10. Se créer de nouveaux souvenirs

10 minutes de lecture

Sarah

— Hors de question que tu me traînes là-bas, Becca, marmonné-je au téléphone en m’étalant sur mon lit.

— Sarah, ça va faire cinq ans, il est peut-être temps, justement, de tourner la page. Tu adorais ce café.

— Oui, j’adorais y aller avec mon père.

— Eh bien, tu vas adorer y aller avec moi, maintenant, je t’assure !

Elle a un sourire dans la voix qui appelle le mien, quand bien même je sens que la soirée va être tout sauf agréable. Je n’ai pas remis les pieds là-bas depuis que mon père nous a quittés, tout simplement parce que les souvenirs sont trop douloureux. J’adorais aller boire un café avec lui entre deux cours, et il trouvait toujours du temps pour moi entre ses réunions et rendez-vous. C’étaient des moments anodins, à l’époque, qui ne marquaient pas, dans un petit quotidien bien installé, et qui aujourd’hui sont des souvenirs particuliers et douloureux.

— Arrête de réfléchir et viens avec moi, tu ne le regretteras pas. Je suis sûre que ça va te rappeler de bons souvenirs et faire du bien à ton petit cœur triste. Ton père n’aurait pas voulu que tu te prives d’y aller, au contraire, je suis sûre qu’il voudrait que tu te crées de nouveaux bons moments dans ce café.

— Très bien, très bien, j’arrive, soupiré-je. Ta voiture ou la mienne ?

— Tu m’emmènes ?

Je lève les yeux au ciel et raccroche en soupirant. Je ne sais pas ce qui lui prend, elle ne m’a jamais demandé d’aller là-bas. Encore une de ses nouvelles lubies. Cette nana est folle et quand quelque chose lui passe par la tête, impossible de l’arrêter. Elle aurait été capable de débouler à la maison et de hurler jusqu’à ce que je me décide.

Je dévale les escaliers après un rapide passage par la salle de bain et vais récupérer mon ordinateur et mon sac de cours dans le salon, où ma mère est encore plongée sur son application.

— Je sors avec Becca. On va bosser dans un café. Un nouveau prétendant en vue ?

— Oh non, pas un nouveau, c’est toujours Jim, me répond-elle d’un air rêveur. Tu sais, celui avec le bel engin…

— Oui, oui, je sais, pas besoin de préciser, grimacé-je en déposant un baiser sur son front. Bonne soirée, Maman. A demain.

Lorsque je sors de la maison, je trouve Becca adossée contre ma voiture, le sourire aux lèvres. Elle est habillée comme si elle allait en soirée, et je baisse les yeux sur mon jean et mon chemisier en me demandant si elle ne m’a pas prévu un plan foireux.

— On va au café, hein ? Ils y passent de la musique ou quoi ? Y a une culotte sous cette mini-jupe ? T’es serrée comme un rôti là-dedans, fais gaffe, tes seins menacent de sortir, ris-je en me mettant derrière le volant.

— Canon un jour, canon toujours ! Comment tu comptes serrer avec ton jean, là ?

— Je sors pour étudier, pas pour serrer. Et puis, si un mec a besoin d’une jupe ras la moule et d’un décolleté plongeant pour que je lui plaise, c’est qu’il n’en vaut pas la peine.

— Redescends sur terre, la Belle aux bois dormant, les mecs ne s’intéressent qu’à des gros culs et des seins visibles, pas à ton QI, pouffe mon amie en montant le volume de la musique.

Peut-être, mais ça ne veut pas dire pour autant que je dois mettre en avant mon cul et mes seins pour leur plaire. J’ai autre chose à faire que de devoir me plier en dix pour un mec et je ne compte pas changer de style vestimentaire pour lui plaire. En plus, je n’ai pas l’impression que mon jean et mon chemisier ont dérangé Liam à Chicago. Il a eu l’air d’apprécier ce qu’il a vu autant que de les enlever.

Becca passe le trajet à faire des duos avec les chanteurs qui passent à la radio, et je me demande pourquoi une tempête ne s’est pas encore levée. Quand je me gare sur le parking du Unicorn Café, mon ventre se serre et je peine à descendre de la voiture. C’est fou comme les souvenirs peuvent faire barrière au présent. J’ai envie de faire demi-tour, mais mes yeux tombent sur une moto que je connais, et je fronce les sourcils en regardant mon amie différemment, tout à coup.

— Quoi ? J’ai un morceau de salade entre les dents ? Mon liner a coulé ?

— On est ici parce que tu sais que Liam est là ce soir ?

