1000

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On est en train de manger notre soupe tranquille dans la péniche et soudain Adé s’arrête de parler.

  • C’est trop salé ?
  • Hilde ? Ça y est. On est à la page 1000 de la B4.
  • C’est fini ?
  • Non, il reste 286 pages à écrire.
  • Il se passe quoi à la page 1000 ?
  • Rien de spécial, je crois.
  • Alors fini ta soupe ma chérie. On en verra d’autres des pages 1000.

Mais je vois bien qu’elle n’est plus là, avec moi. Elle est perdue dans son Invisible. Je corrige la destination de la péniche sur mon mono. On doit accoster près de la Basilique. Mais cette fois-ci je l’accompagne. Je sens que c’est important pour elle. Elle cherche des réponses. Elle entre d’un pas déterminé dans sa Basilique. J’essaie de suivre mais je suis en botte. Je les enlève et je rentre pieds nus. Elle est la tout devant, devant la croix. J’entends des sortes de petits gémissements. En fait, elle pleure. Je n’ose plus m’approcher. On est dans son monde. Elle est dans son monde. J’essaie de m’en imprégner, de comprendre. On dirait qu’elle se sent coupable. En religion, ils fonctionnent avec le pardon. Je tente donc une approche. Je pose une main son son épaule droite. Elle y pose sa main gauche, comme une approbation.

  • Mère Adélaïde Phoebe de Montaigne, tu n’es pas seule, je suis là, pour toi. Laisse-moi affronter ça avec toi, ensemble.
  • Docteur Mat, je veux mourir.
  • Encore ? Ça sent la promotion. La vie après la mort ? Tu n’y échapperas pas.

Elle rit.

  • Dans une semaine il sera trop tard.
  • On va faire corriger la date sur ta tombe au Village.

Elle se retourne :

  • Je n’ai pas besoin des Chevaliers de l’Apocalypse pour en finir. Il suffit de baisser les bras, de fermer les yeux et de s’endormir pour ne plus jamais se réveiller.
  • Non Adé, j’ai besoin de toi, moi. On a des projets. Tu vas pas me laisser, si ? Et puis si tu disparais en ce moment, tu risques de te réincarner en Mona-Lisa, c’est ça le plan ? J’ai pas envie de te remettre au monde, j’ai juste besoin que tu restes avec moi.

J’ai sorti tout l’attirail de convictions à la noix pour lui mettre le doute et je réfléchis déjà à la droguer pour passer le cap. Elle s’essuie les joues.

  • Demain c’est la Messe de minuit. Je vais revoir mon texte.
  • D’accord, faisons ça. Après on rentre faire un gros dodo.

Et je lui fais réviser son psaume et son homélie. Et on rentre sagement se laver et dormir. Le sommeil, c’est le meilleur des médicaments.

*

On est toutes endimanchées et on se retrouve au salon de coiffure. J’opte pour la frange et de discrètes tresses en hommage à Greta. On va ensuite la rejoindre pour la coiffer également avec ses traditionnelles nattes. Elle donne les dernières instructions à Énola qui part répéter avec Adé. Tout est prêt à la Caserne pour le réveillon avec un menu sophistiqué et léger. Je m’occupe du maquillage des beaux yeux bleus de Greta, une teinte complémentaire et discrète, un ocre naturel. Elle regarde mon cou et murmure en privé :

  • Tu as une jolie croix, c’est de la nacre ? On dirait un profond coucher de soleil, j’aime bien le design celtique.
  • C’est un lever de soleil Greta, j’ai reçu tous les sacrements de Mère supérieure, c’est le jour ou jamais d’en faire quelque chose.
  • Tu es bien modeste pour une holistique qui soigne aussi bien l’esprit que le corps.
  • Et bientôt les âmes, je ne suis pas avec Adé par hasard, j’ai mon parcours à faire aussi, en digne compagne. Je ne vais pas la laisser affronter tout ça toute seule. Arrête de rire, tu plisses tes yeux en amande.
  • Je suis fière de toi Hilde, tu es bien la fille de ton père.
  • Mais qu’est ce que vous lui trouver toutes ? Il n’y a pas plus mâle et plus scientifique ennuyant que lui.
  • En apparence, oui, mais tu le connais, non ?
  • Je le connais comme une fille connaît son papa, c’est tout. C’est pas mon collègue, mon patron ou mon ami.
  • Tu le connais mieux que nous alors. Et toi aussi on t’aime Hilde. Tu es une version améliorée de lui.

