Lou+

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Je lui donne les dernières instructions pour le placement des symboles pendant que je les compte et que je vérifie la géométrie des plans.

  • Lou, où est-ce que tu as appris l’architecture ?
  • C’est une longue histoire, en trois tomes. Russell, Westech et l’École des Arts. Mais tout ça m’a mené nulle part, j’ai fini à l’hôpital, d’abord en tant qu’élève, et comme je faisais des trucs bizarres avec les patients ils m’ont enfermés. Heureusement que toute ma famille travaille à l’Octogone, sinon j’y serais encore. Dès qu’ils m’ont relâchée, je me suis présentée à la Basilique en demandant d’être intégrée dans un parcours spirituel pour recevoir les sacrements. En fait, les Sœurs devaient se porter garantes pour ne pas que je retourne à l’hôpital, psychiatrique. Et quand Sœur Paulette s’est renseignée sur mon profil, elle a tout de suite voulu faire de moi une sœurette. Et me voilà aujourd’hui à faire de l’archi spirituel avec un religieux d’une autre planète. C’est drôle. Dans les grandes écoles, ils m’ont tous dit la même chose : « tu es ma meilleure élève. » Mais tout leur enseignement me paraissait un peu basique. Même ici. Je suis loin de prononcer mes vœux et les Sœurs sont déjà là à s’esclaffer : « On a trouvé notre Pape ! ». Franchement… Il y a quelques vérités qui me plaisent dans la B3 : « Heureux les simples d’esprit, moins on en sait, mieux on se porte. » Ça y est, j’ai tout vérifié, il y a une erreur de 41 degrés sur un élément mais on peu facilement compenser en amont.
  • Vraiment ? Les ordinateurs n’ont rien détecté.
  • C’est « au-delà » de leurs capacités. On est sur du divin. L’Invisible ne se calcule pas. La correction de 41 degrés va créer une illusion optique au dessus de l’entrée. Plus précisément entre 40 et 42 degrés. C’est l’angle de diffraction de la lumière dans les gouttes d’eau.
  • Comme dans les arc-en-ciel.
  • De quoi ? Connais pas. C’est dans la B2 ?
  • Peu importe, tu maîtrises parfaitement les mélanges, sciences, art et médecine ?
  • Ces outils ne me servent pas à grand-chose dans l’I.S.A, l’A.S.I ou le S.I.A. Je ne maîtrise aucune des trois lettres les plus importantes de la planète C aujourd’hui. Peut-être que tout est déclenché par le sexe, une vraie sexualité, pas des jeux de gémeaux. Je vous préviens tout de suite, Père Supérieur, ceci n’est pas une proposition de cérémonie vaudou appliquée comme vous en êtes le mage reconnu. En fait j’ai juste besoin de souvent me vider la tête, de faire des choses simples, de libérer mon esprit pour l’ouvrir aux autres mondes. Certains appellent ça de la méditation mais je dirais plutôt que c’est l’extinction de tous les sens, comme quand on plonge au fond d’une piscine. Parfois je ne trouve aucune raison valable de retourner à la surface, aucune envie, aucun besoin. Je me suis déjà éteinte plusieurs fois ainsi. Ils en avaient marre de me réanimer à l’H. Et mon comportement était à risque social, contagieux. À chaque fois que je passe à côté d’une piscine je me mets à trembler, d’envie de recommencer. Mais ça va mieux en ce moment. Je me plonge dans la B3, je vais suivre les offices, je me laisse aller dans la prière, loin, très loin, en sachant que la Messe prendra fin et qu’on me ramènera à ce niveau de conscience qu’on appelle le présent.
  • Ça y est, j’ai compris.

Et il me prend par le bras, on sort de la Basilique et on va vers la Mairie.

  • Quoi ?
  • On va demander audience. Il faut que tu rencontres la bonne personne.

On arrive à la Caserne. Mon Dieu, Greta. Il sonne et s’en va en me laissant là.

J’attends un moment mais la porte ne s’ouvre pas. Alors je pars, je prends le tunnel pour passer sous le boulevard et je traverse le Parc. J’aperçois Patrice assis sur un banc, il lit un livre. Je vais m’asseoir à côté de lui :

  • C’est intéressant ?

Il sursaute, il ne m’avait pas vu. Comme si j’étais invisible.

