Chapitre Deux

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Toujours cette odeur de fleur et de mousse, de terre mouillée. Au lieu d'être suspendue la tête en bas, j'étais allongée sur une surface douce et moelleuse. Je ne pouvais toujours pas bouger le bras gauche, qui était replié contre ma poitrine et enveloppé dans quelque chose de serré. Je ne me sentais plus nauséeuse, mais si faible que je ne parvenais même pas à bouger.

Un léger bourdonnement m'interpella, me rappelant mon appartement au centre-ville, quand j'ouvrais ma fenêtre pour écouter le bruit des passants en bas de l'immeuble. Cependant, l'air ne sentait pas la fleur, chez moi. Même pas en ouvrant la fenêtre. Surtout pas en ouvrant la fenêtre.

Mon regard rencontra une grande étendue lisse et brune, comme du chocolat, parsemé de petites cercles concentriques. Je ne reconnaissais pas ce plafond. Il y eut une légère brise sur mon visage, amplifiant l'odeur de fleurs. Ma tête me semblait si lourde que je me demandais si je serais capable de me lever. Avant d'essayer, je fis glisser mon regard le long du plafond, vers une ouverture sur le côté qui laissait passer la lumière. Une belle lumière, naturelle, colorée et chaude. Une silhouette était assise dans l'ouverture, de profil. Il se tourna vers moi, s'écartant de l'ouverture pour s'avancer et se pencher. Les ombres s'estompèrent et son visage m'apparut clairement. Ses cheveux bruns retombaient sur son front. Il posa son regard sur moi, descendant sur mon bras, avant de remonter à nouveau vers mon visage. Il avait des yeux d'un vert parsemé de brun sur le contour. Je vis ses lèvres bouger, mais je ne compris pas un mot de ce qu'il disait. Déjà, je me rendormais.

Lorsque je repris connaissance, une semi-obscurité régnait dans la pièce où je me trouvais. Je me sentais moins faible, mais mon bras me démangeait terriblement. J'avais un goût dans la bouche qui me dérangeait. Le bourdonnement avait cessé, remplacé par un crissement délicat et étouffé. L'ouverture qui laissait passer la lumière avait été dissimulée par un voile de tissu léger. Incapable de rester allongée plus longtemps, je tentais de me redresser, malgré mon bras gauche qui refusait toujours de m'obéir correctement.

« Ah, ne bouge pas ! » fit une voix féminine, et je me figeais. Une crinière de boucles rousses apparut dans mon champ de vision, et un sourire, sur un visage couvert de taches de rousseur. « Comment tu te sens ? »

Je ne savais pas trop quoi répondre à cette question. Je ne reconnaissais pas cet endroit, qui n'avait vraiment rien à voir avec les centres médicaux que je connaissais. Déjà, parce que tout était en bois, un matériau devenu rare et qui n'était plus du tout utilisé. Ensuite, parce que si j'avais atterri dans un centre médical, j'aurais normalement dû être entouré par des infirmières en blouse blanche. Et la fille qui se tenait agenouillée face à moi n'avait rien à voir avec une infirmière. Elle ne portait pas de blanc, mais une tunique verte faite à la main. A la main ! Même dans les villes-dômes les plus pauvres, nous ne fabriquions plus nos vêtements.

Le vert de sa tenue faisait encore plus ressortir le roux flamboyant de ses cheveux. Cela me rappelait l'automne de l'an dernier ; Lorsque notre ville-dôme s'était parée des couleurs typiques de cette saison, tous les habitants s'étaient teins les cheveux dans diverses teintes de rouge et orange.

« Je vais bien. »

Et cette réponse sonnait presque comme une interrogation, alors que je prenais le temps de réfléchir sur mon état. J'avais le bras enveloppé dans un épais bandage, et une odeur très forte s'en dégageait. Je revoyais encore l'os blanc et brillant, les chairs déchirées, la flaque de sang. Et pourtant, je n'avais pas mal, je pouvais bouger. Mon premier geste fût de tâter mon front, qui se retrouvait couvert d'une substance grasse, qui collait aux doigts.

« N'y touche pas. Dans quelques heures, ça aura fini de cicatriser.

- Où est-ce que je suis ? »

A mesure que je reprenais pied avec la réalité, la panique commençait à me gagner. Je n'étais pas dans un centre médical. Ce n'était pas une infirmière qui se tenait face à moi. Et tout ce bois, ce n'était pas naturel. L'odeur entêtante qui se dégageait de mon pansement me piquait le nez.

Je voulais rentrer chez moi.

A l'instant où cette furieuse envie fit enfler la panique en moi, un homme entra dans la pièce. Sa peau était cuivrée, il portait le même genre de tunique grossière que la rousse. Il tenait dans la main un bol fumant, qu'il posa à côté du lit.

« Une petite crise de panique ? » diagnostiqua-t-il en me souriant d'un air doux. « C'est normal, tu as fait une sacré chute. » ajouta-t-il en dépliant un petit carré de tissu vert.

