12. Un bisou bien charitable

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Sarah

— Maman ? Tu sais où sont mes clés de voiture ? crié-je depuis l’entrée en enfilant mes baskets.

Il fait gris aujourd’hui et le soleil me manque déjà. J’enfile ma veste et fouille à nouveau dans mon sac sans entendre de réponse de ma mère.

— Maman ?

— Quoi ? me demande-t-elle au loin, visiblement agacée.

Je traverse l’entrée pour gagner sa chambre et me fige en la voyant assise en tailleur dans son dressing.

— Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu fais avec les affaires de Papa ?

Elle lève les yeux dans ma direction et tout ce que je peux voir, à cet instant, ce sont les cartons de vêtements au sol et les étagères où se trouvaient les vêtements de mon père hier encore et qui sont à présent vides.

— Tu vas bien faire du bénévolat aujourd’hui, non ? Je me suis dit que… Ce serait l’occasion de les emmener, Sarah.

— Mais… Non ! Pourquoi tu veux t’en séparer, enfin ? C’est quoi cette nouvelle lubie ?

Ma mère soupire et se lève pour aller s’asseoir sur son lit, où elle me fait signe de la rejoindre. Tout a changé dans cette chambre, l’an dernier. Elle a retapissé, acheté de nouveaux meubles pour effacer un peu les traces de mon père. C’était trop douloureux pour elle.

— Je les vois tous les jours, Chérie, je… J’ai besoin de passer à autre chose, tu sais. Ils ne servent à rien ici, alors qu’ils pourraient aider des personnes dans le besoin. A quoi bon les garder ?

J’ai l’impression qu’elle me broie l’estomac avec ses mots. Je sais qu’elle a raison, moi-même je lui dis qu’il faut qu’elle refasse sa vie, mais là, c’est brutal pour moi.

— Tu peux garder quelques affaires si tu veux, continue-t-elle, mais… Emmène-les, s’il te plaît. Je me sens prête, il faut que tu le sois aussi, j’en ai besoin, Sarah.

Effectivement, elle a l’air prête. Son regard est triste, mais comparé à toutes ces fois où nous parlons de Papa et où elle fond en larmes, c’est rassurant de voir qu’elle semble aller mieux. Enfin. Aussi, je m’y résous et me lève pour récupérer un carton.

— Est-ce que tu sais où sont mes clés de voiture ?

— J’y ai déjà déposé un carton, elles sont là, dit-elle en m’indiquant sa table de chevet.

On peut dire qu’elle a mis la charrue avant les bœufs, la Mama. Au final, je n’avais pas vraiment le choix. Nous chargeons donc les cartons dans ma voiture et je profite qu’elle soit en train de déposer le dernier pour récupérer un vieux jogging que mon père mettait toujours lorsque nous allions faire du vélo tous les trois ainsi qu’une tenue de basket trop grande pour moi mais chargée de souvenirs. Si j’étais plutôt de bonne humeur et joviale au réveil, j’avoue qu’elle m’a fichu un coup, là.

Lorsque j’arrive devant le bâtiment où se tient la vente, je préviens Darel que j’ai plusieurs cartons de vêtements à décharger. Son sourire et ses remerciements réchauffent un peu mon petit cœur malheureux et je me mets au travail en installant les vêtements par genre et tailles sur les nombreuses tables. Ici, les prix sont plus que cassés et les gens peuvent repartir avec une nouvelle garde-robe pour une poignée de dollars. L’argent récolté sert à l’association qui gère ces journées, entre autres choses. Mon père faisait des dons tous les ans et ma mère et moi poursuivons, même si maintenant que je suis adulte, je m’y implique un peu plus.

Voir les vêtements de mon père étalés et des gens les toucher, les déplier, les reposer parce qu’ils ne leur plaisent pas, ne m’aide pas à retrouver ma bonne humeur, et je ne peux m’empêcher de rester postée devant cette table pour replier ces morceaux de tissu qui font remonter bien trop de souvenirs. C’est stupide, j’en ai conscience, mais ce tee-shirt me rappelle un dimanche matin où mon père a essayé de nous faire des pancakes qui ont fini totalement cramés parce qu’il était aussi doué en cuisine que pour me faire des tresses. Ce costume, là, c’était son préféré, celui qu’il mettait toujours lorsqu’il avait une réunion décisive. Un peu comme certains ont leurs sous-vêtements porte-bonheur, quoi.