  • Déjà ?
  • Elle n’a pas ouvert. Elle est peut-être coincée sur le trône. Aux toilettes.
  • Tu en connais des expressions.
  • J’ai appris le terrien.

Il ferme son livre. C’est le tome II de la B IV.

  • Je crois que tu es éteinte. Elle va t’allumer.
  • Je n’en doute pas. Elle rayonne, elle allume tout le monde. Et si j’étais grillée ? Je serais tranquille. Vous seriez obligés de changer de cible.
  • Retournons travailler.
  • Non, j’ai fini.

Il se lève, il hésite à partir.

  • J’ai besoin de toi, Lou.
  • Pas moi.

Alors il part. J’attends qu’il ne soit plus en visuel pour partir dans l’autre sens. J’ai une planque pas loin, en haut d’un hangar. J’y entre discrètement, je grimpe les escaliers en fer sans faire de bruit et je me barricade dans la zone vie. Je pose mon monolithe sur la commode. Je vais dans la salle de bain. J’enlève la croix que j’ai autour du cou et je me mets à nu pour aller m’asseoir sous la douche chaude et me remettre à zéro. Quand on touche le fond, on ne peut que remonter. Quand je refais surface j’ai froid. Je suis donc vivante. La douche s’est arrêtée. J’en sors, je me sèche, je me remets en conditions, avec ma croix, mon monolithe et je pars me montrer en public à la Brasserie du Parc devant une boisson chaude. On est le lendemain. J’ai brisé mes engagements à la Basilique par mon absence à l’office. Ils n’ont pas pu me localiser, ma planque bloque cette fonction. Je n’ai même aucun message entrant sur mon mono. Une jolie blonde vient s’asseoir en face de moi. Elle est belle. Elle rayonne. Elle est pleine de vie et de joie, de force et d’amour. C’est Greta ?

  • Salut. Lou ? Tu es bien une locale de ta génération. Tu crois que tu es une sorte de robot. J’ai même du mal à te sentir. Mais tu es vivante je crois.

Elle me tend la main. Je la prends et je regarde Greta droit dans ses yeux bleus profonds.

  • Je le suis vraiment ? Vivante ?
  • Pas encore. Mais il y a quelque chose. Pas ici. Loin dans l’avenir. En attendant tu es libre de vivre ta vie.
  • J’ai déjà essayé. Je n’y arrive pas. Patrice dit que je suis bloquée. Tu peux m’aider.
  • J’aurais bien commencé par du philtre mais je n’en ai plus. En revanche, en ce moment, j’ai autre chose.

Elle se lève et elle me tend la main. Je la suis, on va au Palace dans sa suite privée. Elle se met à l’aise, s’installe sur le canapé et me fait signe d’approcher. Elle m’allonge, je pose ma tête sur ses cuisses. Elle me relève, elle me prend comme un bébé et elle ouvre son chemisier. Elle me prend la main qu’elle pose sur son sein et elle m’explique :

  • Il faut masser un peu, le réveiller pour que je te réveille aussi, que je ne donne un peu de ma vie.

Il n’y a rien de sexuel. Tout n’est que maternel. Alors, à la première goutte qui sort je pose mes lèvres dessus et ma langue la goûte. Je ferme les yeux et puis j’aspire un peu de Greta en moi. Je me sens comme dans un cocon, en apesanteur et je me laisse envahir par la magie.

*

Je me planque dans ma planque. Je prends des douches chaudes et je dors. Mes yeux sont plus clairs. Ma poitrine plus ferme. Ma peau plus douce. C’est l’effet Greta, son lait est magique, il donne la vie, on peut même tomber enceinte avec, suivant comment il est administré. Quelle euphorie, quelle joie de vivre, je ne suis plus du tout déprimée. Je ressens des tas de choses nouvelles, il y a comme un espoir qui diffuse en moi et quand j’ouvre la porte coulissante de mon placard, elle est là comme une évidence : la robe chasuble de novice, modèle Coralie, toute en gris neutre à 18 %. J’ouvre le tiroir et je prends la croix en bois à 82 % de noir et un chapelet au crucifix argenté. Je passe à l’atelier pour couper le bout des croix de manière à faire un +. Je retourne à la Basilique. Les grandes portes s’ouvrent à mon approche et j’avance jusqu’à l’autel. Je me mets à plat ventre, les bras en croix et j’attends. J’occupe mon esprit en priant. On me touche, on me soulève, c’est Sœur Paulette :

  • Tu n’as plus ta tenue de sœurette ?
  • J’ai failli à mes engagements, je me suis dégradée, je recommence depuis le début.
  • Tu as scié ta croix, pourquoi ?
  • Je me reconnais « plus » en cette forme.

