106. Papaoutai ?

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Sarah

Je finis de me sécher et enfile mes sous-vêtements devant le miroir de mon dressing. J’ai encore du mal à réaliser tout ce qui se passe, ces derniers jours. Pire encore, je n’arrive pas à me faire à l’idée que dans mon ventre grandit la vie. C’est fou comme la nature est incroyable. Terrible, aussi, quand ce qui arrive n’est pas un choix.

Liam et moi n’avons pas vraiment discuté de tout cela, hier soir. Il est redescendu une fois que j’étais calmée, a couché Judith et m’a retrouvée au lit ensuite. Je crois qu’il a été sonné par la nouvelle, parce que nous n’avons pas fait grand-chose, hormis nous câliner et rester éveillés une partie de la nuit. Peu habituel, mais pas non plus très étonnant.

Chaque fois que je me plante devant ce miroir, je ne peux m’empêcher de poser mes yeux sur mon ventre. Chaque fois, je me dis que je ne suis absolument pas prête à avoir un bébé. Qui, à vingt-deux ans, peut se sentir les épaules pour assumer la charge d’un enfant, être responsable de son bonheur et de son éducation ? Moi, certainement pas, en tous cas. Pour autant, il y a aussi une petite partie de moi qui se dit que ce bébé qui n’en est pas encore un, a été conçu dans l’amour, qu’il est un bout de nous et qu’il n’y est pour rien dans tout ça.

Je sursaute et retire ma main de sur mon ventre en entendant la porte s’ouvrir, mais vu le regard de Liam, je crois que je suis grillée. Un petit sourire gêné plus tard, j’enfile ma chemise et la boutonne en sortant du dressing.

— Tu es déjà prêt à aller en cours ?

— Oui, je ne me suis pas rendormi après être retourné dans ma chambre. Je pensais à toi…

— A moi ou à tes spermatozoïdes de compétition et mes ovules un peu trop fertiles ? soupiré-je en m’asseyant pour enfiler mes collants noirs.

— A tout ça, oui. J’ai peur et en même temps, ça m’excite un peu, j’avoue. Je suis fou, ne fais pas attention.

— Je le suis un peu aussi… C’est hyper angoissant, et à la fois… Exaltant. Stressant et beau. Inquiétant, mais un beau pied de nez du destin. En revanche, s’il y a bien un truc qui n’a rien de positif, ce sont les nausées, grimacé-je.

— Dommage qu’on n’ait pas le temps d’explorer ce côté exaltant et excitant ce matin, me dit-il en venant se positionner derrière moi et poser ses mains sur mes épaules.

— C’est fou d’être aussi perdus dans nos sentiments, non ? Tu vas me prendre pour une dingue, mais… Je sais pas tu te rends compte à quel point c’est flippant ? A notre âge, avoir un enfant à charge ? Et je ne peux pas m’empêcher d’imaginer la tête que pourrait avoir ce bébé…

— Ce n’est pas la meilleure chose à avoir en tête si on décide de ne pas le garder, me répond-il en mordillant le lobe de mon oreille.

Je soupire et ne réponds pas. Mieux vaut le silence que de parler sous le coup des émotions, non ? Je finis par me retourner dans ses bras pour l’embrasser, et sursaute en entendant frapper à la porte.

— Vous cherchez tous à me foutre la trouille, ce matin, marmonné-je alors que nous nous levons tous les deux comme un seul homme.

Je vais ouvrir la porte et tombe sur le regard soucieux de ma mère, le genre qu’elle porte sur moi depuis que je lui ai annoncé la nouvelle. J’en finirais presque par regretter de lui avoir dit, même si son soutien a été essentiel pour moi.

— Liam ? Qu’est-ce que tu fais là ? Je venais voir comment tu allais, ce matin, ma Chérie, tu n’es pas descendue petit-déjeuner.

— Je faisais pareil, Vic, je m’inquiétais pour elle. Je vous laisse, il faut que je finisse de me préparer.

— C’est tellement gentil de ta part, Liam. Tu es vraiment un frère formidable pour ma petite Sarah, continue-t-elle en le prenant dans ses bras.

Il se dégage rapidement de son étreinte et sort, non sans m’avoir adressé un petit sourire gêné. Celui de ma mère est plus franc alors qu’elle m’attire sur mon lit, où nous nous asseyons toutes les deux.

— Y a un problème, Maman ?

— Non, je m’inquiète juste pour toi, ma Chérie. Tu es sûre que tout va bien ? Que je ne peux rien faire pour t’aider un peu ?

— C’est gentil, Maman, mais j’ai surtout besoin de temps pour me décider sur la suite… Il n’y a pas grand-chose que tu puisses faire.

— Sur la suite ? Tu hésites à avorter, c’est ça ? Pauvre petit bébé qui n’a rien demandé… Enfin, si c’est vraiment ce que tu veux, je te soutiendrai, tu le sais. Mais bon, un petit bébé, c’est quand même un beau miracle.

— Sauf que j’ai vingt-deux ans, pas de situation professionnelle et… Que la situation avec le Papa est compliquée. Non, franchement, tu me vois mère, moi ?

— Oui, je te vois mère. Tu sais bien que l’argent n’est pas un problème, pour nous. Je te vois sans problème avec un bébé dans les bras, vu comment tu t’occupes bien de Jude. Je sais que tu es jeune, mais je n’étais pas beaucoup plus vieille quand je t’ai eue, tu sais ?

