25. En territoire ennemi

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Liam

La porte vient de claquer et j’ai l’impression que c’est moi qui l’ai reçue, la claque. Oser juger mon origine et le quartier d’où nous venons comme ça, quelle honte ! J’ai l’impression d’avoir pris tout son mépris alors que je n’ai fait qu’exprimer la dure réalité. Maintenant qu’on va faire partie de la même famille, ça ne se fait pas de continuer une relation. Surtout qu’elle était quand même purement sexuelle, non ? Tout le reste, je dois l’oublier, il n’a aucune chance d’exister. Une fois que je serai convaincu que ce que je veux croire est vrai, ça devrait être plus facile de vivre chaque jour aux côtés de cette fille qui tourmente mon quotidien plus que je ne l’avouerais jamais.

J’observe ma chambre, toujours aussi incrédule. Déjà parce que cette maison est juste incroyable. La superficie de ma chambre, même si elle est plus petite que celle de Sarah, est supérieure à tous les endroits où j’ai vécu. De ma fenêtre, j’ai une vue splendide sur la terrasse et la piscine. Car oui, il y a une piscine, forcément. La décoration est sobre, mais il y a une magnifique peinture au-dessus de mon lit. C’est un coucher de soleil sur le lac. Il doit s’agir d’une œuvre du père de Sarah, je reconnais le style et le côté un peu rêveur et imaginatif de l’artiste. A Chicago, ville orientée vers l’Est, le soleil se couche derrière la ville, jamais sur le lac, mais le rendu est magnifique, les tons ocrés formidables. Alors, qu’importe la réalité !

La mère de Sarah vient frapper à ma porte et m’annonce que le brunch est servi. Je crois que je n’ai jamais vraiment eu de brunch, et réalise une nouvelle fois que nous sommes dans un monde différent de notre quotidien. Mais pourquoi fallait-il que ça tombe sur la mère de Sarah ? C’est vrai qu’elle est plutôt jolie, Vic, mais avec le nombre de femmes en recherche d’un amant, pourquoi est-il tombé sur elle ? Après, comme l’a dit Sarah justement, il y a pire. Nous sommes maintenant à l’abri des représailles du Mexicain et on va pouvoir faire grandir Judith dans un environnement plus sécure et plus sain. Peut-être qu’elle pourra aussi faire de belles études et avoir une jolie carrière, ce que nous ne pouvions pas envisager avant. Mais je me lance dans des conjectures qui sont assez folles. Ils se connaissent depuis si peu de temps, ça ne va peut-être pas durer, leur couple. Et là, il faudra rebondir et trouver un autre pied-à-terre. Quelle folie d’avoir emménagé si vite !

Je descends et retrouve tout le monde attablé sur la grande table dressée dans la salle à manger. Chacun a déjà pris sa place et je me retrouve à côté de Sarah, en bout de table. Nos parents sont côte à côte et c’est mon père qui préside. Très conservateur, la famille de Sarah. Judith est assise en face de moi, près de notre nouvelle belle-mère qui a l’air aux anges.

— Désolé pour le retard, je me suis perdu dans les couloirs du château, indiqué-je en m’asseyant sous le regard réprobateur de mon père, ce qui me pousse à jouer la provocation. Vous m’attendiez pour dire le bénédicité ou on attend que les serviteurs ramènent à manger ?

— C’est familial cette propension à en rajouter des caisses ou il n’y a que toi qui as développé ce défaut ? me demande Sarah en attrapant la salade de fruits. Je te ferai un plan, si un couloir, un escalier et trois chambres, c’est trop compliqué à intégrer pour ton cerveau lent.

— Les enfants, intervient mon père, cessez donc de vous disputer. Nous allons vivre ensemble, faisons tous des efforts pour que ça se passe bien. Liam, je pensais t’avoir appris les bonnes manières, mais il me semble que tu les oublies de plus en plus fréquemment. Souviens-toi que tu dois être un exemple pour ta sœur, là, c’est mal parti. Bon appétit à tous, surtout à toi, ma Dulcinée.

Je lève les yeux au ciel quand il emploie ce mot un peu désuet mais qui ravit sa nouvelle compagne. Après, dans le fond, il a raison, je ne suis pas correct et personne ne mérite de subir ma colère.

— Désolé, Daddy, tu as raison. Je vais faire attention à mon comportement. Merci Madame Ashford pour ce bon repas, continué-je en faisant comme si nous étions les invités à un repas chez des amis et non dans la famille.

— Vous auriez peut-être dû y penser plus tôt, à comment on s’entendrait, intervient Sarah alors que sa mère ouvrait la bouche, plutôt que de nous coller dans la même maison pour jouer à la petite famille parfaite. Enfin, si je peux me permettre d’émettre un avis, vu qu’on a apparemment tous été mis devant le fait accompli ici.

— Sarah, s’il te plaît, soupire sa mère avant de me sourire. Et tu peux m’appeler Victoria, Liam. Ou Vic, enfin, comme tu veux bien sûr.

— Bien, Vic. Je vais essayer. Merci en tous cas pour ta générosité. Mon père a de la chance d’être tombé amoureux d’une personne comme toi. Et désolé pour mon comportement, mais, comme Sarah, je pense que tout ça est bien brusque et que nous n’avons pas du tout été consultés.

— Moi, Daddy m’a demandé si je voulais devenir une princesse et j’ai tout de suite dit oui ! s’esclaffe ma sœur, ce qui nous fait tous sourire.