Je m’arrête, émue. C’est une très gentille remarque. Ce n’est pas étonnant venant d’elle.

  • Greta, tu n’es qu’Amour, on se sent bien dans ton cercle d’intimité, à ton contact direct. Tu vas nous faire une belle Mona-Lisa. Je ne l’ai jamais fait mais ce soir à la Messe je prierai pour vous deux.

Elle met sa main sur ma joue et elle pose ses lèvres sur l’autre, je ferme les yeux pour capter ce moment de tendresse et de douceur. Je prends ça comme un merci.

*

On passe un Réveillon sobre et raffiné avant d’aller à la Basilique se plonger dans une ambiance sacrée. Et tout le monde est là. Maëlle est resplendissante, accompagnée de Vincenzo. Énola est en chasuble de son bleu à elle et Greta a été placée dans la Chair pour assister à l’Office. La musique enivrante de l’orgue envahi l’espace sous les doigts de Coralie dans sa tenue grise. Big Bang est dans le chœur pour assurer les voix graves. Je fais ma prière. On s’imprègne tous de la cérémonie et on l’emporte avec nous dans notre esprit pour passer une bonne nuit dans les bras de l’être aimé jusqu’au lendemain matin où l’on se retrouve à l’heure du brunch à la Caserne pour ouvrir les cadeaux sous l’énorme sapin de Noël qui monte jusqu’au toit le long de la barre de pompier. Mais le plus beau des présents est immatériel, il est juste le fait de se sentir en famille, le reste n’est que protocole décoratif. Énola prend la parole :

  • Joyeux Noël à toutes et à tous.

Elle passe la parole à Maëlle qui commente :

  • Tous les cadeaux ne sont que symboliques.

Et Greta fini le discours :

  • Le plus important est ce qu’on s’offre les unes aux autres, les uns aux autres, par notre attention, notre présence, notre humanité, notre Amour.

Je serre la main de Adé qui me regarde en souriant et m’embrasse. Nos cadeaux personnels nous attendent à la péniche.

*

On passe la nuit connectées à notre nouveau double brisim hybride, de quoi lui changer les idées à ma petite terrienne déprimée en crise spirituelle. Je couvre de ma bouche sa bouche et son nez, je mets mes doigts dans ses oreilles, tous ses orifices sont fermés ou en moi au moment où elle implose de plaisir, par vagues rapides, je la laisse partir au Paradis assez longtemps pour qu’elle s’oublie, qu’elle parte loin d’elle avant de revenir à moi en lui caressant la joue, ses yeux bleu gris s’ouvrent et je l’accueille :

  • Bonjour mon Adé moniale, comment te sens-tu ?
  • J’ai vécu le Paradis au Paradis. Maintenant j’en suis sûre, Dieu existe. Mais ce n’est pas Greta ou Énola, ni même Maëlle, ce sont nous toutes y compris toi, on partage toutes Dieu, c’est même ce qui nous relie et nous donne notre force.
  • Et les garçons dans tout ça ?
  • Ils sont vides et en voie de disparition, ils s’accrochent encore à nous avec les iel mais dans l’absolu Invisible, je ne les ressens plus dès la B5.

Je pose ma tête sur sa poitrine et je ferme les yeux pour écouter son cœur. Il ne bat plus comme avant.

  • Il te manque quelque chose. Il n’y a plus d’anxiété. Tu es en paix, Adé.
  • Reste sur moi comme une couverture, je me sens si bien là, maintenant.

