M.H.

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Je suis née sous le soleil de Laguna Beach, une lumière que j’ai toujours cherchée à fuir. Je la fuis dans les livres, je les collectionne, j’en remplis des maisons entières, à chaque fois un peu plus à l’Ouest. Pourtant les livres n’existent pas ici. C’est moi qui les produits. Avec une base de données laissée libre dans les serveurs de la planète Terre, je m’en suis emparée. Mon seul diplôme supérieur est pourtant estampillée de l’école technique de Westech. Mais c’est là que j’ai pu concevoir et construire la machine, celle qui donne réalité à tous ces classiques, au format poche pour les emporter partout. Mais ils sont pour moi tous ou presque en langue étrangère car au fur et à mesure des générations j’ai perdu le français de mes ancêtres. Je ne l’ai appris qu’au lycée. Et j’en apprends tous les jours, à travers les livres et dans la francophonie de mes rencontres, comme Martine. Martine. Elle est tellement… Je suis Megan Honest, phonétiquement je suis sur l’Est, on Est, c’est là que je vais, comme elle me l’a confirmée. Je fuis la chaleur, je remonte des enfers jusqu’au froid des nuages qui m’attendent à Sylvania. C’est ce que me raconte l’Invisible à travers Martine :

  • Mais tu as toujours le pouvoir sur le présent, il peut changer ton futur. Pour l’instant tu imprimes, tu lis et tu écris un peu, beaucoup, passionnément, des textes, des articles, des livres, jusqu’à l’ultime, la Bible, pas la B4 qui se termine et qui va régner son temps, non, toi ce sera la suite, celle d’une génération qui n’existe pas encore, celle de nos enfants, la B5. Loin derrière l’Invisible je vois un tome IV qui va raconter nos histoires en dehors de tout ça, nos vies qui vont s’accomplir et se conclure et puis seulement après il y aura la B5, à vivre pour l’écrire comme la B4 se fait en ce moment pour encore une centaine de pages ou deux.

C’est tellement mystérieux tout ce qu’elle me raconte quand elle est en transe. Elle ne cherche même plus à combattre l’Invisible qui grandit en elle. Je suis obligée de lui faire plein de bisous pour la faire revenir à notre réalité.

Je remets mes grosses chaussures de combat pour descendre du lit et je sors mon petit crayon pour inscrire des phrases sur les murs. J’attrape un plaid que je pose par terre pour me mettre à plat ventre et écrire tout en bas près de la plinthe. « Martine, ce n’était pas la peine de te baisser pour lire ce message. Mais avant de te lever, sache que je t’aime. Signé : M.H.» C’est quand même étonnant ce genre de conjugaison : sache. Partout je laisse des messages. Et j’en ris d’avance. Elle me regarde, assise dans le lit, appuyée sur les mains en arrière pour faire ressortir sa poitrine et ses yeux de féline me toisent avec un sourire qui prend la parole :

  • Meg, tu sais que je ne suis pas à toi.
  • C’est moi qui suis à toi. Tu es riche d’amour, de Ben, de Adé. Nous sommes toutes et tous tes jouets. Et la partie ne fait que commencer.

*

Je fais mon tour, je commence par la Bibliothèque du lycée et je vide petit à petit ma sacoche de livres où je les cache parmi d’autres dans les étagères du savoir. Je fais de même à la Bibliothèque de la Mairie où je vérifie que mon inscription pour l’École des Arts est bien partie. Je ferai la même chose là-bas. Mais avant, je dois accéder à la Bibliothèque de la Cathédrale. C’est là que Martine peut m’aider :

- Je vais demander à Adé de voir avec Patrice qui demandera à Victoria de te recevoir à sa Chapelle pour te donner les sacrements. Ensuite on verra avec Benjamin pour qu’il demande à Lou de te proposer de rentrer dans son Ordre des Novices et tu auras accès aussi aux Bibliothèques spirituelles de l’Est, de toutes façon c’est ton destin.

Et elle m’embrasse comme à chaque fois que je viens dans sa maison rouge. Elle m’attrape comme une proie. Je me dégage un peu pour pouvoir lui parler :

- Et Benjamin dans tout ça ?

- Tu es mon jardin secret.

- Seulement un jardin ? Je ne suis pas un champ plutôt ? Ou une vallée.

- Une contrée secrète.

