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Le phare le surplombait de toute sa hauteur. Il trônait sur un promontoire rocheux, au bout d’une jetée de pierres moussues. Abandonnée depuis des années, la tour ne guidait plus les navires perdus. Eliah imaginait la berge et les flots sombres éclairés par le feu ardent, brûlant au sommet. Le mécanisme de rotation résonnait encore à ses oreilles. Ce lent mouvement l’avait hypnotisé de nombreuses fois durant son enfance.

À présent, seules les ténèbres l’encerclaient. Il tressaillit. Ce lieu étrange ne lui rappelait que des mauvais souvenirs. Mais il avait été irrémédiablement attiré ici. Pendant de longues minutes, il était resté à l’abri des arbres, en amont, à observer les fenêtres béantes et le lierre dévorant la façade. Les battements effrénés de son cœur contrastaient avec la quiétude de la nature autour de lui ; le bruissement des feuilles, le ressac incessant, les animaux nocturnes dans les fourrées.

D’un pas mécanique, un peu traînant, il s’approcha, sans poser un pied sur la digue rocailleuse. Ses prunelles brunes ne quittèrent pas une seule fois l’édifice.

Il marqua une pause. La peur l’empêcha de pénétrer à l’intérieur. Se trouver à quelques mètres de la tour répandait des frissons glacés sur sa nuque. La structure, vieille et fragile, pouvait s’effondrer à tout instant. Quel prétexte arrangeant ! Il savait que les cauchemars reviendraient de plus belle. Son esprit lui hurlait de fuir, mais le phare retenait toute son attention, son mystère l’obsédait, entravait ses mouvements. Il redoutait de rester coincé ainsi pour le restant de ses jours.

En venant jusqu’ici, Eliah avait espéré trouver des réponses à ses questions, peut-être même un indice sur cet événement de sa jeunesse. Mais il ne pouvait pas y entrer, c’était au-dessus de ses forces. Il sentait presque ses cicatrices le brûler, alors qu’elles ne le faisaient plus souffrir depuis des années.

Soudain, il s’ébroua et pivota sur lui-même, comme étonné d’être sur la plage. Il rejoignit les fourrés bordant le sable, afin de retrouver un semblant de protection. Il n’aimait pas cette posture vulnérable, exposée. Il craignit qu’un Îlien ne l’ait repéré. Ce n’était pas le moment d’être dans la lune.

Ce n’était jamais le bon moment pour ça.

Enfin à couvert des broussailles, il fit volte-face. Fugace impression d’être épié. La berge était vide, éclairée par la lune, déjà haute dans le ciel, sans aucun nuage pour la dissimuler. Il lança un regard mauvais à la bâtisse et reprit son chemin en trottinant, malgré ses jambes lourdes et douloureuses.

Des sentiments contradictoires bataillaient en lui. La déception de ne pas avoir ravivé des souvenirs. Le soulagement de fuir.

Lorsqu’il était plus jeune et qu’il songeait à cet endroit, une colère froide montait en lui. Maintenant, il ne restait plus qu’un vague sentiment de tristesse et d’injustice, bien que parfois, le ressentiment grondait encore dans les tréfonds de son esprit. La fureur dévastatrice avait été remplacée depuis bien longtemps par l’abandon et la résignation.

Il eut toutefois un pincement au cœur en pensant à sa sœur, assassinée ici. Lors de la veillée funèbre, ses parents lui avaient interdit de voir le corps. Bravant cet interdit, il s’était glissé dans la salle, encore vide, et avait soulevé le tissu qui enveloppait la dépouille de sa jumelle. Un drap la recouvrait, pour éviter une vision d’horreur à ceux venus la pleurer. Eliah avait eu un hoquet de stupeur, et cette image l’avait accompagné, ponctuant ses longues nuits de cauchemars. S’en rappeler lui provoqua un frisson d’horreur. Le cadavre avait été calciné, seul restait un amas noir. Il n’avait pas pu reconnaître Isahora.

Douze ans le séparaient de cette tragique nuit. Il se tourna une dernière fois vers le phare. Il s’attendait presque à découvrir le fantôme de sa sœur et sursauta, prêt à défaillir. Toujours cette même plage vide. Il devinait pourtant une présence invisible, tapie dans l’ombre. Il pressa le pas, la poitrine enserrée par un étau. Il devait mettre le plus de distance possible entre lui et ce lieu maudit.

Ensuite se cacher. Mais surtout quitter l’Île.

Malgré ses souvenirs flous, Eliah pouvait clairement définir ces derniers jours comme étant les pires de sa vie.

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