138. Le réveil de la blessée paniquée

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Sarah

J’ai l’impression qu’on cogne au marteau à deux centimètres de mon oreille, et que les vibrations résonnent dans tout mon être. Est-ce que je rêve encore ? Toujours est-il que j’ai toujours du mal à ouvrir les yeux. La sensation est particulière, j’ai l’impression d’être emmitouflée dans un nuage, tout en étant traversée par des épées de part en part. Le brouillard peine à se dissiper, j’entends encore des voix, des voix qui me parlent, cette fois. La voix de ma mère ? Celle de Liam ? J’en viens à espérer de ne pas entendre celle de mon père. J’ai la sensation de devenir dingue, de ne pas réussir à distinguer la réalité des rêves. Ou des cauchemars. Parce que mon père emmenait mon bébé, difficile de voir ça comme un rêve. Mon bébé… J’ai tellement peur d’apprendre qu’il n’est plus là que je ne veux pas quitter ce doux nuage, mais je m’oblige à être plus attentive au monde qui m’entoure, aux voix, aux sensations.

Je sens la main de ma mère, j’en suis certaine, douce et réconfortante, ses doigts qui caressent ma paume comme elle le faisait lorsque j’étais plus jeune, ses lèvres qui s’y posent de temps à autres. Et la main de Liam, plus grande, plus chaude, plus marquée par tous ces ballons touchés au quotidien. Je suis en vie. Et notre bébé ?

J’ouvre les yeux et les referme immédiatement. Le soleil perce à travers la fenêtre et m'éblouit, me faisant tourner la tête brusquement dans l’autre sens et grimacer. J’ai mal au crâne et la nuque raide, pas très agréable.

— Sarah ? Tout va bien, ma Chérie, doucement…

La voix de ma mère est douce, rassurante, et je sens les mains qui tiennent les miennes se resserrer. J’ai l’impression de repartir sur mon nuage pendant un instant, une minute, peut-être dix ou une heure, je n’en sais trop rien, mais Liam et ma mère n’ont pas bougé lorsque j’ouvre à nouveau les yeux. J’ai la bouche pâteuse, la gorge sèche, et je me rends compte que j’ai du mal à articuler. Je dois m’y reprendre à deux fois pour être compréhensible.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Tu as eu un accident, Sarah. Mais ça va, les médecins se sont occupés de toi, tout va bien, répond Liam, visiblement soulagé que je lui parle.

— Et le bébé ? Comment va le bébé ? demandé-je, la voix tremblante en me libérant de leurs mains pour palper mon ventre.

— Tout va bien, ma Puce, me répond ma mère. L’infirmière a dit que les premiers examens étaient bons. Tu as eu de la chance dans ton malheur.

— De la chance ? Je… Vous êtes sûrs que le bébé va bien, hein ? Je le sens pas bouger, bafouillé-je en tentant de me redresser.

La tête me tourne rapidement et j’abandonne l’idée de m’asseoir, mais je sens mes tripes se nouer et l’angoisse monter en flèche alors que je passe et repasse mes mains sur mon bidou sans sentir le bébé.

— Il est peut-être simplement en train de dormir… Ou alors, ce sont les médicaments que tu as reçus pour l’anesthésie qui le font rester calme. Tu n’as vraiment pas à t’inquiéter, me dit mon amoureux. Et puis, l’important, c’est vraiment que toi, tu ailles bien. Je suis soulagé, je m’en serais voulu sinon, parce que je n’aurais jamais dû te laisser rentrer toute seule…

Mon cerveau met trois plombes à analyser les mots de Liam. Les médicaments, peut-être. Pourquoi pas. Mais je veux en être sûre, moi.

— L’important ce n’est pas que moi. Je veux voir le médecin… Je veux en être sûre. J’ai vu des trucs, je… J’ai besoin d’en avoir la certitude.

— Tu as vu des trucs ? me demande Liam. Quel genre de trucs ? Tu as juste été opérée de la jambe… Tu n’es pas sortie de la chambre, tu n’as rien pu voir de particulier… Ou alors, c’était avant ?

— Mais non… Non, m’agacé-je en grimaçant. J’ai vu mon père, Liam, je l’ai vu partir avec le Têtard, je… Bordel, je veux voir le médecin, je veux entendre le cœur du bébé, je veux…

Je souffle et m’essuie les yeux. Pourquoi est-ce que j’ai pris cette foutue voiture ? Pourquoi suis-je partie dans l’état où j’étais ? J’ai tellement peur pour ce petit être qui n’a rien demandé à personne et que j’ai mis en danger.

— Ton père est mort il y a des années, Sarah. Tu as oublié ? s’inquiète ma mère. Et c’est quoi cette histoire de têtard ? Tu… Tu as dû rêver et on devrait te laisser te reposer, non ? Liam, tu peux aller chercher le médecin, elle a l’air de délirer un peu, là, je ne sais pas si c’est normal.

J’ai envie de hurler et de la secouer. De les secouer, même. Je suis en train de leur dire que j’ai peur pour le bébé, que je sens que quelque chose cloche et que je veux savoir ce qu’il se passe, que je veux être sûre, entendre un médecin me dire que tout va bien, et eux me regardent comme si j’étais aussi folle Bellatrix Lestrange, bon sang.

— Je sais que Papa est mort, merci. Je te dis que je l’ai vu, qu’il emmenait le bébé, que… Bon sang, Liam, je t’en prie, je veux voir le Têtard, l’imploré-je en attrapant sa main.

— Ecoute, je vais chercher le médecin. On va essayer de te faire faire une échographie, comme ça tu pourras voir le bébé et tu seras rassurée. L’infirmière a dit qu’il allait bien.