En fait, c’est un test. Est-ce qu’elles sont prêtes à accepter ça de moi ? Si non, ce n’est pas la peine de continuer. Finalement, tout se réorganise. Il n’y a plus que deux sœurettes et il n’y a plus que deux Sœurs. Scarlett passe Mère supérieure qui m’avoue :

  • Mais je n’ai pas les pouvoirs de ma prédécesseuse ni même de ma consœur Nathalie.
  • Ma Mère, ce n’est pas une question de pouvoirs, on peut déjà tellement faire sans en faire appel. Regardez Greta, ou Patrice qui lui n’en a vraiment pas, il fait juste de les provoquer.
  • Et toi, Lou ?
  • Moi, je vais suivre leur exemple. La magie est accessoire. On en connaît même certaines qui n’en font rien alors que sans on peut déjà faire tant.
  • Quelles sont tes doléances, en tant que novice.
  • Il me faut une partenaire pour faire un binôme. Est ce que Coralie est libre ?
  • Elle va avoir un bébé avec Enzo.
  • Si elle est encore opérationnelle, j’aimerais qu’elle me suive, dans mon pèlerinage.

*

Il fait chaud, je marche sur le sable, Coralie me suit de loin, des fois elle me devance, elle tourne autour de son sujet dans son véhicule tout terrain. Je crois qu’elle s’amuse bien. Moi je suis venue chercher cette chaleur qui m’attire, celle que je retrouve à chaque fois sous les douches chaudes qui me lavent l’esprit. La nuit arrive, je vois Coralie au loin à côté de son quad, elle a déjà installé la tente. On s’y installe pour une séance de méditation et on se désaltère. On ne parle presque pas, juste quelques mots dans discussion. Elle ne me montre pas ses images non plus pour ne pas me déconcentrer. De son côté je sens qu’elle commence aussi à être en paix, sereine, loin de sa vie sociale active. On sort regarder les étoiles, on s’installe l’une contre l’autre sur un grand pouf et on commence à s’endormir. Le vent se lève, on se réfugie sous la tente pour terminer la nuit. On reste l’une contre l’autre. Une alarme nous réveille à l’aube. On sort regarder le lever du soleil et le sable brille, la plage renaît mais on n’entend pas l’océan, inquiètement calme. Je reprends mon chemin, je perds Coralie de vue. J’arrive à la falaise. Je prends l’escalier aux mille marches, sans les recompter. J’arrive enfin en haut, à la Chapelle des disparus. En arrivant près de l’entrée, je remarque le quad de Coralie garé discrètement derrière. J’entre doucement et je vois une novice en tenue, c’est elle, elle prie. Je viens de comprendre. Elle a perdu quelqu’un parmi les victimes des Chevaliers de l’Apocalypse. Je ne vais pas lui demander qui, elle n’en a jamais parlé. Et peu importe. Je dis juste :

  • On ne peut pas leur en vouloir. Ils sont peut-être juste en avance sur leur temps. Un jour aussi on en aura marre de l’éternité.

Mes paroles sont dures mais ça semble la soulager. Elle me fait un gros câlin. On allume une bougie sur l’autel et on se tient par la main dans un silence de recueillement. Notre pèlerinage est terminé. Avant de partir je me mets en tenue et je prends la pose pour quelques images. Elle en fait avec moi. Le reportage est terminé.

*

Ma prochaine activité est orientée vers la rédemption et le pardon. Énola a ramené Vivien, moi je vais m’attaquer au violeur de la Mère Supérieure, Benjamin, le fils de Rachel, chef de la ville. Je le retrouve sur une île dans une cabane, il a l’air drogué. Il me regarde comme si j’étais un ange. Et je joue mon rôle :

  • Je te ramène au froid de Sylvania.

En tant que novice, j’ai plus de droits et moins de devoirs qu’une sœurette. Alors je vais en profiter. Quand il reprend ses esprits j’essaie de lui faire comprendre :

  • Ta mère t’a laissé condamner, Scarlett est passée à autre chose et moi mon rôle est de te donner une seconde chance, non en fait une dernière chance.
  • Comment ? Je suis un banni à Sylvania.
  • Pas si tu es avec moi. Après, ce sera à toi de trouver ta voie.
  • Qui es-tu ?

