104. Les témoins d'un avenir incertain

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Sarah

Je regarde Liam partir depuis ma fenêtre et relâche un peu la pression en laissant couler mes larmes. Je suis une vraie boule d’émotivité depuis que j’ai compris qu’il y avait de grandes chances pour que je sois vraiment dans la merde. Et j’ai ressenti ce besoin de m’éloigner de tout et de tout le monde, même de Liam. Pourtant, ce matin, je me suis rendue compte que ses bras étaient une source d’apaisement inespéré face à cette nouvelle que je n’ai pas encore eu le courage de chercher à confirmer. J’aurais pu filer acheter un test de grossesse à la seconde où j’ai eu un doute, mais j’ai préféré rester dans l’ignorance, sans que cela ne m’apporte un quelconque réconfort. Mais, ce matin, j’ai besoin de savoir. Alors je m’habille en vitesse sans trop oser me regarder dans le miroir. La nuit a été très mauvaise et c’est inscrit sur mon visage. Ajoutons à ça les nausées matinales et ces foutues règles qui n’arrivent pas, et j’ai envie de me remettre à pleurer.

Je descends les escaliers et enfile manteau et chaussures avant de laisser un mot à ma mère pour la prévenir que je suis sortie chercher des médicaments et que je reviens vite. Pas de voiture disponible vu que ma mère a finalement décidé d’accompagner Jude à l’école, alors je pars à pied et prends la direction de l’arrêt de bus. Hors de question d’être prise avec un test de grossesse entre les mains par une voisine ou une connaissance de ma mère, ce serait clairement la catastrophe. A la grande pharmacie, j’hésite devant toutes les marques disponibles du rayon, et en prends finalement deux différents avant d’aller en caisse. Je suis mal à l’aise, bafouille, évite de croiser les regards. C’est stupide, mais je ne me sens pas très sûre de moi à cet instant. J’ai l’impression qu’il est écrit sur mon visage que je suis une petite jeune qui a fauté, une irresponsable incapable de gérer sa prise de pilule.

Quand j’arrive devant la maison, la voiture de ma mère est de retour et je grimace en me demandant comment je vais m’en sortir. Je la vois bien me demander ce que j’ai pris comme médicaments, me couver comme une mère poule et ne pas me lâcher la grappe jusqu’à ce que je sois découverte. C’est la poisse, jusqu’au bout. J’entre aussi discrètement que possible, enlève mes bottes et commence à monter les marches en silence lorsque sa voix me fait sursauter.

— Ah, te voilà, ma Chérie. Ça va ? Tu as trouvé ce que tu voulais ? Tu aurais dû m’appeler, je serais passée t’acheter ce qu’il faut après avoir déposé Jude. John a été de bons conseils ?

Non, le propriétaire de la pharmacie du coin ne m’a donné aucun conseil. John courtise ma mère depuis qu’il est arrivé il y a trois ans, inutile de dire qu’elle aurait été au courant avant même que je n’aie passé la porte de la maison.

— Ça va un peu mieux. Je vais aller prendre une douche et me remettre au lit.

— Tu ne veux pas manger quelque chose ? Je peux te préparer ce que tu veux, tu sais ?

— Je n’ai pas faim, Maman, j’ai encore l’estomac en vrac.

— Encore ? Mais… Peut-être qu’on devrait aller chez le médecin, quand même, Sarah. Ça traîne !

Et ça pourrait bien traîner quelques mois, Maman…

— Non, non, t’inquiète. A plus tard, Maman.

Je ne lui laisse pas l’occasion de répondre et vais m’enfermer dans ma chambre avec mes deux copains, ou ennemis, je ne sais pas trop. Un bébé, sérieusement. Est-ce que je serais prête à avoir un enfant ? Et avec Liam, de surcroît ! C’est tout simplement impossible. J’imagine le tableau en prenant mes affaires pour aller à la salle de bain. Je vous présente notre fils, et notre neveu. Oui, c’est la même personne. Beurk. Il faudrait que nous allions nous exiler sur une île pour vivre sans le regard des autres, les remarques désagréables et les jugements de tout un chacun.