— Merci, merci Liam, murmuré-je alors que je sens mes larmes couler.

J’ai toujours l’image de mon si joli bébé qui s’en va dans les bras de mon père. Elle s’est incrustée dans mon cerveau et ne veut pas en sortir.

— Je vais y aller moi, chercher le médecin, je vous laisse quelques minutes, dit doucement ma mère en venant poser un baiser sur ma tempe. Je reviens, ma Puce.

Elle pose sa main sur mon ventre en me souriant et je la regarde sortir avec sa grâce naturelle, mais les épaules basses. J’ai l’impression de lui avoir fait prendre dix ans en l’espace d’une nuit.

— Comment va Evan ? demandé-je à mon basketteur en constatant que sa main est écorchée.

— Je ne sais pas, Sweetie. Tu es la seule qui compte à mes yeux… Mais j’espère que je n’y ai pas été trop fort avec lui… Même s’il le méritait avec ses propos racistes et méprisants. Et à cause de lui, tout le monde est au courant maintenant… Même les parents, Sarah…

— Même les parents ? Mais… Comment ça se fait ? Il n’a quand même pas débarqué à la maison ?

— Non, non, c’est moi qui leur ai dit. Sinon, je me serais retrouvé à attendre à la maison avec Jude. C’était… Pas possible, ma Chérie. Il fallait que je vienne.

— Donc t’as balancé ça comme ça aux parents, sans te dire que j’aurais aimé être là pour leur annoncer ? Tu t’es permis de parler de nous à ma mère, sérieusement ?

— Oui comme tu t’es permis de le dire à Evan à l’époque et ce qui fait qu’on ne peut plus se cacher. Et tant pis pour ça, je me fous du regard des autres, Sarah. Je veux t’aimer. Au grand jour. Tant pis pour les autres, on a assez menti, tu ne crois pas ?

— La situation n’est pas du tout la même, tu ne peux pas comparer Evan et nos parents. Lui nous a sauvé la mise à Thanksgiving. Je veux bien entendre qu’on a assez menti, et tu as sans doute raison, mais tu ne pouvais pas prendre cette décision sans moi, pas leur dire comme ça.

Je n’arrive pas à croire que ma mère soit au courant. Je comprends mieux son silence, son calme un peu trop présent. Quoique je m’attendais plutôt à une crise qu’à cette réaction.

— J’ai cru que tu allais mourir Sweetie. Que j’allais perdre la femme de ma vie. Comment veux-tu que je réfléchisse normalement à ce moment-là ? Comment veux-tu que je fasse les bons choix ? Désolé, mais c’est mon instinct qui a repris le dessus…

— Tout ça ne serait pas arrivé si tu n’avais pas décidé de te jeter sur Evan, ou tout simplement si on n’était pas allés à cette foutue soirée, marmonné-je. J’espère que le bébé va bien…

— Elle avait bien commencé, la soirée. S’il n’avait pas bu comme un malade, on n’en serait pas là… Arrête de faire comme si c’était uniquement ma faute…

— Je ne dis pas que c’est uniquement ta faute… Je n’aurais jamais dû aller à cette soirée. Et je n’aurais surtout pas dû prendre la route dans l’état où j’étais… Je ne comprends même pas comment j’ai pu avoir cet accident, je suis incapable de savoir si j’ai grillé un stop ou si c’est l’autre voiture, je ne sais plus, tout est flou. Mais je ne t’avais jamais vu dans cet état, non plus...

— Il t’a mise en danger, je n’ai pas pu le supporter. Et il a insulté notre bébé, je ne pouvais pas laisser passer ça… Je suis désolé, Sweetie…

Je peux comprendre sa réaction, et malgré cette violence que je n’avais jamais vue chez lui, j’en viens presque à être rassurée de savoir qu’il est capable de ça pour nous défendre, le Têtard et moi. Pour autant, je n’arrive pas à passer outre le fait qu’il a balancé à nos parents que nous étions ensemble, comme ça, sans réfléchir. J’ai l’impression qu’il a profité de mon accident pour se débarrasser de ce secret à l’arrache, sans que j’aie mon mot à dire.

— Je suis suffisamment grande pour me mettre en danger toute seule, soupiré-je en fermant les yeux, sentant la fatigue me tomber dessus. Promets-moi que ça va aller, Liam, que notre bébé se porte à merveille et qu’il va recommencer à boxer dans mon ventre très vite… J’ai peur, tu sais ? Il n’est même pas encore là que je n’imagine plus ma vie sans lui.

— N’aie pas peur, ma Chérie. Je suis là et le bébé va bien, répond-il en passant ses bras autour de mon cou pour se pencher au-dessus de moi et m’embrasser tendrement.

J’espère qu’il dit vrai, et que tout va bien aller, que je vais pouvoir mener cette grossesse à terme et serrer notre Têtard dans mes bras. Dans le cas contraire, je sais déjà que je ne me relèverai pas d’une telle perte, je m’en veux déjà tellement d’avoir eu cet accident, et j’en veux à Evan de nous avoir balancés, à Liam d’avoir voulu tabasser mon meilleur ami. Je suis à la fois en colère et angoissée, j’ai l’impression d’être une bombe à retardement, pas loin de l’implosion, dans l’attente de ces nouvelles rassurantes. Je sais que tant que je n’aurais pas vu le Têtard à l’écran, tant que je n’aurais pas entendu son petit cœur battre, je ne serais pas sereine. Parce que chaque fois que je ferme les yeux, c’est l’image de mon père emportant mon bébé dans la lumière que je vois, et que tout ça m’a semblé bien réel.

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