Encore un mot à chercher dans le dictionnaire. Dès que j’aurai les mains libres. Pendant qu’elle m’entreprend, je pense aux trois livres qu’il me reste dans ma sacoche. Je pense pouvoir en cacher facilement deux ici. Et puis je ferme les yeux et je profite de ses caresses, encore et encore.

*

Patrice est venu assister Victoria. Il ne laisse jamais passer une occasion de venir la voir. Je sens son amour pour elle jusque dans ses phrases en latin où il fait comme moi avec mes livres, il y sème des indices dans ses incantations, je connais bien cette langue morte, c’était une option de nuit à Russell. Et je sens l’eau froide sur mon front. Victoria me met une chaîne autour du cou avec la croix chrétienne. Ça y est. Et ma besace est déjà prête avec les ouvrages appropriés à cacher ici et là dans la mémoire de la Foi.

Martine m’emmène ensuite à l’Est pour me présenter Lou qui me reçoit en tenue grise dans la Basilique. Je suis subjuguée par ses yeux jaune orange. Son regard semble me traverser. On reste un instant comme ça, comme hypnotisée l’une par l’autre. Et elle dit :

  • Salut, Megan. Bienvenue.
  • Bonjour, Miss Lou.

Elle sourit.

  • Mais bien-sûr ! Excellente idée, je veux que les Novices soient appelées comme ça désormais.

Martine fait oui de la tête. Elle était certaine qu’il allait se passer quelque chose à notre rencontre. La Papesse et l’Autrice de la B5. Lou vient me prendre les mains. J’ai un drôle de sentiment. Je suis contente de l’avoir trouvée. Et elle nous laisse. On s’assoit sur le canapé. Je demande :

  • Alors ? Pas de boisson étrange à proposer.

Elle s’esclaffe :

  • Non, je ne suis pas Greta. On n’est pas toutes comme elle.

Elle regarde la croix autour de mon cou. Je confirme :

  • Fraîchement baptisée.
  • Moi, je ne le suis pas.
  • Vraiment ?
  • Je pense qu’il vont s’en apercevoir un jour, ou pas. Tu vas pas me dénoncer, si ?
  • En fait, j’inscris des phrases un peu partout. Suivant le lieu, elles sont plus ou moins prises au sérieux. Il y a des toilettes à la Basilique ?
  • Non, mais c’est à suggérer pour l’E.C. Je suis sûre qu’ils n’y ont pas pensé.
  • Lou, je suis en croisade. Je prêche la bonne parole. À ma façon. Mais je ne m’adresse pas à tout le monde. Seulement à ceux qui lisent.
  • Quand est-ce que ça a commencé ?
  • Quand j’étais au lycée. En fin de première année il y a eu une soirée à la piscine. La piscine de la Maison Bleue. En sortant j’ai vu une inscription au dessus de la porte. C’était dans une langue que je ne connaissais pas. Celle de mes aieux, terriens. J’ai passé ma deuxième année de lycée à apprendre le français, et le latin aussi. Et depuis je sème des phrases un peu partout en essayant de respecter la devise de la Maison Bleue.
  • Allez vers l’autre dans l’amour.
  • C’est pour ça que je suis ici. Les livres que je cache un peu partout respectent cette devise. Et toutes mes inscriptions parlent d’amour.
  • Alors qu’est ce que tu vas inscrire sur les toilettes de l’Eastern Cathedral ?

Je réfléchis.

  • En français bien-sûr. Ce serait bien de donner un nom français à ce bâtiment. Voyons voir… « Les secrets de l’Orientale : la Papesse n’a pas tous ses sacrements mais ça ne m’empêche pas de l’aimer. »

Lou est époustouflée :

  • Ça sonne très B5. On a un siècle ou deux d’avance.
  • Et tant mieux, vive le présent.

Un garçon entre.

  • Excusez-moi, bonjour. Lou, il faut y aller.
  • Miss Lou. Paul, je te présente Megan.
  • On se connaît. L’imprimante ?
  • L’imprimeuse. Oui, j’ai dû passer par Westech pour maîtrise les machines.

Paul fait un signe et repart, il a l’air pressé. On se lève et Lou me fait la bise.

  • À bientôt, Megan. Je suis heureuse de te connaître. On va bien s’amuser.
  • Salut, Miss Lou.

Elle me fait un clin d’œil et lève le pouce.