Il prit une petite pincée d'une poudre rouge et me la souffla au visage. Prise de court, j'aspirais malgré moi. Je n'eus pas le temps de m'insurger, que la panique reflua presque aussitôt. Je pouvais sentir mon cœur ralentir, puis reprendre un rythme normal.

« Qu'est ce que c'est ? » Je désignais la poudre du regard. « Où est ce qu'on est ? Qu'est ce qui m'est arrivé ? Et vous êtes qui, vous ? » J'avais conscience d'être agressive, et pourtant je ne parvenais même pas à élever la voix. Néanmoins, la rouquine me regardait avec de grands yeux, et le sourire de l'homme s'effaça brièvement, avant de réapparaître.

- Ce n'est qu'un calmant à base de plantes, séchées et réduites en poudre. C'est tout à fait inoffensif. » me rassura-t-il.

Alors que la jeune fille se penchait vers moi pour vérifier mon pouls, il resta à distance, en affichant un air concentré et impliqué à mesure qu'elle lui énumérait mes fonctions vitales. Alors qu'elle vérifiait la souplesse de mes muscles, je lui demandais s'il était médecin.

« Médecin ? » Il prit le temps de réfléchir. « Oui, je crois que c'est le terme qui convient. »

Un médecin qui hésite n'était pas quelque chose de rassurant, mais le calmant qu'il m'avait administré faisait bien son travail, et même si je n'aimais pas du tout l'idée d'avoir un pseudo médecin pour s'occuper de moi, je restais silencieuse.

« Tu es dans la chambre de mon frère. On t'a amené ici quand on t'a trouvée. » m'expliqua la rouquine.

- Où ? Où est-ce que vous m'avez trouvé ?

- A quelques kilomètres du village, dans une clairière. »

J'avais ma salive avec difficulté. J'avais soif. J'aurais dû paniquer, j'aurais dû pleurer. Au lieu de ça, rien ne venait, mes yeux demeuraient secs, et je restais calme.

« Est-ce qu'il y avait d'autres personnes ? »

L'homme au sourire secoua la tête.

« Tu étais toute seule. »

Je savais qu'il ne me disait pas toute la vérité. Je n'étais pas seule, mais de toute évidence, j'étais la seule survivante.

Je savais ce qui avait dû se passer. Comme tous les ans à la même époque, j'avais pris un billet aller-retour pour rendre visite à mes parents dans la ville-dôme où ils vivaient. Je devais passer une semaine chez eux, comme le spécifiait mon autorisation délivrée par le conseil de nos deux villes-dômes. Le ballon-transport qui devait m'y conduire avait, selon toute vraisemblance, eu un accident. Un grave accident. Ce qui n'avait rien d'exceptionnel, et cela même si les ballons-transport fonctionnaient à l'énergie solaire et étaient assez lents. Je savais qu'avant, les gens voyageaient en avion, en train ou en bateau, mais les avions consommaient un carburant qui n'existait plus, les trains étaient trop dangereux puisqu'ils traversaient de vastes étendues désertiques inhabitables, et les bateaux ne fonctionnaient pas, s'ils n'avaient pas d'eau sur laquelle flotter. Les ballons-transport à énergie solaire, plus écologiques, étaient vite devenus les seuls moyens de transports, à moins d'avoir les moyens de s'offrir un billet pour une navette souterraine. Je n'aurais normalement pas dû voyager de cette façon, les ballons-transport étant d'une lenteur parfois insupportable, en plus d'offrir à leurs voyageurs une vue parfois indésirable sur ce qui restait de notre planète. Mais je n'avais pas pu avoir de place dans une navette souterraine.

Avoir un accident, ce n'étaient pas si grave. En s'écrasant, le ballon-transport avait normalement dû envoyer un message d'alerte au port de départ, je n'avais plus qu'à attendre que les secours viennent me récupérer.

Je m'inquiétais quand même de l'endroit où j'avais pu atterrir. Les villes-dômes étaient cernées de toutes parts par de vastes étendues redevenues sauvages, ravagées et dangereuses. Mes leçons remontaient à loin, mais je me souvenais du grand désert, sur le continent noir, et des marais, plus au Sud du pays où je vivais. On racontait que les terres s'y enfonçaient chaque années davantage et qu'un jour, une eau boueuse, toxique et impropre à la consommation aurait entièrement recouvert cette partie du pays.

J'avais beau fouiller dans ma mémoire, à aucun moment il n'était question de lieux où les arbres avaient survécus. Le bois était devenu une matière extrêmement rare. Quel pays en possédait encore de telles quantités ? Les forêts avaient été entièrement rasées, et ne restaient que quelques spécimens sous verre, bien à l'abri dans les Antres de Sauvegarde. La terre n'étant désormais plus propre pour les planter et espérer les faire pousser, une fois qu'ils avaient disparus, il n'y avait plus eu du tout d'arbres sur Terre. C'est du moins ce que j'avais toujours pensé. Comment un tel endroit avait pu être préservé aussi longtemps ?

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