Chapitre 6.3

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Une nouvelle idée germa dans son esprit, mais il hésita. Eliah lança un regard du côté de la porte, où Asbel l’attendait. Il ne pouvait pas lui dire. Son ancien ami l’avait déjà trahi une fois. Il devait le considérer comme son ennemi à présent. De plus, Eliah avait remarqué l’étincelle d’avidité qui brillait dans ses prunelles. Asbel était tout aussi dangereux que son père.

Il calcula la distance qui le séparait du bateau. Celui-ci se rapprochait assez du vaisseau spatial, mais il fallait nager une centaine de mètres pour l’atteindre. Le vaisseau spatial, immobile, représentait une cible parfaite et les pirates semblaient décider à les anéantir jusqu’au dernier.

Eliah courut sur le sommet du vaisseau pour se rapprocher le plus possible du bateau pirate et plongea une nouvelle fois dans l’eau. Il ne put profiter de la douceur de l’eau et se concentra sur sa nage. Malgré ses heures de pratique dans la piscine de la villa, il avait oublié la difficulté de nager dans une mer agitée, et il fut rapidement à bout de souffle. Le navire avait considérablement ralenti pour bombarder le vaisseau sans ménagement. Les cris des marins lui parvinrent avec la brise.

Le jeune homme s’arrêta quelques instants, le souffle court. Le brick se dressait droit devant lui et il dut plonger pour ne pas être écrasé par l’avant du navire. Il remonta à la surface quelques mètres plus loin, juste assez pour voir que l’ancre était inaccessible. Elle était remontée et depuis sa position, dans l’eau, il était impossible de l’atteindre. Eliah se sentit quelque peu stupide. Il pensait que le bateau allait s’arrêter pour piller le vaisseau mais ça ne semblait pas les intéresser, malgré un ralentissement significatif.

Il continua à nager et à rester proche du bateau, qui était presque à l’arrêt à présent, mais Eliah commençait à fatiguer. Des éclats de voix lui parvinrent du navire. Les membres de l’équipage ne semblaient pas d’accord. Peut-être hésitaient-ils à piller le vaisseau ? Cette indécision laissa le temps à Eliah de grimper à l’échelle de coupée. Les vagues le soulevèrent assez pour atteindre le premier barreau du bout des doigts. Le jeune homme raffermit sa prise et dut se hisser à la force des bras. Cependant avec sa nage intensive et le froid de l’eau, il grelottait et tremblait. Tous ses membres semblaient vidés de leur énergie et il dut faire un immense effort de volonté pour se tenir sur l’échelle, sans se faire voir et en silence, jusqu’à ce que le navire ait fini de bombarder le vaisseau.

La canonnade sembla durer une éternité. Il n’y avait aucune riposte de la part de l’astronef. Eliah sentit son cœur se serrer en songeant à Asbel, qu’il avait abandonné sans explication. Il essayait de se persuader que ce n’était qu’un juste retour des choses, pourtant il ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir. Malgré tout, cette soudaine attaque pirate mettait un terme aux idées de Sevastian.

Lorsque le navire pirate laissa derrière lui le vaisseau, celui-ci avait à moitié sombré dans l’eau et une épaisse fumée noire l’entourait. Eliah était transi de froid et ses doigts douloureux l’élançaient. Les barreaux n’étaient pas larges pour se tenir et il sentait qu’une crampe allait s’emparer de son mollet droit. Pourtant, s’il sortait de sa cachette maintenant, les pirates le jetteraient à l’eau. Il sentit la douleur irradier de tout son être sans pour autant se décider à grimper l’échelle jusqu’en haut.

Il escalada un barreau en plus et jeta un coup d’œil sur le pont. La plupart des pirates étaient sûrement retournés dormir dans la cale. Ils avaient rallumé les lumières et Eliah ne distingua que quelques hommes qui surveillaient le pont. Il commença à escalader un nouveau barreau et son pied glissa sur la mousse. Le jeune homme se retint de justesse au bastingage. Il finit de passer par-dessus et se laissa tomber sur le pont avec un soupir de soulagement. Ses doigts étaient rougis par le froid et ses bras et jambes pulsaient de douleur après tous ses efforts.

Lorsqu’il se redressa, la pointe d’un canon était braquée sur sa tête. Eliah déglutit péniblement. Un pirate le tenait en joue, à la fois étonné et menaçant. Un autre donna l’alerte et bientôt, le pont fut rempli d’une vingtaine de pirates. Le jeune homme se mit doucement debout, sans faire de gestes brusques et leva les mains au-dessus de la tête.

« J-j-j’étais prisonnier sur le vaisseau qui s’est écrasé et je cherche à rejoindre ma famille », mentit Eliah en baissant les yeux.

