Chapitre 8.3

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Eliah sentit ses jambes se dérober sous lui et il dut se cramponner au bastingage. Il se sentait nauséeux et fiévreux. Ses membres étaient agités de tremblements. Les yeux le fixaient toujours. Il crut les voir cligner et lâcha un petit cri apeuré.

Il fut sorti de sa torpeur par deux combattants qui le bousculèrent. Le jeune homme reçut un coup de coude dans les côtes et tomba sur le cadavre de son ennemi. Il recula vivement, les yeux exorbités, le visage pâle et transpirant. Les pirates ne le remarquèrent pas. Les combats continuaient toujours sur les deux navires, même si le plus gros des affrontements se situaient sur La Vengeresse.

Il ne voulait plus jamais voir un cadavre, mais à peine cette pensée lui traversa-t-elle l’esprit qu’il vit les dizaines de corps qui jonchaient le pont de L’Albatros. Peut-être certains étaient-ils juste inconscients, mais Eliah ne pensa pas à cette éventualité. Il eut le temps de se pencher par-dessus la balustrade et son estomac fut soulevé par de violents spasmes. Il vomit son dernier repas et de la bile amère.

Le souffle court, il chercha du regard un endroit où se dissimuler. Il avisa le canot, à l’autre bout du navire, et le découragement le saisit. Trop d’adversaires se trouvaient entre son objectif et lui. Ses jambes tremblaient tellement qu’il chancela pour rejoindre la cale. Cependant, il avisa une autre cachette ; il se dissimula au milieu de tonneaux, situés derrière l’un des escaliers menant au pont supérieur. Personne ne le vit disparaître, et il s’accroupit avec difficulté. Il n’avait pas pensé à récupérer son épée, mais c’était le dernier de ses soucis.

Il ne sortirait pas de sa cachette avant de retrouver son souffle et surtout d’être sûr qu’aucun pirate ne lui saute dessus. Avait-il encore une chance de rejoindre le canot ? Il n’en était pas certain. Pour l’heure, il se sentait trop mal en point pour bouger. Tous ses membres étaient parcourus de tremblements incontrôlables. Sa tête semblait sur le point d’exploser tant le sang dans ses tempes battait fort. Sa poitrine se soulevait rapidement et il n’arrivait pas à calmer sa respiration sifflante. Il arracha un morceau de sa combinaison sale et s’en fit un bandage de fortune, pour stopper le saignement à sa jambe. Il serra le tissu et ne put retenir un grognement de douleur.

Le vacarme était assourdissant autour de lui ; les cris résonnaient de tous côtés, les épées s’entrechoquaient. Des canons faisaient encore feu, secouant le navire de temps à autre. Il avait l’impression d’être en plein cauchemar. Eliah savait qu’il devait s’enfuir le plus vite possible, mais le découragement se saisit de lui. Jamais il n’aurait le temps de sortir le canot, le descendre à la mer et de monter dessus. A peine était-il sorti de la cale qu’un ennemi s’était jeté sur lui. Il n’avait aucune chance de survivre face à un autre pirate. Gagner son combat avait déjà été un miracle. La peur lui dévorait le ventre, il était incapable d’esquisser le moindre geste.

Il ne pouvait pas changer qui il était en si peu de temps, ou soudain devenir un combattant expérimenté. Et pourtant, il était déçu de lui-même, de ne pas être plus fort. Ce n’était pas la première fois qu’il fuyait un combat. Il avait été trop lâche et peureux pour prendre la défense des villageois, lors de l’attaque, quelques mois plus tôt. Le jeune homme avait préféré se sauver. Il ne cessait de repenser à tous ces morts, qui avaient été ses amis autrefois. Ce souvenir lui serra la gorge et la douleur qui s’enfonça dans sa poitrine le ramena à la réalité.

Il était incapable de dire pendant combien de temps il était resté immobile, perdu dans la brume. Elle n’avait pas attendu la fin de la bataille pour revenir à la charge. Mais il ne pouvait pas se le permettre dans ces conditions. Quelques profondes inspirations lui permirent de recouvrer un semblant de sang-froid.