Et on s’endort pour faire le même rêve. Enfin, j’espère. Moi, avec toutes ces maternités autour de moi, je veux aussi m’accomplir. Elle me réveille :

  • D’accord Hilde. Je comprends. J’en ai trop longtemps rêvé avant d’y arriver alors j’accepte. À ton tour. Moi j’ai déjà eu Titia et Éros et puis mes sœurs et mes sœurettes, alors pourquoi pas un iel avec toi ?
  • On vient de l’initier mon amour, avec le nouveau brisim. Il est allé chercher en toi un œuf à mettre en moi. Je suis en train de le féconder. Bienvenue dans ta nouvelle vie, avec une famille en plus.

Et je l’embrasse. Et on s’embrasse. Elle a une raison supplémentaire de vivre maintenant. C’est ma mission. Sauver des vies. Donner la vie. Et en faire naître aussi.

*

Aujourd’hui, c’est ménage dans la péniche. Je retrouve une petite culotte de Adé. Ensuite c’est ménage dans mon cabinet à la Caserne. Je retrouve une petite culotte de Greta. Dans le doute, je passe dans ma chambre. Je trouve une petite culotte qui n’est pas mienne. Sans doute une de l’ancienne locataire des lieux, Solange. Lorsque je l’attrape j’en ai la confirmation. Je la vois autour des chevilles de Solange en train de se tortiller sur… Victor. Comment est-ce que je peux voir ça ? Adé m’a refilé des pouvoirs ? Je n’ai pas bu de son sang pourtant. Quand je sors de la chambre, Greta m’explique :

  • Mais j’ai un peu d’elle en toi désormais. Un peu de son Invisible.
  • Je ne sais pas si je vais y arriver.
  • Mais si, ça va bien se passer. Mais la gestation lente c’est pas adapté à une première fois ni à une locale gémeaux. C’est certainement un non genré aussi.
  • Comment tu arrives à voir tout ça ?
  • Instinct maternel.

Et elle m’embrasse sur le front. Je pose mes mains sur son ventre :

  • Elle va bien.

Elle pose ses mains sur mon ventre.

  • Iel va bien aussi. Tu as déjà pensé à un prénom ?
  • Je vais vérifier si il est disponible, Raphaël.lle.
  • Mais bien-sûr, ça vient du grand-père, le docteur R.

*

Je dors beaucoup plus maintenant. Je me réveille doucement dans le bruit des clapotis et les moindres mouvements de la péniche me bercent. Je suis comme dans le ventre de la Jordania qui bouge et vit comme la petite chose qui va grandir en moi. Adé est partie tôt pour sa Messe du matin. Les Sœurs seront bientôt autonomes pour gérer la Basilique et Adé sera plus disponible. En attendant je me prélasse dans mon lit douillet. Mais le devoir m’appelle. Je dois voir Greta tous les jours à midi. C’est l’heure de naissance prévue dans six jours.

Je me retrouve à la Mutinerie à parler de tout ça avec Bri.

  • Hilde, tu m’as volée ma mère.
  • Bri, tu essayes de me voler mon père.
  • Tu m’étonnes, il est incroyable.
  • C’est toi qui est incroyable. Avec ton brisim, je vais être mère. C’était un cadeau de Noël pour Adé.
  • Pour Adé ou avec Adé ?
  • Bonne remarque. Mais je voulais que tu sois la première au courant, avant notre mère et notre père.
  • C’est gentil. Tu es gentille. Tu m’as toujours acceptée.
  • Je peux pas faire autrement, on est du même sang. C’est ta nièce qui est en moi.
  • Ou mon neveu.
  • De nos jours, on ne sait plus.

Elle se lève. Elle doit rentrer à l’Ouest. Elle a fait un aller retour car je ne peux pas m’éloigner trop loin de Greta. On se fait la bise.

  • Je suis heureuse pour toi, Hilde.
  • Merci. Tu pourras leur dire.
  • Tu sais bien que je ne sais pas garder un secret. Et je suis responsable de tout ça quelque part. Prends soin de toi Hilde. Il te faut un médecin.

La grande Kate. Elle a eu une vie avec le fils que Marielle a eu avec Augustin, Doumé. Ils ont eu deux beaux enfants, les turbulents Elya et Ilyes.

