Chapitre 9.4

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Son inconscience ne dura pas plus de quelques secondes, pourtant, il fit plusieurs rêves étranges. Dans le premier, il vit Lenaïs. Elle se situait dans une sorte de laboratoire. Des centaines de livres s’étalaient tout autour d’elle, ainsi que des feuilles recouvertes de schémas et de formules mathématiques. Un étrange dessin avait été dessiné sur le sol en pierre, à l’aide d’une craie. Il ne fit pas attention, mais Lenaïs dans son rêve avait encore ses deux bras.

Elle jeta la craie dans un coin et se plaça au centre du dessin. Il représentait une étoile, ses cinq branches étaient reliées par un cercle et la femme se trouvait enfermée à l’intérieur. Elle tenait un ossement dans son autre main. D’étranges paroles sortirent de ses lèvres. Au début, il ne se passa rien. Puis soudain, des volutes de fumées s’échappèrent du pentacle. Malgré son regard paniqué, la femme continua à réciter sa litanie. L’os se mit à briller et elle le lâcha avec un cri apeuré. Ses yeux s’agrandirent sous l’effet de la peur et elle reprit aussitôt son incantation.

Une véritable tornade sembla sortir du dessin au sol. Elle se protégea tant bien que mal avec son bras et soudain, elle disparut. Le pentacle fut aspiré par le sol et tous les papiers s’envolèrent dans le laboratoire.

Dans le rêve suivant, Lenaïs se trouvait au bord de la mer, sur les hauteurs d’une falaise, dans un ancien cimetière. Les noms sur les pierres tombales étaient effacés depuis bien longtemps, la plupart brisée et recouverte de mousse. Les herbes folles s’agitaient tout autour de la femme. Elle baignait dans une flaque de sang. Son bras gauche manquait. La moitié de son visage était recouvert d’hémoglobine. Elle était inconsciente. A côté d’elle se trouvait l’os.

Eliah revint à lui, allongé sur le pont supérieur, à côté du jardinet. Il avait l’impression que seulement quelques secondes s’étaient écoulés. Lenaïs était toujours inconsciente. Theo s’agenouilla à côté d’eux, il paraissait paniqué.

« Que s’est-il passé ? Vous vous êtes soudain effondrés ! »

Le jeune homme n’eut pas le temps de répondre. Plusieurs membres d’équipage envahirent le pont. Le second avait sûrement appelé à l’aide. Thanael déboula à toute vitesse et se jeta sur le captif.

« Qu’est-ce que tu lui as fait ? », hurla-t-il.

Le capitaine le secoua dans tous les sens, sans lui laisser le temps de s’expliquer. Il s’apprêtait à décocher un coup de poing à Eliah, mais Lenaïs se réveilla à cet instant. Le jeune homme soupira de soulagement.

Le pirate se précipita sur sa compagne et l’aida à se redresser. Il avait vraiment l’air inquiet.

« Remettez-le au cachot », ordonna Thanael.

Plusieurs marins commencèrent à soulever Eliah par le bras pour l’emmener dans la cale, il voulut protester et expliquer la situation, mais il savait qu’on ne l’écouterait pas.

« Non, intervint Lenaïs. C’est moi qui ai voulu tenter une nouvelle expérience, Eliah n’y est pour rien. Laissez-le. »

Les hommes le lâchèrent à contrecœur. Elle se releva et épousseta ses vêtements.

« Wah, c’était mouvementé ! On devra recommencer ça. »

Malgré l’assurance qu’elle affichait, son visage pâle trahissait l’effort qu’elle avait dû fournir. Elle ignora les reproches de son compagnon tandis qu’elle remettait ses cheveux en place. Eliah remarqua qu’elle fuyait son regard. Les mains de la femme tremblaient encore. Elle semblait sur le point d’éclater en sanglot. Pour échapper à son émotion, elle se dirigea vers la cabine du capitaine, qu’elle partageait avec celui-ci. Thanael la suivit et lui rabroua que tout ceci n’était pas amusant.

Les marins retournèrent à leur poste en grommelant. Le prisonnier avait encore échappé à l’emprisonnement, de peu, et certains perdaient des paris. Il était interdit de miser de l’argent sur le navire, mais cela n’empêcher par les pirates de s’amuser. Ils pariaient sur leurs corvées ou sur des gages, comme le jeu du couteau.

Theo ne laissa pas une seconde de répit à Eliah et l’envoya aux cuisines pour aider le cuistot à préparer le repas. Il se sentait encore chamboulé par l’expérience, mais ne discuta pas les ordres. Il rejoignit le coq d’un pas chancelant et incertain.

Les cuisines sentaient le graillon et la fumée. Il n’y avait pas de fenêtre pour aérer l’endroit. Le plafond était bas et aucune décoration ne venait apporter un peu de chaleur. Certains murs étaient recouverts de lacérations et de coupures ; parfois pendant les repas, les hommes s’amusaient au lancer de couteaux. Eliah prit place à une table où Lefi, le cuistot, avait déjà installé plusieurs sacs à patates.

Il n’entendit pas les reproches de l’homme qui se plaignit de son retard et de son manque de concentration. Le pirate borgne abandonna les réprimandes en voyant que l’étranger était dans cet étrange état. Il ne répondait plus et ses yeux fixaient un point dans le vide. Pourtant, il accomplissait les taches qu’on lui demandait. Les patates semblèrent s’éplucher toutes seules tandis qu’Eliah restait plongé dans ses pensées.

