31. L'hôpital, pas la charité

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Liam

Comme chaque matin de cette fin d’été, je me lève tôt pour pouvoir profiter de la piscine avant de commencer ma journée. Je ne suis pas pour le luxe et je trouve la plupart du confort de cette maison inutile, mais la piscine, ça, j’avoue que ça pourrait me convaincre de l’intérêt de devenir riche ! Il commence à faire un peu frais, mais il y a un système de chauffage de l’eau et, si on fait attention quand on sort, je pense qu’elle peut encore être utilisée un petit moment.

Je plonge dans l’eau directement et fais ma petite routine matinale. Je commence par faire quelques longueurs tranquillement pour chauffer avant d'enchaîner sur une série de longueurs plus rapides où j’alterne les nages. Alors que je suis en train de conclure en me relaxant sur le dos, j’entends des pas sur la terrasse et je jette un œil pour voir qui est assez fou pour se lever tôt comme ça et me rejoindre au bord de l’eau.

— Oh, salut Vic. Tu viens nager ?

Elle est habillée d’un maillot une pièce et en la voyant ainsi, de profil, je comprends un peu ce que mon père lui trouve. Je crois que je sais aussi d’où viennent les jolies courbes de Sarah.

— J’aime bien faire quelques longueurs le matin, je vois que tu as déjà pris tes petites habitudes aussi.

— C’est un plaisir d’être dans l’eau. Et ça complète mes entraînements de basket. Il faut être bien en forme quand on est sportif. Ça ne te dérange pas si je continue un peu ?

— Bien sûr que non, tu es chez toi ici, Liam, même si je comprends que tu aies du mal à t’y faire. Tu veux que je te laisse ? Je peux revenir plus tard si tu préfères.

— Non, la piscine est assez grande pour deux, et j’ai presque fini, là, de toute façon. Je me détends, c’est tout. Tu sais, je commence à m’y faire. Tu fais vraiment tout ce qu’il faut pour qu’on se sente chez soi, ici.

— Ça fait du bien de voir de la vie dans cette maison. Et puis, autant que l’espace serve à quelque chose. Sarah et moi, on a notre petit train-train, il était temps qu’il soit un peu bousculé.

— Tu ne fais pas les choses à moitié quand tu veux les changer, toi !

Elle ne me répond pas tout de suite et glisse à son tour dans l’eau. Elle se contente de quelques brasses avant de vite sortir et je la suis en serrant ma serviette autour de mon corps pour ne pas attraper froid avec le petit vent que nous ressentons. Nous nous installons sur les fauteuils, le temps de sécher un peu.

— Je crois qu’on en avait besoin, en fait. Ça fait cinq ans qu’on vit avec un fantôme, tu sais ?

— Je sais ce que c’est oui, mon père avait complètement disparu des radars ces derniers mois. Là, il y a encore du boulot, mais ça va mieux.

— Tu ne peux pas imaginer ce que c’est que d’être un parent célibtaire, tu sais ? Enfin… C’est tellement angoissant. A deux, ça l’est déjà énormément, mais quand tu te retrouves seule à devoir prendre des décisions, assumer des enfants, avoir peur pour eux sans pouvoir te reposer sur personne, c’est encore un autre niveau d’angoisse, tu peux me croire. Enfin… Je sais ce que tu as fait pour ta famille, alors j’imagine que tu as goûté aux joies du stress pour ta sœur. Crois-moi, l’envie de baisser les bras est là, parfois. Gérer le chagrin de son enfant quand on est nous-même en détresse, c’est terrible....

— Ça a l’air d’aller pour vous deux. Je ne vous trouve pas déprimées ni angoissées, indiqué-je en frissonnant légèrement sous ma serviette à l’évocation de ce stress que je ressens toujours pour Judith, mais aussi pour mon père.

— Ça va mieux, oui. Mais j’ai eu une période très compliquée au décès de William et Sarah a suivi après. Disons que… J’ai craqué la première et elle m’a soutenue, au prix de sa santé mentale par la suite, soupire-t-elle en s’essuyant.

Je suis un peu surpris par ce qu’elle me révèle sur sa fille car je n’ai pas du tout remarqué de difficulté psychologique chez elle. Le silence qu’elle laisse à la fin de sa phrase est un peu pesant, chargé d’émotions, et j’hésite avant de poser des questions pour avoir plus de détails. Cependant, j’ai l’impression qu’elle veut se confier et n’attend qu’un signe de ma part pour continuer à parler.

— Et toi, tu as pu la soutenir après ? Ça a duré longtemps ?

— C’est son état qui m’a permis de me rendre compte que j’avais touché le fond, en fait. Mais il a quand même fallu plus que mon soutien pour la sortir de sa dépression. William et elle étaient vraiment très proches, tu sais ? J’en étais parfois un peu jalouse, d’ailleurs… Bref, son monde s’est totalement effondré en partie à cause de moi puisque j’ai été incapable d’être forte pour elle. Mais je ne referai pas deux fois cette erreur. Voir ma fille en hôpital psy une fois m’a suffi.

— Ah oui, carrément ? dis-je en émettant un sifflement. Elle a morflé, Sarah. Et quelle force elle a parce que là, on a l’impression que tout va bien.

— La dépression peut être bien difficile à traiter, tu sais, grimace Victoria. J’avoue que sa réaction par rapport à votre arrivée et son comportement de ces derniers jours me font un peu peur. J’espère que ça va vite lui passer, que c’est le temps d’encaisser le changement. Elle est encore fragile…

Eh mince, j’ai failli me lancer dans une relation avec une fille qui risque de retourner à l’hôpital si je casse l’équilibre qu’elle avait réussi à instaurer. J’espère que la rupture anticipée de ce qu’on a connu ne l’a pas trop dérangée, sinon, je m’en voudrais encore plus.