  • Allô Kate ? C’est Mathilde. Tu en es où ?
  • Depuis que je suis débarrassée de Lisa, j’ai la voie libre pour la direction de l’H. Tu parles d’un héritage de mamie Russell. Rien qu’à le dire ça a l’air chiant.
  • Justement, j’ai un boulot pour toi à l’Est, à Sylvania, dans le privé.
  • Tout dépend de quel privé il s’agit.
  • Il s’agit du mien.
  • Alors d’accord, j’arrive.

*

Je lui donne ses documents officiels et elle les glisse sur son monolithe relié à sa montre et à une de sa boucle d’oreille.

  • Alors Kate, toujours aussi grande, comment va la vie ?
  • J’ai besoin de faire une pause. Venir à l’Est est une très bonne idée. J’ai quelques élèves à la Clinique Centrale, je vais leur faire la surprise.
  • C’est quoi le problème avec Lisa, Marielle ?
  • J’étais la nounou de Doumé, le fils qu’elle a eu avec Augustin. J’ai fait plus que m’en occuper. Mais l’éternité nous a donné raison, on est une famille heureuse. Mais Doumé a besoin de respirer un peu en ce moment. Je l’ai protégé toute sa vie. Il n’a pas eu l’occasion de faire ses propres erreurs et d’en retenir les leçons. Je l’ai égoïstement handicapé.
  • Tous les couples sont différents, il n’y a pas de modèle à suivre, chacun y va à l’instinct.
  • L’instinct. Ou un autre I. On croit toute que la spiritualité peut nous guider en tout. Nous on ne fait que regarder ce que les antennes font sur les corps. On n’est que des spectateurs d’une vie qui ne dépend pas vraiment de notre science. Peut-être que Lisa a la réponse à tout ça ? Ou alors elle a complètement perdu la raison.
  • La raison et le corps, tu l’as revue depuis qu’elle est Marielle ?
  • Seulement en image et je ne l’ai pas reconnue.

*

J-5 : on prend le thé avec Greta. Il y a du monde autour d’elle.

  • Hilde ? C’est qui cette grande blonde qui vient de me faire la bise ?
  • C’est la nouvelle Lisa, Marielle.
  • Non ? Tu es sûre ?

Elle la regarde, pensive et se décide à aller lui parler. Greta me demande :

  • Un deuxième médecin ? Tout va bien ?
  • On ne sera pas trop de trois avec Marielle. Elle est la seule à avoir géré ça avant toi.
  • Est-ce que vous pourrez rester avec moi après le thé ? Je voudrais essayer quelque chose.

Étendue, les bras en croix, je lui tiens la main droite. En face, Marielle lui tient la main gauche. À droite, la grande Kate lui tient les pieds. Greta ferme les yeux et respire avec force. Une lumière semble sortir de son ventre et monter devant nous.

  • Greta ? Tu es encore connectée à l’Invisible ?
  • Non, Hilde, ça vient de toi, de ton ventre. Raphaëlle, elle est à moitié Adélaïde. Et de toi, Maëlle, tu as la moitié de Énola en toi aussi. Il fallait vous connecter toutes ensembles avant leurs naissances.

Elle lâche nos mains et la lumière s’estompe. Kate se redresse et lâche les pieds. La lumière s’éteint. Kate lève les mains en l’air :

  • Moi j’ai rien ! D’Invisible. Si ? Non ? Quoi ?
  • Non Kate, tu n’as rien, il fallait une base neutre pour la connexion.
  • Ouf ! Vous m’avez fait peur.

Et on se met toutes à rire. Sauf Maëlle :

  • Je suis pas prête. J’ai même pas commencé ma conversion. Et me voilà avec l’enfant de Dieu en moi.

Greta calme tout le monde en annonçant :

  • La vierge Marie avec son iel, la vierge Marielle.
  • Énola m’a fait un petit dans le dos.

Je prends Marielle à part pour lui chuchoter à l’oreille :

  • Les voix du seigneur sont pénétrables.

Elle soupire en levant les yeux au ciel. Je n’ai jamais loupé une occasion de me moquer d’elle au boulot quand elle m’a formée au Russell Hospital, j’ai vraiment été insupportable mais elle m’a toujours bien aimée.