Quel avait été cet étrange rêve ? Cela lui semblait à la fois réel et complètement irréaliste. D’autres bribes lui parvenaient encore, qui n’avaient pas de rapport avec ce qu’il avait vu précédemment. Cependant, il n’en comprenait pas le sens. C’était seulement des images figées, comme des flashs collés à sa rétine. Sur l’un, Lenaïs se disputait avec un homme âgé aux cheveux blancs, vêtu d’une armure étincelante. Sur un autre, elle était enfant et pleurait, enfermée dans une petite chambre exiguë et sombre. Il avait également vu le visage d’un autre homme, au teint mat et à l’allure menaçante.

Tout ceci semblait bien réel. Leur mémoire avait dû s’entremêler pendant quelques secondes lorsque Lenaïs essayait de « convaincre » l’esprit d’Eliah d’abandonner la brume. Pourtant, celle-ci était encore bien présente. Il la sentait, prête à lui bondir dessus. Il se piqua le bout du doigt avec le couteau pour éplucher, cela lui permettait de rester assez concentré.

Qu’avait donc vu Lenaïs dans ses souvenirs ? Elle semblait chamboulée lorsqu’elle s’était réveillée. Assez perturbée pour ne pas le regarder et filer directement dans sa cabine. Si l’expérience avait été aussi amusante qu’elle l’avait prétendu, la femme aurait partagé ses découvertes sur le champ. Pendant quelques terrifiantes secondes, il se demanda si elle savait le point faible des envahisseurs, qu’il gardait secret depuis des semaines. C’était son unique moyen de pression contre le Seigneur de l’Île. Allait-elle le dévoiler à Thanael et ruiner les chances de survie d’Eliah ?

A peine cette pensée lui traversa-t-elle l’esprit que l’Eire apparut dans l’entrebâillement de la porte. Elle discuta quelques instants avec Lefi et plaisanta avec lui. Cependant, Eliah remarqua ses coups d’œil fréquents dans sa direction, et ses doigts crispés autour de sa veste.

« Je peux te l’emprunter quelques secondes ? Ça ne sera pas long. »

L’homme grommela et finit par accepter. Le beau sourire de la femme fit taire ses grognements mécontents.

Elle fit signe à Eliah de venir. Il lâcha le couteau et essaya rapidement ses mains sur un torchon. La cuisine se trouvait au fond du dortoir, dans un espace aménagé avec d’un côté le garde-manger et de l’autre côté des fourneaux, au milieu des bancs et des tables pour s’installer. La femme referma la porte, pour ne pas que Lefi les entende, et jeta un coup d’œil autour d’elle pour vérifier que personne ne les dérangerait. Les dormeurs de l’équipe de nuit se trouvaient à leur opposé. La voie étant libre, elle plaqua Eliah contre le mur. Celui-ci fut trop étonné pour réagir. Elle bloqua son bras valide sous la gorge du jeune homme.

« Qu’est-ce que tu as vu tout à l’heure ?

̶ J-j-je comprends pas de quoi tu parles », répondit-il d’une voix étouffée.

Elle était bien plus forte qu’il ne l’aurait pensé. Il suffoquait et n’arrivait pas à se dégager de son emprise.

« J’ai vu tes souvenirs. Qu’est-ce que tu as vu toi ? »

La femme était dans une colère noire. Son visage crispé tremblait de colère. Ses cheveux hérissés se dressaient sur sa tête et elle serrait la mâchoire avec tant de force qu’il pouvait entendre ses dents grincer.

« Je te promets que je n’ai rien vu », parvint-il à articuler.

L’air arrivait avec de plus en plus de difficulté à ses poumons. Des tâches de couleurs apparurent devant ses yeux. Elle le lâcha enfin et il s’effondra par terre en toussant. Cette femme était beaucoup plus dangereuse qu’il ne l’aurait pensé. Il se massa le cou et grogna de douleur.

« Je sais pas ce qu’il t’arrive mais je me suis juste évanoui, mentit-il.

̶ J’ai eu accès à ta mémoire.

̶ Et bien pas moi, répéta-t-il. C’est sûrement parce que de nous deux, c’est toi qui a des pouvoirs. »

Elle le dévisagea quelques instants, sûrement pour déterminer s’il disait la vérité. Eliah se contenta de rester plié en deux et de respirer. Il pressentait qu’il valait mieux mentir.

« Que s’est-il passé ? »

Cette simple diversion suffit à lui faire lâcher prise. Elle passa une main lasse sur son visage et s’appuya contre la cloison en bois.

« On a été connectés pendant quelques secondes. Ça n’a pas été long. C’est comme être hypnotisé. »

Eliah connaissait bien ce sentiment, il se retint de faire un commentaire ironique.

« Nos corps étaient comme… endormis. Je crois que la douleur nous a réveillé.

̶ Tomber du jardinet ? »

Ils n’avaient pas chuté de très haut, il fut étonné que cela ait suffit à les réveiller. La femme hocha la tête négativement.

« Non, c’était comme dans un rêve. Lorsque tu t’apprêtes à mourir, tu te réveilles en sursaut. Et bien, la douleur du souvenir m’a réveillé. Je pense que la douleur coupe le lien, comme avec la brume. »

Il resta silencieux quelques secondes et déglutit avec difficulté. Le jeune homme avait bien cru qu’elle allait le tuer. Heureusement que son mensonge l’avait convaincue. Pourtant, il ne comprenait pas pourquoi il avait vu ses souvenirs. Pour l’heure, ce détail ne l’inquiétait pas outre mesure. Qu’avait donc vu l’Eire pour que cette douleur la sorte de cette transe ?

« Qu’est-ce que tu as vu, toi ? », demanda-t-il d’une voix rauque.

Il leva la tête vers elle, et remarqua que la femme fuyait son regard.

« J’ai vu… quelque chose de très étrange. Je pense savoir d’où vient ta malédiction. »

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