Chapitre Dix-Sept

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Je savais que j'avais transgressé une des règles du village, en pénétrant dans la ville-dôme. J'avais beau trouver leurs lois idiotes, ces gens m'avaient sauvé la vie. Ils m'avaient soignée, m'avaient donné une chambre et ils me nourrissaient. Ils m'avaient accueillie. Je savais que je devais me plier à leurs lois, tant que je serais ici. Et pourtant, en quelques jours seulement, j'étais parvenue à briser deux règles.

Orlan était agenouillé contre le mur, près de l'homme au sourire, et l'air sérieux que ce dernier arborait m'inquiéta davantage que la mine renfrognée d'Orlan. Ornélia était là également, agenouillée à mes côtés.

Et en face de moi, la chef du village. Il me semblait l'avoir déjà vu lors des repas, mais elle se mêlait alors sans difficultés aux autres. Ce ne fut qu'en la voyant, assise sur l'estrade, dans une robe verte stricte, que je constatais à quel point les villageois lui étaient dévoués. La tête basse et la mine sérieuse, ils attendaient tous qu'elle parle et je sentais qu'ils se plieraient à la moindre de ses volontés.

« Diana. Nous nous rencontrons enfin. »

La chef du village me transperça du regard et malgré son sourire, je devinais qu'il ne fallait pas la mettre en colère. Elle devait avoir l'âge de ma propre mère, mais sans les bénéfices des crèmes dont elle se tartinait le visage. Ses rides lui donnaient l'apparence d'une dame sévère. Ou peut-être était-ce sa robe, qui recouvrait chaque parcelle de son corps. J'ignorais comment elle pouvait supporter tout ce tissu avec la moiteur de la forêt.

« Je vois que tu es parfaitement remise de tes blessures, constata-t-elle avec un hochement de tête approbateur.

- Et je vous suis infiniment reconnaissante, vous et les vôtres, pour ce que vous avez fait pour moi. »

Ornélia me jeta un rapide coup d'œil. Elle devait être surprise du ton que j'employais. Jusqu'à présent, je m'étais comportée comme je l'aurais fait avec des amis. Mais j'avais une bonne maîtrise des convenances. J'évoluais dans une sphère sociale assez élevée. J'avais de bonnes manières, et je sus d'instinct que cette femme ne souffrirait pas le moindre écart de conduite.

« On m'a raconté la façon dont tu as atterri chez nous. Je suis désolée que tu aies traversé une telle épreuve. »

Son visage restait sévère, mais ses yeux s'étaient adoucis.

« Avez-vous retrouvé d'autres passagers, à part moi ? » Je posais la question sans réelle conviction.

Elle secoua la tête d'un air navré.

« Tu as vécu une tragédie, mais tu as survécu. A présent, j'aimerais que nous parlions de ton intégration, si tu le souhaites, au village. D'après ce qu'on me dit (elle désigna l'homme au sourire et Orlan) tu as déjà été installée, ce n'est donc plus un problème. Et Ornélia m'a déjà prévenue qu'elle t'avait fait visiter le village. »

Ornélia gardait les yeux obstinément baissés. Je hochais la tête. Je ne voyais pas du tout où elle voulait en venir.

« A présent, il te faut choisir d'être pleinement intégrée au village, ou non. Pour cela...

- Attendez. »

Je levais la main, indifférente à son haussement de sourcils et à son regard glacial. Elle ne devait pas avoir l'habitude qu'on lui coupe la parole.

« Je vous demande pardon, mais je n'ai pas besoin d'être intégrée au village. Les secours viendront me chercher et je pourrais partir. Inutile de faire de moi l'une des vôtres, assurais-je.

- Dois-je comprendre que tu t'estimes trop bien pour intégrer notre communauté ? »

D'accord. Là, les choses se compliquaient. De toute évidence, elle était vexée. Je m'efforçais d'adopter un ton poli et conciliant.

« Pas du tout. Mais... je ne suis ici que parce que mon dirigeable s'est écrasé. Et cet accident n'a pas dû passer inaperçu. Les opérations de recherche doivent être en pleine action en ce moment même. Quand les secours m'auront retrouvée, je ne vous ennuierai plus. »

La chef du village arbora alors un air compatissant, bien différent du regard glacial dont elle m'avait gratifié un instant plus tôt.

« Mais ma chère, tu ne nous ennuies pas du tout. C'est un plaisir pour nous d'avoir de nouveaux visages. Tu es si mignonne. »

Hein ? Il y avait deux secondes elle était vexée que je ne veuille pas intégrer sa stupide communauté, et voilà qu'elle me disait que j'étais mignonne ? Je suspectais un léger dédoublement de personnalité.

« Seulement, nous avons des lois, poursuivit-elle gentiment. Nous t'avons laissé du temps pour te remettre complètement de tes blessures, et afin que tu puisses apprécier la beauté de notre village, et la chance que ce serait pour toi de nous rejoindre. A présent, tu fois faire un choix : devenir l'une des nôtres, ou quitter le village.

- Mais puisque je vous dis que ce n'est que l'affaire de quelques jours...

- Choisis ! »

Sa voix claqua dans la pièce, et j'avais du mal à en croire mes oreilles. Je ne pouvais pas attendre au village que les secours arrivent, voilà ce qu'elle m'expliquait. Ou bien je devais devenir un membre à part entière de cette communauté. Je pensais au désert immense qui entourait le village. Je ne survivrais pas une journée dans cette fournaise.

« Si je décide de ne pas rester, que se passera-t-il ?

- Tu seras libre d'aller où bon te semble. Nous te donnerons des vivres, bien entendu, et t'indiquerons le chemin vers le village le plus proche. Peut-être te sentiras-tu plus à ton aise ailleurs. Et tu partiras ce soir. » m'expliqua-t-elle.

Un autre village de cinglés ? Non merci.

« Et si je devais rester ? »

Cette éventualité ramena un sourire sur le visage de la chef. Je sentis une bouffée d'angoisse me tordre le ventre, et en même temps, j'avais envie de la gifler.

« Tu seras la bienvenue. Tu rejoindras la communauté, tu seras comme nous. » Son sourire s'accentua. « Je suis sûre que ta place est ici, parmi nous. »

Je fis mine de peser le pour et le contre. Je ne pouvais pas partir ce soir. En repensant au désert, je sus que je ne pourrais pas le traverser et aller au prochain village. Je mourrais bien avant, tuée par les rayons brûlants de ce soleil que j'aimais tant. Mais je pouvais toujours me réfugier dans la ville-dôme, et attendre qu'on vienne m'y chercher. Je pourrais envoyer un message, en me servant du système de communication d'une des maisons abandonnées. J'avais besoin de matériel pour cela, et je savais où je pourrais trouver ce qu'il me fallait. Il était hors de question d'intégrer ce village de fous, mais si cela pouvait m'éviter de me retrouver à errer dans le désert en pleine nuit, je n'hésiterais pas.

« Je reste. »

La chef du village m'adressa un sourire satisfait.

« Je suis contente de voir que tu sais faire les bons choix Diana. La cérémonie d'intégration aura lieu dans deux jours. »

Deux jours, c'était largement plus qu'il ne m'en fallait pour ficher le camp d'ici.

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