Chapitre Douze

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Diana

Je me fichais éperdument que Serafia soit en colère contre moi. Cette femme m'avait déplu dès le départ, avec ses petits sourires mielleux et son air guindé. Elle ne me faisait pas peur et m'impressionnait encore moins. De plus, j'avais fini par comprendre à quel point je pouvais avoir l'avantage sur elle. Elle avait besoin de moi.

Cette communauté avait des règles très strictes que Serafia semblait imposer sans que j'en comprenne la raison. Il était interdit de se toucher entre personnes de sexe opposé et je ne parvenais toujours pas à saisir comment ils arrivaient à fonder une famille dans ces conditions. On imposait aux étrangers –comme moi, comme l'ami d'Orlan, Samuel- l'intégration au village, sous peine de se voir exclus et forcés de traverser le désert en cas de refus. Par intégration, je comprenais bien de quoi il s'agissait. A terme, j'allais me retrouver avec un mari que je ne voulais pas et des enfants que je ne désirais pas davantage. Rejoindre le village me condamnait à une vie malheureuse.

J'essayais de gagner du temps en posant une condition à mon intégration, mais pas uniquement. Les mêmes questions avaient tournées, en boucle, dans ma tête. La douleur m'avait déchiré les entrailles, le choc avait menacé de me laisser prostrée, en catatonie. J'avais maintenant les idées claires, probablement par déni d'affronter la réalité des évènements. La colère restait ma meilleure alliée. Je m'en enveloppais comme d'une cape qui saurait me protéger de ce que je traversais et m'en servais pour attaquer celle qui puait le mensonge : Serafia.

A ses yeux, je devais n'être qu'une pauvre fille en détresse, perdue dans un monde qui n'est pas le sien, en recherche désespérée d'une nouvelle famille pour l'accueillir. Offrir un endroit pour vivre et un semblant d'équilibre dans le désastre qu'était devenue ma vie, voilà ce qui aurait pu lui permettre d'arriver à ses fins. Elle s'était malheureusement trompée à mon sujet.


Je savais parfaitement ce qu'était un monde fait de règles et d'interdictions. La ville-dôme représentait l'opulence, le confort, la modernité et la sécurité. Y vivre nous garantissait une vie longue et aisée, à condition de suivre les lois que le gouvernement mettait en place. Certaines pouvaient être très dures à supporter.

Je frottais ma nuque, où la mince cicatrice résultant de la pose ma puce était à peine palpable sous mes doigts. Vivre sous le joug d'une autorité omnipotente, sans possibilité de simplement partir, sans réelle liberté de mouvement, était le prix que tout le monde était prêt à payer pour vivre dans une ville-dôme. Peu m'importait que le gouvernement soit au courant de mes moindres déplacements, de ne pas avoir pu choisir mon propre appartement ou d'avoir dû attendre qu'un habitant de ma ville-dôme soit recyclé afin qu'une place se libère dans la population. Nous subissions sans y prêter attention et sans jamais nous plaindre. Notre conscience de la réalité était enfouie sous les plaisirs que notre vie nous offrait. Peut-être que les habitants des quartiers moins bien lotis, peut-être que la population des villes-dômes moins performantes, oui, peut-être qu'eux le vivaient mal. Ils n'avaient pas nos avantages. Rien ne leur faisait oublier la réalité.


Orlan et les siens étaient aussi aveuglés que nous l'étions. J'ignorais ce qui me faisait voir ce qu'ils étaient incapables de percevoir. Les mensonges de Serafia, ses interdictions. Je ne sentais plus que cette boule de colère et de frustration face à ce que je vivais et cette douleur qui menaçait à tout moment de me submerger.


Serafia semblait sur le point d'exploser.


« Quelle est ta condition ?


- La vérité. » souriais-je.

Orlan

Je marchais quelques pas en arrière, volontairement en retrait, comme pour échapper à la tension nettement palpable entre Diana et Serafia. J'avais déjà vue cette dernière contrariée, parfois même à cause de mes propres actes, mais je ne l'avais jamais vue aussi... hors d'elle. Elle ne parvenait même plus à dissimuler la colère que faisait naître en elle Diana.

A présent, je doutais fortement que Diana soit acceptée parmi nous, et ce malgré tous les arguments qu'elle avait trouvé pour obliger Serafia à faire ce qu'elle voulait. Je ne connaissais pas les motivations de Serafia, ce qui la poussait à vouloir que Diana reste parmi nous, ce qui l'avait motivée à supplier Samuel d'intégrer notre communauté. Mais l'effronterie de Diana venait sûrement de lui faire revoir son jugement.

J'avais peur pour Diana. Je doutais sincèrement qu'elle survive au désert et parvienne jusqu'au village de pêcheur. Elle aurait une chance en restant auprès de Samuel dans les ruines, mais jamais elle n'accepterait. Et si par malheur elle choisissait les montagnes... Je secouais la tête.

Serafia nous conduisait à l'extrémité de la forêt, non loin des sources chaudes que nous contournâmes pour nous engager sur un sentier de terre et de mousse. Des insectes lumineux marquaient la voie à suivre, nous nimbant d'une lueur verdâtre. Jamais je n'étais venue dans cette partie de la forêt.

J'avais au fond de moi une sensation désagréable.


Les arbres étaient tout aussi conséquents qu'au cœur du village mais le sommet en était plongé dans l'obscurité. Ici, rien n'avait été aménagé pour que nous puissions y vivre : pas de passerelles dans les branches, pas de pièces taillées à même le bois.