— Hein ? Mais non, voyons, dit-elle d’une manière peu convaincante avant de flancher sous mon regard. Oui, bon, ok, il bosse ici depuis quelques mois, je l’ai appris du cousin de la petite amie du grand frère de l’un des joueurs.

Oh là là, parfois je me demande comment je fais pour la suivre. Psychologiquement et physiquement parlant, d’ailleurs. Et là, ça me tue de savoir qu’elle m’a amenée ici non pas pour que j’y remette les pieds, mais pour que je l’accompagne alors qu’elle va aller draguer Liam sous mes yeux.

— Je le sens pas, Becca, j’ai… Pas envie d’entrer.

— Allez, viens avec moi, je te jure que si c’est trop compliqué une fois à l’intérieur, je te laisserai partir.

Des fois, son côté auto-centré est agaçant, et là, c’est vraiment le cas. Je suis à deux doigts de tourner les talons en lui disant d’aller se faire foutre, mais Evan débarque et nous prend toutes les deux par le cou en déposant une bise sonore sur nos joues.

— On y va, les canons ? Faut vraiment que j’arrête de sortir avec vous, tout le monde va me penser homo en sachant que je n’ai tiré aucune de vous deux.

Il nous entraîne à l’intérieur et, allez savoir pourquoi, la première chose que je vois, c’est forcément Liam derrière le comptoir. Je retiens de peu le sourire qui naît sur mes lèvres en le regardant alors que Becca glousse comme une dinde de Noël qui fuit son bourreau. Ah, si elle savait !

Il est superbe, comme toujours, et même si en le détaillant davantage alors que nous gagnons le comptoir, je crois constater qu’il semble plutôt nerveux et tendu.

— Salut Liam, je ne savais pas que tu travaillais ici, l’interpelle mon amie d’une voix suave, le faisant lever les yeux sur nous alors que je m’éloigne un peu d’Evan.

— Bonjour Becca, répond-il froidement mais en reluquant quand même sa tenue avant d’ébaucher un sourire en me voyant et de poursuivre plus chaudement. Bonjour Sarah. Et bonjour, ami de ces deux beautés. Tout le monde n’est pas né avec une cuillère en or dans la bouche, il y a des personnes qui doivent bosser pour vivre… Ou plutôt survivre… Je vous sers quelque chose ?

— Moi, c’est Evan, intervient l’intéressé. On va prendre deux latte et un café noir, s’il te plaît. Et t’as raison, je confirme, mais ces deux-là ne peuvent pas comprendre ce que c’est que d’être pauvre.

— Tu es mignon derrière ton comptoir, Liam, dit Becca en s’incrustant près de lui, juste séparée par la caisse enregistreuse. Tu finis le service à quelle heure ? Ça te dirait de me ramener sur le campus quand tu auras terminé ?

Il la regarde et je ne sais pas s’il est troublé par la vue plongeante qu’elle lui offre ou s’il est préoccupé par autre chose, toujours est-il qu’il ne répond pas tout de suite. Il parvient enfin à détourner les yeux de mon amie et va préparer notre commande, toujours sans un mot. Je me plante aux côtés de mon amie en soupirant.

— Lâche-le, Becca, laisse-le bosser tranquille, t’es lourde là… Allez vous asseoir, je ramène notre commande.

Si seulement mon intervention pouvait suffire à la calmer. Ce serait trop beau. Mais, quand elle a un truc en tête, hein…

— Tu vas encore mater les gens qui bossent longtemps ? l’attaque Liam en déposant les deux latte devant nous. Sarah a raison, tu es un peu lourde, là. Je finis tard et j’ai autre chose en tête que d’aller sur le campus, si tu veux tout savoir. Tu es mignonne, hein, mais franchement, je ne suis pas intéressé.

Il termine sa phrase en posant son regard sur moi et il parvient à me donner des frissons juste par l’envie qui se dégage de ses yeux posés sur moi.

— Bien, je crois que c’est clair, ricane Evan en attrapant le bras de Becca d’une main et en lui collant les latte dans les bras de l’autre. On va s’asseoir. Désolé pour le dérangement, mec, elle est pas méchante, juste un peu folle.

Je les regarde s’éloigner et aller s’asseoir dans un coin de la petite estrade. Folle, un peu seulement ? J’ai des doutes, parfois.

— Désolée pour Rebecca, soupiré-je en me tournant à nouveau vers Liam. Evan n’a pas tort, mais je comprends que ça puisse être lourd.

— Tu es la seule bonne nouvelle de la soirée, Sweetie, me dit-il doucement en me donnant le café noir. Bonne dégustation. Et oui, c’est lourd, mais en même temps, c’est plaisant de se faire draguer comme ça.

