101. Poisson et chocolat

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Liam

La table du salon est recouverte de papiers et de pochettes avec des étiquettes aux titres qui ne laissent aucun doute sur l'objet de ce déballage : "Liste des invités", "Organisation du repas", "Cérémonie", "Lune de miel"... Daddy essaie de s'organiser alors que le mariage approche et j'ai la difficile mission de l'assister. Cela va vraiment être étrange d'être le témoin au mariage de mon père. D'autant plus en sachant les conséquences que cela va avoir sur le couple que je forme avec Sarah. J'ai un peu l'impression d'avoir comme mission d'aller signer ma condamnation à la tristesse à perpétuité.

— Alors, Daddy, qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?

— Le DJ nous a envoyé une liste de musiques, tu veux bien regarder ? Je ne connais pas la moitié des chansons. Enfin, je ne veux pas que la soirée ressemble à une de tes fiestas avec tes potes, hein ? Mais… Un truc varié, tu vois ? dit-il en me tendant le dossier.

—Tu veux une soirée troisième âge avec des valses, qui se transforme en boum pour adolescents alors ? me moqué-je gentiment en regardant ce qu'a envoyé le D.J.

— Je ne sais pas ce que je veux, tu me connais. Si ça ne tenait qu’à moi, on se marierait en petit comité et on irait manger au restaurant. Ce serait largement suffisant. Mais je veux faire plaisir à Vic…

— Et pourquoi c'est moi qui me colle à tout ça alors ? Elle est trop occupée avec ses propres préparatifs ?

— Je lui ai promis de l’aider, mais elle fait des essayages de coiffures aujourd’hui et je crois que je l’ai un peu trop laissée tout gérer seule. Et puis, tu es mon témoin, c’est ton rôle de me filer un coup de main, non ? Ça t’ennuie tant que ça ?

— Non, ça ne m'ennuie pas. J'espère que je vais être à la hauteur, c'est tout.

Je me plonge dans cette première mission et je suis tout de suite surpris par le montant du devis. A ce prix-là, j'espère que sa sélection est bonne ! Je devrais peut-être envisager ça comme carrière. Deux mariages par mois et je peux vivre tranquille le reste du temps. En tous cas, il a bien fait son boulot, on voit qu'il connaît son métier.

— C'est un peu cher, mais je valide ses choix. Il faudra juste lui dire de mettre un peu plus de RnB. Il ne doit pas trop avoir l'habitude de faire des mariages avec des blacks, vu ses tarifs.

— Pas trop de RnB quand même, je doute que la famille de Vic apprécie beaucoup, rit mon père. Même si Vic adore se déhancher sur ces sons.

— Il faut quand même qu'Abdul et moi ayons l'occasion d'emballer nos partenaires ! Et que tu puisses montrer à ta femme tes talents de danseur !

— Ta partenaire ? Tu viens accompagné ? Tu t’es trouvé une nana ? J’espère que tu ne vas pas me ramener une nana juste parce que tu comptes passer la nuit avec elle, hein ?

— Je ne sais pas encore, Daddy. Il y aura peut-être une jolie cousine qui va finir la soirée heureuse et satisfaite !

— Ne fiche pas la merde dans la famille de Vic, hein ?

— Je vais essayer, mais tu sais bien que j'ai hérité de toi ce charme irrésistible qui les fait toutes craquer. Je ne vais pas refuser des avances alors qu'on est jeunes et qu'on peut profiter de la vie !

— Tu sais, résister, parfois, c’est pas mal aussi. Enfin bon, tu le fais déjà assez avec Sarah, j’imagine. Oh, ne fais pas cette tête, j’ai vu comment tu la regardes, Fils.

Mince, si même mon père est capable de me griller, c’est que je ne suis vraiment pas discret. Et il va vraiment falloir que je fasse attention à mes regards.

— Oui, il faut résister avec elle, elle ne s’en rend pas compte mais elle fait tourner toutes les têtes sur le campus.

— Et tu joues le frère protecteur ? sourit mon père.