Il resta en retrait, contre le bastingage et pria pour que son mensonge fonctionne. Un homme se fraya un passage devant la foule. Il était plus petit que les autres mais il se dégageait de lui une confiance et une assurance qui le désignait comme le capitaine. Il croisa les bras et détailla l’intrus d’un regard méfiant. Eliah faisait peine à voir, il grelottait et sa combinaison lui collait à la peau. Son teint était pâle, caractéristique des habitants de Rianon, avec un visage émacié et des yeux profondément enfoncés dans leur orbite, qu’il maintenait baissés. Enfin l’homme aboya :

« Qu’on lui regarde les yeux. »

Deux pirates s’avancèrent pour obtempérer, mais Eliah répliqua avant.

« Très bien ! J’ai du sang de Rianon dans les veines… mais j’ai été élevé sur l’Île ! Je n’ai rien à voir avec eux » s’empressa-t-il de rajouter.

A ses mots, l’ambiance changea complètement et il put clairement sentir les regards haineux se poser sur lui. Il chercha des yeux un visage plus amical, ou moins enfiellé, mais tous le dévisageaient avec colère et rancune, comme si c’était Eliah en personne qui avait causé la colonisation et la Purge.

« Pourquoi devrait-on t’aider ? », cracha le capitaine.

Eliah remarqua qu’il avait un tatouage sur la tempe droite, en forme de canif. Il déglutit péniblement et baissa les bras. Tout son corps tremblait de fatigue et de froid. Il ne savait plus quoi dire pour sa défense. Il avait réussi à échapper à Asbel et son père, pour au final tomber sur des pirates qui détestaient les envahisseurs.

« Je hais Rianon tout autant que vous… commença-t-il d’une voix lasse.

̶ Nous sommes d’accord sur une chose, coupa le capitaine. Tu comprendras donc que ça va me faire plaisir de te voir passer par-dessus bord. »

Quelques-uns de ses hommes lâchèrent un rire gras. L’éreintement et le désespoir se saisirent d’Eliah. Il manqua de s’effondrer, tant son corps était au bout de ses capacités. Il se retint avec difficulté et tenta de garder l’esprit clair. Il savait parfaitement ce qui était en train de se passer : la brume arrivait. Elle semblait détecter sa détresse, mais il ne pouvait pas perdre le contrôle maintenant.

« Il faut que je prévienne le Seigneur que l’Île est en danger, tenta Eliah. Vous pensez que ce vaisseau qui s’est écrasé est un acte isolé ? En voyant qu’il ne donne plus de réponses, d’autres viendront les chercher au bout d’un moment. L’invasion va recommencer ! »

Cela ne sembla pas émouvoir les pirates, pourtant Eliah crut discerner un frémissement agiter le capitaine, mais ce fut sûrement son imagination. Certains commençaient à s’impatienter et agitaient leur épée avec impatience. Le capitaine n’avait pas bronché et garda les bras sur la poitrine.

Eliah n’avait pourtant pas menti. Peut-être que Sevastian et tout l’équipage était mort, mais il restait encore Dimitri sur Rianon. Après plus d’un mois sans réponse, le frère d’Asbel contacterait le gouvernement afin qu’une mission de sauvetage soit envoyée. Une vague de détresse submergea Eliah. Il n’avait pas fait tout ce chemin, subi tout ça, pour mourir maintenant. Pas avant d’avoir revu les rivages de l’Île.

Pendant quelques secondes, il se sentit stupide d’être monté à bord de ce navire. Les Îliens détestaient les colons, personne ne le croirait, même s’il leur apportait la preuve sous les yeux. La haine les aveuglait trop. Alors que la colère s’apprêtait à gonfler en lui, Eliah sentit les doux tentacules de la brume s’enrouler autour de son esprit. Sa vision devint soudain floue.

« Je suis de l’Île tout autant que vous ! s’insurgea-t-il. Je la connais ! C’est l’Île de l’Etoile ! Je le sais, je l’ai vue ! »

Il remonta sa manche et exposa ses cicatrices. L’équipage fit un pas en avant, sûrement devaient-ils penser qu’Eliah cachait une arme, cependant plusieurs hommes reculèrent en voyant les scarifications. Une flamme de folie luisait dans les prunelles sombres de l’intrus. Il paraissait soudain possédé.

« L’Etoile, répéta Eliah. C’est l’Etoile la clé, je le sais. Je ne leur ai pas dit. Jamais. »

Les pirates se lancèrent des regards perplexes, mal à l’aise. Ce type était complètement fou : des dizaines de scarifications en forme d’étoile recouvraient ses avant-bras. Il répéta encore et encore ces quelques mots en se balançant d’avant en arrière. Ses yeux se perdirent dans la vague. Un pirate, massif, s’apprêta à lever son épée, mais le capitaine l’en empêcha. Il frémit en ressentant cet étrange nuage qui entourait l’intrus. En temps normal, il aurait jeté ce type par-dessus bord, mais jamais il n’avait vu un tel phénomène. S’il se concentrait, il arrivait presque à voir les contours flous de l’envahisseur.

« Mettez-le aux fers, on verra demain ce qu’on en fait. »

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