Sur ce, on se quitte et je rentre dans ma péniche en laissant Kate de garde, elle dormira dans mon lit à la Caserne. Heureusement que je viens de changer les draps.

*

J-4 : j’ausculte Greta, aux instruments, avec les machines et en regardant la biochimie mais avant d’écouter son esprit je vois déjà un changement, une amélioration. Même son regard est moins insistant, elle se sent coupable. C’est moi qui commence :

  • Greta, arrête-moi ou corrige-moi mais je perçois une nouvelle thérapie. Kate t’a retouché les pieds. Massage. Ça t’a fait du bien. Et puis les mollets, les genoux et …
  • On n’en est pas encore là. Mais tu vois déjà la suite, n’est-ce pas ? Bienvenue dans l’Invisible.

De jour en jour Kate va lui masser le corps entier et son intérieur aussi. À la naissance, Mona-Lisa reconnaîtra à son contact les mains de Kate. Judicieuse procédure. Avec au passage beaucoup de plaisir, de tendresse et d’amour physique. En sortant du cabinet, Kate m’attend et je lui confirme :

  • Docteur Russell, tu n’as pas l’Invisible en toi mais tu es un génie. On a de la chance de t’avoir pour cette intervention.

Je commence à voir en elle. Elle est venue pour vivre autre chose ici. Et elle a déjà commencé. Elle attend une confirmation de ma part, une approbation. Alors je m’approche très près d’elle en levant la tête, elle la baisse pour me regarder droit dans les yeux. J’avance ma main et ma paume caresse son bas ventre. Elle inspire et ferme les yeux. Je la sens faire de même sur moi. On recule doucement, on se suit pour s’isoler dans notre chambre. Elle éteint la lumière artificielle. On s’installe sur le lit, sous la verrière et on commence à s’embrasser en enlevant nos habits. À genoux et nues l’une face à l’autre, on recommence nos caresses intimes, plus invasives. Son intérieur est doux et chaud, nos seins se frottent, nos langues se mélanges, on se caresse entre les fesses et on s’allongent pour danser l’une à côté de l’autre au rythme de nos jeux digitaux. Elle glisse sur moi, elle sent bon, elle m’imprègne de ses fluides et ses doigts magiques me massent. Partout où il passent il ne laisse que plaisir et nouvelles sensations, c’est comme si elle réinitialisait mon corps tout entier. Je me plonge en elle, je la serre en moi, je la veux, elle est ma révélation. Après quelques extases on s’endort pour une petite sieste et on se réveille comme dans du coton dans la chaleur l’une de l’autre sous les couvertures. Nos paupière clignent et nos regards se trouvent. Je ne vois que de l’Amour dans ses yeux sombres. Je lui caresse la joue :

  • Il nous faut une nuit ensemble avec un brisim. Tu es ma grande révélation. Je te donnerai tout l’Amour que tu es venue chercher ici. On te le donnera toutes. Bienvenue dans les copines de Greta, Kate Russell.
  • Je veux que ça reste notre secret, médical.
  • Bien-sûr ma grande, on peut tout concilier sans rien perdre. Vie sociale, vie professionnelle, vie privée et jardin secret. Tu es ma jardinière secrète. On va semer et récolter de saison en saison.
  • De bébé en bébé.
  • Pour le plaisir de toutes les mamans, et du nôtre.

Et on s’embrasse. Et on se lève. Et on s’habille pour ressortir au grand jour, enrichies de cette nouvelle dimension d’Amour dans nos esprits et dans nos cœurs. Greta n’est peut-être plus Dieu mais elle a toujours autant d’Amour à donner et à recevoir, c'est que qu'elle nous dit en nous voyant sortir ensemble :

  • L’éternité serait bien fade sans Amour. Ce doit être le fondement de notre civilisation.