— Tu parles, si je fais ça, elle me tue ! ris-je. Bon, on s’attaque à quoi, maintenant ? Profite que je sois là, ça n’est pas tout le temps le cas, Daddy.

— Aucune idée, soupire-t-il. Je suis totalement perdu dans tous ces trucs. J’ai peur de tout changer et que Vic me tape sur les doigts. Il faut que je donne mon avis pour le menu. Regarde un peu les choix… Dire qu’une pizza au fromage me suffit amplement, je suis incapable de me décider.

— Tu sais Papa, tout ça, ce n’est pas notre monde. Peut-être que tu devrais y mettre plus ta touche, c’est aussi ton mariage. Pour toi, le menu idéal, qu’est-ce que ce serait ?

Je vois qu’il réfléchit sérieusement à ma question pendant que j’ouvre le dossier contenant une dizaine de menus différents, tous plus classes les uns que les autres. Enfin, classes, je ne sais pas, mais vu les montants des plats, j’espère qu’ils sont bons. Il y a vraiment de tout dans les choix. Même du caviar. Tous les plats comportent des noms plus ou moins complexes, une tonne de mots en français que je ne comprends pas forcément. Et des listes de vins tellement longues que ça en est presque indécent.

— Un truc simple. Du poisson, peut-être ? T’en penses quoi ? Ça ne plaît pas à tout le monde, le poisson.

— Arrête un peu de penser aux autres. Vic aime le poisson ? Si ça vous plaît à tous les deux, c’est votre journée, les autres s’adapteront !

— Oui, Vic aime ça. Y a du poisson dans l’un des menus ? me demande-t-il en commençant à fouiller dans les papiers.

Je le repousse gentiment et classe les menus en fonction du plat principal. On va arriver à quelque chose comme ça.

— Tiens, voilà, il y a en a cinq où il y a du poisson. En dessert, il faut du chocolat, non ?

— Evidemment qu’il faut du chocolat ! Jude va m’étriper s’il n’y a pas de chocolat. Mais ça, ce n’est pas un problème, Vic adore ça. Regarde-moi, voyons, rit-il en bombant le torse.

Je ris en le voyant montrer sa belle couleur chocolat qu’il nous a transmise. C’est vrai que dans la famille, on n’est plutôt bien doté en chocolat !

— Alors, voilà, il ne te reste déjà plus que ces deux choix là, dis-je en indiquant les deux fiches qui restent. Et celui-là, c’est un restaurant de notre quartier, ajouté-je en montrant le moins cher des deux. Moi, je dis, on aide nos anciens voisins, non ? Vic t’a dit que tu pouvais choisir celui que tu voulais, alors prenons celui-là si tu es d’accord.

— Ça me va. Bonne idée, Fils, dit-il en me tapotant l’épaule.

— Tu vois, on avance, à deux, facile. Attends par contre, je te laisse quelques instants. J’ai ce numéro inconnu qui m’appelle et je vais répondre. Ça fait déjà trois fois qu’il essaie de me joindre… A tout de suite.

— Ok… Ne traîne pas trop, je vais plus vite avec toi… La preuve !

Je lui fais un petit signe et m’éloigne vers la cuisine en décrochant.

— Oui, allo. Qui est à l’appareil et me dérange un dimanche ?

— Salut, Liam, me lance une voix que je reconnais immédiatement. Tu n’es pas à l’église, si ? Sinon, je ne vois aucune raison valable de te laisser.

— Bien sûr que si, je suis à l’église. J’ai allumé plein de cierges pour que le Ciel intercède en ma faveur et te décide à me laisser tranquille. Mais ça n’a pas l’air de fonctionner parce que non seulement, tu me mets des ultimatums, mais en plus, tu m’appelles et viens me harceler même au téléphone. Et ma réponse est toujours, non, le Mexicain. Non pour l’argent et non pour te rejoindre, c’est clair, cette fois ?

— Liam, il va falloir que tu apprennes à la fermer, parfois. Tu m’agaces et me ferais presque changer d’avis.