*

Au lever du jour, au moment le plus froid de la journée, je cours sur la plage de Laguna Beach avec comme repère l’énorme rocher installé là, artificiellement, comme beaucoup de choses à l’Ouest. Et c’est dans cette course effrénée, alors que mon corps lutte pour sa survie que mon esprit se libère et remet les choses en ordre en relativisant d’un autre angle de vue. Je dois échapper à Martine. Je dois demander à Benjamin de reprendre le contrôle sur son couple. Je veux vivre libre. Mais je m’étouffe, je m’arrête, je tombe à genoux sur le sable et je crache en serrant les poings dans le sable. Je regarde à l’horizon le soleil menaçant qui se lève. Je suis en danger, je dois me retirer à l’ombre. En rentrant je prends mon temps pour récupérer dans le jardin de la grande maison que j’ai rempli de livre. J’en ris rien qu’en y repensant, j’ai mis la dose, il y a même des murs supplémentaires à l’intérieur. Je rentre prendre une douche, tranquillement, personne ne peut me déranger, personne ne sait que je suis ici, j’ai laissé mon monolithe dans la maison rouge et je ne vais pas aller le rechercher. J’ai mon badge d’entrée pour l’École des Arts. Une nouvelle vie commence pour moi.

*

Je suis reçue par la directrice à son bureau et je lui explique mon projet. Les maisons remplies de livres et les messages écrits laissés ici et là. Je repère une place dans sa bibliothèque, si un jour j’ai l’occasion de rentrer discrètement ici. Mais ce sont de gros livres d’art, moi je suis en poche.

  • Je t’aime bien Megan. Tu as trouvé ta voie. Moi aussi j’ai des aieux bizarres et ici je suis moi. Toi et moi on a réussi. Et tu es déjà une artiste, ce n’est pas ici que tu vas le devenir. En revanche, c’est l’occasion de découvrir autre chose et de s’inscrire, si j’ose dire, dans une communauté pour s’apprécier les uns les autres.

Elle se lève, je la suis, mais avant de commencer la visite elle s’arrête et elle essaie de me parler, elle hésite puis elle me fait signe de la suivre dans la cour interne où il y a un jardin zen, une fontaine et des bancs. On s’assoit sur l’un deux, à l’ombre.

  • Megan, avant de reprendre mon rôle et de te faire la visite, je veux te mettre en garde, contre l’Invisible. Il t’a suivi ici, avec cette réputation que tu as de ton futur. C’est bien le problème, c’est une pollution sur notre présent, celui qui décide de tout. Moins on en sait, mieux on se porte. C’est dans la B3. Je vois que tu as sa croix.
  • Izzy, je suis aussi ici pour fuir les deux autres lettres.
  • Je sais. Notre civilisation est basée sur du pouvoir et du contrôle, magique, animal, spirituel, scientifique, etc. La liste est longue. Même tes petites phrases ont ce but. Faire réagir. Contrôler. Et tout le monde te dirige vers l’ultime étape, écrire la Bible. Mais c’est dans tellement longtemps. Ici tu peux découvrir autre chose et vivre ta vie. Imprègne-toi bien de tout ça et ne l’oublie jamais. Et ne te laisse pas impressionner, par personne.

Elle se lève, je la suis, au milieu des œuvres classiques et modernes.

  • Megan, au moins, dans l’abstrait, chacun peut y voir ce qu’il veut. Mais toi tu fais plutôt dans l’art exact. Il n’y a rien d’empirique. Comme dans la musique. Ses interprètes se transforment en robot pour lire et jouer leurs partitions mais au final il ressort tout de même une émotion de tout ça.
  • Et toi Izzy ? Où en es-tu ?
  • Nulle part. Je n’ai plus d’inspiration, plus rien à dire. C’est pour ça que je me contente de diriger, d’orienter, de promouvoir. Tu devrais essayer d’écrire des phrases mystérieuses, que chacun puisse y trouver ses propres réponses. Genre : Est-ce que Dieu existe ?
  • Si il existe, c’est son problème.

Elle s’arrête et on se met à rire.

  • C’est la phrase de fin de la B5 ?
  • En fait, Izzy, j’aimerais qu’on ne me parle plus jamais de cette B5. Je ne suis pas encore celle qui va l’écrire. Et j’en ai déjà les honneurs.
  • Comme tu as les honneurs de ta lignée, comme les Princesse et les Reines ont les honneurs de leur rang. Plutôt que de ses les cacher, mieux vaut s’appliquer à savoir comment les employer, comment leur rendre honneur, à ces honneurs.
  • Mais peut-être y accorde t-on trop d’honneur à cette Bible. Personne ne va la lire. C’est juste un repère, un pilier.
  • Personne ne lit la Bible mais tout le monde l’écrit. Elle est plus faite pour être écrite que pour être lue. Elle est trop collaborative. Ce sera intéressant d’avoir le point de vue d’une seule personne. Apparemment tu es cette personne.