Et j'entends dans ma tête Adé commenter les propos de Greta :

« B4, page 1008. »

*

Quand je rentre à la péniche elle est déjà là. Elle m’attend. Elle sait. Elle dit :

  • Hilde, ce que vous faites entre médecins, ça vous regarde. Comme ce que je fais avec mes religieuses, ça me regarde. On est un vrai couple, non ? Unies dans l’Amour et on va bientôt être mamans de notre Rafa.

Ça me redonne le sourire. Elle vient m’embrasser et me serrer dans ses bras et j’entends comme un murmure dans ma tête : « Je t’aime ». Je ne saurais dire si ça de moi ou d’elle, on se le dit, je crois. Me voilà moi, d’origine terrienne non religieuse, scientifique d’ascendance renseignement politique, embarquée dans l’Invisible avec une sœur guerrière du Vatican avec en moi le fruit de notre Amour.

*

  • Je ne voudrais pas te contaminer avec tout ça, Kate, tu es pure, pas nous. Et puis je suis enceinte de l’Invisible.
  • Tu as raison Hilde. Notre plaisir ne doit pas passer devant ta santé.

Elle range le brisim. Je vois bien qu’elle est déçue.

  • Tu ne l’as jamais utilisé, c’est ça ?
  • Non, oui, enfin, jamais avec une fille. Car crois-moi, le pauvre petit Doumé il s’en est pris plein le c…
  • D’accord. Pourquoi pas ainsi ?
  • Non Hilde, je voulais d’une vraie connexion, entre filles.
  • On peut peut-être essayer, tout doucement. Et normalement à ce stade il n’y a aucun risque. Mais si jamais il passe en toi ?
  • Je serai alors ta mère porteuse.

Et elle m’embrasse, et elle ressort le brisim, et on a toute la nuit pour en profiter. On est soit-disant de garde à J-3. Elle me fascine. Elle est tellement motivée, pour moi. Je gobe ses lèvres pulpeuses, je caresse ses longs cheveux bruns, je me frotte à sa peau soyeuse et elle nous connecte tout doucement. Je me laisse tomber sur son corps, je m’oublie en elle, je sombre dans son plaisir. La grande Kate Russell. Ma gourmandise. Je ressens sa force, son désir, sa passion, sa joie de vivre, d’aimer, de jouir. Quelle chance j’ai de l’avoir ! On va bien s’amuser.

Je me réveille seule dans le lit, son côté est encore chaud. J’enfile une nuisette et j’ouvre la porte de la chambre. La cuisine est allumée et la porte du cabinet fermée avec le voyant rouge. Il y a quelqu’un dedans. Je mets des chaussons et je vais écouter la grille qui donne derrière une armoire du cabinet. J’entends des gémissements, c’est Greta, elle se fait masser. C’est autre chose que mes stimulations électriques. La grande Kate, elle est douée, de ses mains et du reste. Je passe donc en cuisine, il y a de la musique en bruit de fond et Victor est là en pyjama en train de prendre son petit-déjeuner, seul :

  • Salut Victor, je peux t’accompagner ?
  • Hilde, bonjour.

Je m’approche de lui et je lui fais la bise, il est surpris.

  • Quoi ? Tu es troublé par ma tenue ?
  • C’est la nuisette de Solange, elle me manque.

Je reste interdite. Je suis gênée.

  • Désolée Victor. Ça doit pas être facile avec Greta dans cet état.
  • Non, ça va, elle sait me satisfaire pleinement. Mais je me rends compte qu’avec Solange c’était plus que … enfin…
  • J’espère que tu n’es pas en train de m’envisager. À moins que cette nuisette soit magique. Tu veux que je trouve un casque de pompier pour jouer à Solange ?

Et on se met à rire. La porte coulissante du cabinet s’ouvre et la grande Kate en blouse blanche nous observe d’un œil curieux. Elle referme derrière elle et vient se joindre à nous.

  • Salut, vous êtes sages j’espère. Greta a besoin de récupérer un peu. Je la prépare pour le grand jour.

Je lui sers un jus de fruits et je lui propose des gâteaux pour fermer la conversation, en lui montrant du regard le papa qu’il faut laisser en dehors de ça. Mais :

  • -Victor, tu veux assister à l’opération ?

