4 - I, Sc III

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L’île d’or, cité-Etat de Mendros, à l’est de la mer d’or

Octaf fit irruption dans les cachots pendant l’après-midi. Il dut graisser la pâte de l’un des gardes, pour obtenir l’autorisation de parler à Aeqa: On avait placé le meurtrier en isolement, et “ils” viendraient le récupérer plus tard.

Durant la nuit ou l’équipage était arrivé, quelques jours plus tôt, le forgeron avait provoqué une véritable émeute au coeur de l’île: Il souhaitais à tout prix faire demi-tour, retourner à Ma’ek pour retrouver sa femme et sa fille. Pour Aeqa, elles ne pouvaient pas être mortes, c’était impossible. Avant l’éruption, il s’était évanoui: C’est pourquoi l’idée que l’île ait pu être entièrement ravagée par une seule femme lui paraissait inconcevable.

Il savait qu’Octaf et son équipage avaient l’habitude de mentir, et il était certain qu’ils ne lui avaient pas dit la vérité, cette fois encore… ça devait être un de leurs tours, à ces satanés pirates... Il avait donc tenté d’approcher d’autres équipages, en vain: C’était la première fois qu’il quittait Ma’ek. Il ne savait pas qu’en dehors de son île, les mataris n’étaient pas considérés comme des êtres humains à part entière. Il n’ignorait pourtant pas que c’était les Purges qui avaient exilés son peuple dans un endroit aussi reculé que Ma’ek; Il ignorait seulement à quel point les Purges n’avaient pas suffi à assouvir la soif de victime des autres peuples du monde connu. S’il avait été un peu plus informé, il n’aurait pas fait sa demande au fils du gouverneur de l’île; Celui-ci, profondément anti-matari, n’aurait pas décidé de l’humilier pour faire rire ses troupes, et Aeqa ne se serait pas mis en colère - il n’y aurait jamais eu de duel et le fils du gouverneur serait encore vivant: Mais avec des si, on refait le monde, et Aeqa pourrissait au fond de la plus miteuse des cellules de l’île d’or.

Il était nu, et les grandes tâches blanches qui recouvraient son corps était criblé de plaies profondes, traces des supplices infligées par la garde lorsque l’ennui les envoyait trop près des prisonniers. Le forgeron ne remarqua pas tout de suite l’arrivée d’Octaf: Il était face au mur, recroquevillé dans un coin de sa cellule sans paillasse, et ne respirait qu’avec beaucoup de difficulté.

Octaf s’accroupit pour parler à sa hauteur:

  • … Mon pauvre. Ils t’ont bien abimé...

Aeqa ne se retourna pas, ni ne fit aucun geste indiquant qu’il avait capté la présence du vieillard. Octaf continua:

  • … Mais ne t’inquiète pas. J’ai négocié avec le gouverneur… Son fils ne lui posait que des problèmes. Apparemment, tu as même arrangé ses projets… La famille, ce n’est plus ce que c’était, pas vrai?... Mais il souhaite tout de même que tu sois condamné. Je t’ai évité l’empalement - c’est une tradition locale que les Oriens apprecient beaucoup… heureusement, j’ai reussi à leur faire croire que tu n’étais qu’un de mes esclaves mataris, et par conséquent, j’ai pris la faute sur moi. J’ai du payer une petite indémnité… ça ne va pas te plaire… Mais je suis sûr que tu préfèreras ça à une pique dans l’anus...

Aeqa ne répondait toujours pas, ni ne bougeait. Le vieillard accroupi eut une moue désobligée:

  • … Allons, tu ne me demandes même pas ce que j’ai du payer?...

Voyant qu’il ne recevait aucune réponse, l’ancien maestro se souvint alors de la raison pour laquelle il avait choisi Patmé plutot qu’Aeqa, bien des vertiges plus tôt, lorsqu’il était arrivé sur Ma’ek, cette île mentionnée par le Correcteur: Là ou Patmé était un esprit curieux, qui s’intéressait à tout et à tout le monde, Aeqa n’était qu’un ogre renfrogné qui n’avait qu’une obsession: Cet art sur le point de disparaitre qu’était la forge, art qu’il ne maîtrisait d’ailleurs même pas. Tant pis pour lui. Octaf abrégea:

  • Je t’ai donné à une compagnie religieuse. Ce sont ces moines, peut être que tu en as déjà entendu parler, toi qui est versé dans l’art de l’épée… Les moines de l’ambre gris, si ça t’évoque quelque chose… Ils viendront te chercher demain matin. Je suis sûr que tu t’intégreras très bien dans leurs effectifs…
  • Tu dois me ramener sur Ma’ek.

C’était la première phrase qu’Aeqa avait prononcé, et elle montrait la stupidité de son obstination. Il n’avait même pas pris la tête de se retourner.

  • … Ce n’est plus une option, ça. Je viens de te dire que tu appartenais maintenant…
  • Il s’agit de ma famille!

En criant cela, Aeqa s’était retourné, et Octaf fut horrifié: Le forgeron avait toujours été laid. Mais son passage en cellule fit de lui un être véritablement difforme: On lui avait tranché le nez. Ses joues étaient couvertes de blessures, et l’un de ses yeux avait été crevé. De telles blessures allaient forcèment s’infecter, et il semblait qu’elles étaient encore fraiches: la situation n’était soudain plus du tout la même. Octaf espera (faiblement, mais il espera) que les moines de l’ambre gris avait des connaissances en médecine.

  • Ta famille est morte, répliqua néanmoins le désigné, sur un ton dénué de compassion. Il va falloir que ça rentre dans ta tête, au bout d’un moment…
  • Patmé… Ou est mon frère? Ou est mon grand frère? Pourquoi c’est toi, qui viens me voir…
  • Ton grand frère… Je l’ai chargé de préparer le navire. Nous partons ce soir, avec la montée du Vertige...
  • Tss… J’ai toujours su qu’il n’en avait rien à faire, de moi…

Octaf eut du mal à contredire le forgeron. Certes, Patmé avait participé à trouver une solution au problème avec le gouverneur, mais tout semblait lui glisser dessus… Il avait l’air si… indifférent. Sans doute ressemblait-il à son mentor. La discussion devenait lassante: Octaf avait dit l’essentiel. Tant pis si Aeqa ne comprenait pas ce qui se passait… Octaf se releva, et quitta la caserne sans prêter attention au matari qui hurlait:

“Reviens! C’est toi qui m’as emmené ici! Tout est de ta faute! Je veux retourner chez moi!”

Notes du Premier Registre

Le Registre admet que la Chimère a trois manières très différentes de désigner les hommes. Trois malédictions qu’elle décerne sans rien expliquer.

La plus étrange d’entre toutes, c’est la morsure. Très rare, elle ne l’est pas autant que la piqûre. On dit que ceux qui sont mordu deviennent totalement dément; Le degré de folie dans laquelle la marque les plongent varie selon le pouvoir qui leur est alloué. On appelle cette dernière catégorie de désigné les “exilés”; En effet, l’ancien rite helgalien les incite à prendre la Route de l’exil, jusqu’aux Monts du Nord, ou ils terminent leur vie - ou domptent le démon qui les habitent, et reviennent régner en demi dieux reconnus.

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