137. Interminable attente

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Liam

J’ai l’impression que le chauffeur de notre Uber n’avance pas. Le type doit avoir plus de soixante-dix ans, les cheveux blancs, une franche bonhomie qui transpire de tout son être et qui nous a juste dit un simple “oui” quand on lui a dit de se dépêcher de nous amener à l’hôpital. Mais il n’en fait clairement que selon son bon vouloir car il s’arrête consciencieusement à tous les stops, regarde bien à chaque fois. Au moins, c’est sûr, on ne va pas rejoindre Sarah aux urgences en ambulance !

— On ne peut pas aller plus vite, là ? Ma fille est aux urgences entre la vie et la mort ! s’agace Vic à mes côtés.

— Je fais ce que je peux, Madame, mais la loi, c’est la loi.

— Si tu n’accélères pas, Papy, je te promets de te laisser une telle évaluation sur l’appli que plus personne ne fera appel à toi. Alors appuie sur le champignon !

Cette remarque a l’air de le faire réagir un peu et il fait mine d’aller légèrement plus vite. Au moins, on roule à la limite de vitesse jusqu’à l’hôpital où il nous laisse non sans nous avoir fait une dernière remontrance.

— C’est à cause de personnes comme vous que les gens honnêtes perdent leur permis et leur travail. Vous devriez le passer, le permis, et vous débrouiller par vos propres moyens, gronde-t-il.

Vic commence à s’énerver et je la tire par le bras avant qu’elle ne se lance dans une nouvelle tirade contre lui.

— Viens, on a autre chose à faire que de s’énerver contre lui. Allons voir où est Sarah et dans quel état elle est…

J’espère qu’elle va bien et qu’elle est juste sous le choc de l’accident, mais l’infirmière à qui nous nous adressons en arrivant refuse de répondre à nos questions ou de nous laisser la voir.

— Mais, ce n’est pas possible, ça ! On veut voir Sarah ! C’est ma fille ! crie Vic jusqu’à ce qu’un agent de sécurité s’approche de nous.

— Viens, Vic, on va attendre le médecin, ça vaut mieux, sinon ils vont nous foutre dehors.

— Vous devriez avoir honte de traiter les gens comme ça ! continue-t-elle en me suivant malgré tout. Je ne peux pas perdre mon bébé, je ne le supporterais pas. Il faut que je sache comment elle va, Liam.

— Attends, je vais essayer de faire parler l’infirmière. J’arrive… Surtout, calme-toi un peu, on s’est déjà fait assez remarquer comme ça.

Elle acquiesce en silence, les larmes aux yeux, et de la voir comme ça me rend encore plus angoissé sur le sort de Sarah. Je crois que ces larmes sont ce qui me fait réaliser que la situation est peut-être encore plus grave que je ne le pensais, aussi bien pour Sarah que pour notre bébé qu’elle porte. Je m’approche à nouveau de l’infirmière à l’accueil et lui adresse un sourire que j’espère à la fois charmeur et réservé.

— Excusez-moi, Madame, mais vous ne pouvez vraiment rien nous dire sur mademoiselle Ashford ? Vous comprenez, elle est enceinte et porte notre bébé… Je voudrais juste savoir si elle va bien ou pas. Et où elle est en ce moment… On ne demande pas grand-chose, vous voyez…

— Je ne peux rien vous dire, jeune homme, mais je vais voir pour qu’on vienne vous en dire plus.

— Faites vite, c’est horrible d’attendre comme ça sans savoir.

Elle s’éloigne et je retourne m’asseoir près de Vic, toujours aussi affolée alors que j’essaie de garder un calme apparent.

— Tu sais quelque chose ? C’est insupportable d’être dans l’ignorance comme ça, j’ai l’impression que ma fille a besoin de moi derrière ces portes et qu’on m’empêche de lui venir en aide…

— Non, elle n’a rien dit… J’ai un mauvais pressentiment, Vic… J’ai peur que ce silence cache quelque chose de grave… Oh la la, mais pourquoi est-ce que j’ai préféré m’en prendre à ce con d’Evan qui était bourré plutôt que de m’occuper d’elle ? Si elle ne s’en sort pas ou s’il est arrivé quelque chose au bébé, je ne m’en remettrai jamais… pleurniché-je malgré moi.

— Comment avez-vous pu nous cacher votre relation ? Et… Comment tu as pu la laisser partir seule de cette soirée ?

— Et comment voulais-tu qu’on te le dise ? Oh, Vic ! Tu sais que le mec que tu aimes, c’est le père du mec de ta fille et qu’il vaudrait mieux le laisser car ça va être le bordel ? Tu imagines ta réaction si j’avais dit ça ? Et après, je peux te dire qu’on a essayé… Mais nous deux, c’est comme toi et Jim, avancé-je. On s’aime et c’est plus fort que tout… Mais j’aurais jamais dû la laisser partir… Et on n’a aucune info, en plus… J’espère que ce n’est pas trop grave, c’est inquiétant qu’ils ne veuillent rien nous dire.

— C’est sans doute juste le protocole, soupire-t-elle en penchant la tête en arrière pour regarder le plafond. Donc tu comptes t’occuper d’elle et de ce bébé ? Il y a bien un père et c’est toi ?