Je me secoue et me remotive pour éviter de me mettre à chialer bêtement au beau milieu des allées, et manque de m’étaler alors qu’une gosse me passe devant en courant, suivie par une carrure que je connais un peu trop bien. Liam se stoppe brusquement à quelques centimètres de moi et je crois discerner tout un panel de sentiments qui traversent ses yeux si expressifs.

— Salut, lui dis-je alors que je le vois grimacer et détourner les yeux.

— Oh, bonjour Sarah. Je ne pensais pas te trouver ici. Judith, arrête de courir, s’il te plaît !

— Eh bien, la surprise est partagée, souris-je alors que la petite vient le rejoindre, plus calmement.

— Je ne pensais pas que toi aussi, tu venais te fournir ici. Tu n’as pas trop l’air d’être une adepte des vêtements d’occasion, me confie-t-il en pensant que je suis venue chercher des habits pour moi.

— A vrai dire, je suis bénévole pour l’association…

— Oh, désolé, je n’avais pas compris, s’empourpre-t-il avant de se tourner vers la jolie petite fille à ses côtés. Viens Jude, les vêtements pour les filles, c’est là-bas dans le coin.

Il me fait un sourire gêné avant de s’éloigner, me laissant un peu perplexe sur l’attitude à tenir vis-à-vis de lui. J’hésite à le suivre et jette un dernier coup d'œil aux vêtements de mon père avant de me décider. Je fends la foule venue plutôt en nombre pour approcher de Liam et la gosse qui doit sans aucun doute être sa petite sœur. Je reste un peu en retrait, souris en le voyant galérer alors qu’elle semble avoir des goûts très arrêtés, et constate qu’il jette des regards derrière lui, vers le lieu où il m’a vue. J’avais déjà bien compris qu’il n’était certainement pas dans une situation financière aussi aisée que moi, mais je ne pensais pas qu’il en était à ce point. Je comprends mieux pourquoi il bosse au Café, et Becca m’a dit qu’il travaillait aussi dans un supermarché. Je me demande comment il peut avoir encore assez d’énergie pour assurer en cours, au basket, et au lit avec moi.

— Peut-être que vous devriez aller regarder sur la table à côté, dis-je doucement en me postant derrière la petite. Il y a quelques jeans sympas qui devraient t’aller, jeune demoiselle.

— Je m’appelle Judith, dit-elle fièrement avant de tirer Liam par la main vers la table que je lui ai indiquée. Tu vois, la jolie dame, elle dit que c’est là qu’il faut aller voir.

Liam me jette un rapide regard avant de reporter son attention sur la jeune fille qui est déjà en train de farfouiller dans les vêtements. Il relève enfin les yeux vers moi.

— Sarah, je te présente Judith, ma petite sœur, mais je crois que tu avais compris, sourit-il enfin. Mademoiselle a besoin de nouveaux vêtements tellement elle grandit vite.

— Enchantée, Judith. Effectivement, tu es déjà bien grande. Tu comptes rattraper ton frère, c’est ça ? lui demandé-je en riant, tout en cherchant de quoi la satisfaire dans les petits hauts que j’ai pliés tout à l’heure.

— Je ne sais pas si c’est possible, ça. Il est quand même trop grand, lui. Et il dit des gros mots quand il se cogne, alors je sais pas si je veux le dépasser.

— Jude, ne raconte pas toute notre vie, la réprimande-t-il gentiment. Sarah est bénévole ici, elle doit avoir plein de choses à faire.

Il semble vraiment gêné par ma présence, ou par le fait que je sache que lui est là, et me tourne le dos pour regarder des pulls que je trouve horribles.

— Eh bien, j’ai toujours un peu de temps pour aider les jolies demoiselles à trouver des vêtements qui leur plaisent, en fait. Mais… Je ne veux pas déranger. Enfin, si ta sœur est ok pour ces pulls qui semblent t’intéresser, elle n’a pas besoin de moi. Tu en penses quoi, Judith ?

— Ils sont trop pas beaux ces pulls. On dirait ceux de Tatie Suzie quand elle va à l’église. Moi, je veux être belle, Liam. Comme Sarah, pas comme Tatie Suzie !

