114. Tentative avortée

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Sarah

— Maman, tu veux bien arrêter de tourner dans tous les sens et t’asseoir, s’il te plaît ? Tu me donnes le tournis.

Je repose ma tête contre le mur derrière moi en soupirant et me perds dans l’observation de ces dalles au plafond, dans une salle d’attente des plus austères, en attendant d’être autorisée à sortir de la clinique. La pièce me donnerait presque autant la nausée que cette grossesse qui a chamboulé la vie de bien trop de personnes. Un bébé à vingt-deux ans, quelle idée. Liam a raison, du moins il avait raison lors de son premier choix. Ce n’est absolument pas raisonnable. Nous avons des études à terminer, des carrières à lancer. Comment avoir un bébé quand nous ne sommes même pas légitimes en tant que couple ? Nous ne sommes ensemble que depuis quelques mois, comment être sûre que ça pourrait tenir, tous les deux ? Face aux jugements, aux réticences, à la concurrence ? Moi, énorme comme une baleine à côté de toutes ces nanas qui lui tournent autour ? Trop angoissant. Toutes ces questions m’épuisent encore alors que ma décision est prise et que j’attends simplement de pouvoir sortir de là.

— Tu es sûre que c’était la bonne décision à prendre, Sarah ? me demande ma mère en s’asseyant à mes côtés tout en prenant ma main.

— Je crois… C’est ce que je veux, c’est comme ça. Tu as dit que tu me soutiendrais, quelle que soit ma décision, Maman, ne me lâche pas, s’il te plaît, lui dis-je avec un trémolo dans la voix que je n’arrive pas à masquer.

— Mais non, ma Puce. Je suis là, tu le sais bien. Pas comme le père de ce bébé qui n’a même pas le courage d’assumer ses actes, persifle-t-elle.

— C’est moi qui lui ai dit que je ne voulais pas qu’il soit là, arrête de broncher à ce propos…

Je me suis trouvé un vrai talent pour le mensonge avec toute cette histoire, c’est plutôt moche à voir et à entendre. Liam attend patiemment dans la voiture et me harcèle presque de messages, sauf que je n’ai pas le courage de lui dire où nous en sommes ici, alors je ne réponds à aucun de ses sms.

— Il aurait pu ne pas t’écouter sur ce coup-là, quand même. Bon, ils font quoi, là, les médecins ? On ne va pas rester ici jusqu’au soir, quand même !

— Peut-être que c’est toi qui n’aurais pas dû m’écouter et t’abstenir de venir, tu me donnes vraiment le tournis et tu me stresses à être autant sur les nerfs, Maman.

— Ben non, je suis là pour toi, moi. Rien ne m’aurait empêchée de venir, tu le sais bien !

— Je sais, mais je ne t’en aurais pas voulu si tu n’étais pas venue, vous avez tellement de choses à voir avec le mariage dans quelques jours… Je me serais contentée de Liam.

J’aurais peut-être même préféré que ce soit Liam, d’ailleurs. Non pas que je n’apprécie pas que ma mère soit là, mais… C’est notre bébé.

— Mais non, il est déjà bien gentil de nous attendre dehors. Il ne faut pas trop lui demander, quand même, à ce pauvre garçon.

Oh oui, le pauvre petit chéri… Qui change d’avis comme de chemise. Un coup on avorte, un coup on garde le bébé. Evidemment, je peux comprendre étant donné mes propres hésitations. Mais ses mots l’autre soir on fait écho aux miens. Ce bébé n’est pas arrivé là à cause d’un petit coup d’un soir. Quand bien même c’était un accident, c’est le fruit d’un amour sincère.

Je me lève en voyant le médecin se diriger vers nous et signe ses papiers rapidement avant d’enfiler mon manteau et de récupérer mon sac. Je sors sans me retourner et fuis les lieux comme si le bâtiment était en feu. J’entends les talons de ma mère claquer sur le bitume à vive allure derrière moi. Je m’installe à l’avant de la voiture et m’attache en silence tandis que Liam démarre la voiture. Je sens son regard posé sur moi mais ne parviens pas à faire de même de mon côté.

Il finit par démarrer la voiture et prend la direction de la maison dans un silence plutôt pesant. Ma mère a au moins le mérite de ne pas parler de ce qu’il s’est passé à la clinique. J’ai beau sentir au plus profond de moi que j’ai pris la bonne décision, j’ai l’impression de ne retrouver mon souffle que lorsque Liam attrape ma main et la tient chastement sur l’accoudoir central. Cependant, j’appréhende énormément la suite de cette journée. Je me sens rongée par la culpabilité et j’ai besoin d’en échanger avec lui.

— Il va falloir prendre rendez-vous pour la suite, Sarah, on aurait dû le faire en sortant.

— Il va y avoir des visites de contrôle pour voir si tout va bien, c'est ça ? demande Liam visiblement inquiet.

— On est obligé de parler de ça en voiture ? Je veux dire… Je suis à jeun depuis hier soir, j’ai faim et pas très envie de discuter de ça entre un stop et un passage piéton.

— Non, non, répond ma mère rapidement. C'est juste que je ne peux m’empêcher de penser à l'avenir désormais. Et tout ce qu’il reste à faire.

— Ne t'inquiète pas, Vic. Sarah est bien accompagnée et on va l'entourer comme une vraie famille. Elle n'est pas seule et nous serons tous là pour la soutenir, ajoute-t-il en serrant ma main plus fort.

— C'est juste qu'il faudra quand même prévenir le papa, je pense. Il aimerait savoir… Sarah, tu peux l'appeler tout de suite si tu veux. Promis, on restera discrets.