— Bien sûr que c’est moi. Tu vois, j’ai été là à toutes les étapes, même si officiellement, le père était absent. Je vais tout faire pour que ce bébé grandisse en étant heureux… Enfin, s’il a survécu à l’accident, dis-je en craquant et en me réfugiant dans le silence.

— Sarah est une battante, me dit doucement Vic en attrapant ma main. Et ce bébé aussi, c’est sûr. Je refuse de croire qu’on va m’enlever la personne la plus importante de ma vie, pas encore. Elle va s’en sortir… Il ne peut en être autrement.

Je reste mutique, un peu désespéré et sans clairement voir ce que je peux faire pour changer le cours des choses. Là, je suis clairement impuissant. Pas de stratégie à mettre en place. Pas de panier à mettre. Pas d’entraînement pour s’améliorer. Non, juste attendre et s’inquiéter. Juste patienter sans rien pouvoir changer à l’état du monde. Sarah est là, quelque part, pas loin, mais c’est comme si nous vivions dans deux univers différents.

— Tu ne nous en veux pas trop de vous avoir menti comme ça ? finis-je par lui demander, autant pour rompre ce silence pesant que pour essayer d'oublier les visions que j'ai en tête du corps sans vie de Sarah.

— Tu plaisantes ? Bien sûr que je vous en veux ! Ça fait combien de temps que vous nous mentez comme ça ? Vous vous embourbiez toujours plus dans vos histoires plutôt que de nous en parler, me reproche-t-elle. Et que vont penser les gens ?

— Je m'en fous des gens. Tout ce qui compte, c’est que Sarah s'en sorte, non ? Mets-toi à notre place un peu et tu comprendras qu'on n'avait pas vraiment le choix, grogné-je.

— Peut-être… Quand je pense que vous passiez votre temps à vous chamailler quand ton père, ta sœur et toi avez emménagé. Je n’avais jamais vu Sarah aussi vindicative. Comment vous avez pu passer de vous écharper à… A me faire un petit-fils ou une petite-fille ? C’est fou...

— On s'écharpait parce qu'on ne voulait pas vous nuire et céder à nos envies… Quand je pense que tout ça, c’est peut-être fini, me lamenté-je.

— Je t’interdis de dire ça, Liam. Tu ne peux pas abandonner, arrêter d’y croire. Imagine si Sarah fait la même chose ? Il faut y croire, je suis sûre qu’ils vont bien, tous les deux.

— Oui, tu as raison… Mais maintenant que tout le monde est au courant pour nous deux, on ne va pas pouvoir continuer sans déclencher tout un tollé de réprobations et de critiques…

— Si vous vous aimez si fort que ça, ça ne changera rien pour vous… Et puis, j’ai encore lu un article ce matin sur le Drift… Ou le Draft, j’ai toujours été nulle en basket, c’était William, le pro… Bref, j’ai vu que tu étais en bonne position dans les sondages. Tu vas sans doute partir dans une autre ville, et emmener ma fille avec toi…

— Et si c’est ça qui la rend heureuse ? Tu sais que je ferai tout pour elle… Tout…

— J’espère… Et j’espère que l’inverse est vrai. Vous avez suffisamment souffert, tous les deux, vous méritez d’être heureux.

Elle me prend dans ses bras et j’éprouve une grande bouffée de tendresse pour elle à ce moment-là. C’est la première fois qu’elle nous soutient comme ça, sans arrière pensée.

— Merci, Vic… Ça me fait du bien d’entendre ça… soupiré-je avant de me redresser brusquement. Bon, on a assez attendu, je vais aller la voir, cette infirmière ! On doit savoir pour Sarah ! Il y en a marre d’attendre !

— Je viens avec toi, je suis sûre que je peux maîtriser l’agent de sécurité s’il revient, dit-elle en me faisant un clin d’œil, un petit sourire aux lèvres.

— Ouais, ils ont pas l’air trop sensibles à nos charmes, ici. Il va falloir passer en force, sans subtilité, je pense.

Au moment où on se rapproche de l’accueil, l’infirmière à qui je m’étais adressée revient enfin et nous fait signe de nous approcher.

— Vous avez des nouvelles ? demandé-je anxieusement.

— Oui, j’allais venir vous voir. Mademoiselle Ashford est actuellement au bloc. Elle a une fracture de la jambe gauche qui nécessite d’être réduite.

— Et c’est tout ? Elle n’a rien d’autre ? Et le bébé ? Il va bien ?

— Eh bien, continue-t-elle en feuilletant un dossier, légère commotion cérébrale qui devra être surveillée, elle risque un bon mal de tête. Et pour le bébé… Les premiers examens sont bons.

Le soulagement qui me saisit est d’une force telle que je suis obligé de m’asseoir sur la chaise la plus proche alors que Vic continue de poser des questions à l’infirmière qui y répond du mieux qu’elle peut. J’ai entendu les quelques mots qui font toute la différence, la confirmation que Sarah est en vie, qu’elle va bien même si elle a une jambe cassée, que le bébé va bien. C’est comme si les fondations de mon monde venaient de se reconstruire sous mes yeux. C’est fou d’aimer autant et de se rendre aussi vulnérable. Mais c’est un si grand privilège de ressentir de telles émotions qui sont partagées par la personne qu’on aime que je ne renoncerai à ça pour rien au monde.

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