Je souris à la petite mais ne peux m’empêcher de jeter un œil à Liam. Je ne suis pas très à l’aise, non pas parce qu’il vient ici, plutôt parce que j’ai peur qu’il se braque et pense que je m’incruste. Bon, il est clair que je m’incruste, mais j’aimerais qu’il comprenne que je m’en fiche qu’il vienne ici parce qu’il n’a pas assez d’argent pour acheter des vêtements neufs. Ce qui m’amène à me demander en quoi c’est important pour moi qu’il sache que ça ne change rien, et essentiel que je ne passe pas pour une bourge snob auprès de lui ?

— Bien, ce que je vous propose, si ton frère est d’accord, c’est qu’on choisisse chacun une tenue pour toi, et tu nous dis celle que tu préfères. Si je gagne, je vous aide pour la suite. Sinon, je vous laisse tranquille. Liam, Deal ? lui demandé-je en utilisant volontairement ce mot avec lequel nous jouons souvent depuis que l’on se côtoie.

— C’est quoi ce jeu idiot ? Je n’ai aucune chance, j’aime les pulls de Tatie Suzie, moi, grommelle-t-il avant de se reprendre devant l’air plein d’envie de sa sœur. Tu veux qu’on joue, Jude ?

— Ben oui, c’est pas idiot comme jeu, c’est rigolo ! Et les pulls de Tatie sont trop moches, grimace la petite.

— Ok, alors, Deal, me dit-il en me regardant. Mais si je gagne, avant de nous laisser tranquilles, je serai peut-être demandeur d’un petit bisou. Il faut bien que j’ai une motivation à gagner, ajoute-t-il en souriant.

— Deal, souris-je, mais tu n’as aucune chance, Capitaine. Ta soeur a raison, ces pulls sont vraiment horribles. Rendez-vous ici dans cinq minutes !

Je lui fais un clin d'œil et m’éloigne pour trouver la tenue idéale pour la petite qui est vraiment adorable. Elle et Liam semblent très proches et c’est attendrissant de le voir s’occuper ainsi de sa sœur.

Je les retrouve quelques minutes plus tard, une petite robe fleurie et des collants épais à la main, un gilet en laine trop mignon et même des bottines qui, je pense, seront à sa taille. Judith attrape la tenue de son frère pour l’inspecter avant de faire de même avec la mienne. Elle joue la juge sérieuse à la perfection et nous fait même attendre un moment avant de se décider, nous faisant rire tous les deux. Elle lève finalement l’index avec un moue à croquer et se décide à rompre le suspens qui devenait insoutenable.

— Je suis obligée de voter pour la tenue de Liam parce qu’il veut un bisou et qu’il m’a promis du chocolat, dit-elle, mais en vrai, j’adore ce que tu as choisi, Sarah.

— Ah mais t’es pas possible, Liam, m’esclaffé-je. J’aurais dû me souvenir que tu n’étais pas adepte des paris justes, bon sang !

— Bon, tu as gagné, tu peux rester, mais j’ai aussi gagné, alors, j’ai le droit à mon bisou ? Je trouve que c’est le plus juste des paris, ça. Merci ma Puce, tu as été parfaite ! indique-t-il à Judith qui rayonne devant son frère qui fait le malin.

— Ça se paiera, ça, Capitaine, murmuré-je en glissant sa main sur sa nuque pour déposer un baiser sur sa joue.

— Si c’est d’occasion, ça va, je pourrai assumer, dit-il un peu amèrement en mettant de côté les vêtements que j’ai choisis.

— S’ils lui plaisent vraiment, prends-les, je les paierai, ça me fait plaisir. Elle serait trop mignonne dans cette robe, souris-je en regardant Judith qui farfouille dans les chaussures.

— Je n’ai pas besoin de ta pitié, Sarah Je ne suis pas ici pour profiter de ta charité et les vêtements de ma sœur, je suis encore en capacité de les acheter, grogne-t-il en récupérant la pile de vêtements choisis par Judith.

— Je… Ce n’est pas ce que je voulais dire. Enfin… bafouillé-je bêtement alors qu’il va déjà rejoindre sa sœur.

Ok, je crois que j’ai fait une boulette, là. Loin de moi l’idée de le vexer, je voulais juste faire plaisir à la gamine qui me fait au revoir de la main tandis que son frère l’entraîne à l’entrée de la salle pour payer les vêtements. Je reste là, au beau milieu des fringues, me sentant vraiment bête. Liam est quelqu’un de fier et j’aurais dû me douter qu’il réagirait de cette façon, mais j’ai parlé sans réfléchir. C’était stupide de ma part, ça m’apprendra. Et si je venais de mettre fin à cette relation qui n’en est pas une ?

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