J’interviens avant sa réponse :

  • Kate, non, je ne préfère pas.
  • Hilde, il ne s’agit pas que de lien mère enfant à créer en allant aussi loin dans la gestation. On néglige trop la place du père dans notre civilisation. Le fait que le père de mes enfants y ait participé a été primordial pour la suite. C’est peut-être même pour ça qu’on est encore un couple, de parents, même si les enfants sont partis. Victor ?
  • D’accord. Et puis il ne s’agit pas de n’importe quel enfant, c’est Mona-Lisa. Et il nne s’agit pas de n’importe quelle maman non plus. Docteur Russell, docteur Mat, il va falloir me former, m’expliquer mon rôle dans tout ça.
  • Ça va gicler de partout, il faudra couper des bouts.
  • Quoi !?

Et on se met à rire avec Kate qui le rassure :

  • Mais non, elle plaisante. Nos mains seront là pour te guider. Tout va se faire dans le calme.

Comme dans une cérémonie religieuse. Et à la fin on sera tous liés pour l’éternité.

*

Justement, à propos de religion, je passe récupérer Adé à la bibliothèque de la Basilique. C’est la première fois que je la vois avec des lunettes en train de lire un vieux manuscrit :

  • Tu travailles sur la B4 ?
  • Non, je vais faire une homélie sur le 265e Pape de l’église catholique, c’est l’anniversaire de sa mort.
  • Et pour la B4, Greta occupe toujours une place importante ?
  • Moins que dans la B3. Dans la B4 elle n’apparaît qu’à la page 235.
  • Ça commence avec quel personnage ?
  • Avec une inconnue qui se suicide. Enfin, une inconnue, c’est quand même la mère d’Aurélie. Aurélie, c’est elle la première vraie héroïne de la B4. Mais aujourd’hui c’est aussi mon dernier jour. J’ai gravé dans le marbre cette échéance sur ma tombe dans le champ derrière ma Chapelle au Village. Et je suis en paix. Mes Sœurs sont prêtes. Tout ça, c’est fini pour moi.
  • La dernière fois que tu as tout voulu arrêter, tu as eu une promotion.

Elle regarde son manuscrit.

  • Non, tu crois qu’ils vont me faire papesse ?
  • J’espère que non. Je n’aurais plus du tout ma place à tes côtés.
  • À moins de prononcer tes vœux.

Et on se met à rire.

  • Adé, tu vas faire quoi ?
  • Je vais faire valider mes diplômes à la Clinique Centrale. Je suis la physiothérapeute Phoebe Montaigne, mon dernier poste a été à Dijon, France, Europe, Terre.
  • Bien, je peut t’attribuer une maîtresse de stage, la grande Kate, docteur Russell, elle fait des merveilles appliquées sur Greta.
  • D’accord. À 2116 alors, et à notre Amour. Je t’aime Hilde. Docteur Mat.

*

Cette fois-ci le Vatican 4 la laisse en paix vu qu’elle met à sa place 6 autres religieuses pour gérer la Basilique. Et comme Patrice est aussi en train d’installer l’Eastern Cathedral, il y a moins de pression sur la bonne parole à dispenser au cœur de l’Est, à Sylvania traversée par le Jordania baptisé par le Père Simon.

On va au Village déposer un bouquet de fleurs sur la tombe. Elle se recueille un moment et je lui prends la main pour la tirer vers moi et vers l’Ouest où mes parents nous attendent. Maintenant que je suis enceinte, maman est beaucoup moins distante avec Adé.

  • Désormais je suis Phoebe Montaigne, physiothérapeute à la Clinique Centrale.
  • Elle s’entraîne sur moi, j’ai mal partout.
  • J’ai été formée sur Terre, les corps locaux sont plus douillets.

Elle plaisante. En fait elle arrive à faire bouger mes muscles sans les toucher, juste en plaçant ses mains au dessus. C’est assez magique. Et terriblement efficace, surtout sur le bas ventre. Quand la grande Kate va découvrir ça, ça va la calmer. C’est Greta qui va être contente ! On est à J-2, on ne sera pas trop de quatre pour gérer ça.

