83. La pizzéria mexicaine

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Liam

Je patiente devant la maison en attendant que Sarah me rejoigne. Elle était au téléphone avec Becca qui avait l’air de s’être un peu fâchée avec Abdul et elle avait besoin d’en parler. J’espère qu’elle ne va pas trop traîner car j’ai hâte que cet entretien soit passé et que je sache à quoi m’en tenir avec le Mexicain. Cela n’a pas été facile mais j’ai déjà réussi à ce qu’il accepte de me voir, il ne reste plus qu’à le convaincre.

Sarah sort enfin et, même si elle est habillée sobrement, elle n’en reste pas moins magnifique avec son petit chemisier et ses jeans moulants. Je trouve vraiment que ce n’est pas une bonne idée qu’elle vienne avec moi, mais je suis un peu coincé. Si je ne respecte pas mon deal, ça veut dire que je n’ai plus de parole, et c’est bien la seule chose qui me reste, mon honneur. Pour la forme, j’essaie néanmoins de la dissuader de se joindre à cette rencontre.

— Sarah, tu sais que ce n’est pas une bonne idée de venir ? Le Mexicain, c’est pas un rigolo.

— Liam, tu sais que ce n’est pas une bonne idée de rencontrer le Mexicain ? Ce n’est pas un rigolo. Ah, je suis bête, tu es têtu et tu y vas quand même, dit-elle en me faisant un clin d'œil. Un deal est un deal, Capitaine.

— J’aime pas que tu prennes des risques comme ça pour moi et ma famille. Je préfèrerais que tu restes ici, mais je vais respecter le Deal, bien sûr.

— De toute façon, c’est non négociable, beau gosse. Ça fait longtemps que je n’ai pas fait un tour sur ta moto, ça me manque.

— Bien, me résigné-je. Alors monte et accroche-toi bien. Je compte bien rattraper le retard qu’on a pris !

Elle met son casque et s’installe dans mon dos, passant ses mains sur mon ventre. Dans d’autres circonstances, j’aurais trouvé ça plutôt excitant mais là, malgré moi, j’y trouve simplement un certain réconfort. Je ne sais pas si je suis en train de me jeter dans la gueule du loup, mais au moins, je n’y vais pas seul. Nous nous dirigeons rapidement vers les quartiers sud de Chicago. Heureusement que Sarah a son casque sur la tête car elle doit être une des seules personnes blanches à des miles à la ronde et au moins, on ne se fait pas trop remarquer. Je m’arrête devant une pizzéria qui ne doit pas vendre beaucoup de pizzas si j’en juge l’état du four que l’on peut apercevoir de l’extérieur. Encore un de ces endroits qui fait un chiffre d’affaires énorme avec tous ces clients fictifs qui paient en cash.

Sarah enlève son casque et me suit à l’intérieur du restaurant qui est vide, bien entendu, à l’exception d’une table au fond où est installé un homme jeune, la trentaine, latino, en train de manger un hamburger presque aussi grand que sa tête fine et anguleuse. Deux gardes du corps armés se tiennent de chaque côté de la table et l’un d’entre eux vient nous palper avant de nous laisser nous approcher du jeune homme.

— Mon cher Liam, enfin nous nous rencontrons, m’aborde-t-il comme s’il attendait ce moment depuis longtemps. Je suis un grand fan, tu as un vrai talent au basket ! J’espère que tu me signeras un autographe avant de repartir, je suis sûr que c’est un bon investissement et qu’un jour il coûtera une fortune ! Mademoiselle, vous êtes ? Enfin, à part la surprise qui vient égayer ce bon petit repas ?

Les yeux qu’il porte sur Sarah me confirment que j’aurais mieux fait de ne pas la laisser venir. Il est littéralement en train de la dévorer des yeux.

— C’est Sarah, ma demi-sœur, elle a tenu à m’accompagner pour cet entretien, mais elle n’a rien à voir dans nos histoires, d’accord ?

— Laisse-la donc se présenter, Liam, m’intime-t-il d’un ton presque menaçant. Elle a l’air charmante, cette jeune femme.

— Je n’ai rien à ajouter, tout est dit. Et je crois que niveau investissements, vous avez déjà ce qu’il faut, si je peux me permettre.

Il éclate de rire avant de nous faire signe de nous asseoir en face de lui. Un petit geste envers ses gorilles et ceux-ci s’éloignent et viennent se mettre derrière nous, nous cachant ainsi de la vue de la rue. C’est assez flippant de se dire qu’un simple hochement de la tête du Mexicain, et boum, notre vie est terminée.

