108. Discussions au caramel

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Sarah

J’enchaîne les nuits galères et j’avoue que mon niveau de concentration en cours en pâtit énormément. Je suis crevée, barbouillée la moitié de la journée au moins, et j’ai l’impression de gonfler à vue d'œil. Oui, j’en rajoute. Sauf pour la fatigue. J’avoue que je suis au bout de ma vie. Et Becca qui blablate à côté de moi pendant le cours de gestion, ça ne m’aide pas à me concentrer. Au moins, impossible de m’endormir.

Liam me boude depuis notre conversation d’hier soir, et j’avoue que je n’ai pas fait l’effort de retourner vers lui jusqu’à présent. Il faut dire que, comme en ce qui concerne ce bébé, mon humeur est changeante à propos de cet échange houleux. J’ai surréagi, j’en conviens, mais lui a été maladroit dans ses paroles. Je crois. Peut-être que j’ai pris la mouche trop rapidement. Je suis fatiguée de ressasser ça encore et encore, j’ai juste envie de le retrouver pour que nous puissions affronter tout ça à deux.

— Sarah, tu m’écoutes ? me chuchote ma meilleure amie en me donnant un coup de coude.

— Non, soupiré-je. J’essaie d’écouter le prof. On en parlera à la pause, tu veux ?

— Tu es aussi bien lunée que ma mère quand mon père la refoule plus de trois jours d’affilée, c’est dingue ça.

— Ou que quand Abdul te refoule, tu veux dire ? ne puis-je m’empêcher de lui rétorquer.

Tous deux se sont remis ensemble, et j’avoue qu’avoir les détails de leurs expériences sexuelles me donne quasiment autant la gerbe que mes nausées matinales. Surtout que tout ça me pousse souvent à me questionner sur la satisfaction, ou non, de Liam sur le plan sexuel. C’est vrai, quoi… Je suis plutôt du genre classique, moi. Et puis, le contexte fait que nous faisons essentiellement l’amour au lit. De vrais petits vieux.

— Tu déjeunes avec moi ? Il faut vraiment que je te raconte ce qu’on a fait avec les bougies, hier soir.

Mon dieu… Je crois que je vais vraiment vomir, si elle continue.

— Non, je ne pense pas être libre ce midi, désolée.

— Quoi ? Mais… Avec qui tu déjeunes ?

— Liam. On doit parler du mariage de nos parents.

Je mens comme une arracheuse de dents, mais cela m’évitera le déjeuner que je n’avalerai pas parce qu’elle me parlera des râles d’Abdul, du plaisir qu’elle prend à l’avaler, et autres paroles qui n’ont pas leur place à table. Cependant, mon excuse à au moins le mérite de me donner une idée. Je sors mon téléphone de mon sac et envoie discrètement un message au propriétaire des supers spermatozoïdes.

— Tu serais libre pour déjeuner ? J’ai une folle envie d’italien (merci les hormones) et je t’invite. Pas par charité, mais pour m’excuser.

Je déteste quand on ne dort pas ensemble. C’est devenu une habitude que je vais avoir du mal à perdre quand nos parents seront mariés. Liam ne met pas longtemps à me répondre, et je me dis que je ne suis pas prête de retenir quoi que ce soit de ce cours.

— Je vais me rendre disponible. Pas parce que je suis pauvre. Mais parce que tu as mangé mon sandwich hier soir. Et pour discuter parce que tu me manques.

Je peine à réfréner le sourire qui naît sur mon visage et lui réponds immédiatement.

— Ton sandwich était délicieux, il a été parfait pour ma fringale nocturne… Et tu me manques aussi. On se retrouve à ma voiture en sortant de cours ? Je monterais bien sur ton bolide (la moto me manque), mais ça ne serait pas très sérieux, vu ce que tu sais…

— On va au resto ou dans ta chambre si tu veux monter sur mon engin ? Je serai là. Bisous, Sweetie.