Je sors un petit carnet tout neuf de ma sacoche. Il y a un crayon qui s’y attache sur le côté. Je le prends et je marque sur la première de couverture : « B5 par Izzy ». Je range le crayon et je lui réponds :

  • Ou alors chacun écrit la sienne.

Et elle récupère le carnet. Elle vérifie que les pages sont vierges à l’intérieur.

  • Tout mon texte est invisible.
  • Pour l’instant.

*

Une grande brune m’aborde sur le Campus :

  • Salut la nouvelle, tu viens de l’Ouest ?
  • Comme tout le monde. Et toi ? Tu n’as pas l’air d’une artiste.
  • Qu’est ce qui te fait dire ça ?
  • Ta façon de bouger, ta tenue, ta question qui indique que tu viens de l’Est, statistiquement, c’est proche de zéro pour être dans cet école.
  • Je m’appelle Hardie. Je suis l’objet sexuel de Izzy. Je viens te voir parce qu’elle n’a jamais été aussi dévouée à une nouvelle. Tu es qui en fait ?
  • Je ne suis pas encore quelqu’un. L’Invisible aveugle ton Izzy. Je ne suis qu’une étudiante en littérature, c’est de l’art fossile que je m’efforce de refaire vivre, ça vient de la Terre, je suis d’origine, ma grand-mère a débarqué en 57 ou 58.
  • Moi je ne suis qu’une pute locale offerte par Énola à Izzy.
  • Enchantée, Hardie.

Et je lui fais la bise. Elle en est surprise :

  • Tu sens bon. Tu es trop belle.
  • Et toi tu me semble bien paumée ici.

Elle ne sait plus quoi dire. On se regarde, en silence. Elle se lance :

  • Moi aussi je fais de l’art fossile, j’ai une émission de radio, en complément de reportages visuels sur les artistes et leurs œuvres. On a même une revue imprimée et écrite.

Elle m’amène les voir, à la Bibliothèque des Arts. La revue est sophistiquée et sérieuse, très stylée. Ça donne un aperçu intéressant sur ce qui se fait ici.

  • Hardie, tu crois que je pourrais faire des commandes d’illustrations, pour mes livres ? Ce serait une autre façon de montrer leurs œuvres.
  • Bonne idée. Tiens, voilà ta carte de Bibliothèque.

Je regarde, il y a même mon nom de famille. Megan HONEST. Je regarde la sienne qu’elle porte autour de son cou, Hardie SWAN.

  • Enchantée, Miss Swan.
  • Tu ne crois pas si bien dire. Je suis iel. Des fois je suis Swan.
  • Swan… Ça te va mieux je trouve.
  • Merci, moi aussi je préfère. Mais tout le monde voit plus Hardie en moi.
  • De nos jours, il n’y a plus de différences pour personne avec tous les nouveaux brisims, on est toutes des iel finalement.

*

J’ai un message sur mon darkmono, un rendez-vous au Musée. Je devine exactement où, il y a une toile sur les enfers d’un auteur dont je soupçonne qu’il en fait partie. Cette toile est vraiment effrayante et sombre, tout en rouge et noir. Je m’approche, elle semble chaude.

  • Pas trop près. Ce sont des rayonnements radioactifs.

Je me retourne.

  • Charles. En personne. C’est là que tu te caches.
  • Et toi ? Je vois que tu as une croix maintenant.
  • Je m’implique. Comme je peux. Avec plus ou moins de succès.
  • L’Hôtel, oui, ça a l’air sympa. Ils n’ont pas voulu de moi non plus. Pourtant je réunis tous les critères.
  • Moi je vais sûrement finir chez les Novices, avec Lou. Pour le travail.
  • Patrice m’a demandé de participer aussi. On ne fait plus peur à personne.
  • Et vous allez disparaître. C’est dommage, j’aurais bien vu ton œuvre pour illustrer votre chapitre dans la B5, mais c’est peut-être un peu trop loin pour vous, ça dépasse le temps d’une vie de mortel.
  • Nous, les garçons, nous ne sommes plus à l’ordre du jour.
  • L’Ordre de la Nuit, oui, très astucieux comme couverture, ça fait moins peur que les Cavaliers de la fin du Monde.
  • Oui Megan, on va s’éteindre. Ta B5 est bien trop loin.
  • Plus de garçons. Plus de mortels. Aucune solution pour échapper à l’éternité. Rien pour se rendre compte de notre immortalité. La B5, ça sera de l’obscurantisme sans vous.
  • On sera remplacés par d’autres si le besoin s’en fait sentir. Ou mieux, les antennes peuvent se mettre à déconner, ou peut-être sont-elles déjà programmées pour tout arrêter, pour tout le monde.
  • Excellent, je vois déjà le proverbe et le psaume. Ça fait de moi une Chevalière, non ?
  • Pas de filles chez nous.
  • Pourtant, ce serait beaucoup plus efficace, c’est nous qui donnons la vie.
  • On ne veut pas anéantir l’Humanité, on veut juste lui donner le choix.