— J’aime les femmes qui ont du caractère. Tu as bien fait de l’amener, Liam, ça me met de bonne humeur et me rend plus ouvert à la discussion avec toi. Tu es venu payer ta dette, c’est ça ? Je crois que je suis prêt à accepter le paiement en nature avec la demoiselle, tu sais ?

Il me dégoûte et me révolte mais je suis obligé de me contenir. Si je tente le moindre geste, je sais que je risque de me prendre une balle dans la tête avant d’avoir tenté quoi que ce soit.

— Je n’ai plus de dette et c’est pour ça que je suis venu, en effet. Tous les loyers ont été payés et je suis clean auprès de toi. Je ne comprends pas ce que tu me réclames et je n’ai pas les moyens de te donner plus.

— Et c’est toi qui décides quand les dettes sont réglées, rit-il. Ton père a clairement abusé, Liam, et je déteste qu’on se foute de moi. Quand on chie dans mes bottes, il faut assumer ensuite, tu vois ? A ma place, tu serais certainement très agacé, toi aussi.

— Ce n’est pas normal, Le Mexicain. Tu sais bien que ma famille n’a pas d’argent et ne peut pas payer. Et puis, tu me demandes mille dollars par mois, c’est pas une dette, ça. C’est du racket.

Je sens un tressaillement de sa part et je vois qu’il n’apprécie clairement pas que j’utilise ce type de vocabulaire en sa présence.

— C’est un juste retour des choses. Ton père a voulu me la mettre à l’envers. Et si j’en crois l’allure de ta demi-sœur, je ne doute pas qu’il y a de l’argent quelque part, arrête de te foutre de moi.

— C’est moi qui paie mes dettes, pas elle, ni sa famille. Et tu sais très bien que j’ai déjà deux boulots et que jamais je n’arriverai à récupérer mille dollars par mois. Tu es en train de t’attaquer au mauvais cheval, tu sais ?

Sarah est mal à l’aise à mes côtés et se colle contre moi. Je sens sa jambe trembler légèrement contre la mienne et, pour la rassurer un peu, je pose ma main sur sa cuisse, espérant que ce contact suffira à ce qu’elle se sente un peu mieux.

— Une dette est familiale, non ? La preuve, tu te charges toi-même d’assurer le remboursement de celle de ton père. Père qui travaille et n’a pas besoin de cet argent, je crois, étant donné la maison dans laquelle vous vivez tous les cinq comme une jolie petite famille, me répond-il avec un sourire en coin.

— Je ne paierai pas, c’est mort. Jamais je ne demanderai à quiconque ces mille dollars par mois et donc, jamais tu ne les auras. Un point c’est tout.

Je le regarde et je vois qu’il est surpris que je m’oppose à lui aussi frontalement. Il ne doit pas avoir l’habitude que quelqu’un ose ainsi lui résister et il continue à nous observer un moment en plissant les yeux comme s’il réfléchissait intensément. Ou alors, c’est juste pour se donner un genre.

— Ok, Liam, sourit-il finalement. On abandonne les mille dollars par mois, pas de souci. Tu ne peux pas les trouver, je l’entends. Tu vois, je ne suis pas si méchant ! Je te propose autre chose…

Il abandonne bien trop facilement à mon goût. Je me demande ce qu’il a en tête et préfère rester silencieux en attendant qu’il ait terminé son petit speech.

— Tu as une très jolie demi-sœur, dit-il finalement en se penchant sur la table, les yeux rivés sur Sarah. Elle ferait un tabac, tu sais ? Tu pourrais te faire du fric facile. Ou me la laisser quelques soirs de la semaine. Je suis sûr que beaucoup de mes clients apprécieraient sa compagnie.

La main de Sarah se crispe sur ma jambe et elle pousse un petit cri qui amène un sourire sur le visage du Mexicain qui a l’air d’apprécier notre petite rencontre. Moi, j’ai juste envie de crier et d’engueuler le Mexicain, d’abord pour sa proposition indécente, mais aussi Sarah qui aurait vraiment mieux fait de rester à la maison.

— Tu n’es pas sérieux, là ? Comment tu prendrais les choses si je te disais que j’aimerais que ta sœur fasse la pute et que je voudrais la baiser ? l’attaqué-je. C’est hors de question, ça, et je te préviens, tu touches à un de ses cheveux, je fais tout pour te tuer.