A présent qu’il se sentait un peu mieux, il était peut-être temps d’aller se dissimuler dans la cale. Il regarda par-dessus un des tonneaux et tomba presque face à face avec un pirate. Son sang se figea dans ses veines. Cependant, l’homme ne l’avait pas vu. Il était au pied des escaliers et son regard était rivé sur le pont supérieur. Eliah sut qu’il s’agissait du capitaine ennemi. L’homme portait un manteau pourpre orné de riches dorures. Un grand chapeau noir, décoré de plumes rouges, dissimulait ses cheveux. Son visage était déformé par la colère et la haine, dessinant de profondes commissures dans ses joues. Il dégaina son épée et monta les quelques marches jusqu’au pont supérieur.

Eliah remarqua qu’il avait arrêté de respirer tant il avait eu peur d’être découvert. Il reprit son souffle. L’homme avait l’air redoutable. Il se dégageait de lui une force et une assurance qui l’avaient paralysé. Le prisonnier n’osait imaginer ce qu’il serait advenu de lui dans un combat face au capitaine de La Vengeresse.

Thanael allait l’affronter. C’était sûrement lui qu’il avait repéré, sur le pont supérieur. Serait-il en mesure de le battre ? Eliah entendit des éclats de voix et le bruit des épées. Il hésita à sortir de sa cachette. Pourtant, il ne serait jamais assez courageux pour intervenir dans l’affrontement. Il n’était pas assez fort non plus.

Il jeta un coup d’œil aux combats qui se déroulaient sur le navire en face. L’équipage de L’Albatros semblait avoir l’avantage. L’attaque de Lenaïs avait chamboulé leurs adversaires. Eliah arriva à la repérer au milieu des affrontements. Ses cheveux blonds dansaient autour de son visage tandis qu’elle se défendait avec une épée. Theo n’était pas loin et protégeait le flanc gauche de la femme. Ils formaient une bonne équipe tous les deux.

Un cri de douleur déchira l’air. Eliah tourna la tête vers le pont supérieur. Etait-ce Thanael ou son adversaire ? Il se mordilla l’ongle, incapable de se décider à sortir. Et si c’était son capitaine qui était en difficulté ? Un sourire ironique traversa ses lèvres. « Son capitaine », comme s’il se sentait appartenir à cet équipage. Il détestait Thanael et cela ne l’aurait pas dérangé de le voir mort. Pourtant, le capitaine était son unique moyen d’atteindre le Seigneur de l’Île. Seul l’équipage de L’Albatros avait vu le vaisseau s’écraser. Il fallait que le capitaine reste en vie pour le conduire jusqu’à Neuf Soleils.

Si Thanael était en difficulté, Eliah serait-il vraiment en mesure de l’aider ? Il batailla quelques instants contre lui-même, contre le lâche en lui, terrorisé à l’idée de sortir de cette cachette. Il se promit d’étudier la situation avant d’intervenir. Pour le moment, il se contenterait d’observer la scène. Eliah allait sûrement découvrir la victoire écrasante de son capitaine détesté. Thanael ne devait surtout pas le voir en dehors de sa cage, mais le prisonnier voulait simplement s’assurer de sa survie.

Il sortit doucement de derrière les tonneaux, après avoir vérifié que personne n’était susceptible de l’attaquer. Quelques pirates s’affrontaient vers le mât principal et ne lui accordèrent pas la moindre attention. Il contourna les cadavres qui jonchaient le sol, en essayant de ne pas les regarder. Puis, le cœur battant la chamade, le prisonnier grimpa les escaliers avec lenteur. Il s’aplatit contre les marches pour ne pas être vu. Il fut glacé d’horreur par la scène qui se déroulait sous ses yeux.

Thanael était à terre et désarmé. L’une de ses mains tenait son flanc, qui semblait grièvement blessé. Ses doigts et sa chemise étaient maculés de sang. Une longue estafilade marquait son autre bras, sa lèvre était fendue et il ne parvenait pas à ouvrir son œil gauche. Son adversaire le tenait en joue. Malgré la situation, l’homme souriait de toutes ses dents. Eliah ne voyait que le dos de Guynn, le capitaine de La Vengeresse, donc celui-ci ne pouvait pas le repérer.

