Chapitre 11.2

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Ils avaient la gorge sèche et les mains moites en arrivant au palais. L’édifice avait été placé en hauteur en cas d’éventuelles attaques, et Eliah songea qu’il fallait bien du courage pour atteindre le sommet de cette colline. Des remparts blancs encadraient le château et ils traversèrent une immense grille en fer forgé qui permettait d’accéder aux jardins. Les couleurs étaient éblouissantes dans l’enceinte. Des nobles se promenaient au milieu des fontaines en ignorant les jardiniers qui s’occupaient des centaines de plantes exotiques et bigarrées. Des palmiers et arbustes colorés apportaient de l’ombre et les sources d’eau créaient une atmosphère paisible. Un couloir percé par des arches faisait le tour du jardin, chaque pilier était orné de dorures et les tympans taillés dans la pierre dessinaient des arabesques enchanteresses et hypnotiques. Les murs intérieurs étaient décorés de mosaïques abstraites et bigarrées. Il régnait un calme apaisant, seulement entrecoupé par le glougloutement de l’eau et le bruit des oiseaux.

Le petit groupe traversa le jardin sous le regard intrigué des nobles et serviteurs. Thanael avançait d’un pas assuré tandis que sa compagne et le prisonnier observaient les lieux avec admiration. Ils arrivèrent devant la porte qui menait au palais mais une dizaine de gardes barraient le passage. Ils portaient chacun une lance et une épée pendait à leur ceinture. Leur uniforme se composait d’une fine côte de maille dorée à laquelle une cape pourpre était attachée. Leurs jambières recouvraient partiellement leur pantalon bouffant et sombre. Le chef, reconnaissable à son plastron en or décoré d’une tête d’ours féroce, s’approcha d’eux :

« Les doléances sont finies pour aujourd’hui, prévint-il.

̶ Nous devons voir sa majesté, informa Thanael.

̶ Avez-vous une invitation ?

̶ Non. Faites savoir au Seigneur que Thanael d’Ivoire souhaite une audience. »

Le capitaine sembla prendre la pose, comme s’il s’attendait à ce que les soldats s’inclinent devant lui. Lenaïs lança un regard d’incompréhension à son compagnon. Elle n’arrivait pas à déterminer si toute cette mise en scène était une blague. Les gardes se dévisagèrent, les yeux écarquillés. Un homme plus âgé se détacha du lot et s’avança, suspicieux.

« Dans ce cas-là, montrez-nous votre insigne, monseigneur Thanael. »

Thanael lança un regard arrogant aux sentinelles et pâlit soudain. Il se tourna vers Theo, celui-ci se contenta de hausser les épaules.

« Mais je l’ai vendu mon insigne. »

Eliah faillit rire devant la tête incrédule des soldats. Il ne comprenait pas quel titre portait le pirate pour être ainsi respecté et connu par le Seigneur, mais cela ne les aidait pas. Thanael comptait visiblement là-dessus pour avoir une audience, mais sans ce fameux insigne, ils n’iraient pas plus loin.

« Vous ne pouvez donc pas entrer. »

Le soldat sembla tirer une certaine fierté de la situation. Il avait déjoué le plan d’un stupide mercenaire qui pensait pouvoir obtenir une audience avec sa majesté en usurpant l’identité du très célèbre Thanael d’Ivoire. Theo posa une main sur l’épaule de son ami à l’instant même où Thanael serrait les poings, contrarié. Le second connaissait le tempérament colérique et impulsif du capitaine et sut que ce refus allait l’agacer.

« Peut-on s’inscrire sur les registres de doléances ? questionna-t-il poliment.

̶ Bien-sûr, répondit chef des soldats avec un sourire narquois. Le temps d’attente est d’un mois. »

Thanael leva les bras au ciel et s’éloigna de quelques pas. Le petit groupe le suivit, chacun plongé dans ses pensées à la recherche d’une solution. Eliah commença à s’agiter dans son coin. Ils n’avaient pas un mois ! Ils avaient déjà perdu tellement de temps à venir. La colère et l’inquiétude se mélangèrent en lui. Il ne savait pas si Thanael avait tenté un coup de bluff où s’il connaissait vraiment le Seigneur, mais tout miser là-dessus avait été stupide.

« Thanael, vieille canaille ! », rugit une voix dans leur dos.

Un homme s’approcha d’eux et prit le capitaine dans ses bras. Celui-ci fut surpris pendant une fraction de seconde avant que son rire résonne dans le cloître. Ils se séparent et les pirates purent observer le nouvel arrivant. L’homme était enroulé dans une écharpe grise qui recouvrait une toge blanche, serrée à la taille par une ceinture finement tressée. Un bouc grisonnant mettait en valeur son visage tanné par les années. Ses yeux clairs passèrent sur chacun des compagnons de Thanael et ses sourcils broussailleux se froncèrent en remarquant les yeux foncés d’Eliah.

« Je t’avais à peine reconnu Abraha, reconnu Thanael.

̶ Sans ton tatouage sur la tempe, je pense que je ne t’aurais pas reconnu non plus, admit l’homme avec un rire rauque. Et ne serait-ce pas… Theo ! »

Abraha serra vivement la main du second. Un grand sourire illumina le visage de celui-ci.