Il est fort. Que répondre à ça ? Mais peu importe nos arguments. Je m’approche de lui :

  • En fait, le mieux, ce serait de faire de toi un martyre. C’est très efficace pour faire durer les convictions. Et comme je pense que c’est la première et la dernière fois que je te vois, il faut que je te libère tout de suite. Je n’ai pas que des livres dans ma sacoche.

Il a l’air un peu perdu. Il m’arrache ma sacoche d’un coup.

  • Ne l’ouvre pas. Ça va te tuer. Ce serait un suicide.

Il la lâche par terre.

  • Adieu Charles. Et merci.

Je fais mine de le gifler mais ma main loupe son visage. Ma main oui, mais pas l’ongle de mon petit doigt qui lui ouvre le cou. Le sang gicle. Il plaque ses mains et se met à genoux avant de tomber à la renverse. Je me penche sur lui pour regarder ses yeux. Il y a comme un voile qui s’installe. C’est fini. Je pose mon darkmono sur son ventre entre ses coudes et j’affiche le message de l’Octogone et son portrait avec l’inscription : « Charles M. Wanted. Dead or Alive. »

  • Je ne veux pas anéantir les Chevaliers de l’Apocalypse. Mais entre mort ou vif, j’ai fait mon choix. Memento homo quias pulvis es et en pulverem reverteris.

*

Le lendemain il y a toute une agitation autour de la galerie. Je m’en approche et Swan vient vient m’expliquer :

  • Les agents ont débarqué et ils ont plombé une œuvre. Son auteur a été retrouvé mort devant. Il paraît que c’était un Chevalier de l’Apocalypse, leur leader même. Les antennes ne l’ont pas maintenues en vie, elles étaient inefficaces à cause du rayonnement de l’œuvre.

Toutes les informations que j’ai reçues étaient donc exactes. Merci le réseau C. J’espère que je n’aurai pas trop d’ennuis avec l’Octogone. Quelqu’un me toque l’épaule. Je me retourne :

  • Martine ? Je te présente Hardie Swan, service média. Swan, voici … mon médecin personnel.

Elle ne sont pas enchantées. Martine me prend à l’écart. Elle met discrètement un mono dans ma sacoche.

  • Tu l’as oublié, tu es difficile à joindre. Ça va ? C’est le bazar à l’Est. Patrice et Lou sont sous le choc. Vivien a disparu. Énola est soupçonnée. Greta croit qu’elle est la prochaine. Dana va devoir communiquer.

Je recule. Je ne veux pas l’impliquer. Elle demande :

  • Tu crois que c’est moi ?
  • Tout le monde sait que l’Octogone ne ferait jamais ça. La dernière fois que c’est arrivé, c’était le Réseau C. Que te raconte ton pouvoir de medium ?
  • Justement, il s’est comme... éteint. Je crois que ça va au-delà de l’Octogone et du Réseau C cette histoire.
  • Alors tu ne peux pas me dire si mon destin a changé. Mais je crois que tout a changé.

On se fait la bise. Elle repart. Swan me rejoint. Je lui explique :

  • Je vais être tranquille pendant un moment. J’étais un peu harcelée avec cette histoire de Bible à écrire.
  • La B4 n’est pas encore terminée ?
  • Non, il reste une centaine de pages. Mais je ne suis pas sollicitée pour celle-là. On verra dans un siècle ou deux. En attendant, pendant que tout le monde est sous le choc, j’aimerais bien découvrir le Club des Arts. Tu peux m’y amener ?
  • Moi ? Tu es sûre ?