Je soupire en ouvrant les deux boîtes pour regarder un peu les notices, et vais m’enfermer dans les toilettes pour faire mon affaire. Je prends bien garde à fermer la salle de bain à clé une fois de retour, et dépose les tests près du lavabo avant de me déshabiller et d’aller me doucher rapidement. Ça a au moins le mérite de m’occuper les mains, à défaut de m’occuper l’esprit. Je m’imagine déjà avec un bébé à charge, sans avoir pu valider mon Bachelor, trop occupée à vomir mes tripes. Moi qui voulais pousser jusqu’au Master 2, tout est remis en question, à présent.

Je m’enroule finalement dans une serviette et me plante devant le lavabo sans oser poser mes yeux sur ces foutu bâtonnets qui vont déterminer mon avenir. Une desperate housewive célibataire avec un petit métis, regardée de travers par tous ces foutus racistes et jugée par mes choix de vie ? Ou une jeune femme diplomée qui reprend l’entreprise de son père comme il le souhaitait, qui réalise ses rêves et rentre dans les cases ? Aucun de ces deux avenirs ne me convient, en fait. Je ne veux pas rentrer dans des cases, comme je ne veux pas en être trop éloignée.

Le premier test que je prends en main affiche une barre qui me serre le gosier. Le second, qui affiche un “pregnant”, me fait galérer avec la porte verrouillée, et je me précipite aux toilettes, en face, pour rendre le peu que j’avais dans l’estomac. C’est panique à bord, là. Je n’ai jamais voulu tomber enceinte et je ne comprends pas comment c’est possible. J’ai envie de pleurer et de hurler. Au lieu de quoi, je passe un temps fou au-dessus de la cuvette, l’esprit embrumé et la peur au ventre. Il y a un bébé qui grandit en moi. C’est fou. Ça devrait être magnifique, je devrais être aux anges, mais le timing est mauvais, le papa est interdit, le contexte est catastrophique.

Je ne sais pas trop comment je me retrouve à la salle de bain, mais je suis en mode pilote automatique alors que je me brosse les dents. Je m’habille lentement et prends mes deux témoins avec moi pour retourner dans ma chambre. Lorsque j’arrive devant l’escalier, j’hésite longuement quant à la suite des événements. Je ne sais plus quoi faire, mais j’ai ce besoin viscéral de ma mère, là. Alors je descends les escaliers et la trouve au salon, en train de feuilleter les papiers pour le mariage.

— Ah, te voilà, ma Chérie. Jim et Liam ont choisi du poisson pour le menu du mariage, ça te va ? Ça va ? me dit-elle en fronçant les sourcils.

— Du poisson ? Oui, oui, bonne idée. Je… Je peux te parler une minute ?

— Bien sûr. Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu m’inquiètes, là.

Je vais m’asseoir à côté d’elle et reste silencieuse un moment, avant de glisser une main dans mon sweat pour déposer sur la table basse mes tests de grossesse. Ma mère suit mon geste et, sans même la regarder en face, je peux apercevoir son visage se décomposer.

— C’est quoi, ça ? Ce n’est pas ce que je pense, si ? m’interroge-t-elle en ne détachant pas son regard des deux tests.

— J’ai bien peur que si… Je… Je ne comprends pas, Maman, je ne sais pas comment ça a pu arriver…

— Tu ne comprends pas ? Eh bien, si toi, tu ne sais pas comment c’est arrivé, qui peut le savoir ? Tu te rends compte que tu es en train de mettre tout ton avenir en jeu pour une partie de jambes en l’air, là ?

C’est bien plus qu’une partie de jambes en l’air, bon dieu. C’est de l’amour, le genre qui te transporte et te fait croire que le meilleur est possible. Le genre qui te fait croire au grand amour, celui avec un grand A.

— Tu crois que j’en ai fait exprès, peut-être ? J’ai pris ma pilule, j’ai tout vérifié ! Je… Merde, ça n’aurait jamais dû arriver !

— Tu as tout fait et tu es enceinte ? Oh la la, ma pauvre… Excuse-moi de m’emporter mais… Je ne m’attendais pas à ça… J’ai cru que… Enfin, non, j’aurais dû me douter que tu prenais tes précautions… Et qu’en pense le papa ? C’est qui, d’ailleurs ?

La barrière qu’elle avait levée instantanément entre elle et moi est redescendue aussi vite et elle passe un bras autour de mes épaules pour me prendre contre elle, comme quand j’étais enfant.