Bonne question. Je suis une sorte de religieuse. Je suis tout sauf une juge. Alors je lui réponds :

  • Je suis l’avocate de ton âme.
  • Je suis allergique aux spirituelles.
  • Absolument. Si tu me touches, tu reviendras ici. Si tu me suis, je fais modifier ta peine, par l’Octogone, pas par le Vatican.
  • Je ne veux rien te devoir. Je reste ici. J’ai joué et j’ai perdu. Je ne veux pas de ton Salut.
  • Alors je vais t’aider à purger ta peine.

Et je le laisse sombrer dans son inconscience. Je rentre sans lui. J’appelle mon frère pour le faire transférer à Sylvania. Je demande à Patrice d’ouvrir les geôles de la Basilique. La société doit avoir ses condamnés en présentiel. Benjamin doit d’abord se pardonner à lui-même pour redevenir libre. Scarlett doit se rendre compte du « beau travail » qu’elle a accompli. Rachel doit jouer son rôle de mère. Le pardon doit venir de chacun et être partagé. Il n’y a pas de droits sans devoirs.

Affaire suivante.

*

  • Je n’en vois pas pour l’instant. Mais je sais que je les chasserai pour l’éternité.

En guise de commentaire, Greta pose sa main sur ma joue. Je pose mon front contre le sien et je ferme les yeux. Je sens sa chaleur m’envahir. J’ai la Foi, en elle.

  • Lou, tu vas accomplir de grandes choses.
  • Arrêtez de parler de mon destin. Je suis juste la Lou d’aujourd’hui, pas celle de demain. Ses honneurs ne me reviennent pas. Et l’avenir peut changer à chaque instant de notre présent.
  • D’accord, tu as accompli de petites choses. Tu as bien raison de ne pas écouter les illuminés de l’Invisible. Le présent peut tout changer, en effet. Et en ce moment tu as une grande force. Celle d’être en dehors des lettres qui contrôlent les décideurs. Mais cet avantage est fragile. Tout peut changer en un instant. L’Amour, le Sexe et l’Invisible peuvent s’emparer de toi en un claquement de doigt pour ne jamais plus te quitter. Mais je sens comme un bouclier protecteur autour de ton âme. Même moi je ne peux pas le transpercer et te faire basculer. Mon lait n’a fait que glisser dessus.
  • Il a pourtant eu beaucoup d’effet.
  • Seulement sur ton corps et ton esprit. Pas sur ton âme. Peut-être un peu dans ton cœur.
  • Comme ma Foi en toi.

Elle me prend les mains et elle me fait un bisou sur la bouche.

  • Reçois mon Amour, Lou. Qu’il te protège et t’accompagne sur ton chemin.
  • Un chemin que tu parcours depuis longtemps, Greta.
  • Tu n’as qu’un siècle de retard sur moi.
  • Tu veux me programmer comme Vivien t’a programmée.
  • Non Lou, tu n’es pas un sous programme. Tu es une mise à jour, un correctif. Tu peux utiliser la force de mon programme en écrivant ton propre code.

*

Avec Coralie on se distrait devant l’orgue de la Basilique. Elle joue des mélodies joyeuses et on rit. Enzo vient nous rejoindre :

  • Bonne fête Enzo. On est le 22 Janvier dans la B2. C’est la Saint Enzo.

Il ne voit pas vraiment de quoi on parle :

  • Je ne savais pas que nos prénoms étaient liés à la religion.
  • La liste est sacrée et la plupart ont un sens. Tout comme les jours de la semaine. Aujourd’hui c’est mercredi, le jour de la planète Mercure.
  • Tout ça, c’est relatif. Quand j’ai fait le portrait du professeur Bang, il m’a montré son calendrier Julien.
  • Il t’a montré quoi ?

Et on rit. Et il repart, dépité.

  • On est dures avec lui.
  • Je vais me rattraper. Il aura son cadeau ce soir : moi !
  • Comme d’habitude, non ?
  • Ça dépend quoi, on n’est pas encore un vieux couple, on a des tas de choses à explorer. Et toi, tu en es où dans tout ça ?
  • Je donne l’impression de reculer mais j’avance. Et je ne redeviendrai jamais sœurette. Je vais plutôt prononcer mes vœux directement, quand je serai prête. Mais pas dans le schéma existant. Plutôt dans un nouvel ordre. Ça te dit de m’accompagner ? Tu as le profil pour l’O.D. , l’Ordre des Novices. Aucune ambition hiérarchique. Nos missions : le pardon. Réussir là où d’autres ont échoué.
  • Et pour le reste. Ton existence privée, intime ?
  • Je ne ressens rien. Je me sens étrangère aux trois lettres. Seule Greta a réussir à me faire vibrer, un peu.