— Ça a l’air d’aller mieux, quand même. Cela fait un moment qu’on ne s’est pas disputés, souris-je. Ou qu’elle n’a pas reproché à mon père d’être là pour l’argent.

— Elle est horrible avec ton père… Mais, tu sais, j’ai dû lourdement insister pour qu’il accepte l’argent, il a même fallu que j’utilise l’argument des enfants pour qu’il daigne me dire oui. Tout ce que je veux, c’est qu’on commence quelque chose tous les cinq sur des bases saines, et c’était la solution pour, je crois. Tu ne m’en veux pas ?

— A sa place, je n’aurais jamais accepté l’argent, ce n’est pas sain. Et d’ailleurs, je vais le rembourser, cet argent. On n’est pas ici pour le fric, ni pour la piscine. Je me suis déjà engueulé plein de fois avec Sarah à ce sujet. Mais maintenant, je vais avoir peur de le dire en face d’elle, j’ai pas envie que ça la rende à nouveau fragile et la fasse repasser par la case hôpital !

— J’y crois pas ! tonne une voix derrière nous. T’as quand même pas parlé de ça à Liam ? Et toi, là, j’ai déjà eu l’air d’une petite chose fragile à protéger ? Non mais sérieux, Maman, à quel moment tu t’es dit que raconter ma vie était une bonne idée ?

— C’est la famille, Sarah, on doit tout se dire, non ? Et au moins, ça fait une personne de plus qui pourra t’aider si tu as besoin. Je sais que c’est difficile pour toi que je remplace ton père par Jim, alors, il faut qu’on te protège.

— Vic, je crois que Sarah sait se protéger toute seule… Désolé, je n’aurais pas dû laisser penser que j’allais te ménager par rapport à ton passé, m’excusé-je.

— Je n’ai pas besoin d’être protégée, Maman, juste d’être considérée, et on en revient toujours au même, où ça n’a pas été le cas, pour Liam comme pour moi d’ailleurs, dans cette grande décision précipitée que vous avez prise, dit-elle en fusillant sa mère du regard avant de se tourner vers moi. Quant à toi, ne me regarde pas comme une folle, j’ai fait une dépression, pas une crise de paranoïa ou de je ne sais quoi d’autre. Je ne suis pas fragile, putain, et on n’est pas une famille non plus !

— Tu as pris tes pilules ? demandé-je sarcastiquement, provocateur. Parce que là, franchement, j’ai l’impression que tu en as besoin pour ne pas péter un plomb. Je t’ai dit que j’étais désolé, j’ai jamais dit que tu étais folle ! Ecoute un peu avant de juger !

— Oh, ne vous disputez pas à cause de moi, intervient Vic, affolée. Désolée ma chérie, mais Liam, c’est comme ton frère, maintenant. Je l’ai prévenu pour que tu puisses avoir une autre personne à qui te confier si besoin. Tu ne peux pas rester seule et affronter tout sans personne, tu sais ?

— Un frère ? rit-elle. Non, Maman, crois-moi, Liam n’a rien d’un frère. Et il a déjà à assumer une sœur, c’est pas suffisant ? Vous comptez lui coller le soutien de tout le quartier à assurer, peut-être ? Comme si devoir assumer sa propre famille en plus de sa scolarité ne lui suffisait pas. Je n’ai pas besoin de lui, je saurai trouver une oreille attentive si besoin, ne t’inquiète pas pour moi. Et arrête de lui raconter ma vie !

— Je ne vais pas rajouter de l’huile sur le feu, exprimé-je en me levant, mais elle a raison sur un point, ta mère. Si un jour, tu as besoin, tu n’hésites pas à venir me voir. J’ai du mal à me considérer comme ton frère, mais on peut quand même être amis. Moi, tu sais, si je n’avais pas eu le basket, je crois que j’aurais pu aussi m’y retrouver, à l’hôpital. Ou s’il n’y avait pas eu Jude dont il fallait s’occuper, j’aurais peut-être laissé mon corps et mon esprit craquer. Je sais ce que c’est de perdre un parent. Bref, je te laisse gérer l’histoire avec ta mère, ça vaut mieux, non ? Un peu d'intimité entre vous, ça doit vous manquer.

Alors que je commence à m’éloigner, Sarah retient ma serviette et je me retourne pour voir ce qu’elle a à ajouter.

— La réciproque est vraie, et je pense te l’avoir déjà prouvé, pour ce que ça vaut et malgré la façon dont tu peux me considérer. Mais ne nous compare pas. Ta mère n’est pas morte, à ce que je sache…

— C’est encore pire, rétorqué-je, car à tout moment, elle peut refaire surface et foutre le bordel dans nos vies. Impossible de faire le deuil d’une relation qui n’est pas vraiment terminée, tu sais ?

Je dégage ma serviette de la main de Sarah qui ne l’avait pas lâchée et les laisse continuer à se disputer. J’entends Vic tenter de se défendre devant sa fille qui a l’air remontée comme un coucou. Je soupire car, si notre relation à nous avait pu évoluer favorablement et que j’avais appris cette information autrement, je suis sûr que j’aurais vraiment pu la soutenir, l’aider. Là, je dois me contenter de quelques mots qu’elle refuse d’écouter et de me comporter en parfait étranger, ce qui est somme toute, mieux qu’en frère. On peut coucher avec un étranger, non ?

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