je dis lourdement, je n’abuse pas, parce que j’ai l’impression d’entendre clairement son corps entrer en contact avec le sol, et il n’a pas le réflexe de protéger sa tête, qui cogne par terre également.

Cette fois, c’est moi qui suis debout dans les tribunes, rapidement rejointe par beaucoup d’autres étudiants tentant de voir ce qu’il se passe. Liam ne se relève pas et je n’ai même pas l’impression qu’il bouge tandis que ses coéquipiers accourent pour l’entourer. Le blondinet, lui, est à côté, accroupi et grimaçant, comme s’il avait mal quelque part. On dirait un de ces footballeurs européens, en train de chipoter pour éviter un carton alors qu’il sait qu’il a fait une connerie.

J’ai beau être plutôt grande, je ne vois plus rien avec tout ce monde, et je sens la panique me gagner rapidement. Je vois Ryan faire signe au coach, et je crois même qu’Abdul, à genoux à côté de Liam, le met en position latérale de sécurité. Je n’entends rien, je ne vois rien, et tout le gymnase est à présent quasiment silencieux. Seuls les murmures de tout un chacun viennent rythmer l’attente d’un signe qui nous permettrait de savoir que Liam va bien et est conscient.

— L’ambulance arrive, finit par crier l’assistant du coach, faisant monter chez les spectateurs un brouhaha qui m’étouffe.

J’ai besoin d’air, et envie de le voir. C’est fou, mais j’arrive quand même à me dire que si j’avais été officiellement sa petite amie, j’aurais eu la légitimité de descendre des tribunes et d’approcher. Peut-être même que certains de ses coéquipiers seraient venus me voir, qui sait. On voit ça dans les films, en tous cas, non ?

— Je descends, marmonné-je à Evan en lui faisant signe de se pousser pour me laisser passer.

— Je viens avec toi, je ne vais pas te laisser toute seule, dit-il en me précédant pour me frayer un chemin parmi tous les spectateurs.

Je le suis sans faire d’histoires, appréciant son geste, mais n’ose pas pour autant avancer davantage une fois en bas. Foutue position de merde. Toujours est-il que, de là, je peux le voir étendu au sol, et que ça me fait mal au cœur de constater qu’effectivement, il est complètement K.O.

— Eh, laissez-nous passer, crie Evan aux agents de sécurité au bord du terrain. C’est sa sœur, elle a le droit de s’approcher, tente-t-il.

Je vois le gars me regarder bizarrement, comme s’il doutait de la véracité des propos de mon ami. Je ne sais pas si j’ai envie de rire ou si ça m’agace, en fait. Effectivement, ce n’est pas évident au premier coup d'œil, mais qu’est-ce que j’aurais à y gagner à lui mentir ?

— Famille recomposée, soupiré-je alors que Ryan approche et fait signe à l’agent que c’est bon.

Le coéquipier de Liam attrape ma main et m’entraîne sur le parquet tandis que l’on entend la sirène des secours à l’extérieur. Je me retrouve rapidement à genoux à côté de mon basketteur qui semble en train de se réveiller, Abdul le secouant un peu verbalement de l’autre côté. Il le maintient tout de même allongé lorsqu’il essaie de se redresser.

— Reste calme, mon pote, attends les secours. Si ça se trouve, tu vas pouvoir te faire ausculter par des infirmières sexys. Sois mignon !

— Non, mais je vais reprendre mon poste, commence-t-il à dire avant de me voir enfin. Oh, je vais si mal que ça que tu es là ? Oh la la, j’ai la tête qui tourne…

— T’as pris un bon carton, tu m’étonnes. Vas-y mollo avec ton neurone unique de sportif, faut le bichonner, le taquiné-je, sans doute autant pour me détendre que m’assurer qu’il a encore toute sa tête.

— Je croyais que j’en avais au moins deux ou trois, dit-il doucement avant de reposer sa tête sur mes genoux, visiblement épuisé de l’effort fait pour se relever.

Les ambulanciers arrivent enfin près de nous et je suis obligée de m’éloigner un petit peu alors qu’ils le transportent avec précaution sur le brancard qu’ils ont amené. Une nouvelle fois, je me sens mise à l’écart, mais Liam fait à nouveau l’effort de parler.

— Ma… Sœur… Là… Elle vient avec nous…

Il a donc toute sa tête. Il a le réflexe de m’appeler sa sœur devant tout le monde plutôt que de nous griller. Je me retrouve donc en moins de deux embarquée dans une ambulance pour la première fois de ma vie, installée dans un coin pour ne pas déranger, Liam somnolent alors que je me demande comment prévenir Jim. Je me dis qu’un message serait un peu brutal, mais je n’ai aucune envie de l’appeler devant son fils, ou de le laisser une fois à l’hôpital pour pouvoir avertir son père.

J’ai l’impression que le trajet dure une éternité, et je me retrouve à contrario très rapidement à devoir laisser Liam une fois arrivés à l’hôpital. J’ai à peine le temps de lui ordonner de vite revenir, qu’il disparaît pour se faire examiner tandis que je me retrouve avec de la paperasse à remplir pour son admission aux urgences. Je peine d’ailleurs à tout compléter, et me retrouve obligée d’appeler à la maison.