Diana suivait Serafia sans hésiter, le menton levé. Elle ne cessait de me surprendre. Je l'avais trouvée blessée, mourante, recouverte de sang. Elle était si fragile, je n'avais pu la laisser. Je n'avais pas pu quitter son chevet. Puis elle s'était remise et avait été assez insupportable. Trop exigeante, perpétuellement surprise par notre mode de vie, presque... dédaigneuse. Ornélia n'avait pas remarqué le mépris que Diana semblait éprouver à notre égard.

Elle s'était battue pour satisfaire une curiosité que j'avais trouvé dangereuse. Dangereuse, voilà un mot que j'utilisais un peu trop souvent depuis que Diana s'était réveillée. Elle n'avait pas hésité à me sauter au cou. Elle avait foncé tête baissée sous l'orage, vers les ruines. Elle m'avait poussé à briser notre règle la plus importante.

Je remuais les doigts, mal à l'aise à ce souvenir. Je ne comprenais toujours pas comment elle s'y prenait pour me faire faire n'importe quoi. Je l'avais suivie dans les ruines, j'avais de ma propre initiative instauré un contact que je savais dangereux. Dangereux, tout était dangereux chez Diana.

Je l'avais vu fragile à nouveau. Brisée, seule, misérable. Et à nouveau, j'avais cherché ce contact qui m'était interdit depuis ma naissance. Je n'avais jamais consolée Ornélia comme je l'avais fait avec Diana. Je fixais sa nuque.

Elle jeta un coup d'oeil en arrière, me transperçant du regard. Je ne détournais pas les yeux. Elle était dangereuse, et pourtant, je me retrouvais toujours près d'elle.

Diana

Orlan suivait, juste derrière moi. Il ne me lâchait pas d'une semelle et curieusement cela me rassurait. Lorsque je me retournais, il me rendit mon regard, impassible comme à son habitude.


J'avais imposé à Serafia qu'elle me révèle les secrets de sa communauté. Je voulais tout savoir : comment un tel endroit existait encore, comment parvenaient-ils à prospérer. Quel était le secret de leur médecine. Pourquoi Serafia leur interdisait tout contact. Elle avait accepté et me conduisait à présent dans un recoin de la forêt, peu éclairé et visiblement peu visité.


Elle s'arrêta devant un immense tronc et me jeta un regard peu amène.


« Tu trouveras toutes les réponses que tu cherches ici. »


J'avançais vers le tronc dont l'ouverture, taillée à même le bois, était barrée par un rideau épais. Il n'y avait pas un bruit.


« Tu n'entres pas. » intima alors Serafia.


Près d'elle, Orlan s'immobilisa, visiblement prêt à lui obéir sans discuter. Cette femme avait un pouvoir sur lui qui m'impressionnait, qui m'agaçait. Et qui m'inquiétait.


En constatant qu'Orlan faisait un pas en arrière, j'intervenais : « Il vient avec moi. » J'utilisais le même ton sec que Serafia, celui qui ne souffre pas qu'on discute.

Pour adoucir néanmoins mes propos, j'ajoutais : « Je suis encore totalement ignorante de vos lois et de vos interdictions. Vous ne voudriez pas que je commette un impair en touchant à quelque chose de dangereux ? »


Serafia resta silencieuse, se contentant d'un sourire, en inclinant la tête.


Orlan hésita avant de me rejoindre d'un pas précipité. Ensembles, nous soulevâmes le rideau et nous glissâmes dans l'arbre.

Orlan

Je ne pensais pas avoir spécialement peur de la situation dans laquelle Diana nous avait mis.

J'avais eu peur lorsqu'enfant, j'avais attrapé Ornélia pour lui éviter de tomber. Terrifié à l'idée que je venais de condamner ma petite sœur, j'étais resté des nuits entières à la veiller, à guetter sa respiration.

J'avais eu peur pour Diana, lorsqu'elle s'était lancée tête baissée dans l'exploration des ruines. Ce soir, elle avait mis Serafia hors d'elle, comme jamais je ne l'avais vu, elle l'avait contrainte à dévoiler tous nos secrets. Tous « ses » secrets. Je n'étais jamais venu dans cette partie de la forêt parce que Serafia nous l'interdisait. Elle racontait que les sources d'eau chaude qui alimentaient notre village étaient trop proches de la surface à cette endroit de la forêt, et que le sol se transformait en piège gluant dans lequel on risquait de s'enfoncer pour ne plus en ressortir. J'avais fixé le sol en venant ici. Il était aussi dur qu'ailleurs dans le village. Serafia avait-elle... menti ? Et pour quelles raisons ? Que cachait cet arbre où elle nous avait conduit ?


Les globes d'insectes-lumières s'éclairèrent, faisant fuir l'obscurité. A ma grande surprise, le tronc n'avait pas été creusé davantage que la salle où nous nous trouvions. Circulaire, vide, elle n'avait rien qui aurait mérité qu'on en interdise l'accès.


Diana prononça mon prénom. Elle venait de tomber sur un trou à même le sol, flanqué de marches en pierre. Je fronçais les sourcils.


« Nous ne travaillons pas la pierre. »


Diana secoua la tête.


« Ce n'est pas n'importe quelle pierre. C'est du marbre. »


Elle posa le pied sur la première marche, prête à s'enfoncer sous terre.


« Ce n'est pas taillé à la main, ajouta-t-elle. Orlan, ça vient de mon époque. »

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