Elle me prend la main et m’embrasse sur la bouche.

  • Et moi ?

Je tends mon autre main et j’appuie sur trois touches. Une grande vibration remplit la Basilique et on éclate de rire.

*

Je suis convoquée au Vatican à la suite de la création de l’Ordre des Novices dont j’ai envoyé le dossier. Dans le Grand Hall, un homme mal à l’aise dans sa tenue de prête s’approche.

  • Bonjour ma fille, je suis le Père Barnard.

Je me lève et je pars.

  • Ma fille ?

Je me retourne :

  • Mon Père ? Vous êtes sûr ? Vous mentez. Vous êtes mal à l’aise dans votre tenue avec votre faux nom. Il n’y a rien ici d’officiel. Vous n’existez que par les rapports qu’on vous envoie. Personne de chez vous ne participe à l’E.C. Barnard, je ne crois pas en vous. Adieu.

Et je me sauve. Quelle déception. J’ai pitié pour eux. Quelle imagination, Barnard, le 23 janvier, quelle blague. Au moins ils ont gardé la notion du temps, d’un calendrier disparu. Merde, il me course ! Je me retourne et je lui brandis mon plus. Il s’arrête :

  • Désolé ma fille, on est tellement nombreux, aujourd’hui c’est mon jour à l’accueil. Une fois par an. Je n’ai pas de chance, l’année dernière j’ai eu le droit aux Chevaliers de l’Apocalypse. Heureusement, ils étaient beaucoup plus sympathiques que vous.
  • Merci mon Père. Je reviendrai un jour faire le ménage dans vos bureaux avec mon épée cruciforme. En attendant, j’ai à faire et pas de temps à perdre avec votre Vatican 4.
  • Justement, on envisage de mettre votre croix sur la B4.

Je lâche mon plus qui retombe sur mon ventre. Je le protège de ma main.

  • Vraiment ? Je la verrais bien dessous. Que chaque Bible soit posée dessus. Qu’elle la cache. Qu’elle annonce la suite.
  • Très bonne idée. J’en ferai part à l’équipe.
  • L’équipe ?
  • Les scribayous du Saint-Esprit. Ils mettent en page.

Je ne sais pas comment le prendre. Sans doute une blague. Mais ça ne me fait pas rire. Il m’a assez enfumée comme ça. Je n’en ai rien à faire de ses équipes fictives. Il veut me faire entrer, que je sois subjuguée par leur Sainte Chapelle, que j’y découvre ma Foi, mon cul ! Vade retro Barnardas. Je lui tends mon index comme une injonction, qu’il se taise. J’ouvre ma main pour lui dire stop. Et je m’en vais sans me retourner. Normalement il n’est pas censé me suivre. Ils craignent la lumière du jour. Quel soulagement de ne pas avoir prononcé mes vœux. Je ne veux rien à voir avec ces gens là.

*

  • Pourquoi toute cette colère ?
  • Pourquoi tu les as ramenés de la Terre ?
  • Il fallait un point de repère.

Elle me prend dans ses bras, elle me console, comme une vraie maman. Je veux de son lait. J’y verrai plus clair après. Alors je commence à l’embrasser dans le cou, puis sur la joue, puis sur la bouche, et je descends me rassasier pendant que ma main se perd entre ses cuisses. Je caresse, je pince, j’y aventure un doigt, quelle douce sensation. Elle me presse pour que je continue. Tout tourbillonne dans mon esprit. Je me sens si bien. Et elle aussi. À nourrir mon âme.