L’angoisse serra le ventre d’Eliah. S’il laissait Thanael mourir, l’équipage irait sûrement à Neuf Soleils dans tous les cas. Lenaïs serait dévasté, Theo aussi, imagina Eliah. Cependant, était-il capable de laisser mourir cet homme, alors qu’il pouvait intervenir ? Peut-être que la mort de leur capitaine entraînerait la défaite de l’équipage, songea-t-il avec effroi.

Il devait faire quelque chose. Les deux hommes discutaient pour l’instant ; le capitaine de La Vengeresse devait savourer sa victoire. Eliah remarqua qu’il n’y avait que trois cadavres sur le pont supérieur – mais son regard ne s’attarda pas sur eux. Il n’y avait personne en mesure d’intervenir, à part lui. Il jeta un coup d’œil dans son dos, pour vérifier qu’aucun pirate ne l’attaquait, avant que son regard ne balaye le pont à la recherche de quelque chose pour assommer Guynn. Les armes potentielles étaient trop loin de lui, Guynn aurait remarqué sa présence. Et il ne voulait pas le tuer de dos, ce serait lâche. En vérité, Eliah ne voulait plus jamais tuer quiconque. Il se sentait encore secoué par la mort du pirate qui l’avait attaqué.

Il repéra un morceau de bois, qu’un boulet de canon avait arraché du bastingage. Le jeune homme s’avança sur la pointe des pieds jusqu’au gourdin, les jambes fléchies et le dos courbé. Il ne pouvait détacher son regard des deux pirates, tout en priant pour qu’aucun ne le remarque. Ils semblaient absorbés par leur conversation. Des bribes lui parvinrent :

« … voilà enfin, après quinze ans de poursuite et d’humiliation. Tu as quelque chose à dire avant de mourir ? », lança l’homme en rouge.

Le sang d’Eliah se figea. Il s’empara de son arme de fortune et s’avança jusqu’aux deux hommes. Aucun des deux ne l’avait encore remarqué. Eliah commença à prendre son élan lorsque les yeux de Thanael se posèrent sur lui. Il fronça les sourcils, ce qui attira l’attention de Guynn. Le prisonnier abattit la planche sur le pirate au moment où celui-ci se tournait vers lui. Le bout de bois se cassa en deux avec fracas et le capitaine de La vengeresse tomba à terre, assommé.

Eliah recula, le souffle court. La sueur coulait le long de son front et il se sentait nauséeux. Cela faisait trop d’émotion pour la journée. Il se plia en deux, les mains posées sur ses cuisses tremblantes. Il espérait que cette fichue bataille soit finie maintenant qu’un des deux capitaines étaient hors d’état de nuire. Pourtant, personne ne semblait avoir remarqué la scène.

Lorsqu’il se redressa, Thanael était devant lui. L’homme s’était relevé avec difficulté. Il se tenait courbé à cause de la douleur à son flanc, sa main pressait sa blessure, d’où gouttait du sang. Il lui fallait des soins sans plus tarder. Pourtant, il ne semblait pas remarquer la douleur. Son visage était défiguré par la haine. Malgré la pâleur de sa figure et la fièvre qui commençait à s’emparer de lui, le capitaine était encore assez fort pour effrayer Eliah. Celui-ci recula, apeuré. Il s’était douté que son intervention ne ravirait pas le capitaine, mais il venait de lui sauver la vie ! Pourtant, son visage était terrifiant, encore plus avec les blessures qui le recouvraient.

« Que fais-tu hors de ta cage ? C’était mon combat, gronda-t-il. Tu n’avais pas à intervenir ! »

Eliah n’eut pas le temps de répondre pour se défendre. Le capitaine lui décocha un coup de poing phénoménal. Le jeune homme tomba à la renverse et perdit connaissance lorsque son crâne percuta le sol.

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