« Qu’est-ce qui vous amène ici, depuis le temps ? Tu as changé d’avis Thanael ? Il n’est jamais trop tard, même après dix ans ! »

L’homme repartit d’un grand éclat de rire. Thanael se mit à rougir et marmonna quelques paroles inintelligibles. Eliah et Lenaïs échangèrent un regard étonné. Jamais ils n’avaient vu le capitaine rougir devant quiconque. Ils ne savaient pas comment Abraha et le pirate se connaissaient, mais ils semblaient être d’anciens amis.

Lenaïs se rapprocha de son compagnon et s’agrippa à son bras. Elle n’aimait pas se sentir à l’écart et ignorer le passé du pirate.

« Tu nous présentes ?

̶ Voici, Abraha, ministre de sa majesté. Nous avons fait la quinzaine sanglante en sa compagnie. Abraha, je vous présente Lenaïs, ma compagne. Et voici Eliah. »

Il salua la femme en s’inclinant avec élégance, les joues de la mage s’empourprèrent de plaisir. Ni elle ni Eliah ne savaient ce qu’était « la quinzaine sanglante », mais ce n’était pas le moment pour en parler. Les prunelles du ministre se tintèrent de mépris et de haine pour le prisonnier. Son regard s’attarda sur les menottes qui enchainaient Eliah, et il hocha imperceptiblement la tête. Le captif se doutait que c’était le rêve de chaque Îlien de voir un colon enchaîné, mais il déglutit avec difficulté. L’entretien avec le Seigneur de l’Île serait sûrement plus difficile qu’il ne l’avait imaginé.

« Nous devons absolument avoir une audience, reprit Thanael. C’est extrêmement important. L’avenir de l’Île en dépend. »

Abraha perdit son air joyeux devant le visage si sérieux de son ancien ami. Il étudia quelques secondes le pirate, passa en revue ses compagnons, puis il acquiesça. L’homme devait être curieux de découvrir la raison de leur venue et s’empressa d’interpeller les gardes. Ceux-ci s’étaient mis en retrait au début de la conversation.

« Vous alliez laisser partir le seigneur Thanael ! reprocha le ministre.

̶ Mais monseigneur Abraha, il n’avait pas son insigne…

̶ Je parie qu’il l’a vendu ! », ricana-t-il.

Thanael détourna le regard tandis qu’un sourire malicieux se peignait sur son visage. Abraha fit signe aux soldats d’ouvrir la grande porte et ils s’exécutèrent. Ils pénétrèrent dans un hall spacieux et bien éclairé. Le ministre les conduisit à travers un dédale de couloir. L’intérieur était plus sobre que le jardin. Quelques tableaux ornaient les murs blancs et leurs pas résonnaient sur le sol de marbre sombre.

« Sa majesté fait rénover tout le palais », expliqua-t-il.

Ils rencontrèrent en effet quelques ouvriers sur le chemin, qui s’inclinèrent devant le ministre. Ils croisèrent également quelques courtisanes qui rougirent en voyant les pirates et ricanèrent à voix basse. Enfin, ils arrivèrent dans un petit salon confortable et luxueux.

« Attendez-nous ici. Un serviteur va vous apporter des rafraichissements. »

L’homme s’éclipsa et les pirates s’installèrent. Le sol du salon était recouvert par des tapis moelleux qui atténuaient le son des pas. Les murs de boiseries richement décorées et sculptés impressionnèrent les nouveaux venus. Ils s’installèrent sur les canapés, coussins et couvertures posées à même le sol. Thanael semblait à l’aise, il se vautra sur des coussins tandis que Lenaïs et Eliah s’asseyaient avec respect et crainte sur le canapé en velours bleu. Theo parcourut le salon et commença à fouiller dans les bibelots décoratifs. Au fond, derrière un rideau de plantes, une fontaine coulait, produisant un son apaisant. Les fenêtres ajourées en bois tressé formaient un schéma géométrique complexe et harmonieux.

Un serviteur apparut soudain, déposa un plateau sur la table basse qui trônait au centre de la pièce, et s’éclipsa. Ils prirent place autour de la collation. Une douce odeur de thé à la menthe s’éleva de la théière brillante et le ventre d’Eliah gargouilla devant les gâteaux sucrés qui accompagnaient la boisson.

La porte s’ouvrit avec fracas, les invités sursautèrent. Eliah eut à peine le temps de réagir, une fraction de seconde s’écoula et la scène devant ses yeux métamorphosa. Une femme à la carrure puissante se tenait devant Thanael, une dague pointée sur la gorge du pirate. Lenaïs hoqueta de surprise et commença à se redresser pour intervenir, mais Theo lui fit signe que tout allait bien.

« Thanael, espèce de bon à rien, j’espère que tu es revenu pour accepter ma proposition ! s’écria la femme. Cela fait plus de dix ans que j’attends ta réponse, vaurien ! »

Malgré sa fâcheuse position, le pirate partit d’un grand éclat de rire, bientôt suivi par la femme qui rengaina son arme. Elle lui tendit la main pour l’aider à se redresser et ils se serrèrent brièvement dans les bras. Elle salua également Theo d’un geste de la tête et se tourna vers les autres.

« Je te présente Lenaïs, ma compagne, et Eliah. Voici Sendja, le Seigneur de l’Île. »

La mage et le prisonnier restèrent bouche bée. Ils ne s’étaient pas attendus à découvrir une femme. Thanael n’avait jamais précisé une seule fois qu’ils n’auraient pas affaire à un homme. Tous les Îliens désignaient le Seigneur comme étant un homme, pour protéger Sendja des envahisseurs. Depuis le changement de monarque, Abraha se faisait passer pour le roi, tandis que la femme orchestrait dans l’ombre.

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