  • Greta, tout l’amour que tu diffuses jette tes victimes dans des situations de couple confuses. Tout le monde se mélange dans tous les sens. C’est le chaos. Le chaos d’amour. Comme un début du monde plutôt qu’une fin du monde. Tu es l’alpha. Qui est l’oméga ?
  • Ma pauvre petite Lou, tu es tellement cérébrale. Mon amour te traverse sans s’arrêter en toi. Tu es comme un fantôme pour moi. Tu n’es pas sous mon emprise. Tu es juste un peu éprise.
  • Et c’est moi la cérébrale ? Greta je vais bien finir un jour par te capter. Chaque nouveau contact avec toi m’apporte quelque chose. Là, tu as allumé en moi une sensation, j’ai eu une vision sur quelqu’un que je dois aller voir mais je ne sais pas quelle version, la terrienne ou la locale, Gabrielle ou Gaby, la mage terrienne ou l’espionne.
  • Ne vas pas les voir, elle viendra à toi.

*

Mais je ne suis pas assez importante pour qu’on se déplace pour moi. C’est elle qui me convoque. En Principauté. Gabrielle :

  • Je suis sur la fin ici. La Reine va abdiquer. Mon existence sombre. Je vis dans le péché. J’ai besoin d’être pardonnée.
  • Je ne suis pas encore religieuse et je fais plutôt dans la rédemption.
  • Oui, tu as raison, on devrait arrêter de te harceler mais on ne parle que de toi dans l’Invisible.
  • Ça fait beaucoup de dimensions à gérer. Ici. L’Invisible. Gaby.
  • Tu verras un jour…
  • Stop. Je suis ici. Je suis une locale. Je suis une jeune Novice, ex-soeurette et je suis un peu perdue dans tout ça. Même en m’approchant très près de Greta, très très près, je ne ressens rien ou presque alors qu’elle devrait me brûler tellement elle rayonne d’amour. Je ne suis qu’une pauvre petite âme, vide. Alors arrêtez de vouloir me remplir. Ce n’est pas ma réalité, c’est peut-être juste la vôtre, une réalité alternative qui n’aura sans doute pas lieu dans ma ligne temporelle à moi. Alors arrêtez de tout mélanger comme vous le faites dans vos existences qui ricochent au hasard les unes contre les autres en partant dans toutes les directions. Ce n’est pas de pardon dont tu as besoin, c’est d’un chemin.

Elle ne dit plus rien. Elle baisse la tête comme si je l’avais disputée. Du coup, j’ai envie de la consoler. Alors je m’approche et je lui fais un gros câlin, et je l’embrasse dans le cou et puis sur la joue et je regarde ses grands yeux noirs. Après Greta, je sens que je peux affronter toutes les puissances de l’Invisible. Alors j’approche ma bouche de la sienne. On ferme les yeux. Contact. Caresses et intrusion. À pleine bouche même. Un peu fort, on ralentit, plus doux et on arrête pour se regarder à nouveau, se scruter. Elle :

  • Je ne le vois pas encore. Mon chemin. Et toi ?
  • Rien non plus.

Alors on recommence, de plus belle. Sa main cherche à rentrer dans ma culotte. Je la repousse des épaules.

  • Non Gabrielle, même avec Greta je ne suis pas allée aussi loin, enfin, je crois.
  • C’est l’Invisible qui commence à rentrer.

Et on se met à rire. De l’image. Du jeu de mot. De la situation. Je lui fais plein de bisou sur la bouche et je lui caresse la joue avant de me relever pour partir, vite, avant de succomber. Je me retourne pour capter son regard. Elle a l’air d’aller mieux.

  • Gabrielle, je te pardonne.

*

Il n’empêche, le Vatican valide l’ordre des Novices. Je peux faire appel à des filles prêtes à s’engager mais avec un profil d’intérêt et une vie sociale privée active. D’ailleurs il faut que je m’en trouve une. Avec tous mes diplômes, je peux peut-être continuer à participer à l’E.C.

  • Père Supérieur Patrice, je reviens vous aider.
  • Pourquoi ?
  • Parce que je vous pardonne.
  • Pourquoi ?
  • Parce que c’est dans ma nature.
  • Que dois-je me faire pardonner ?
  • De m’avoir laissée partir.
  • Benjamin veut aider aussi. Est-ce que tu peux le prendre dans ton Ordre ?
  • Non, c’est réservé aux filles. L’Ordre des Novices a un destin que les garçons n’ont pas. Mais il peut s’engager ailleurs comme dans les Chevaliers de l’Apocalypse par exemple. Il va bien falloir un jour traiter avec eux. Ils ne me font pas peur, et toi ?
  • Ils me rappellent de mauvais souvenirs, sur Terre, les sectes de la fin du monde.
  • Tu dois aussi exorciser tes peurs.
  • Pour Benjamin je vais créer l’Ordre des Trinitaires Locaux. Sur Terre, du temps de la B2, c’était destiné aux prisonniers, à leur rédemption. Je vais demander à Enzo si il peut dessiner une tenue orange ou rayée, ou les deux ?