Je pouffe et lui envoie un smiley faisant un bisou ainsi qu’une petite moto et une aubergine. Glauque qu’un légume puisse représenter un engin masculin, mais j’adore cet émoticone. Mon message ne veut rien dire, mais au moins, nous avons fendu la glace, si bien qu’il est déjà adossé à ma voiture lorsque je la rejoins à la fin du cours. Je lui tends les clés et m’installe côté passager tandis qu’il monte derrière le volant.

— En fait, j’ai plus envie d’italien… Je me ferais bien un asiatique, tu en penses quoi ? lui demandé-je.

— Tu ne veux pas plutôt te faire un black ? me demande-t-il, coquin. On va où tu veux, Sweetie, c’est toi qui régales ce midi.

— Un black ? Pourquoi, tu as un copain à me présenter ? le charié-je en mettant le GPS sur mon téléphone pour aller dans un restaurant où nous avons peu de chance de croiser quelqu’un de l’université.

— Non, il n’y aura que moi sur qui tu pourras crier, ce midi, désolé, mais il faudra faire avec. Et puis, juste un mec qui dit des conneries, ça devrait suffire pour ce midi, non ?

Je pose ma main sur sa cuisse une fois qu’il nous a conduits hors du campus et reste silencieuse un moment. Je n’ai pas envie que nous repartions dans une dispute comme hier soir, alors j’essaie de réfléchir à mes mots avant de les laisser sortir de ma bouche.

— Je suis désolée pour hier soir. On flippe tous les deux et c’est normal. Je ne sais pas si c’est simplement la situation ou si les hormones y jouent aussi, mais j’ai l’impression d’être constamment une boule de nerfs, et ça ne devrait pas te retomber dessus.

— Je te jure que de mon côté, j’essaie, Sarah. Mais je… Je n’ai jamais vécu une telle situation et je ne sais pas comment me comporter. Tout ce que je sais, c’est que je veux être à tes côtés pour affronter tout ça. Même si je t’énerve, je te promets que ce n’est pas pour entendre le joli son de tes cris !

— Ça me rassure de savoir que tu ne mets pas toutes les nanas enceintes. Il semblerait que tes spermatozoïdes et mes ovules s’entendent un peu trop bien, alors, ris-je. Je vais essayer de ne pas trop réagir de façon impulsive, promis, mais je crois qu’il faut qu’on essaie d’en rediscuter, non ?

— Oui, il faut parce que contrairement à ce que tu as pu dire, il n’y a pas que le fric et le plaisir qui comptent pour moi. Ton bonheur, le notre, notre avenir, tout ça, c’est important aussi.

Je soupire alors qu’il se gare devant le restaurant. Je ne sais même pas ce qui pourrait faire mon bonheur, maintenant que cette nouvelle est venue chambouler nos vies. J’aimerais avoir les réponses à nos questions, être sûre de moi, de ce que je veux, mais j’en suis bien loin, pour le moment.

— Je crois que je ne me sentirai apte à rediscuter de tout ça que quand j’aurai une assiette de porc au caramel posée devant moi. Tu vas me prendre pour une vraie cinglée, souris-je en glissant ma main dans la sienne alors que nous nous dirigeons vers l’entrée.

Nous sommes dirigés vers une table au fond de la salle et ne tardons pas à rejoindre le buffet pour nous servir. Moi qui n’arrive plus à rien avaler le matin, j’avoue que je crève de faim, et n’hésite pas à bien remplir mon assiette, entre le porc, le poulet au miel et à la sauce soja, le riz cantonais. A ce rythme-là, ce n’est pas ma grossesse qui va me faire prendre du ventre, mais la quantité de nourriture que j’ingurgite. Inutile de dire que je vais avoir mal à l’estomac après ça.

— J’ai peut-être eu les yeux plus gros que le ventre, ris-je en m’asseyant, constatant que Liam s’est servi plus raisonnablement.

— Pour l’instant, c’est possible. Peut-être que bientôt, ça va devenir très compliqué, me répond-il sérieusement.

