1 - 4 - Tes affaires sont mes affaires

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  • Tes affaires sont mes affaires
  • C’est complètement dément. Je ne peux pas accepter une offre pareille.
  • … Penses à l’argent que tu pourrais te faire, Patmé.

Il y pensait. En vérité, Patmé préférait largement l’or aux choses qu’il pouvait acheter avec; C’était son obsession, et il avait toujours eu un flair particulier pour le métal jaune. Mais l’idée était trop ambitieuse, même pour lui.

  • Bon, bon, bon. je te laisse réfléchir. Reviens me voir quand tu auras pris ta décision…

Sur ces mots, Octaf reprit une gorgée de sa potion écoeurante. Il ne buvait que cela, à longueur de journée: Son haleine empestait de l’odeur immonde de cette concoction infernale, qui n’était pas de l’alcool mais qui semblait bien pire que cela.

  • Mais j’ai déjà pris ma décision, Octaf. Comment veux-tu qu’on attaque Séclielle? Mes marins et moi sommes marchands…
  • Et pirates à mi-temps, glissa le vieillard.

Le jeune homme hésita. La proposition était si ridicule qu’il aurait instantanément pris celui qui la faisait pour un fou, si la personne qui la faisait n’était pas cet homme. Il faut dire que, du fond du cœur, Patmé aimait Octaf. C’était un vieillard rusé mais bon, sournois mais sage, un ami. C’était un homme serein et sûr des choses, un homme qui avait, sûrement très longtemps auparavant, accepté l’univers et tout ce qu’il contenait.

De son vieil âge, il ne faisait pas un drame, et avait l’air de le vivre comme une métamorphose logique, comme une transformation sans impureté. D’une déconvenue il faisait une leçon, d’un conflit un échange; Oui, c’était un modèle pour Patmé, et pourtant Patmé ne lui ressemblait pas. En effet, il était clair qu’Octaf avait appris l’indifférence à toute chose, acquis sa sérénité au prix de longs efforts de l’âme; Chez Patmé, l’insouciance n’était qu’un rugissement venu du fond de sa nature, un angle si inhérent de son caractère qu’il n’avait jamais eu besoin de travailler à le ciseler. Leur différence était grande, mais leur complicité aussi.

  • Quand bien même… Tu sais ce qu’on dit sur les maestros…
  • Allons, tu sais bien qu’il ne s’agit que de légendes, assura le vieil Octaf, ses yeux gris se plissant dans une expression de sérénité absolue. En plus, on ne te demande pas de te battre contre qui que ce soit. Tout ce qui compte, c’est que tu fasses débarquer notre… “amie” dans la ville. Ensuite, nous débarquons tous au sud de la ville, dans les quais cachés de Séclielle; Là, je récupère ce dont j’ai besoin, pendant que toi et ton équipage, vous repartez aussi vite que vous êtes venus.
  • …Tu as toujours des idées... totalement folles.

Ils se sourirent. Patmé n’avait pas connu son père; C’était cet homme à la peau blanche, si versé dans l’art de la tromperie, qui lui avait servi de mentor, pendant les derniers Vertiges. Il le connaissait comme un marin de valeur, avant tout. Aux yeux de Patmé, la couleur de la peau importait moins que la capacité à braver la mer. C’était un garçon simple, qui ne divisait les hommes qu’en deux catégories d’êtres humains; Ceux qui affrontaient l’océan, et les lâches.

  • Je mentirais si je te disais que c’est mon idée, mentit Octaf. Elle nous vient justement de cette… “amie”.
  • Bon… On remonte le Vertige jusqu’à la péninsule Kymérienne. Ensuite, on arrive jusqu’au port de Séclielle… Et après? Tu crois vraiment qu’on pourra accoster à la cité de l’aube sans se faire contrôler?
  • Bien sûr que oui! Il n’y a aucun contrôle, là bas. Tu sais bien que ce sont des sauvages...
  • Menteur, sourit Patmé. J’y suis déjà allé, et ils ont refusé de nous laisser approcher du port. Il n’y a que les rerouges, qui soient autorisés à entrer à approcher Séclielle.

Octaf jura, et Patmé éclata de rire. Il prit une nouvelle gorgée de bière, et cria pour qu’on lui en amène une autre. Il toussa violemment: Le vieillard était revenu de son voyage avec une immense blessure au torse, et l’air d’avoir pris 10 vertiges d’un coup. Patmé ne s’inquiéta toutefois pas une seule seconde pour son mentor:

  • Tu dis que ton peuple est sauvage, Octaf. Mais j’ai vu Séclielle. Ce palais de verre bleu qu’ils appellent le “Kymérion”... C’est tout simplement… Marifique.
  • Magnifique, corrigea Octaf. Tu parles toujours aussi mal l’impérial, à croire que je ne t’ai rien appris. Et aussi joli que puisse être le Kymérion, c’est un bâtiment démodé. Notre ère est celle de l'acier... Si un jour, tu vas dans le grand sud, tu comprendras ce que je veux dire.
  • Et comment je sais, si ce que tu dis sur le sud est vrai, vieux singe?

Octaf leva les yeux au ciel.

  • Ne change pas de sujet. Accepte, Patmé. Pour ce qui est d’entrer au port, j’ai un contact de confiance, à la capitale. Tu te rappelles de Berio le borgne?
  • … Très bien, oui. Tu parles de l’ivrogne qui a perdu son navire au jeu, c’est ça?
  • Exactement. Il travaille à l’arsenal de Séclielle, depuis quelques temps. C’est lui qui t'aidera à entrer dans la ville. T’auras pas besoin d’y rester, Patmé; Tu nous déposes comme deux caisses de marchandises, et tu repars aussitôt.
  • Et pourquoi tu ne le fais pas tout seul, d’abord?
  • Tu veux bien de ce travail, oui, ou non?

Patmé se gratta la tête quelques secondes. Octaf mentait souvent, mais la plupart du temps, le jeune homme avait réussi à gagner beaucoup d’argent, en suivant ses conseils. Beaucoup d'ennuis aussi: Mais Patmé avait infiniment confiance en sa capacité à leur échapper.

  • Berio le borgne, hein… répéta-t-il, songeur. Et tu es sûr qu’il est fiable, Berio le borgne…?
  • Certain.

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