Pendant qu’il parle tout seul je regarde les plans. Il y a cinq étapes.

  • Patrice, on ne va pas y arriver tout seul. Il nous faut les machines qui construisent les bâtiments, et il nous faut aussi quelqu’un qui sache les programmer. Je vais prospecter à Westech, sur place.

Je regarde les dossiers des ingénieurs et sur les 12 dans le domaine il y en a un qui semble convenir. Il fait dans l’architecture occulte. Étrange. C’est un petit blond tout timide au fond de l’open space. Quand je le traverse tout le monde se lève. Je m’arrête, je me regarde, en effet, je suis en tenue de Novice. Quand j’arrive au bon bureau, il a l’air terrorisé. Je regarde la porte pour me rappeler le nom.

  • Ingénieur Artémis ? Je suis la Novice Lou. Artémis, c’est votre fête aujourd’hui.
  • J’ai déjà dit non aux Chevaliers de l’Apocalypse.
  • Vraiment ? C’est dommage. Vous devriez accepter, ce serait intéressant de travailler avec eux aussi, sur la cathédrale à Sylvania. On a besoin de vous pour la structure au dessus du Jordania.

Ses collègues derrière ont l’air dégoûtés. Je me retourne et je les défie :

  • Il y en a qui s’y connaissent en toiture ? Charpente, revêtement, vous avez carte blanche, ou plutôt grise, à 18 %. Ça vous laisse 82 % de créativité libre. Qu’en pensez-vous ? Si vous avez des idées, voyez avec Artémis.

Je me retourne vers lui et je ferme la porte pour lui parler plus bas :

  • Artémis ça fait lourd, ça va pas le faire. Je vais t’appeler Paul, c’est un Saint du même jour. Bonne fête Paul. Maintenant je ne te quitte plus, tu es à moi.
  • Ma Sœur…
  • -Je ne suis pas une Sœur, je n’ai pas prononcé mes vœux. Je ne suis qu’une Novice, appelle-moi Lou.
  • Lou. D’accord. Mais j’ai besoin d’un cabinet de travail et il faut qu’il soit à la Mairie, au cœur de la chefferie. Et je ne veux rien à voir avec le Vatican, ils me harcèlent déjà assez comme ça pour la restauration de leur chapelle.
  • Très bien Paul. Pour la Mairie aucun problème, Rachel me doit une faveur. Et pour le Vatican, je ne les aime pas non plus mais on va quand même les laisser participer, ils ont droit eux aussi à leur rédemption.

*

  • Allez Paul, entre jusqu’au bout, fais de moi une femme !

Ça y est, il en place, mon ventre le sent, mes entrailles s’agitent, l’excite de caresses et d’aspirations ventouses en m’envoyant des décharges de plaisir le long de ma colonne vertébrales, elles viennent exploser dans ma tête par vagues de plus en plus rapides. Comme il est chaud, comme il est doux, comme il est en moi, comme il est à moi ! Voilà qui est fait. Ça y est. On est débarrassés. On va pouvoir se concentrer.

  • Lou, tu es bine plus convaincante que les Chevalier de l’Apocalypse.
  • Ah bon ? Ils avaient moins à t’offrir. Avec eux c’est toujours moins, jusqu’au néant. Alors qu’avec moi.

Je l’embrasse tendrement et je descends le nettoyer en profondeur avec ma bouche. Il me relève et me retourne. Je le sens tâter le terrain, y mettre les doigts, alors je me mets en position et je le laisse dominer la situation. À lui de prendre le dessus. Je ferme les yeux en espérant ne pas m’endormir. Mais je les ouvre d’un coup quand il entre et je les referme de plaisir quand il sort, et ainsi de suite pour notre plaisir à tous les deux. Mais son extase l’arrête bien vite et après une pause, il me prend dans ses bras pour m’emmener dans la salle de bain où l’on prend une douche bien chaude en se lavant l’un l’autre. Puis on se sèche, puis il me coiffe et on se remet au lit pour dormir, l’un contre l’autre, lui contre moi. Paul Artémis. Je l’amène à la Basilique pour une Messe, la sienne. Ma Sœur attitrée est à l’office :

  • Moi, Sœur Paulette, par les pouvoirs qui me sont conférés, je te baptise, Artémis, en Paul. Désormais tu porteras ce nom à la demande de l’Ordre des Novices.