— Est-ce que tu as eu le temps de regarder un peu la marche à suivre pour une IVG ? lui demandé-je en nous servant de l’eau.

— Si je te disais que vu tout ce que j’ai regardé hier soir, j’ai encore plus peur de te demander de le faire, tu me crois ?

— Je te dirais que je veux bien te croire, mais ça ne doit pas être si terrible que ça… Je veux dire… Le côté médicamenteux a l’air le moins contraignant, même si ça dure plus longtemps, au final. La chirurgie me fait un peu plus flipper, j’avoue…

— Ce n’est pas si terrible que ça, mais ça m’a fait philosopher, tu vois. Mettre fin au fruit de notre amour, est-ce que c’est une bonne chose à faire ?

Je sens mes yeux s’embuer et plonge le nez dans mon assiette pour tenter de garder contenance. Il a raison, c’est la question que je me pose à peu près la moitié du temps. Parce qu’on ne parle pas là d’un bébé issu d’un coup d’un soir ou de pire. C’est juste la preuve qu’on s’aime, non ?

— Franchement, ça se voit que ce n’est pas toi qui risques de te retrouver avec un aspirateur dans le vagin, ris-je avant de grimacer. Désolée… Bon appétit quand même.. Et tu as raison de te poser cette question, on est sur la même longueur d’ondes…

— Franchement, je suis content d’être un mec, là, en effet… Je n’aimerais pas être à ta place parce que, même si ce n’est pas facile pour moi, mon corps n’est pas affecté par cette grossesse alors que le tien, si. Et tout ça, parce qu’on n’a pas su résister à cette attraction qui nous fait oublier tout le reste…

— Je t’en prie, ne sous-entends pas encore que tu regrettes pour nous, dis-je avec un trémolo incontrôlable dans la voix. C’est pas ce que je préfère entendre sortir de ta bouche, et je n’ai aucune envie de m’énerver comme hier soir…

— Mais non, je ne regrette pas ! s’exclame-t-il. Tu es la meilleure chose qui m’est arrivée, Sweetie. Mais on est quand même un peu dans la merde, là. C’est un accident, c’est sûr, mais on aurait été plus tranquilles si ça n’était pas arrivé !

— Très bien… Je vais prendre rendez-vous pour avorter, et ce sera comme si rien n’était arrivé, même si on ne pourra pas oublier ça aussi facilement.

— Tu sais ce qu’on devrait faire, plutôt que se décider comme ça sur un coup de tête, c’est d’aller voir un médecin du planning familial. A deux. C’est anonyme, de toute façon, et on pourra parler avec un médecin. Parce qu’une partie de moi a envie de te dire, ok, on y va, on prend rendez-vous et hop, on passe à autre chose. Mais une autre me fait dire : et si on était en train de faire une bêtise… Comme par exemple avoir choisi ce plat de poisson avec du gingembre, c’est horrible !

Je vois bien qu’il tente de faire une blague, mais je ne souris qu’à moitié et réfléchis à ce qu’il vient de proposer. Je pousse finalement mon assiette au milieu de la table et tente un nouveau rictus.

— Tu as raison, il ne faut pas se contenter des possibilités qu’on a sous les yeux au premier abord. Tu devrais goûter le porc au caramel, il est délicieux. Et puis, si je prends du poids, toi aussi tu dois savoir ce que ça fait.

Je lui fais un clin d’œil tandis qu’il plante sa fourchette dans un morceau de ce délice qui ravit mes papilles. Je suis contente que nous ayons pu discuter de tout cela sans s’énerver à nouveau, même si je n’ai toujours pas la sensation que nous avançons dans nos échanges pour enfin nous décider. Je sais qu’il nous faut prendre le temps pour être sûrs de nous, et j’espère que cela ne traînera pas trop en longueur non plus. J’ai peur de me faire à l’idée et de finir par apprécier cette grossesse, moi…

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