Les deux gorilles derrière moi, constatant mon emportement, me posent chacun une main sur une épaule et deux canons d’arme viennent se poser sur mes tempes, mais je n’ai plus peur. Je crois que de toute façon, il ne cédera jamais et autant mourir, cela aura au moins le mérite de mettre fin à ses menaces et son comportement. Je suis prêt à lui sauter dessus malgré les risques quand je sens la main de Sarah qui s’interpose entre une des armes et ma tête.

— Vous êtes obligés de faire ça ? Et vous, vous n’êtes pas capable de vous défendre tout seul ? Vous croyez quoi, qu’avec un regard on risque de vous tuer ou quoi ? intervient-elle en fusillant du regard le Mexicain. On veut trouver une solution qui va satisfaire tout le monde, pas vous buter. Et je peux vous garantir que faire le trottoir n’est pas une idée qui me convient. Il reste combien d’échéances à payer, selon vos calculs foireux ?

— Eh bien, la demoiselle se rebiffe ! s’amuse-t-il à répondre en faisant un geste pour écarter ses deux sbires patibulaires. Tu me plais beaucoup, jolie femme. C’est vrai que ce serait dommage de gâcher une aussi belle marchandise avec un si fort caractère ! Pour les mensualités, c’est comme bon me semble, tu sais. C’est ça quand on est le boss. C’est excitant, tu ne trouves pas ? Tais-toi Liam, me lance-t-il sèchement, alors que j’allais l’insulter. Laisse la demoiselle se défendre, elle fait ça bien.

— Je peux être honnête avec vous sans risquer une balle ? lui demande-t-elle avant qu’il n’acquiesce. Vous pourriez me plaire aussi, si vous n’étiez pas un con qui profite du malheur des gens, je crois. Mais… ça gâche un peu tout, en fait.

Putain, elle est aussi folle que moi de l’attaquer de front comme ça. Et puis, comment ça, il pourrait lui plaire ? Elle fait dans le latino petit et trapu ? En tous cas, le silence qui s’installe entre nous tous est pesant et je me demande si on va ressortir de cette pizzéria ou si on a poussé le bouchon trop loin pour espérer quelque chose de cette rencontre autre que la mort.

— Bien, les amis, tout ceci a assez duré, finit-il par dire en écartant son plat devant lui. Je vous propose une dernière option, mais celle-là est à prendre ou alors vous assumerez les conséquences. Mademoiselle Je-N’Aime-Pas-Les-Cons, je vais te laisser tranquille pour l’instant. Mais en échange, et pour faire le paiement, Liam, je te demande de t’engager auprès de moi pendant au moins un an. T’engager, ça veut dire faire tout ce que je te demande, et tout ne sera pas légal, tu l’imagines bien, mais ça peut être bien d’avoir un contact comme toi qui va fréquenter du beau monde. Et qui voyage pas mal en plus. Si tu refuses, Liam, je te préviens tout de suite, cette beauté qui t’accompagne, je me la fais avant de la refiler à mes mecs qui en feront de la bouillie, et ta petite sœur sera méconnaissable quand on en aura fini avec elle ! Par contre, si tu bosses bien, ce sera fini, les problèmes d’argent pour toi. Avec moi, tu seras riche. Tu imagines ne plus avoir de souci financier ?

On se regarde avec Sarah sans oser parler ou répondre à cette tirade qui montre qu’il est complètement exaspéré.

— Vous m’avez coupé l’appétit et je ne vais pas prendre de dessert, soupire-t-il. Franchement, quelle idée de venir me voir pendant un repas ? Je vais être gentil quand même avec vous. Je vous laisse jusqu’au début d’année pour me répondre. Je n’ai pas de besoin tout de suite, mais j’en aurai à la rentrée. Ciao les morveux.

Un nouveau geste envers les deux gardes et ceux-ci nous arrachent à nos sièges et nous entraînent vers la sortie où m’attend ma moto. La porte de la pizzéria claque derrière nous et ni Sarah, ni moi, n’osons prendre la parole ou même nous regarder suite à cette conclusion d’entretien. Je ne sais pas quoi penser de cette proposition qui a au moins le mérite de me mettre de son côté et d’annuler ma dette, voire même de régler mes problèmes financiers. Mais est-ce que je suis prêt à m’engager dans cette voie-là ?

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