Juste après, nous restons dans la salle des vêtements sacerdotaux pour faire les présentations. Et ensuite je ne manque pas de remercier Sœur Paulette :

  • Merci ma Sœur, il n’y avait pas mieux que toi pour officier. Une Paulette pour un Paul.
  • Il est mignon tout plein, comment votre rencontre s’est-elle faite ?
  • Je l’ai découvert par ses dessins d’abord, je cherchais un architecte en bâtiment pour l’E.C. J’ai gardé mes accès à Westech et j’ai eu accès à ses travaux. Je suis arrivée à temps, il était sur le point de rejoindre les Chevaliers de l’Apocalypse. D’ailleurs, ce serait intéressant de les faire participer, leur donner une forme de reconnaissance et ajouter une note gothique. Il faut que ce soit un lieu pour toutes les confessions.
  • Tu n’as que de bonnes idées Lou, tout comme ce baptême, c’est très bien trouvé pour intégrer Paul au projet.

J’attends qu’elle commence à boire sa boisson pétillante pour lui répondre :

  • Je lui devais bien ça. Lui aussi il a réussi à me baptiser. Par tous les trous.

Elle recrache tout sur Rachel qui s’approche pour nous parler. Je ne peux me retenir de rire. Mais je fais mon mea culpa :

  • Désolée madame le Maire, c’est ma faute.
  • Non, c’est un honneur de se faire baptiser au champagne. Je peux choisir un nouveau prénom.
  • Peut-être avec deux ailes, comme les anges. Rachelle.
  • Intéressant. Lou, je te confirme pour le cinquième étage, ils sont déjà en train d’installer les verrières pour avoir un éclairage et une vision à 360 degrés.
  • Ça fait chaud, on va fondre d’efficacité, merci.
  • Et je vous ai attribué une maison dans le quartier central, maintenant que vous êtes en couple.

Paul nous rejoint avec deux verres, je le prends par la taille et je lui fais un bisou sur la bouche. Je lui prends un verre pour trinquer mais je ne bois pas.

  • Rachelle nous a trouvé un nid douillet. On pourra aller au travail à pied. Pour sentir la ville avant de la transformer, la transcender, avec ton talent.
  • Tu ne bois pas ?
  • Non Paul, je ne peux pas. Je t’expliquerai. Un truc de filles.

Et je me retourne vers Paulette et Rachelle en leur faisant un clin d’œil. Elles en restent bouche bée. Et en partant on tombe sur Adé. Elle me fait signe de vouloir parler. J’embrasse Paul en lui demandant de nous laisser. Elle me sourit.

  • Tu as dépassé le quota, de ton chapitre dans la B4.
  • De combien ?
  • De 20 %. Vous avez le droit à 20 minutes de lecture, 5000 mots. Mais même Patrice a dépassé. Il peut se le permettre. Toi aussi. Comment ça va ?
  • Ça allait bien jusqu’à ce que tu partes. Jusqu’à ce que ta pseudo conmère inférieure Nathalie sorte ses balivernes sur ma papautée. Elle m’a coupé mon élan dans ma quête spirituelle. Comment je fais moi maintenant ? Me le dire, c’est le compromettre, fortement. Alors mieux vaut pour elle que je ne le devienne pas sinon elle finira crucifiée la tête en bas sur le bûcher de sa maison bleue. Condamnée pour mauvais usage de l’Invisible. Ce sera mon premier acte de papesse. Faire le ménage par le feu. Les Chevaliers de l’Apocalypse ? Ce sont des amateurs non éclairés à côté de moi. Sinon ça va, je me débrouille, j’ai mon Ordre, mon Homme, mon travail sur la Cathédrale, Rachelle vient même de nous attribuer une maison dans ton quartier. On va pouvoir papoter de la papauté. Excuse-moi, il y a Riri et Fifi qui tournent autour de Paul, je dois aller le secourir.

Je le lance juste un regard et elles s’éloignent en se protégeant de leur cape noire. Je prends Paul par le bras et on fait le tour pour dire au revoir et remercier Paulette. Rachelle me donne discrètement une sacoche. À l’intérieur, les documents d’identité de Paul Artémis et les clés de notre maison. Ça sent la fin de chapitre.

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