— Je n’en doute pas, dis-je en levant les yeux au ciel. N’oublie pas notre deal, je te préviens. J’ai bien envie de ne plus pouvoir compter le nombre de fois où j’ai fini dans ton lit, moi.

Je lui fais un clin d'œil et récupère mon café avant de rejoindre mes amis. Forcément, ils vont passer leur soirée à papoter, si Becca ne veut finalement pas fuir les lieux au plus vite, honteuse, et il va m’être difficile de me concentrer pour bosser. Ça risque de l’être d’autant plus que j’ai vue sur le comptoir et sur le beau basketteur en train de bosser.

— Je crois qu’en fait, il est super intéressé, glousse Becca. Vu comment il a maté mon décolleté, je pense qu’il est déjà à moitié dans mon lit, et ça me donne encore plus envie de lui ! Sarah, il t’a parlé de moi quand il t’a donné le café ?

— Non, il ne m’a pas parlé de toi… Ni de tes roploplos d’ailleurs. Mais je crois que même un malvoyant pourrait mater tes seins vu comme ils risquent de fuguer à chaque instant. Il t’a jetée, Becca, laisse tomber et jette ton dévolu sur un autre gars, franchement.

— Evan, tu trouves qu’il m’a jetée, toi ? Et pour ma poitrine, la vue n’est pas agréable ? demande-t-elle en les secouant sous le nez de notre ami qui se marre, non sans mater sans vergogne.

— Disons qu’il avait l’air d’avoir autre chose en tête que ton corps de rêve, ma Belle. Parce que oui, la vue est agréable, on ne peut pas dire le contraire !

J’arrête de les écouter et sors mon ordinateur pour bosser. Ou du moins pour essayer. J’ai beau ne pas écouter le fond de la conversation, difficile de passer à côté des gloussements de ma meilleure amie et du rire grave d’Evan. Et difficile de ne pas voir que Liam ne semble pas dans son assiette, si bien que je bois mon café bien trop vite et me lève pour aller en commander un autre. Je risque de ne pas dormir cette nuit, mais je ne peux m’empêcher de ressentir le besoin d’aller le voir. Pour profiter de sa présence ? Pour essayer de percer le mystère ?

— Tu peux m’en resservir un petit, s’il te plaît ? lui demandé-je en déposant un billet sur le comptoir.

— Tu l’aimes toujours bien noir ? me demande-t-il en s’approchant de moi.

— A vrai dire, ça ne fait pas longtemps que je le préfère noir, souris-je. Plus intense, plus fort, tu vois ?

— Je vois très bien, oui. Il se marie bien avec le lait, pourtant. On dirait que magiquement, ça produit beaucoup de crème. Je te fais ça tout de suite, Sweetie.

Son sourire en coin me fait fondre et je l’observe préparer ma boisson en silence. Lorsqu’il revient et la dépose sur le comptoir, je pose ma main sur son poignet pour l’empêcher de lâcher le gobelet.

— Eh, Liam ? Tu as une pause pendant ton service ?

— Le service est tranquille ce soir, je peux en prendre une, oui. Janet est là de toute façon, indique-t-il en montrant la petite brunette à ses côtés. Tu as quoi en tête ? Me refiler en pâture à Becca ?

Le clin d'œil qu’il m’adresse me fait comprendre qu’il rigole et qu’il est plutôt heureux de ma proposition.

— Eh bien, je doute de pouvoir m’absenter bien longtemps, mais… Je n’ai rien contre une séance de pelotage qui t’empêchera de marcher tranquillement pendant quelques minutes, souris-je.

— Retrouve-moi dans la cour, derrière les toilettes dans… Quinze minutes, d’accord ?

— Deal, Capitaine. Et ne compte pas sur moi pour y envoyer Becca, dis-je en lui faisant à mon tour un clin d'œil avant de retourner à table.

Je dépose mon café et m’installe derrière mon ordinateur, masquant difficilement mon impatience. Plutôt étonnant qu’Evan ne remarque rien, ou peut-être est-il trop occupé à lorgner sur les obus de Becca. Si seulement ils pouvaient se mettre ensemble, ces deux-là, au moins elle lâcherait sans doute la grappe au beau Capitaine qui hante mes nuits et est maître de mes désirs depuis la première fois où il m’a touchée.

Je ne sais pas combien de fois je regarde l’heure, mais quand enfin les quinze minutes sont écoulées, je prétexte un coup de fil de ma mère pour sortir et rejoindre l’endroit indiqué par Liam qui, encore derrière le comptoir, me regarde traverser le café. J’ai hâte qu’il me rejoigne, assurément.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0