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Eliah s’assoupit dans le tramway et émergea une demi-heure plus tard, lorsqu’ils arrivèrent au terminus. Les deux jeunes hommes marchèrent en silence dans les rues bondées, empruntèrent un autre transport. Le trajet fut silencieux.

Il ne voulait pas expliquer toute l’histoire au milieu du wagon. La pression des derniers jours retombait enfin. Avec cette intense vague de soulagement, il craignait d’éclater en sanglots. Un malaise subsistait, qu’il n’osait pas aborder. Sans le contremaitre, comment Asbel récupérait-il la drogue pour son frère ? Une part de son esprit lui soufflait que tout ceci n’avait pas d’importance. Il ne regrettait pas d’avoir agi ainsi.

Se mettre à l’abri. Ensuite penser aux conséquences.

La fatigue emporta ses questionnements et angoisses. Le citoyen de Rianon le réveilla quelque temps après. Ils se trouvaient dans un quartier plus calme. Un gigantesque mur d’alvéoles transparentes les dominait. Il crut sortir de La Bulle. De l’autre côté, il distingua d’autres immeubles, même des maisons. Plusieurs personnes patientaient à l’entrée, contrôlée par des gardes armés. Les deux amis se présentèrent à leur tour. Le clandestin peinait à dissimuler son appréhension. Il redoutait que son statut ne soit révélé.

Asbel sortit une carte que les soldats scannèrent.

« Il est avec moi », indiqua-t-il.

Un gardien les fouilla néanmoins avant de les laisser passer. Ils franchirent la muraille. Le Novichki remarqua qu’il retenait sa respiration. Il expira pleinement, soulagé d’avoir passé cette épreuve. De l’autre côté, il comprit pourquoi un tel barrage existait.

La propreté des lieux le stoppa net. Aucun détritus au sol, seulement les flaques de la dernière pluie. Pas de néons agressifs devant chaque magasin. Il leva la tête vers ces immeubles, plus petits que ceux du centre-ville, au design moderne.

Son complice le poussa sur le côté, afin de ne pas gêner les habitants qui traversaient le passage. Eliah le remarqua à peine et demeura bouche bée. De la végétation cascadait le long des façades. Cet étrange mélange entre contemporain et verdure produisait un effet déconcertant à ses yeux. La nature reprenait ses droits. Un détail le perturbait, sans parvenir à mettre le doigt dessus.

Ils avancèrent. Asbel pétillait de fierté face à l’air ébahi de son compagnon. Des parterres de fleurs décoraient les trottoirs, des pots pendaient aux lampadaires. Ce lieu détonnait tant avec le reste de La Bulle. Pourtant, il discernait toujours les contours protecteurs au-dessus de sa tête.

Il comprit enfin ce qui clochait. L’air restait vicié, comme partout dans cette ville. Il s’approcha des massifs colorés et eut un mouvement de recul. Tout était faux. Les fleurs, les bourgeons, le lierre. Le plastique luisait tristement. Des oiseaux factices, perchés dans les arbres, gazouillaient un chant strident et préenregistré.

« On reconnait à peine la capitale ici, pas vrai ? »

Le bourgeois paraissait à son aise et avançait la tête haute. La fausseté des lieux et son orgueil agacèrent Eliah. Il détestait être sorti de la misère par un gosse de riche condescendant, mais se retint de critiquer la situation. Il tenta de déceler un élément qui réussirait à réchauffer son cœur glacé par ces horreurs.

Ils croisèrent un minuscule parc, juste assez grand pour permettre à trois enfants de se rouler dans une herbe synthétique. Tout cela devait paraître bien merveilleux et authentique pour les résidents de ce quartier, car avaient-ils seulement déjà vu un vrai arbre ? Une lame de tristesse se ficha dans sa poitrine. Seuls ces citoyens bénéficiaient de ce privilège et le protégeaient jalousement. L’amertume l’envahit, envers l’espèce d’Asbel. Ceux qui se moquaient de gaspiller de l’eau, gambadaient dans un faux parc, présentaient leur carte d’identité pour accéder à ce faux paradis. Il serra les poings, la gorge nouée par un profond ressentiment. Il ne pouvait pas se permettre de faire la moindre remarque alors que son ami l’accueillait chaleureusement chez lui.

Enfin, ils s’arrêtèrent au pied d’un bâtiment, semblable aux autres. La façade, composée de centaines de fenêtres en verre, réfléchissait les édifices alentours. Le blond tapa un code à l’entrée et ils pénétrèrent dans le hall.

« Je suis désolé de m’imposer chez toi. Que va dire ton père ? », réalisa soudain le Novichki.

Ils montèrent dans un ascenseur lumineux à l’odeur citronnée.

« Il n’est pas à la maison. Et mon frère est à l’hôpital.

- Oh, je suis désolé. Il s’est passé quelque chose ? »

Asbel haussa les épaules. Cette situation paraissait habituelle.

Ils arrivèrent dans l’appartement, spacieux et luxueux. Ils s’installèrent dans le grand salon et s’avachirent sur le canapé d’angle, bleu foncé. Une cheminée en pierre diffusait une douce chaleur qui réconforta Eliah. Il raconta brièvement l’incident avec Oris, sans mentionner l’épisode des douches, qui l’embarrassait trop.

Son hôte lui serra la main pendant son récit, pour le réconforter. Il eut l’air sincèrement meurtri d’apprendre ces nouvelles.

« Tu pourras rester ici aussi longtemps que nécessaire. »

Des larmes de soulagement envahirent les yeux du clandestin. Il le remercia d’un mouvement de la tête, l’émotion l’empêchait d’articuler le moindre son.

« Concernant mon père, je crois que j’ai une idée. Il rentre rarement, tu sais. Et on ne peut pas dire qu’il s’intéresse beaucoup à moi. Alors je vais prétendre que tu es mon correspondant, ça il ne devrait pas poser de questions.

- C’est quoi un correspondant ? »

Asbel poussa un soupir amusé avant de s’expliquer. Il étudiait le commerce spatial à l’université. Un échange avec un autre élève, d’une planète différente, était tout à fait plausible.

« Et on aura qu’à dire que tu as perdu tes papiers, qu’il y a une embrouille administrative… Avec son poste, je suis sûr que mon père pourra t’obtenir une vraie identité en quelques semaines ! »

Ces mots sonnaient comme une formule magique.

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