Je glisse ma main dans la sienne pour la convaincre. Le Club est une esplanade de bicoques autour d’une piscine, il y a aussi des cases où se réfugier, pour les intimités. Et les psychotropes coulent à flots dans les boissons sucrées. L’endroit idéal pour se détendre et faire… connaissance. On n’est pas les seules à avoir eu l’idée. Il y a du monde et de l’ambiance. C’est la fête de l’événement du siècle. Ça me met en joie. Ou alors c’est les fumées étranges qui passent. Je pose ma sacoche sur une chaise de la bicoque du nombre d’or et je me mets à danser avec Swan. Elle est tendue.

  • Ça va Swan ? Tu as peur d’avoir des ennuis avec Izzy ? Ou alors c’est moi qui vais en avoir ?
  • Les deux, je lui pique sa proie et tu lui piques son esclave.

Alors je la pique avec mon petit doigt, le petit doigt, deux petits coups, un sur son ventre et un sur son cœur où j’ouvre ensuite ma main pour caresser son petit sein en me collant à elle en essayant de la faire chalouper sous la musique. Mais elle n’est pas prête alors on s’assoit boire un verre. Après quelques gorgées je lui demande :

  • C’est Hardie ou c’est Swan qui ne m’aime pas ?
  • Tu plais aux deux.
  • Moi aussi j’aime les deux.

Et je m’approche pour prendre son verre, le poser sur la table et l’embrasser. C’est aussi simple que ça. Comme une évidence. Et je me réfugie en elle pour échapper à Martine. Et elle se réfugie en moi pour échapper à Izzy. On se lève pour aller sceller notre accord et notre union dans la case la plus proche. Je tends la main au passage de la bicoque pour récupérer ma sacoche. Il y a quelques outils à l’intérieur qui pourraient se rendre utiles.

*

C’était magique, exquis, différent et très doux. Je reprends mes esprits avec des jus de fruits à la bicoque du nombre d’or. Swan a du s’échapper pour une réunion de rédaction. Moi j’ai pas cours avant demain, et encore, je ne suis pas inscrite. Je récupère mes données sur le nuage avec mon mono. Tout est OK.

  • Megan ?

Une petite rouquine aux cheveux courts me demande. On dirait…

  • Dana ? Vous êtes là pour l’affaire. Vous voulez un jus ?

Je partage le mien et je lui tends. On trinque.

  • -La directrice sur le terrain, ça doit être important.
  • J’ai pas eu l’honneur de rencontrer l’équipe précédente qui a neutralisé Vivien. Vous avez laissé votre darkmono, je n’allais pas manquer l’occasion de vous voir. Vous avez eu une nuit agitée.
  • Les artistes font beaucoup la fête, je dois prendre le rythme. En tout cas merci pour le nettoyage.
  • En espérant que Nola ne le ramène pas. Qu’est ce que vous pouvez me dire ?
  • Depuis que Patrice et Lou les ont fait se montrer, il y avait sept équipes sur le coup. Moi j’étais juste en alerte. J’ai dû improviser avec rien. Je n’ai pas eu le temps de comprendre pourquoi il m’a donné rendez-vous. J’aurais dû attendre de le savoir avant d’intervenir. Tout est enregistré.
  • Oui, j’ai reçu la transcription du Réseau C. Vous avez du talent.
  • Vous trouvez ? Je ne me trouve pas terrible avec vous en ce moment.
  • Ton talent, c’est d’en avoir au bon moment.

Je souris et je ris, elle a raison, quand je repense à cette nuit, j’ai assuré.

  • Tu rougis.
  • Oui, je suis déjà passée à autre chose. Sur ce, à la prochaine, Dana, ce fut un plaisir.
  • De même.

Elle me tend la main, je lui fait la bise, avec quelques picotements électrostatiques.

  • Dana ?
  • Oui ?
  • Ces derniers temps, j’ai croisé des personnes connectées, à l’Invisible, plus ou moins medium. Nathalie, Adé. Lou. Pour Martine ça s’est calmé. Mais elles n’ont rien vu venir. Elles sont focalisées sur l’avenir, lointain.
  • Martine n’est pas un problème, les autres sont de confiance. En ce moment on a juste Elya qui pose problème. Mais c’est notre problème.

Ça valait le coup de tout lui dire. En échange elle me confirme qu’ils ont une unité Invisible. Je lui fait un signe d’approbation. Je peux retourner à ma petite vie.

