Un tournant dans ma vie
À 15 ans, j’ai quitté le soleil du Sud de la France pour la grisaille de la banlieue parisienne.
Quitter ma ville natale a été un déchirement. Quitter mes amis, ma famille, la mer… une douleur encore plus vive.
À 16 ans et demi, j’ai pris une décision radicale : j’ai arrêté l’école.
Le lycée où j’étais ne m’accueillait pas et je n’y avais presque pas d’amis. J’étais profondément déprimée, enfermée dans un monde qui ne me ressemblait pas.
C’est alors que j’ai rencontré Mélissa*, en ligne. Comme moi, elle avait quitté le lycée.
Elle parlait d'une formation en lithothérapie qu'elle avait trouvée, et j’ai décidé de l'imiter en cherchant des cours en décoration intérieure ou en photographie. Des formations payantes, non reconnues, mais qui semblaient être une échappatoire.
Plus tard, Mélissa m’a présenté Capucine*, une jeune fille qui avait elle aussi quitté le lycée avant le bac. Contrairement à ce que j’aurais pu imaginer, Capucine était incroyablement cultivée, curieuse et passionnée. Elle disait qu’elle n’avait jamais autant aimé apprendre que depuis qu’elle avait quitté le système scolaire. Pourtant, elle restait consciente des limites de notre condition sans diplôme.
À 20 ans, elle a choisi de passer son bac en candidat libre.
Puis un jour, elle nous a écrit un mail. Je ne me souviens plus exactement de ses mots, mais il m’a convaincue de tenter moi aussi le bac en candidat libre. Mélissa également. Capucine s’est alors mise à nous préparer un programme complet : fiches, listes, textes annotés, analyses linéaires, explications détaillées pour les épreuves, liens vers des vidéos pédagogiques et ludiques… Je n’ose même pas imaginer le temps qu’elle avait passé à concevoir tout cela juste pour nous.
En 2023, Mélissa et moi avons passé le bac de français. Nous l’avons obtenu toutes les deux. L’année suivante, Mélissa a abandonné avant de passer les épreuves de Terminale. Moi, j’ai persévéré. Je n’ai pas réussi du premier coup, mais j’ai recommencé, et j’ai fini par décrocher ce précieux diplôme.
Aujourd’hui, j’ai l’opportunité de suivre des études qui me passionnent et qui me permettront d’accéder à un métier que j’aime vraiment.
Mais ce chemin, je le regarde aussi avec la conscience aiguë de ma famille et de notre condition sociale. Nos inégalités se transmettent souvent de génération en génération : le manque de ressources, le manque de culture, l’accès limité à l’éducation… tout cela forge un destin bien plus difficile pour les enfants qui naissent dans ces milieux.
Ma mère travaille dur, sans reconnaissance, et j’ai vu combien il est facile pour le système d’écraser ceux qui sont déjà fragilisés. Obtenir mon bac et poursuivre mes études n’est pas seulement une victoire personnelle : c’est une manière de briser cette chaîne d’inégalités, de créer pour moi et pour mes futurs enfants des opportunités que notre famille n’a jamais eues. Grâce à ce chemin, je peux espérer transmettre autre chose que la précarité ou le manque d’éducation : la possibilité de choisir sa vie, de la construire avec des outils que nous n’avions pas.
Je ne sais pas ce que devient Capucine, mais je lui serai toujours reconnaissante pour sa générosité et le soutien qu’elle m’a apporté. Dieu sait où j’en serais aujourd’hui si elle ne m’avait jamais envoyé ce mail.
*Les noms ont été changés pour respecter l’anonymat des personnes citées.
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