J’ai un instant de panique en me rendant compte de ce que j’ai fait et des conséquences sur toute la famille. Est-ce que cette décision était égoïste ?

— Je gèrerai avec le Papa plus tard, Maman. Ce n’est pas le moment. Et je n’ai pas envie d’en parler maintenant, s’il te plaît...

— N'empêche qu'il aurait pu t'assister, lui. Ton frère en fait cent fois plus que lui, c'est fou. Quel type d'homme laisse la femme qu'il a mise enceinte affronter tout ça toute seule ?

— C’est normal que je sois là, Vic. Si Sarah préfère être avec nous, il faut juste respecter son choix. Et je ne voudrais pas être grossier mais je crois qu'elle a dit ne pas vouloir en parler dans la voiture. Elle a besoin de temps pour digérer, je crois.

— Je te rappelle que tu as insisté pour venir avec moi, Maman. Autant dire que tu n’as pas laissé beaucoup de place au Papa, soupiré-je en jetant un œil à Liam.

Liam qui voulait venir avec moi, même si ça le stressait. Liam qui me soutient depuis le début. Le Papa est là, Maman, même si je ne peux rien te dire.

— Je ne suis pas contre le rencontrer, moi. C'est toi qui le caches. Et je n'allais quand même pas laisser Liam gérer tout seul avec toi ! On ne peut pas lui imposer ça même s'il est adorable d'être gentil comme ça !

— Je ne lui ai rien imposé, Liam s’est porté volontaire. Mais tu as raison, ce n’était pas sa place.

En tant que “frère”, tout du moins. Pour le reste… J’aurais aimé qu’il soit là, moi.

— Bref, je gère avec le père, arrête de me parler de ça, Maman, s’il te plaît…

— De toute façon, on arrive à la maison. Tu veux faire quoi, maintenant, Sarah ? Te reposer, je suppose ? m'interroge Liam, toujours aux petits soins pour moi.

— Manger un morceau, en priorité, j’entends mon ventre gargouiller, ris-je. Pour le reste…

Me retrouver seule avec lui et pouvoir discuter ? Je ne sais pas comment je vais pouvoir y parvenir. Surtout que je sens que ma mère va être collante. Sauf si je la lance sur le sujet du mariage ? Oui, ça devrait aider, ça.

— Et puis j’irais bien me balader, continué-je. Je pourrais emmener Jude au parc, tiens… Tu viendrais avec nous, Liam ?

— On va avoir froid, dehors. Surtout dans ton état. Si tu veux, on peut se regarder un petit film dans ta chambre ? Et je t'amène un petit brunch au lit pour ne pas que tu te fatigues ?

— Oh, comme c'est mignon ! s'extasie ma mère.

Si elle savait… Très mignon oui. Liam est toujours attentionné, mais on est bien loin de la relation fraternelle qu’elle voit et apprécie tant.

Liam se gare dans l’allée et sort trop vite de la voiture à mon goût. J’aurais apprécié qu’il traîne un peu pour que nous ayons une petite minute à deux, mais c’est raté. Je sors donc à mon tour et me prends en pleine face le regard plein d’empathie de Jim. Merde, je n’ai aucune envie de voir tout ça. J’enlève mon manteau et mes chaussures et file à la cuisine pour me préparer un sandwich bourré de mayonnaise. Bonne idée, direct sur les hanches, comme si j’en avais besoin.

Jude, qui n’est pas au courant de ce qui se tramait ce matin, vient s’asseoir à table et je la rejoins en déposant un verre de jus de fruits devant elle.

— Tu as fini le bâteau pirate avec ton père, ce matin ? lui demandé-je en regardant ma mère sortir les ingrédients pour préparer le repas du soir.

Je mords dans mon sandwich avec impatience. J’ai passé plusieurs heures à l’hôpital et je n’ai bu que de l’eau avant de sortir. Autant dire que mon estomac crie famine.

— Eh bien, tu dévores, s’étonne Jim. Tout s'est bien passé ?

— Regarde le bâteau, l'interrompt sa fille.

— Il est superbe ce bâteau ! On a bien fait de l’acheter, souris-je. Et oui, je meurs de faim, je plaide coupable, Jim. Tu nous prépares quoi pour le dîner, Maman ? Que je sache si je me fais un deuxième sandwich ou pas.

Je sens la main de Liam se poser sur mon épaule alors qu’il s’installe à mes côtés sur la banquette. J’aurais dû aller manger dans ma chambre, il aurait pu me rejoindre pour qu’on discute tous les deux plutôt que de nous retrouver en famille dans la cuisine. J’ai manqué une occasion, là.

— Tu peux en prendre un deuxième quand même, si tu as faim, ma chérie. Mais ne te gave pas non plus.

— Oui, Maman. D’autres conseils avisés ? ris-je.

— Non, je vais me charger de préparer les menus. On va faire des repas équilibrés et nourrissants comme il faut. Tu vas avoir besoin de bien manger pour que mon petit fils ou ma petite fille se développe comme il faut. J’ai encore du mal à me dire que ma fille chérie va finir ronde comme un ballon de basket. Ou de baudruche. J’espère pour toi que tu ne grossiras pas autant que moi quand je t’attendais, sourit-elle en déposant un verre de lait froid chocolaté devant moi.

— Ton petit fils ? s'étrangle presque Liam en me regardant.

Ma mère est définitivement la reine des boulettes. C’est fou, elle a toujours le don pour balancer les infos sans se poser une seule question. D’un autre côté, comment pouvait-elle imaginer que ce serait une bombe au beau milieu de sa cuisine.

— Ou sa petite fille, soupiré-je en plongeant mon regard dans le sien, plein d’interrogations. Je… J’ai pas pu, Liam…

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