— Je… Je ne lui ai rien dit, encore. Comment tu veux que je lui balance ça ? Et puis… À quoi bon lui en parler si je décide d’avorter ?

— Oh ! Tu ne veux pas le garder ? Tu… Enfin, c’est une grosse décision, ça, il faudrait lui en parler, non ? bafouille ma mère, un peu perdue mais dont la proximité me fait du bien. Tu sais que, quelle que soit ta décision, je t’aime et rien ne changera entre nous, hein ?

Je ne suis pas sûre qu’elle ait le même discours si je lui dis que le père n’est autre que Liam et que son mariage est mis en péril parce qu’on n’a pas su se contrôler.

— J’en sais rien, Maman, soufflé-je en sentant les larmes me monter à nouveau aux yeux. J’ai pas fini mes études… Enfin, quel avenir peut-on offrir à un enfant alors qu’on dépend encore de nos parents ? Je… Merde, pourquoi ça m’arrive à moi ?

— Ecoute, Sarah, tu es sous le choc, là. Moi aussi, d’ailleurs… De penser que ma petite fille chérie est enceinte… J’ai du mal à réaliser. Mais il faut prendre le temps de réfléchir, d’analyser les choses. Et puis, il faut prendre rendez-vous chez le médecin pour confirmer tout ça. Il faut une prise de sang… Oh la la… Tout ça alors que le mariage arrive !

— Je suis désolée, Maman, dis-je en me mettant à pleurer comme une enfant.

— Mais non, ma Chérie… Ça arrive, c’est un accident, ça. Je suis là, maintenant, de toute façon. A tes côtés quoi que tu choisisses. Je pense qu’il faudrait prévenir le papa, mais je te laisse voir et réfléchir. L’important est que tu décides en toute connaissance de cause. Un avortement, ce n’est pas rien… Mais plus vite tu le fais, mieux c’est, si c’est ce que tu décides. On n’est pas au Texas, ici, mais il y a quand même des délais à respecter… Bref, je suis là, tu n’es pas seule. Et vu comment Liam et Jim t’adorent, tu peux aussi leur demander du soutien. On est une famille, tu sais ?

— Tu ne leur dis rien, hein ? m’affolé-je en me redressant. Enfin… Je… Je veux pas que tout le monde sache ça, s’il te plaît, Maman.

— Non, non, je ne dirai rien, si c’est ce que tu veux. Mais ne te renferme pas sur toi, ensemble on est plus fort... me répond-elle d’une voix apaisante, en me dorlotant et me berçant doucement.

Je soupire et me laisse faire un moment en silence. Je crois que je n’arrive pas à intégrer qu’un petit être a pris possession de mon utérus pour y grandir. C’est tout simplement fou.

— Je vais aller prendre un rendez-vous pour… Enfin, je vais faire les démarches pour confirmer, déjà. Merci, Maman, et… Je suis désolée de te mettre dans cette situation.

— Je suis là pour ça. Ne t’inquiète pas pour moi, pense à toi. Et s’il faut, tu sais, on peut repousser un peu le mariage. Fais vraiment tout pour que ça se passe bien pour toi, le reste, on s’adaptera.

Je la serre dans mes bras longuement avant de retourner dans ma chambre avec mes deux témoins que je cache dans le tiroir de mon bureau. Je sais que je devrais en parler à Liam, mais je ne suis pas prête à ça. J’ai trop peur de sa réaction, que je n’arrive pas du tout à imaginer. Il est capable de tout, je crois. Finalement, il semblerait que je ne le connaisse pas si bien que ça, puisque je ne parviens pas à appréhender la suite. Est-ce qu’il est plutôt du genre à paniquer et à me dire d’avorter ? Qu’il ne se sent pas capable d’assumer un bébé ? Ou est-ce qu’il ne va pas s’emballer et nous imaginer vivre ensemble et élever cet enfant, quitte à bosser tous les deux dans un bar ou un supermarché ? Je crois que je ne suis moi-même pas du tout capable de me décider, à cet instant. Il y a quand même un bout de nous logé en moi, qui ne demande qu’à grandir comme notre amour l’un pour l’autre a pu évoluer durant ces derniers mois…

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