— Ben, j’aimerais bien que tu changes d’avis, tu vois, mais tu es décidé à faire chier ma famille jusqu’à la fin des temps pour une histoire de loyer payé en retard. Alors, vu que je n’ai plus rien à perdre, je ne vois pas pourquoi j’y mettrais les formes, tu vois ?

— Peut-être parce qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis ? Enfin, ta frangine m’a déjà traité de con, ça la fera peut-être changer d’avis, elle aussi.

J’avoue que je suis un peu perdu par son discours, là. Il a changé d’avis sur un truc ? Mais sur quoi ? Et pourquoi s’amuse-t-il à me narguer alors que son ultimatum n’est pas encore terminé.

— Tu veux dire quoi par tout ça, accouche parce que là, ça ne veut rien dire, ton charabia, et j’en ai marre d’être pris comme un jouet avec lequel on s’amuse quelques instants et qu’on fout à la poubelle quand il ne sert plus.

— Est-ce que tu pourrais arrêter de m’énerver avec tes remarques stupides ? Je te jure que tu es plutôt insupportable, comme gamin. Je passe l’éponge sur vos dettes, voilà où je veux en venir.

— Tu passes l’éponge ? demandé-je, intrigué et pas sûr d’avoir bien compris. Genre, complètement ?

— T’es sourd ou quoi ? Il faut que je te le dise en quelle langue ?

— Mais je n’ai même pas allumé les cierges ! Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Le Mexicain qui abandonne, c’est pas courant. Tu vas me demander quoi en échange ?

— Ça ne te regarde pas. La dette est effacée, c’est tout ce que tu as à savoir.

Sur ces derniers mots, il raccroche et me laisse, bouche ouverte, le téléphone à l’oreille, incapable de bouger. J’essaie de réaliser ce qu’il vient de dire. Si c’est vrai, c’est formidable, mais peut-être que ça fait partie de sa stratégie pour me faire craquer. Peut-être qu’il me ment pour me donner un faux espoir ? Mais il avait l’air tellement sérieux… Je retourne voir Daddy, lui annonce que j’ai un truc à voir avec Sarah et le plante avec tous ses papiers avant qu’il n’ait eu le temps de me répondre. Je file dans la chambre de ma Belle, où elle se repose suite à une indisposition, sûrement en raison de ses règles.

— Sarah, je peux te déranger quelques instants ? demandé-je après avoir entrouvert sa porte.

— Oui ? Tu oses déranger l’Intello ? Qu’est-ce qu’il y a ? me demande-t-elle en refermant son bouquin de cours.

— Je viens d’avoir le Mexicain au téléphone, et tu sais quoi ? Il dit que ma dette est totalement effacée ! m’excité-je en lui racontant les choses. Tu imagines si c’est vrai ?

— Vraiment ? Il t’a dit quoi exactement ?

— Il m’a dit que j’étais insupportable et que la dette était effacée, c’est tout. J’ai l’impression qu’il ne mentait pas…

— Je suis sûre qu’il dit vrai, sourit Sarah en se levant pour m’enlacer.

— Mais si c’est ça, je suis… Libre, non ? Enfin, débarrassé de ce souci avec lui pour de bon !

Je la fais tourner autour de moi tellement je suis excité par la nouvelle qui est en train de faire son chemin jusqu’à mon cerveau.

— Ça veut dire que tu vas pouvoir arrêter de te prendre la tête et te concentrer sur tes cours et le basket, Capitaine. Libre, c’est tout à fait ça.

— Je n’en reviens pas. C’est un miracle. Je suis trop content, Sarah.

Je m’assure qu’il n’y a personne à l’étage avec nous et je la soulève dans mes bras pour l’embrasser avec une passion et une joie énormes. J’ai l’impression d’être plus léger de plusieurs kilos. J’ai le sentiment d’être vraiment libéré d’une grosse épée de Damoclès qui pendait au-dessus de moi. Et je peux célébrer cette bonne nouvelle avec la femme que j’aime. Que demander de plus ?

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