*

Je tousse. Swan me fait fumer des trucs bizarres. Elle rit de me voir lutter pour ma survie. Puis elle prend un air sombre :

  • Meg, tu veux que je sois plus fille ou plus garçon ?
  • Non, je te trouve parfaite comme ça, ou parfait ? Après, si tu veux basculer, bascule, laisse-toi aller, soit toi-même. Et, la prochaine fois que tu… vois… Izzy, j’aimerais être là.

Alors je l’accompagne dans la grande maison sur les hauteurs. Je me suis faite toute belle et j’ai pris quelques substances. Swan aussi. Quand elle nous ouvre sa porte je le tiens par la main. Elle regarde notre union, puis elle me regarde et me tend la main, on entre, elle a juste une nuisette légère qui laisse voir ses formes. On allonge Swan et on commence à le stimuler, avec nos bouches qui se frôlent et se goûtent. On se dépêche de le satisfaire pour ensuite se consacrer d’une à l’autre, jusqu’au brisim d’une intensité folle. J’en bave dans son cou. Je pense que je suis morte une ou deux fois tellement le plaisir était fort.

  • Izzy, tu fais ça avec toutes les nouvelles arrivantes ?
  • Seulement avec celle qui me volent mon jouet.
  • Emprunté.
  • Partagé.
  • Il est où d’ailleurs ?
  • Il est parti. On est toutes seules.

Et elle m’embrasse tendrement. Je sens ses mains aller et venir autour de moi. Je la retourne pour aller baver entre ses fesses et je mets en place mon brisim pour la soumettre, à plat ventre, les bras en croix et elle crie de douleur ou de plaisir, qui sait ? Ce qui est sûr, c’est que son jouet n’est pas autorisé à lui faire ce genre de chose. Elle découvre et elle aime ça, moi aussi, easy Izzy. Elle pleure, j’arrête et je lui fais de gros câlins pour la consoler. Il fait nuit puis il fait jour. Au petit-déjeuner son regard est moins sûr, perdu, différent. Elle me tient la main et la tire pour avoir son bisou à chaque minute, comme une respiration d’amour.

  • Megan, ce soir, c’est le week-end. Et aujourd’hui c’est aussi le 14 février. C’est la Saint Valentin, c’est la fête des amoureux. J’aimerais qu’on passe le week-end ensemble, pour voir.
  • Mais Izzy, tu es directrice et je suis élève, c’est sûrement interdit quelque part. Comme ton histoire de Saint Valentin, ça remonte au moins à la B2 sur la Terre de nos ancêtres.
  • Tu as raison, tu es virée. De mon école, pas de mon lit.
  • En fait, je suis inscrite seulement à la Bibliothèque pour l’instant. Et il n’y a pas d’atelier d’écriture ni de section littéraire.
  • Il y en avait avant mais ici aussi on a été touchés par les grandes démissions.

Je me colle à elle et je lui murmure :

  • Alors je reviendrai un jour pour faire revivre tout ça. Mais en attendant, je ne suis que de passage, alors profitons-en tout le temps que tu veux. Mais au fait, notre Hardie Swan, on va en faire quoi ?
  • Ne t’inquiète pas, Hardie papillonne ici et là, Swan est très demandé. Comme toi iel n’est pas élève. Et à partir de lundi je te nomme bibliothécaire stagiaire, en échange de quelques autres faveurs, sexuelles. Comme ça, tu as le temps de t’installer, pour écrire ta B5 ici dans un siècle ou deux.
  • D’accord, et en échange je m’engage à te faire jouir tous les jours.

Et elle rit, et elle crie, sous mes chatouilles, pour commencer. Et elle gémit, sous mes caresses, j’embrasse et j’écoute son ventre avec mes mains au travail en haut et en bas, je me sens si bien à lui faire du bien, c’est ici que je veux être pour toujours.

Et quand elle se réveille je lui parle tout doucement :

  • Tu es fascinante Izzy, tu me fascines, sans artifices, sans potion, sans magie, juste avec ton corps, si chaud, si doux, tu es mon culte.
  • Megan, ça fait longtemps que je t’attendais. Ça valait le coup d’attendre. Qu’est ce qui nous arrive ?

*

C’est comme si on ne faisait qu’une. On a du mal à se séparer pour redevenir seulement nous.

  • Izzy, c’est étrange, j’ai cette sensation qu’on est ensemble, pour toujours.
  • Et moi j’ai du mal à concevoir avec intérêt toute la vie que j’ai eu avant sans toi.
  • Tu crois que ça va durer ?
  • Je n’ai jamais cru en grand-chose mais là je crois, je sens, qu’on est ensemble pour au moins l’éternité.
  • Tu as l’air inquiète.
  • À chaque fois qu’il se passe quelque chose d’important dans ma vie, ma fille débarque avec son R-1. Ils sont complètement allumés, de religion et d’Invisible.