Je ne peux m’empêcher de nous imaginer Liam et moi pouponner, et l’image me tire un sourire. Lui fera un excellent père, c’est certain. Moi, en revanche, hormis m’occuper de Jude de temps en temps, je n’ai aucune fibre maternelle. Je ne me suis jamais occupée que de moi. Et je ne me vois pas avec un bébé H24.

— Papa et toi étiez mariés, et puis… C‘est toi, quoi. Tu es faite pour ça. Je suis sûre que si vous aviez pu, vous nous auriez fait une équipe de basketball, avec Papa.

— Oui, c’est vrai que j’étais avec l’homme de ma vie. D’ailleurs, en parlant d’homme, il est où le Papa dans tout ça ? Il n’assume pas vraiment, à ce que je vois. Pourquoi il n’est pas avec toi en train d’essayer de réfléchir à une solution ?

Voilà le sujet le plus tabou de la situation. Je n’ai pas vraiment réfléchi à quoi lui dire à ce propos. Devoir lui mentir, encore, ne me plaît pas vraiment, mais comment lui dire la vérité ? C’est tout bonnement impossible.

— Ça, c’est mon problème, Maman… Tu ne sais pas ce qu’il est en train de faire puisqu’il n’est pas devant toi, soupiré-je en me levant pour aller me maquiller devant le miroir. Tu veux quoi, que je l’invite à vivre ici le temps qu’on se décide ?

— Peut-être pas l’inviter à vivre ici, mais tu pourrais au moins nous le présenter, non ? Ou alors, tu t’es remise avec Evan ? Si c’est ton prof de piano, tu peux me le dire aussi, tu sais bien que je ne te jugerai pas, tu es ma fille quand même !

— Ah non, aucun des deux, grimacé-je. Je n’en dirai pas plus car lui n’en a pas parlé à sa famille et il ne sait pas comment l’annoncer. Pour l’instant, on préfère rester discrets et réfléchir à deux à la situation.

— C’est de l’amour longue distance ? Il n’est pas souvent en ville qu’on ne te voie jamais sortir pour aller le retrouver ?

Ah ça, je ne l’avais pas vu venir… J’ai une crédibilité quasi inexistante, pour le coup. Qui sortirait quand son mec vit dans la chambre d’à côté ?

— Eh bien… C’est un peu compliqué, en effet… Mais ce n’est pas important, en fait. C’est mon corps, non ? C’est moi qui vais devoir porter ce bébé, alors… C’est sûr que c’est mieux s’il est à mes côtés, mais imagine qu’il veuille garder ce bébé alors que moi je fais le choix d’avorter ? Comment on gère ?

— Ah oui, tu as raison. J’imagine qu’il t’a déjà donné son avis, ou qu’il va te le donner, mais c’est bien toi qui vas décider. Et Sarah… Je peux me permettre de te donner mon avis personnel, sans que tu te sentes obligée de le respecter ?

Je ne suis pas sûre d’avoir envie de l’entendre. J’ai tellement peur que tout un chacun réussisse à m’influencer et que je finisse par regretter le choix que j’aurai fait. Que nous aurons fait, d’ailleurs, parce que je ne me vois pas prendre cette décision seule. C’est quelque chose qu’on choisit à deux, non ? Je ne veux pas décider toute seule de notre avenir.

— Je t’écoute, Maman…

— J’ai très envie d’avoir des petits enfants, et si tu te décides à le garder, je ferai tout pour t’accompagner dans ta grossesse. Mais vraiment, si tu préfères ne pas le garder, je saurai patienter encore.

— De toute façon, je ne vais pas décider en fonction de ton envie d’avoir des petits enfants, Maman. Je t’aime de tout mon cœur, mais si je fais un enfant, ce ne sera pas pour satisfaire ton besoin de jouer la Mamie poule, ris-je.

— Oh oui, tu as raison. Moi qui étais venue pour t’aider, je me retrouve à plaider ma cause, c’est honteux. Juste une dernière chose, ma fille, n’oublie pas que toute ta famille t’aime et peut se rendre dispo pour t’aider. Tu n’as qu’à demander.

Je crois que j’en ai conscience, mais j’ai tellement la trouille que Liam et moi ne soyons pas d’accord sur la suite des événements. Tout cela est beaucoup trop complexe et je n’arrive pas à poser suffisamment mes pensées pour prendre une décision. J’ai bien conscience que tout est trop compliqué, que la situation est un nœud impossible à démêler. Comment avoir un bébé alors que dans même pas un mois, nous serons frère et sœur ? Comment ma mère le prendrait-elle, au final ? Est-ce qu’elle se verrait avec un petit-fils ou une petite-fille issue de l’amour de sa fille et de son beau-fils ? D’un autre côté, depuis que je sais que je suis enceinte, il y a ce petit truc que je n’arrive pas à m’enlever de la tête… Liam et moi… Notre bébé. C’est fou comme ce tableau me semble magnifique. Je suis en train de devenir totalement dingue, je crois.

— Je sais, Maman. Bon, il faut que je file, on va être en retard en cours, dis-je en me levant pour la prendre dans mes bras. Je… Merci d’être là et de me soutenir.

— Bonne journée, ma Sarah. N’hésite pas, une maman, c’est fait pour ça. Je serai toujours là pour toi.

— Bonne journée, Maman.

Je sors de ma chambre et vais toquer à celle de Liam pour que nous partions. Je ne suis pas sûre que de discuter de tout ça de bon matin, avant d’aller en cours, soit la solution idéale, mais au moins, avec ma mère, j’en discute. Avec mon basketteur, nous n’en sommes pas encore arrivés là. Il va pourtant falloir que l’on se décide, et pas dans deux mois, ce sera trop tard.

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