On passe à table. Tobias et Sarra sont là :

  • Papa, tu ne devinera jamais comment on va l’appeler.
  • Non ? Tu crois ?
  • Un indice, docteur R.
  • Mon dieu, effectivement, ça marche pour les deux. C’est un honneur. Merci.

Mais Adé est toute pâle. Elle lâche brusquement sa fourchette qui claque contre l’assiette. Et puis je me rappelle de ce qu’elle me disait : « Quand tout ça sera fini, on aura une fille et elle s’appellera Mathilde. » Adé me confirme d’un regard. Je m’empresse de continuer :

  • Mais ce n’est pas tout. Ce projet se télescope avec un autre. Adé ?
  • En effet, ma carrière a pris fin hier et notre projet se concrétise également. Je suis également enceinte, d’une petite fille, Mathilde. Elle aurait dû arriver après ma conversion mais on n’a pas vraiment prises nos précautions.

Je lui prends la main. Pour accord. Pour acceptation. Pour l’accompagner dans sa nouvelle vie avec moi, avec nous. Pour l’accepter dans notre famille. Et je prends la main de ma mère qui prend celle de papa. Tobias et Sarra se joignent à nous. Nous sommes tous liés.

  • Sarra ? Tu n’as pas quelque chose à nous annoncer aussi ?

*

Demain c’est le grand jour, pour Greta. Et pour nous aussi une nouvelle vie commence. Les sœurs se sont débrouillées pour nous trouver une maison dans le quartier résidentiel central. Ma péniche va rester à quai. Ses appartements vont être consignés. Elle rend même la croix qu’elle a autour du cou et elle doit rendre la chevalière de pasteur que Patrice lui a donnée. Ainsi le Vatican ne sera pas le seul à comprendre qu’elle n’est plus de la partie.

  • Je ne fais pas tout ça pour toi Hilde. Je le fais pour moi. Ça fait longtemps que j’ai fait mon deuil de tout ça, que je n’y crois plus. La relève est prête. Je peux en partir tranquille.

Papa, le docteur R, le professeur Bang, passe à son laboratoire à Sylvania pour vérifier que ses chercheurs ne trouvent pas trop de réponses à tout ça mais j’en profite pour aller le voir et lui demander sur place :

  • Alors on est toutes plus ou moins enceintes de iel et de filles. C’est quoi la prochaine étape de notre civilisation ?
  • Il faudrait demander à celui qui a mis la machine en route. Mais il est bani. Et il n’a sans doute plus la main. Il était absent pendant longtemps et le monde a su évoluer sans lui. Je doute qu’il ait le contrôle sur tout ça.
  • Peut-être la compréhension, ou la reprise de contrôle ?
  • Ce ne serait pas bon, pour personne, c’est pour ça qu’il est bani. Il a assez fait de dégâts. Et on a ramené une dimension en plus dans leur civilisation, l’Invisible. Mieux vaut qu’il ne s’y plonge pas. Heureusement, il est assez imperméable aux garçons. Tu vois, l’anneau du CERN sur Terre, c’était un échantillon de ce que le noyau de la Terre nous a donné à la fin du monde. Une planète qui meurt lâche dans un dernier souffle de grandes forces telluriques. On les a ramenées ici et ça change tout. Greta a été choisie par Vivien. Greta a toujours maîtrisé l’Invisible. Elle peut même s’en débarrasser, le distribuer. Elle est la clé de tout ça. Mais elle est prudente et responsable. Elle est le pare-feu de tout ça. Elle reste la référence. Et comme elle, je fais profil bas. C’est peut-être aux nouvelles génération de gérer, avec leur B5 et leur B6. L’union des antennes et de l’Invisible.
  • Tu as l’air d’en savoir beaucoup. Quel conseil tu as à me donner, à moi et aux autres ?
  • Laissez tomber la conversion. La diversité est une bonne chose. L’intégration et le progrès, pas toujours. Je l’ai déjà expliqué à Greta. Après la naissance de Mona-Lisa, elle va vous le faire comprendre, à toutes, les terriennes.

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