— Allô ?

— Oui, Maman, c’est moi… Est-ce que tu pourrais me passer Jim, s’il te plaît ? Et… reste dans les parages.

— Il se passe quoi, ma Chérie ? Tu as l’air paniquée…

— Bien sûr que je suis paniquée ! Je… Pardon, Maman… C’est peut-être mieux que ce soit toi qui le dises à Jim, d’ailleurs… Je suis à l’hôpital, Liam s’est fait percuter sévèrement sur le terrain, il était K.O. Il va bien, hein ? Enfin, je crois. Il est conscient, maintenant, et ils lui font des examens, mais moi je suis devant la paperasse et je sais pas quoi répondre, m’embrouillé-je.

— A l'hôpital ? Mais c’est terrible, ça ! Tu ne sais pas quoi répondre à quoi ? J’arrive, si tu veux.

— Non, Maman, c’est Liam qui a besoin de Jim, moi je me débrouille. Enfin… J’ai besoin de Jim pour les papiers, les allergies, les antécédents, tous ces trucs dont je ne sais rien. Donc, techniquement, faut que tu t’occupes de Jude pour libérer leur père, tu vois ? Enfin, débrouillez-vous, je m’en fous moi, mais il me faut Jim.

— Oui, oui, je comprends, finit-elle par dire. Je dis à Jim de te rappeler et je vais m’occuper de Jude. Appelle-moi si tu as besoin ou pour me donner des nouvelles, hein ?

— Oui, oui, Maman, ça marche.

Je raccroche sans plus écouter ma mère et attends sans aucune patience l’appel de Jim et une infirmière qui viendrait me rassurer sur l’état de santé de mon basketteur. Jim est le plus réactif, ce qui ne me rassure pas plus que ça. Il m’aide par téléphone à remplir la paperasse et m’assure qu’il prendra la route dès que Judith sera couchée, pour ne pas lui faire peur. L’infirmière met un moment avant de se pointer, et je lui saute presque dessus lorsqu’elle demande à me parler.

— Comment va-t-il ? Rien de grave ? Est-ce que je peux le voir ?

— Tout va bien, les premiers examens sont normaux, soyez rassurée. Il doit encore faire un scanner, par contre son assurance ne prend pas en charge, je ne sais pas si on le fait ou pas.

— Oui, oui, faites tout ce qu’il y a à faire, évidemment. Je peux le voir ?

— Oui, mais il faudra passer au secrétariat pour la facture, je compte sur vous ? demande-t-elle en m’indiquant de la suivre vers la chambre où ils ont installé Liam.

— Bien sûr, la facture sera réglée, dis-je en la suivant dans le dédale des couloirs de l’hôpital.

Elle frappe à la porte de sa chambre et s’efface pour me laisser passer.

— La blouse d’hôpital te va plutôt bien, souris-je alors que Liam redresse la tête pour voir qui est entré.

— Oui, et je n’ai rien en dessous, sourit-il. Tu es venue vite, dis donc. Qui t’a prévenue que j’avais eu un accident pendant le match ? Les parents ne sont pas là ?

Je fronce les sourcils en approchant, me demandant s’il en rajoute ou s’il a vraiment oublié ce qu’il s’est passé après le choc.

— Ton père va venir, il ne devrait pas tarder, mais il ne voulait pas affoler ta sœur, donc il attendait qu’elle se couche… Et moi… J’étais au match, tu ne te souviens pas ?

— Tu étais au match ? Je ne sais pas… Je… En fait, c’est le noir… Je me revois tirer et mettre un panier et je me suis réveillé ici… Mais le Médecin dit que tout va bien, il ne faut pas que tu t’inquiètes, ajoute-t-il en voyant que je commence à stresser un peu.

Même après son choc, il cherche à me réconforter et je ne résiste pas à la tentation de déposer un petit baiser sur ses lèvres.

— Désolée, j’ai vraiment eu la trouille, soupiré-je en m’asseyant au bord du lit. Tu sais que tu as été conscient avant d’être emmené par les secours ? Ton neurone unique est fortiche, je peux te le dire.

— Je croyais que j’en avais au moins deux ou trois, me répond-il en répétant, sans s’en rendre compte, la même blague que sur le terrain.

— Ils ont pris un carton aussi, je peux te l’assurer. Ça tourne moins, la tête ? lui demandé-je en enlevant mes chaussures pour m’allonger contre lui sur le lit étroit.

— Oui, ça va. A part le noir entre le terrain et mon réveil, je vais bien. Enfin, j’ai une bosse là, me montre-t-il en levant la main vers le côté de sa tête.

— Le blondinet mériterait un bon coup de pied bien placé. Quel crétin !

Je l’embrasse sur la joue et dévie rapidement sur ses lèvres. Nous échangeons un tendre baiser et j’avoue être un peu plus rassurée maintenant que je suis vraiment auprès de lui.

— Allez, il faut te reposer, souris-je alors que ses mains se baladent sur mes hanches et qu’il me serre contre lui.

— D’accord, mais quand je rentre à la maison, j’aurai le droit à un câlin bonus parce que je suis sage ici ? Deal, Sweetie ?

— Tu profites de la situation ? Vraiment ? ris-je. Deal, mon Capitaine.

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