— Allez, mangez les enfants, je n’ai pas passé autant de temps en cuisine pour rien, sourit Victoria en se servant des pancakes. Alors comme ça, vous vous connaissez déjà, tous les trois ? Comment ça se fait ?

Ah mince, voilà la question gênante à laquelle nous n’avons pas réfléchi. Il faut répondre quoi, à ça ? Qu’on baise comme des fous depuis quelques semaines et que jamais on ne s’est autant fait plaisir avec aucun partenaire ? Qu’on était presque prêts à officialiser les choses et à aller au-delà du plan cul ?

— J’ai rencontré Sarah dans une fête étudiante et elle est venue avec ses amis à plusieurs matchs de basket. Et comme l’a dit Judith, un soir de match où mon père devait être occupé avec toi, elle m’a dépanné et est venue s'occuper de ma sœur pour que je puisse aller à mon match. Elle m’a un peu sauvé la mise sur ce coup-là.

— Faut croire qu’on est des âmes charitables, chez les Ashford, marmonne l’intéressée.

— Eh bien, il faut croire que c’était le destin alors, continue la maîtresse de la maison en fusillant sa fille du regard. La chambre te plaît, Liam ? Tu es bien installé ? Si vous avez besoin de quoi que ce soit, ou envie de redécorer, dites-le, les enfants, on fera le nécessaire, d’accord ?

— Il faudrait être difficile pour critiquer le confort de la pièce. Et la toile est superbe. Ce coucher de soleil sur le lac, ça donne envie d’entrer dans le monde de ton ex-mari. Au moins, avec lui, on sait pourquoi tu étais amoureuse de lui…

Là, c’est mon père qui me fusille du regard à son tour. Heureusement que nos parents ne sont pas armés, sinon Sarah et moi, ça fait longtemps qu’on serait six pieds sous terre. La Guerre Froide est déclarée et il va falloir à tous des talents de diplomates pour éviter l’escalade nucléaire.

— C’est toujours son mari, intervient à nouveau Sarah avec une certaine véhémence. Elle est veuve, pas divorcée. Si tu savais le nombre de fois où elle m’a dit qu’il était l’homme de sa vie, qu’elle avait trouvé son âme sœur et combien il lui manque chaque jour… Enfin, pardon, Jim, je ne doute pas qu’elle soit attachée à toi, évidemment…

— Je pense que nous sommes très amoureux oui, un peu comme si on nous avait offert une deuxième chance à tous les deux, répond mon père sans se démonter malgré nos assauts communs. Je vous le souhaite à tous les deux, un jour, de rencontrer l’amour deux fois.

— Hum… Pour ça, il faut déjà avoir envie de s’attacher une première fois. Aimer c’est prendre de sacrés risques, non merci, continue Sarah. Il faut pouvoir lâcher prise pour ça, en plus. N’est-ce pas, Liam ? Mieux vaut s’amuser, non ?

Je plisse les yeux en la regardant m’attaquer à mon tour. Au moins, les choses sont claires, elle n’est pas d’accord avec notre arrivée ici, et seule ma petite sœur échappe à ses attaques en règle.

— J’espère que nos parents ont passé l’âge de s’amuser et sont sérieux sur leur relation, sinon, on risque d’avoir des difficultés. Pas envie de me retrouver à la rue dans quelques semaines.

— Vous ne vous retrouverez pas à la rue, voyons, Liam. Ce n’est pas le genre de la maison. Sarah est un peu… Réticente, mais elle va vite s’y faire. Tout va bien se passer, les enfants. Il faut juste que chacun fasse un petit effort. Je suis sûre que vous allez bien vous entendre en plus, tous les deux. Tu sais que Sarah adore le basket ? Elle en faisait quand elle était plus jeune. On a même un panier dans le garage, si tu veux le ressortir. Il faudra peut-être racheter un filet ou le repeindre, je ne sais pas, je ne l’ai pas vu depuis qu’elle l’a rangé, mais je suis sûre qu’il est encore utilisable.

— Et tu as arrêté le basket au profit du piano parce que le Prof était plus mignon ? demandé-je, toujours jaloux du beau gosse qui passe ses dimanches matins avec elle.

— Ça te regarde ? Et je peux savoir en quoi ça t’intéresse ? gronde Sarah en me fusillant du regard.

— Liam, soupire sa mère. William adorait le basket et emmenait souvent Sarah voir les Chicago Bulls. Elle… Enfin, tu vois quoi, ça fait cinq ans qu’elle n’a pas joué.

— T’es pas obligée de lui raconter ma vie non plus, Maman. Content d’être au courant de tout, l’emmerdeur ?

— Sarah, enfin !

— Oui, oui, pardon Maman. Monsieur l’emmerdeur.

— On dit pas des gros mots à table, Sarah, intervient ma sœur, toujours aussi sérieuse.

J’éclate de rire et opine du chef à la remarque de Judith. Vu comment ce premier repas “en famille” se déroule, ça promet pour les prochains jours et semaines. La vie chez les Ashford ne va pas être de tout repos, c’est clair. Et qu’est-ce que ce sera quand on va se marcher un peu dessus, les longues soirées d’hiver ? Ou quand l’un de nous va se pointer avec un copain/copine ? J’ai l’impression qu’elle est dans le même état d’esprit que moi, qu’elle veut à la fois établir des barrières, une muraille entre nous deux, mais qu’elle reste jalouse des personnes que je pourrais fréquenter. Je sens que l’occupation des Sanders va être dure à vivre. Pour tout le monde.

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