On sonne. Ils sont déjà là. Izzy me prend la main et on va ouvrir la porte. Lui, il a l’air ailleurs. Elle, on dirait le diable. Son regard noir me transperce. Et puis elle se détend en penchant sa tête sur le côté, comme si elle était surprise :

  • Bonjour maman, bonjour vous, vous êtes jolie, vraiment très belle, je m’appelle Sabine, voici mon R-1.
  • Salut, merci, enchantée, Megan.

Et je m’approche d’elle, elle a un mouvement de recul mais je lui fais quand même la bise avec le sourire et un regard doux dans ses yeux étonnés.

Izzy reste sous le choc. Finalement tout le monde se fait la bise et on rentre. Sabine me regarde, médusée. Puis elle se reprend et s’agrippe à son R-1.

Pendant le repas elle n’arrive pas à détacher son regard de moi. Izzy le remarque. On les laisse pour aller chercher l’entrée en cuisine et elle commente :

  • Je ne l’ai jamais vu comme ça, je crois que tu l’impressionnes.
  • C’est rien, ça doit juste être mon impressionnant avenir, avec toi.
  • Il y a autre chose. Tu n’as pas peur d’elle. C’est elle qui a l’air intimidée.
  • Izzy, je crois que je lui plais. Elle en est surprise elle-même, elle n’est pas de ce bord là.

En voyant la tête offusquée de Izzy, je ne peux m’empêcher de rire et je l’embrasse sous les yeux de sa fille qui en laisse tomber sa fourchette. Izzy repose ses plats et me serre dans ses bras.

  • Megan…
  • Moi aussi.

Et on se reprend, on amène la suite, avec un peu de vin pour se détendre et parler de nos activités officielles. Et puis d’un coup je me sens chez moi, en famille et un sentiment de bonheur m’envahit. Je prends la main de Izzy sous la table et on se regarde amoureusement. Je lui fais un bisou et je prends un plateau pour commencer à débarrasser. Sabine en profite pour m’aider et me suivre en cuisine. Je sens son regard, elle admire mes courbes. Je pose le plateau plus loin en cuisine pour ne plus être en visuel de la salle à manger, je la sens derrière moi, je me retourne pour l’affronter et elle commence :

  • -Tu sais que je sais, que je vois plein de choses. Merci Megan, pour tout. Maman a bien de la chance, enfin. Tu es une belle personne Megan, dans tous les sens du terme.
  • Merci Sabine. Toi aussi tu es belle, tu as ce charme de tes mères, tu devrais le mettre en valeur.

Je la prends par la main et je m’amène dans la salle de bain pour lui nettoyer le visage et lui mettre mon maquillage. Ensuite je l’amène dans la chambre et je lui enlève ses fringues pour lui en mettre des miennes. C’est beaucoup mieux. Reste la coiffure, je l’ébouriffe, je lui donne du volume, je peigne un peu, c’est parfait.

  • Tu es toute belle aussi, Sabine. On est belles et on nous aime.

On revient en cuisine et R-1 se lève, surpris.

  • -Alors R-1, elle te plaît ta jolie poupée comme ça ?

Izzy n’en revient pas. De moi, de sa jolie fille et du reste. Mais ils ont l’air pressés. Ils veulent repartir. On les regarde s’éloigner et Izzy demande :

  • Qu’est ce qui leur prend ?
  • Ils vont faire l’amour tout l’après-midi et toute la nuit. Nous aussi, non ?
  • Qu’est ce qui se passe ? Qui es-tu ?
  • Je suis Megan Honest de Laguna Beach. Ma grand-mère est une terrienne, Deborah, Elle vit avec Natacha, la mère de Gabriel qu’elle a eu avec Patrice. Mais Deborah, c’est aussi la nièce de Hélène, la mère de Valentin. Joyeuse Saint-Valentin.

Et je l’embrasse, encore et encore. Elle me caresse le visage :

  • Tu n’es pas que ça, n’est-ce pas ?
  • Non, je suis aussi le Salut de ton cœur et tu es le Salut du mien. Tu es mon âme-cœur. Et on va vivre heureuses pendant des siècles et des siècles. En attendant, je te veux et je veux le fruit de notre amour. On va faire un bébé ou deux et remplir ta belle maison. Parce que je t’aime, Izzy.

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